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EAN : 9782746704534
150 pages
Autrement (09/03/2004)
4.05/5   178 notes
Résumé :

" [...] la température était tombée en dessous de moins quarante degrés. La neige se fit bleue et la limite entre terre et ciel s'estompa. Le soleil, dépouillé de sa splendeur et privé de son éclat, végétait désormais dans une misère prolétarienne. Le froid vif buvait toute sa chaude et vivifiante liqueur - désormais seuls le feu de bois, l'amour et trois cents grammes quotidiens d'un pain mêlé de cellulose et d'arêtes de poisson devaient nous défendre contr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (53) Voir plus Ajouter une critique
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« La température était tombée en dessous de moins quarante degrés. La neige se fit bleue et la limite entre terre et ciel s'estompa. le soleil, dépouillé de sa splendeur et privé de son éclat, végétait désormais dans une misère prolétarienne. le froid vif buvait toute sa chaude et vivifiante liqueur - désormais seuls le feu de bois, l'amour et trois cents grammes quotidiens d'un pain mêlé de cellulose et d'arêtes de poisson devaient nous défendre contre la mort. »
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Presque tout est dans cette citation. Presque. Peut-être manque-t-il le nom de cette mort : Staline.
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Dans ce récit autobiographique, l'auteur raconte comment il a été le seul de sa famille à survivre, étant enfant, au système répressif russe des années 1940 : déporté polonais dans un village surveillé du goulag, il côtoie quotidiennement la faim, la misère, le lavage de cerveau, les emprisonnements, les disparitions mystérieuses et, bien sûr, la mort, bien trop tôt et bien trop banalisée.
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Parce que c'est l'enfant qui raconte, on entrevoit comment l'enfance elle-même a contribué à le sauver, au même titre que sa foi, la poésie mais, surtout, son humanité qu'il ne s'est jamais laissé ôter par le pouvoir, même lorsque celui-ci s'acharnait sur sa famille comme un mauvais sort. Aperçu d'un ordre politique répressif et inhumain, ce texte d'une centaine de pages est, à travers les péripéties des personnages, un témoignage de ce que l'humain fait de mieux, et de ce qu'il fait de pire.
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Mais si son principal intérêt est le témoignage sur le vif de la vie dans ces camps, je ne le qualifierais pourtant pas de bouleversant car l'auteur, justement, n'en fait pas des tonnes : il décrit des situations révoltantes avec la plume de celui qui est face à une certaine fatalité banalisée, même si à sa manière il y résiste, armé de sa seule joie de vivre et de l'amour de sa mère qui le protègera, du moins un temps, puis d'une mère au sens plus large. Ou peut-être met-il une distance volontaire, salutaire, entre ce qu'il vit et ce qu'il raconte, qui place également, de fait, le lecteur en retrait de l'action et surtout du ressenti.
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Contrairement à mes attentes, dues notamment au titre, je ne qualifierais pas non-plus ce texte de d'éminemment poétique, même s'il n'est pas dénué de passages qui le sont. Il est simple, efficace, bercée d'une certaine douceur envers les personnages et même d'une certaine tendresse y compris envers les méchants, qui finissent d'une manière ou d'une autre par montrer une âme timide sous leur carapace de communisme. Il est en tous les cas instructif et édifiant, et finit même, à force de le caresser des yeux, par en devenir touchant, dans sa retenue et sa pudeur.
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Sur le thème, j'avais également adoré découvrir, il y a très longtemps, le texte qu'Alexandre Soljenitsyne avait composé lorsqu'il était au bagne (entre 1948 et 1952), sous forme de long poème pour le mémoriser sans subir la censure ni la mort. Il y a quelque chose de vraiment puissant dans cette forme qui servait le fond, essentielle à son existence et, plus encore, indispensable à sa transmission. Quand on y pense, l‘exercice est complètement fou, la prouesse incroyable. Je vous le recommande en complément si vous souhaitez explorer le sujet !
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Comme des milliers d'autres Polonais lorsqu'en 1939 les Soviétiques envahissent l'Est de leur pays, l'auteur, alors âgé de cinq ans, est déporté en Sibérie avec toute sa famille. Son père est envoyé au Goulag, dans l'un des terribles camps de la Kolyma, cette région de l'Extrême-Orient russe transformée par le travail forcé en un centre majeur d'extraction minière, notamment aurifère. L'enfant, sa mère et sa grand-mère, sont relégués dans une petite ville, située dans la taïga sur le trajet du Transsibérien.


