Quel plaisir de replonger dans la poésie de
René Char ! de ré-ouvrir les
Feuillets d'Hypnos, un des recueils les plus marquants de son oeuvre.
Les fragments, les aphorismes qui composent ce recueil ont tous été écrits en 1940 et 1944. Tous numérotés, ils étaient regroupés dans un volume relié que Char avait titré Carnet d'Hypnos (Sommeil en grec, qui fut aussi le nom de résistant de
René Char, qui était alors chef du groupe de Service Action Parachutage de la zone Durance basé dans les Basses-Alpes – aujourd'hui les Alpes-de-Haute-Provence). C'est en 1946 qu'ils furent publiés sous le titre de
Feuillets d'Hypnos par le dédicataire du recueil :
Albert Camus.
« Ces notes n'empruntent rien à l'amour de soi, à la nouvelle, à la maxime ou au roman. Un feu d'herbes sèches eût tout aussi bien été leur éditeur. La vue du sang supplicié en a fait une fois perdre le fil, a réduit à néant leur importance. Elles furent écrites dans la tension, la colère, la peur, l'émulation, le dégoût, la ruse, le recueillement furtif, l'illusion de l'avenir, l'amitié, l'amour. C'est dire combien elles sont affectées par l'événement. Ensuite plus souvent survolées que relues.
(…)
Ces notes marquent la résistance d'un humanisme conscient de ses devoirs, discret sur ses vertus, désirant réserver l'inaccessible champ libre à la fantaisie de ses soleils, et décidé à payer le prix pour cela. »
Quand je lis
René Char, je ressens toujours quelque chose d'une parole puissante et solennelle, d'une poésie saisissante qui n'offre pas tout d'emblée de son sens, de son mystère. C'est en revenant vers le texte, que le poème lentement se dépouille, qu'il offre la densité, le merveilleux secret de l'attachement que j'ai pour la poésie de son auteur.
Dans une suite de fragments, le poète relate son quotidien de Résistant, les événements dramatiques qui l'ont jalonné, les camarades de combat, les habitants des villages, l'ennemi,... À ces textes, Char a inséré de nombreux aphorismes, des considérations poétiques sur le sens de l'engagement, sur le devenir de l'homme, sur ses mérites, sa lâcheté aussi.
Il ne croyait pas que la poésie fut une arme de résistance (Char a refusé de publier durant la guerre). Selon lui, le combattant devait agir en primitif et réfléchir en stratège. La poésie est comme le temps abrégé de l'action, « le poète, (le) conservateur des infinis visages du vivant. »
« Il ne faudrait pas aimer les hommes pour leur être d'un réel secours. Seulement désirer rendre meilleure telle expression de leur regard lorsqu'il se pose sur plus appauvri qu'eux, prolonger d'une seconde telle minute agréable de leur vie. A partir de cette démarche et chaque racine traitée, leur respiration se ferait plus sereine. Surtout ne pas entièrement leur supprimer ces sentiers pénibles, à l'effort desquels succède l'évidence de la vérité à travers pleurs et fruits. »
Livrets d'Hypnos sont le témoignage touchant de l'intrication entre la vie quotidienne du Résistant et le travail du poète. de récits épiques en réflexions et méditations, tout dans le recueil est ce « Je » du poète qui refuse la banalisation du mal mais qui affirme aussi la nécessité de dire la beauté, de la magnifier dans un imaginaire poétique qui soit indépassable, malgré les affres de la guerre et une modernité qui emporte tout avec elle.
« Accumule, puis distribue. Sois la partie du miroir de l'univers la plus dense, la plus utile et la moins apparente. »
Poésie incorruptible, intuitive, engagée et fraternelle, tout à l'image de son auteur, telle m'apparaît la poésie de
René Char, essentielle.
« Si j'en réchappe, je sais que je devrai rompre avec l'arôme de ces années essentielles, rejeter (non refouler) silencieusement loin de moi mon trésor me reconduire jusqu'au principe du comportement le plus indigent comme au temps où je me cherchais sans jamais accéder à la prouesse, dans une insatisfaction nue, une connaissance à peine entrevue et une humilité questionneuse.»
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