Ce discours est celui d'un homme politique qui dénonce avec force une idéologie qui a préfiguré celle de la barbarie totalitaire du XXè siècle, ses atrocités commises par une race prétendue supérieure.
Les massacres, déportations, humiliations, sévices, enfermement et esclavagisme infligés par des Blancs convaincus de leur supériorité "de race" à des individus qualifiés de primitifs, cela relève d'une idéologie qui fut défendue pendant des siècles pour justifier l'exploitation de millions d'êtres humains. Tous se sont entendus pour rabâcher les mêmes âneries: militaires, politiciens, membres du clergé, académiciens, intellectuels, scientifiques. L'homme Blanc est le seul qui sache allumer le flambeau de la Civilisation et il a le devoir d'aller éduquer, évangéliser, instruire, "pacifier" les sauvages qui vivent comme des bêtes.
Cette idéologie a servi à justifier les pillages et la quasi destruction de nombreuses cultures, à effacer des langues, des coutumes, à imposer le joug colonial.
Ce n'est pas dans Mein Kampf qu'on trouve la phrase suivante: "Nous aspirons, non pas à l'égalité, mais à la domination. le pays de race étrangère devra redevenir un pays de serfs, de journaliers agricoles ou de travailleurs industriels. Il ne s'agit pas de supprimer les inégalités parmi les hommes, mais de les amplifier et d'en faire une loi." Renan, dans La Réforme intellectuelle et morale.
Déjà, tout était là, prêt à servir les intérêts de la dictature nazie.
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Suivi du Discours sur la négritude.
Véritable acte d'accusation du colonialisme sous toutes ses formes. Dénonçant point par point la colonisation occidentale : ses motivations, ses effets, ses justifications , et l'idéologie qui en découle. Un texte majeur.
26/08/2009
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La Négritude, à mes yeux, n'est pas une philosophie.
La Négritude n'est pas une métaphysique.
La Négritude n'est pas une prétentieuse conception de l'univers.
C'est une manière de vivre l'histoire dans l'histoire : l'histoire d'une communauté dont l'expérience apparaît, à vrai dire, singulière avec ses déportations de populations, ses transferts d'hommes d'un continent à l'autre, les souvenirs de croyances lointaines, ses débris de cultures assassinées.
Comment ne pas croire que tout cela qui a sa cohérence constitue un patrimoine?
En faut-il davantage pour fonder une identité?
Et Isidore Ducasse, comte de Lautréamont !
A ce sujet, il est grand temps de dissiper l'atmosphère de scandale qui a été créée autour des Chants de Maldoror.
Monstruosité ? Aérolithe littéraire ? Délire d'une imagination malade ? Allons donc ! Comme c'est commode !
La vérité est que Lautréamont n'a eu qu'à regarder, les yeux dans les yeux, l'homme de fer forgé par la société capitaliste, pour appréhender le monstre, le monstre quotidien, son héros.
Nul ne nie la véracité de Balzac.
Mais attention : faites Vautrin, retour des pays chauds, donnez-lui les ailes de l'archange et les frissons du paludisme, faites-le accompagner, sur le pavé parisien, d'une escorte de vampires urugayens et de fourmis tambochas, et vous aurez Maldoror.
Variante du décor, mais c'est bien du même monde, c'est bien du même homme qu'il s'agit, dur, inflexible, sans scrupules, amateur, comme pas un, " de la viande d'autrui ".
Pour ouvrir ici une parenthèse dans ma parenthèse, je crois qu'un jour viendra où tous les éléments réunis, toutes les sources dépouillées, toutes les circonstances de l’œuvre élucidées, il sera possible de donner des Chants de Maldoror une interprétation matérialiste et historique qui fera apparaître de cette épopée forcenée un aspect par trop méconnu, celui d'une implacable dénonciation d'une forme très précise de société, telle qu'elle ne pouvait échapper au plus aigu des regards vers l'année 1865.
Auparavant, bien entendu, il aura fallu débroussailler la route des commentaires occultistes et métaphysiques qui l'offusquent ; redonner son importance à telles strophes négligées - celle, par exemple, entre toutes étrange de la mine de poux où on n'acceptera de voir ni plus ni moins que la dénonciation du pouvoir maléfique de l'or et de la thésaurisation ; restituer sa vraie place à l'admirable épisode de l'omnibus, et consentir à y trouver très platement ce qui y est, savoir la peinture à peine allégorique d'une société où les privilégiés, confortablement assis, refusent de se serrer pour faire place au nouvel arrivant, et - soit dit en passant - qui recueille l'enfant durement rejeté ? Le peuple ! Ici représenté par le chiffonnier. Le chiffonnier de Baudelaire :
Et, sans prendre souci des mouchards, ses sujets,
Epanche tout son coeur en glorieux projets.
Il prête des serments, dicte des lois sublimes,
Terrasse les méchants, relève les victimes,
Alors, n'est-il pas vrai, on comprendra que l'ennemi dont Lautréamont a fait l'ennemi, le " créateur " anthropophage et décerveleur, le sadique " juché sur un trône formé d'excréments humains et d'or ", l'hypocrite, le débauché, le fainéant qui " mange le pain des autres " et que l'on retrouve de temps en temps ivre-mort " comme une punaise qui a mâché pendant la nuit trois tonneaux de sang ", on comprendra que ce créateur-là, ce n'est pas derrière le nuage qu'il faut aller le chercher, mais que nous avons plus de chance de le trouver dans l'annuaire Desfossés et dans quelque confortable conseil d'administration !
Mais laissons cela.
Les moralistes n'y peuvent rien.
La bourgeoisie, en tant que classe, est condamnée, qu'on le veuille ou non, à prendre en charge toute la barbarie de l'histoire, les tortures du Moyen Age comme l'inquisition, la raison d'Etat comme le bellicisme, le racisme comme l'esclavagisme, bref, tout ce contre quoi elle a protesté et en termes inoubliables, du temps que, classe à l'attaque, elle incarnait le progrès humain.
Une civilisation qui s'avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente.
Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte.
Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde.
Foin du racisme ! Foin du colonialisme ! Ça sent trop son barbare. M. Mannoni a mieux : la psychanalyse [...] "Le destin de l'Occidental rencontre l'obligation d'obéir au commandement : Tu quitteras ton père et ta mère. Cette obligation est incompréhensible pour le Malgache. Tout Européen, à un moment de son développement, découvre en lui le désir...de rompre avec ses liens de dépendance, de s'égaler à son père. Le Malgache, jamais ! Il ignore la rivalité avec l'autorité paternelle, la "protestation virile", l'infériorité adlérienne, épreuves par lesquelles l'Européen doit passer et qui sont les formes civilisées ...des rites d'initiation par lesquels on atteint la virilité..." Que les subtilités du vocabulaire, que les nouveautés terminologiques ne vous effraient pas ! Vous connaissez la rengaine : "Les Nègres-sont-de-grands-Enfants." On vous la prend, on vous l'habille, on vous l'emberlificote. Le résultat c'est du Mannoni.
Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu’il y a au Vietnam une tête coupée et un œil crevé et qu’en France on accepte, une fillette violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe, un foyer d’infection qui s’étend et qu’au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées. de tous ces prisonniers ficelés et interrogés, de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent.
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Il y a des mots qui font scandale aujourd'hui et qui ne choquaient pas hier. le mot nègre, par exemple. Tiens, savez-vous quel écrivain a réussi à en ruiner le caractère insultant pour le faire sien, fièrement?
« Cahier d'un retour au pays natal », d'Aimé Césaire – C'est à lire aux Editions Présence africaine.
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