Semblant de petites nouvelles indépendantes, les courts chapitres se succèdent en autant de tranches de vie pour former la trame d'un quotidien inscrit dans un monde singulièrement à part. Dans ces confins écrasés de froid, où l'on manque d'autant plus de tout, en particulier de nourriture, que la guerre bat son plein, un assemblage hétéroclite d'exilés assignés à résidence, pour la grande majorité les membres de familles de prisonniers politiques, tente tant bien que mal de survivre. le froid, la faim, mais aussi la menace permanente du NKVD qui, à tout moment, peut arbitrairement trancher le fil des existences, marquent leur dur ordinaire, où brutalité et duplicité côtoient entraide et générosité pour espérer gagner quelque temps sur la mort qui frappe à une cadence infernale.


La narration est menée par un petit garçon de huit ans, bien conscient de ce que la survie peut nécessiter de fausseté et de compromission, mais qui n'en aborde pas moins la vie avec la spontanéité et la fraîcheur de l'enfance. Les épisodes qu'il relate dessinent peu à peu un tableau d'ensemble, à plus forte raison terrible et impressionnant, qu'ils sont tous extraits d'une réalité pour lui banale, et que tout y a l'accent d'une histoire vécue. Aussi effroyable soit-il, le récit ne laisse jamais la place au désespoir, et s'éclaire plutôt de précieux éclats d'amour et d'amitié, de sincérité brute et passionnée, de foi pure et touchante - pépites d'humanité tranchant sur leur gangue de noirceur, et qui, au fil d'une écriture d'une magnifique simplicité baignée de poésie, ensorcellent le lecteur coeur et âme.


Un livre superbe, aussi marquant qu'émouvant, pour une plongée à hauteur d'enfant dans une période terrible de l'histoire russe. Très grand coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Il n'est pas facile de faire une critique sur ce genre de livre et encore moins dans ce cas présent puisque je n'ai pas su ressentir avec intensité ce qu'à pu vivre Piotr Bednarski , lorsque enfant lui et sa famille ont été déportés dans un village d'exclus en Sibérie.
Il s'agit effectivement d'un récit autobiographie. J'aurais de fait dû être d'autant plus sensibilisée mais la construction du livre sous forme de mini chapitres offrent des mini tranches de vie, et cela ne m'a pas permis de m'imprégner de ce vécu.
J'ai lu avec une certaine distance ces années de faim, de tensions de craintes permanentes. Il m'a manqué du lien, entre ces chapitres pour être vraiment immerger dans cette époque qui effraie le petit Petia.
« Les ténèbres furent le cauchemar de mon enfance. Les ténèbres et aussi Staline. Je supportais mieux les ténèbres : elles avaient un début au crépuscule, et une fin à l'aube, et elles n'avaient pas toujours l'opacité des ténèbres bibliques. Tandis que Staline, ce voyeur génial, était partout. A tous les coins de rue, sur toutes les affiches, jusque dans nos rêves. le guide, le timonier, le père. Souvent, j'essayais de le fixer en pleine lumière pour vaincre ma phobie. En vain. La terreur ne me lâchait pas l'âme. »
Si je n'ai pas su apprécier comme il l'aurait fallu ce récit, il n'en reste pas moins important et terrible devant toutes ces arrestations et ces morts. La note que j'attribue à ce roman reflète donc bien uniquement mon ressenti.
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J'aimerais seulement réussir à bien parler de ce livre incroyable, de la passion qu'il a convoqué pour moi, et de sa blanche beauté, du luxe de sa langue, de la richesse de son propos et puis aussi de l'universalité de sa quête. Ce livre est une ode à la liberté, rien de moins. En fait, à peine refermé je pensais déjà que si la littérature était capable de fournir à ses lecteurs des bouquins de cette trempe, alors il me suffisait d'être là et de continuer à saisir cet art fluctuant capable des plus étranges fulgurances.
