C'était une première rencontre avec Colette. Voilà une femme qui sait écrire, cela ne fait aucun doute. le verbe est alerte, élégant, non dénué de vigueur, d'ironie, de sarcasme, d'humour parfois et assurément d'un subtil lyrisme dans les passages dédiés à la nature ou aux vies intimes des bêtes qui peuplaient son quotidien.
Dans les premiers moments, au début de ce roman, j'ai joui d'un certain enthousiasme ; je croyais qu'elle posait ses tréteaux, les échafaudages quelconques d'un édifice en devenir et puis peu à peu… Flich, flouch, flop !
Plus grand-chose à se mettre sous la dent. Une prose certes belle mais creuse comme un bambou vieux agité par les vents réguliers d'un mol ennui.
Qu'aviez-vous donc à nous dire, très chère Colette ? Étiez-vous agitée uniquement par les besoins impérieux d'une production alimentaire ? Probablement non, mais c'est à se demander tout de même. Quand on feuillette les pages de votre biographie, on reconnaît aisément beaucoup d'éléments de votre vie privée à l'intérieur de ce roman (Renaud = Willy, Annie = Mathilde de Morny, Marcel = Jacques Henry Gauthier-Villars, etc.), le coup du spectacle de pantomime, la maison dans l'Yonne, l'homosexualité, etc., etc.
Oui, oui, c'est bien vrai tout ça, mais est-ce que ça captive les foules ? C'est votre vie privée. Qui plus est, une vie privée de bourgeoise nantie, entretenue et volontiers oisive, qui fait la fine bouche sur le monde qui lui procure ses rentrées d'argent.
Alors on s'ennuie avec vous pendant que vous vous extasiez sur la vie intime d'un crapaud commun, d'un bouledogue difforme et d'une paire de chattes lascives. Sans oublier chauve-souris et papillons qui viennent compléter le bestiaire qui ne serait pas tout à fait exhaustif sans un sombre volatile, donc on y joint une pie bavarde et le tour est joué.
Pffff ! que d'ennui… Et ce n'est pas le léger ressaut des derniers chapitres qui vient tellement inverser la tendance.
Oui, chère Colette, continuez de vous ennuyer chez vous en vous mirant le nombril, moi, la prochaine fois, j'irai m'ennuyer ailleurs et à ma convenance. Mais tout cela ne concerne que moi, car ce n'est là que mon avis, c'est-à-dire bien peu de choses.
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Dernier-né de la série des Claudine, ce roman est pour moi attachant et différent. C'est le premier roman que Colette signe de son seul nom. Ce droit, elle déclare " l'avoir revendiqué à cause du côté paysagiste de cette petite oeuvre qui lui tenait à coeur". Et il a une place particulière dans mon coeur de lectrice car étudiante, c'est sur ce livre que j'ai fait mon mémoire de maîtrise...
Ce roman nous fait entendre, même si c'est de façon encore maladroite, la vraie voix de Colette. Certes, il reste lié aux autres "Claudine" par des personnages, une certaine ligne d'intrigue, mais une nouvelle narratrice naît , qui est déjà la Colette-phénix, apte à changer de peau et à durer. C'est en cela qu'il est intéressant.
Car Claudine , double de l'auteure, change, c'est la fin de la première jeunesse, et surtout elle apprend la solitude car son mari Renaud, malade, est soigné en montagne ( symbole de sa séparation avec Willy) et elle se retrouve à Casamène, la propriété de son amie Annie. Celle-ci, de même que Marcel" ce bibelot suspect" ne sont que de pâles figurants dans ce décor campagnard. Ce qui compte, c'est le ressenti de la narratrice, et j'avoue que les conversations de ces deux-là sont assez artificielles, c'est la faiblesse du roman...
La plume de l'auteure est nerveuse, humoristique à certains moments, précise dans ses évocations et souvent tendrement nostalgique.
