Avant toute chose, je vous invite à aller cliquer sur le nom de l'auteur,
Pierre Bergounioux, et d'aller voir la photo qui a été choisie sur ce site pour orner sa biographie. de plonger dans son regard, de caresser du bout des cils ce visage ridé et tanné, ce visage fait d'un cuir à la fois tendre et épais, celui du terroir, celui de la Corrèze. En regardant cette photo, vous comprendrez instinctivement de quel bois sont faits les livres de cet auteur. Je retrouve en effet dans ses écrits cette même profondeur, cette même humanité, cette même beauté que celles qui émanent de ce touchant visage.
Découvert avec «
Catherine », puis «
Miette », cette nouvelle incursion dans le monde de
Pierre Bergounioux m'a enchantée. Après la lecture des Jardins statuaires de
Jacques Abeille, j'avais besoin de rester dans les méandres et l'envoutement, dans la beauté aussi, d'une écriture ciselée.
Pierre Bergounioux s'est alors imposé à moi. Des lectures précédentes me restaient des bribes de terroir, des lambeaux de pudeur, des étincelles de délicatesse.
La bête faramineuse a bien poursuivi son travail d'enchantement.
Mais qu'elle est donc cette plume, qu'a-t-elle de si particulier, de si singulier ?
L'écriture de
Pierre Bergounioux c'est tout d'abord une écriture du terroir, celle qui auréole la vie ordinaire mais nimbé de permanence des petites gens, par exemple celle d'un homme qui a été quitté par une femme aimée (dans «
Catherine »), d'une femme paysanne (avec «
Miette »), de petits enfants au contact d'un grand-père fatigué ici dans «
La bête faramineuse ».
Récit d'enfance se déroulant à la fin des années cinquante, le narrateur de onze ans passe ses vacances avec son cousin Michel tour à tour son complice, son confident, son meilleur ami, son adversaire parfois aussi, dans ce havre originel qu'est la maison de Corrèze où habite leur grand-père. Ce séjour a lieu chaque année, il se fait rituel, il se fait racine et est marqué par les retrouvailles avec le mystérieux et indéfinissable génie du lieu, cette fameuse « bête faramineuse », tressée d'ombres délicieusement inquiétantes, nimbée de clartés virevoltantes, tissée de chaleur méridienne, lisérée de contours flous et mouvants, figure imaginaire fantasmée concentrant tous les dangers du monde et ce par quoi de petits garçons deviennent des héros. Un bonheur annuel fait de découvertes interdites, d'imagination, de rêveries, de chasse aux papillons, de poursuite d'insectes, d'initiation à la pêche, bonheur parfois entrecoupé par des jours pluvieux durant lesquels le temps semble se dilater. Bonheur perturbé surtout par le souffle rauque et les grognements d'un grand-père fatigué, ancien grand voyageur dont le mystérieux bureau regorge de livres qui sentent le grenier et de masques envoutants.
En posant la question de l'enfance dans son rapport avec les lieux, avec les autres enfants, avec le monde des adultes et du grand âge, et avec le temps aussi tantôt accéléré, tantôt dilaté, l'écriture de
Pierre Bergounioux parvient, par ailleurs, à dépeindre de magnifiques peintures, la poétisation au travers les yeux de l'enfance se faisant en effet très picturale, notamment lorsque l'auteur dépeint les sentiments amoureux du très jeune garçon pour une jeune fille dont l'apparition se fait lumineuse et parenthèse enchantée :
« Elle est entrée dans l'air blanc, avec sa robe bleue, son panier, son persistant, merveilleux et farouche visage. Elle allait s'éloigner. le merle tirait sa fioriture. J'ai entendu ma propre voix. Je supposais qu'en lui parlant, je retarderais sa disparition. Elle s'est immobilisée au bord du ruban caillouteux, surchauffé, tandis que les hautes herbes se redressaient sur son passage. Il devait être question de la vie étrange, mal sûre, qu'on surprend à l'écart des maisons, des rêves dont on parle en rêve ».
L'écriture de
Pierre Bergounioux, c'est enfin une écriture éminemment sensorielle mais tout en retenue et en pudeur, permettant de faire remonter et de mettre en mots l'indicible, notamment l'angoisse existentielle de la mort qui rôde, mais aussi la quête des origines, la remontée du temps pour retrouver la source, celle de la fin de l'enfance. Tout en entremêlant ces questions graves et profondes, à l'énumération paisible des bonheurs simples de l'enfance en vacances à la campagne, ceux de gouters au fond du jardin, composés de beignets et d'abricots sous le massif du lilas, ceux des réveils alors que dehors il fait mauve tant il pleut, ceux des grasses matinées lorsque le ventre bombée de la commode a déjà pris une patine dorée dans la chambre bleue, les bonheurs touchants lorsque le chant d'un oiseau ou la forme des nuages ne sont pas fortuits et revêtent une signification qui nous est destinée…
« Je suis resté les yeux ouverts à me demander si c'était l'aube, le gâchis ruisselant de gris et de mauves que j'avais surpris, parfois, et dont on ne parvenait pas à croire que sorte à nouveau, intact et glorieux, le jour. Mais c'était le jour et depuis longtemps, sans doute. Hier était loin et des images pâlissaient qui devaient être des rêves. le friselis que j'entendais venait des gouttières, de la pluie, et non de la salle de bains. Paul n'était plus dans son lit. J'ai attendu encore un peu en surveillant le joint de plomb du volet ».
Indéniablement une odeur se terre dans les livres de
Pierre Bergounioux…une odeur de poussière des siècles, l'émanation des choses qui ont participé à l'évidence de la vie, dont la vie s'est retirée et qui demeurent…Le parfum du néant que les choses désaffectées répandent et que nous avons tous en nous et que nous ne savons pas isoler et encore moins nommer. Un parfum de songes et de mélancolie. le parfum d'une bête faramineuse aux contours de plus en plus précis lorsque approche le grand âge.