Piotr Bednarski raconte ici son enfance foutue en l'air par les soviètiques. Fils de Polonais coupable de noblesse, il fût déporté en compagnie de sa mère dans l'anti-chambre du goulag où son père purgeait une peine sans nom. Là-bas tout était bien entendu interdit, fermé, surveillé, la jeunesse sempiternellement broyée, continuellement étouffée ; l'amour de Staline exigeait une passion totale qui n'en tolérait aucune autre. Mais je ne voudrais pas parler de ce livre de cette façon, il n'est pas seulement ça. Non que cette histoire fût banale, l'horreur serait qu'elle le devienne d'ailleurs.
J'aimerais aborder ce livre par le figuré, l'instinctif. Il m'arrive souvent lorsqu'un roman me happe d'attrapper un stylo et de souligner, de recopier certains passages en toute fin de livre. Peut-être cela suffirait-il ici à laisser entrevoir ce qu'on peut y lire.
P38 : "Et puis, la beauté est nécessaire partout, même là où s'ébattent les ours blancs"..
P43 : "Je me ferai moine bouddhiste. Vous, vous volerez, et moi, je prierai"
P46 : "Les femmes russes pleuraient peu de temps, les larmes leur manquaient tant étaient nombreux les malheurs qui les frappaient. Les Russes avaient appris à pleurer sans larme".
Dix-huit chapîtres composent "Les neiges bleus". Chacun d'eux se termine pas la mort d'un des protagonistes, qu'il s'agisse d'un enfant ami du narrateur (Piotr Bednarski donc), ou bien d'un membre de sa famille, d'un agent du NKVD, d'un soldat ou bien d'un Bienheureux, tous meurent ou s'en vont, la vie sur la toundra semble n'être qu'un court passage ; fugitive et fuyante elle se laisse dévorer par le froid.
Piotr Bednarski écrit d'une langue riche et magistrale qui évoque beaucoup de choses. Erudite, précise, elle sait laisser libre court au talent d'évocation du poète. J'ai peu lu d'écrivains de cette trempe, capable de transformer l'anecdote en tragédie grecque, de faire du particulier une fable morale. On apprend ici plus sur l'homme que dans n'importe quel traîté d'anthropologie, Il y a cette science de la digression et l'immédiat recentrage car la mort rôde en permanence. Sublimement beau.
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Vie quotidienne d'un enfant en Sibérie, au coeur du système répressif soviétique.
Alors que la Pologne en 1939 est partagée entre la l'URSS et l'Allemagne et que son père a été expédié au goulag, Petia, 8 ans, a été déporté avec sa mère en Sibérie, là où les mots « froid » et « faim » n'ont pas le même sens qu'ailleurs. Car la faim, Petia en souffre quotidiennement, idem pour le froid, glacial, qui transperce et tue. Les déportés assignés à résidence sont des éléments « hostiles au régime » et les envoyer dans la taïga en les laissant livrés à eux-mêmes pour se loger et survivre, est une façon commode de se débarrasser d'éléments gênants.
Le froid, la faim, donc, mais surtout l'angoisse et les humiliations arbitraires sont le quotidien de Petia et de sa mère, surnommée Beauté en raison de sa splendeur radieuse. Car Beauté rayonne d'une force magnétique qui aide le petit garçon à traverser cette période tragique avec une philosophie naïve et poétique qu'il puise en grande partie dans la lecture de la Bible, mais aussi avec la joie de vivre propre à l'enfance, aussi dramatique soit-elle.
Dans ce récit autobiographique, ni pathos ni misérabilisme : Petia raconte sobrement, et avec une écriture dépouillée, les moments déchirants de son enfance où la mort est une compagne quotidienne, mais aussi les minuscules plaisirs arrachés au dénuement. On assiste ainsi à la disparition successive, et pour ainsi dire normale, du grand-père, du père, de la grand-mère et enfin de la mère de Petia. Un récit poignant et salutaire.