J'avais choisi ce livre car j'avais passionnément aimé , outre la libération du joug de son mari Willy qu'il préfigure , le lyrisme mélancolique qui émane des descriptions de la nature,des animaux et des réflexions de la narratrice. Parlant de la maison d'Annie, elle écrit:" L'automne éblouit ici. Casamène est perchée sur l'épaule ronde d'une petite montagne crépue de chênes bas, qu'octobre n'a pas encore mordu de sa flamme. Du haut de la terrasse de gravier, on voit luire une froide rivière, argentée et rapide, couleur d'ablette."
Et Colette n'est jamais aussi émouvante que quand elle évoque, à travers Claudine, ses souvenirs d'enfance :" Ya t-il ailleurs, dans toute ta vie qui se précipite, un soleil aussi blond, un lilas aussi bleu à force d'être mauve, un livre aussi passionnant, un fruit aussi ruisselant de parfums sucrés ?"
Depuis, j'ai évidemment préféré d'autres oeuvres de Colette, plus profondes, plus accomplies, mais ce livre-là reste pour moi un bijou d'émotion et de poésie, il palpite toujours en secret au fond de moi...
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Une belle écriture !!! Un lyrisme alléchant !!! Colette sait mettre toutes les coutures possibles autour de ses personnages pour nous offrir un style aisé. Les dialogues sont vivants, la narration dynamique, les monologues intérieurs créent une atmosphère conviviale. Le titre nous avertit déjà, Claudine prend sa retraite sentimentale, Renaud est loin d'elle, il est malade, il est interné dans un senatorium. En d'autres termes, c'est un moment de relâchement, de mélancolie, d'évaluation, pas vraiment de l'ennui mais de petites réfléchies sur la vie. sur la femme, la liberté, la nature...ça se passe entre deux femmes avant que Marcel vienne réchauffer l'atmosphère.
Ça a été un petit moment de plaisir!
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Mon ami, mon amant, mon cher compagnon des heures furieuses où nous n'entendions d'autre bruit que celui de nos souffles écrasés l'un dans l'autre, je vous le demande, cela est-il possible ? Et si vraiment cela est, si vous n'êtes plus à mes côtés qu'une ombre tendre, qu'une image pâle et voûtée de mon amour, quelle aberration me défendit de prévoir ce qui arrive ? J'ai vingt-huit ans, vous en avez cinquante, et votre âge mûr fut si brillant, si impatient et si piaffeur que j'espérais plus d'une fois, ô mon amour, que je souhaitais pour vous la cinquantaine assagie... Vœu néfaste et qu'un dieu ironique entendit ! Vous voilà tout d'un coup, magiquement, irréparablement, pareil à mon souhait imprudent : un vieillard !... Ternie, l'eau sombre et couleur d'étang de vos yeux, et flétrie cette bouche où se caressait ma bouche, et détendus, autour de moi, ces beaux bras forts. [...] Me voici jeune et punie, et privée de ce que j'aime en secret d'une ferveur si brûlante, et je me tords ingénument les mains devant mon désastre, devant la statue mutilée de mon bonheur...
Casamène est perché sur l'épaule ronde d'une petite montagne crépue de chênes bas, qu'octobre n'a pas encore mordus de sa flamme. [...] Le mur de clôture s'écroule sur la route, la vigne vierge anémie sournoisement les glycines, et les rosiers qu'on ne renouvelle pas dédoublent leurs fleurs, redeviennent églantiers. [...] Les sapins ont cent ans et ne verront pas un autre siècle, parce que le lierre gaine leurs troncs et les étouffe. [...] Les pommiers âgés donnent des fruits nains à mettre sur les chapeaux, mais une treille de muscat noir, mystérieusement nourrie, s'est élancée, vigoureuse, a couvert et effondré un poulailler, puis, ressaisissant le bras d'un cerisier, l'a noyé de pampres, de vrilles, de raisins d'un bleu de prune qui s'égrènent déjà. Une abondance inquiétante voisine ici avec l'indigence pelée des rocs mauves qui crèvent le sol, où la ronce même ne trouve pas de quoi suspendre ses feuilles de fer hérissé.