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Citations et extraits (78) Voir plus Ajouter une citation
Comme toujours le malheur, le gel arriva sans prévenir. Une seule nuit lui suffit pour ouvrir son portail d'argent et semer soigneusement partout ses graines mortifères. Une oreille sensible pouvait percevoir un chuchotis comme celui du blé qui glisse dans la goulotte d'un moulin. Cela signifiait que la température était tombée en dessous de moins quarante degrés. La neige se fit bleue et la limite entre terre et ciel s'estompa. Le soleil, dépouillé de sa splendeur et rivé de son éclat, végétait désormais dans une misère prolétarienne. Le froid vif buvait toute sa chaude et vivifiante liqueur - désormais seuls le feu de bois, l'amour et trois cents grammes quotidiens d'un pain mêlé de cellulose et d'arêtes de poisson devaient nous défendre contre la mort. Or n'est-ce pas justement quand la mort est sur le seuil, quand elle fait déjà son nid en nous, à l'intérieur, que le désir de vivre s'exalte et que l'on devient capable d'abattre des montagnes, et de ressusciter d'entre les morts ?
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Les ténèbres furent le cauchemar de mon enfance. Les ténèbres et aussi Staline. Je supportais mieux les ténèbres : elles avaient un début au crépuscule, et une fin à l’aube, et elles n’avaient pas toujours l’opacité des ténèbres bibliques. Tandis que Staline, ce voyeur génial, était partout. A tous les coins de rue, sur toutes les affiches, jusque dans nos rêves. Le guide, le timonier, le père. Souvent, j’essayais de le fixer en pleine lumière pour vaincre ma phobie. En vain. La terreur ne me lâchait pas l’âme.
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Lors de l'heure de l'éducation civique, on nous demanda comme d'habitude ce que nous voudrions devenir plus tard. La petite bande à laquelle j'appartenais constituait un groupe de choc, chacun de ses membres voulait être soit marin, soit aviateur. La profession de géologue, prospecteur de trésors, était également tolérée, selon les paroles du chant "Sur la terre, dans le ciel et en mer".
Ce fut Sachka Sverdlov que le sort désigna cette fois. La réponse de Sachka ne fut pas banale, il nous surprit, nous ramena au ras du sol. Le plus simplement du monde il déclara qu'il aurait aimé devenir une miche de pain, parce que le pain, lui, n'a jamais faim, et puis chacun aime le pain.
La bande bouillonna. On regardait Sachka comme un traître, on lui en voulut d'avoir dit ce que nous essayions de dissimuler. Car chacun de nous pensait sans cesse au pain et aspirait à en avoir à satiété. Nos rêves étaient remplis de pain. Pour du pain, nous volions.
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Je me retrouvais seul, j’étais devenu un de ces innombrables gosses sans parents dont le destin n’intéressait personne, hormis peut-être les orphelinats, ces espèces d’hybrides de consigne anonyme et d’usine de dressage idéologique pour mineurs.
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Les ténèbres furent le cauchemar de mon enfance.
Les ténèbres et aussi Staline. Je supportais mieux les ténèbres : elles avaient un début au crépuscule, et une fin à l’aube, et elles n’avaient pas toujours l’opacité des ténèbres bibliques. Tandis que Staline, ce voyeur génial, était partout. À tous les coins de rue, sur toutes les affiches, jusque dans nos rêves. Le guide, le timonier, le père. Souvent, j’essayais de le fixer en pleine lumière pour vaincre ma phobie. En vain. La terreur ne me lâchait pas l’âme.
Il n’était pas beau, je ne trouvais nulle chaleur ni dans ses yeux ni dans ses traits ; cependant il m’était moins repoussant que le visage de Hitler. J’avais néanmoins la sensation qu’il répandait la lèpre ; mon instinct me le suggérait. Là était probablement la source de ma peur. Staline était mortifère, il répandait la mort. Il détruisait la vie, et moi, j’avais une telle envie de vivre ! En dépit de ma misère, en dépit de la faim. À tout prix, voir le ciel bleu, les oiseaux insouciants, l’herbe éternelle. Je me précipitais toujours dans les maisons où un enfant venait de naître. Regarder un nouveau-né m’était une grande émotion, voire une révélation. On me laissait entrer partout, toucher le petit de l’homme, on disait que j’avais un bon toucher, un bon regard. J’accourais voir les nouveau-nés par crainte de Staline. Je quêtais auprès d’eux le courage et la consolation, car la vue de ces êtres vulnérables et fragiles m’apportait un tel sentiment de sécurité que parfois je cessais de croire à la mort.
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