La maison d'Annie est une basse vieille maison à un étage, chaude l'hiver et fraîche l'été, un logis sans atours, non sans grâce. [...] Sous les cinq marches descellées du perron, un crapaud chante le soir, d'un gosier amoureux et plein de perles. Au crépuscule, il chasse les derniers moucherons, les petites larves qui gîtent aux fentes des pierres. Déférent, mais rassuré, il me regarde de temps en temps, puis s'appuie d'une main humaine contre le mur, et se soulève debout pour happer... j'entends le " mop " de sa bouche large... Quand il se repose, il a un tel mouvement de paupières, pensif et hautain, que je n'ai pas encore osé lui adresser la parole... Annie le craint trop pour lui faire du mal.
Je suis née seule, j'ai grandi sans mère, frère ni sœur, aux côtés d'un père turbulent que j'aurais pu prendre sous ma tutelle, et j'ai vécu sans amies. Un tel isolement moral n'a-t-il pas recréé en moi cet esprit tout juste assez gai, tout juste assez triste, qui s'enflamme de peu et s'éteint de rien, pas bon, pas méchant, insociable en somme et plus proche des bêtes que de l'homme ?... Du courage, j'en ai, du courage physique — le beau mérite quand on n'a peur de rien — une belle confiance dans des nerfs qui m'obéissent bien et que les sens ont ménagés. De l'honnêteté... peut-être, mais qui s'habille comme une grue. De la pitié, guère pour la pauvre espèce à laquelle j'appartiens, parce qu'elle choisit souvent sa misère, et, d'ailleurs, le moyen d'être bonne en même temps qu'amoureuse...?
- Vous ne savez pas, vous, ce que c'est que l'envie de partir ?
- Heu... il y aurait bien à dire là-dessus, et il serait peut-être excessif de prétendre que je ne souhaite pas, à de certaines heures... y aller de mon petit voyage...
- Ne riez pas ! Je voudrais que vous me compreniez. L'envie de partir... il y a un tas de gens qui ne se doutent pas de ce que c'est. C'est une maladie, un empoisonnement ; ce n'est même pas une idée. [...] Pendant que je mange, pendant que je dors ou que je brode, j'ai là, ici, tout autour, cette chose qui me tire obstinément.
- Rien qu'au toucher de ses mains nues, je n'ai plus su qui j'étais, et lui, ça m'était bien égal de ne pas pouvoir lui donner un nom !... Il m'a parlé avec des mots horribles...
Elle se détourne et je vois gonfler les muscles de son cou...
- Il m'a appris des... ignominies, des choses que personne ne fait... ou, du moins, je le croyais... Il m'a traitée comme...
- Comme une fille...
- C'est ça ! Et j'ai tout supporté sans révolte : il me semblait que je me baignais, que je n'étais plus qu'une peau dont les pores avaient cinq sens pour goûter le péché... Songez... songez que je l'ai à peine regardé, lui ! Je l'ai regardé une bonne fois, pour apprendre d'un coup sa beauté sans noblesse, le blanc de ses dents et de ses yeux, les saillies ombrées de ses muscles, le luisant de ses cheveux trop bouclés, — et puis j'ai fermé les yeux, pour mieux sentir... Un moment, je me souviens, j'avais comme le mal de la balançoire, j'ai rouvert les yeux, j'étais en travers du lit, presque glissée, la tête en bas, et j'ai vu seulement le dessous d'un fauteuil, le dessin du tapis, l'extrémité noire de ma natte qui traînait... Dieu sait ce qu'il pouvait faire de moi à ce moment-là !...
« Sido » de Colette lu par Elsa Lepoivre l Livre audio