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Laure Bataillon (Traducteur)
EAN : 9782070423149
93 pages
Gallimard (30/04/2002)
3.74/5   61 notes
Résumé :
Un écrivain accompagne la lente déchéance d'un saxophoniste de génie, détruit par l'alcool et la drogue, Johnny Carter.

Des studios d'enregistrement de Baltimore avec Miles Davis au Saint-Germain-des-Près dans les années 50, des hôtels miteux aux nuits dans les clubs de jazz, des délires paranoïaques aux fulgurances créatrices, Julio Cortázar nous offre un texte bouleversant en hommage à un des plus grands musiciens de jazz, Charlie Parker.
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Critiques, Analyses et Avis (13) Voir plus Ajouter une critique
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« L'homme à l'affût » est une nouvelle extraite du recueil « Les armes secrètes » paru en 1959, l'année où Miles Davis réalisa, accompagné de Bill Evans et de John Coltrane, le chef-d'oeuvre du jazz modal, « Kind of Blue ».

Julio Cortázar, écrivain argentin né en 1914 et installé en France à partir de 1951, inscrit ses premiers écrits dans la tradition de Jorge Luis Borges, le fameux réalisme magique sud-américain, qui, en explorant des thèmes aussi divers que la dualité, la circularité, l'éternité ou l'infini plonge le lecteur dans un vertige spéculatif saisissant.

« L'homme à l'affût », de facture plus classique, ne s'inscrit pas dans cette veine borgésienne, et se veut un hommage à Charlie Parker, à qui est dédiée la nouvelle. Dans le Paris des années 50, le narrateur, écrivain et critique de jazz, accompagne la déchéance de Johnny Carter, un saxophoniste de génie qui sombre dans nuit. Il vient de publier une biographie du musicien qui s'abîme chaque jour davantage dans la drogue et l'alcool, et va tenter de venir en aide au pauvre Johnny qui vient de perdre son saxophone dans le métro et vivote dans un hôtel miteux en compagnie de Dédée, sa dernière conquête.

Le narrateur tente sincèrement de secourir Johnny Carter, en lui procurant au pied levé un saxophone, qui lui permettra de sortir pour un temps du marasme dans lequel il se trouve. Pour autant, il ne se fait aucune illusion sur la violence des addictions à la drogue et à l'alcool qui entrainent inéluctablement le saxophoniste vers le néant.

La destinée tragique de Johnny Carter est évidemment une métaphore de la trajectoire d'un météore du bebop, le génial Charlie Parker, saxophoniste alto disparu à trente-cinq ans, la santé ravagée par une existence dissolue.

Et pourtant. le véritable sujet de « l'homme à l'affût » est sans doute une réflexion sur le génie. En abordant le noeud de sa nouvelle, Cortázar retrouve sa magie latino-américaine, qui nous conduit dans un lieu improbable, à la lisière du réel et du fantastique, dans le monde de Johnny, là où les minutes durent un quart d'heure.

« Je ne prends pas très au sérieux, généralement, les radotages de Johnny, mais cette fois il a eu un regard qui m'a donné froid dans le dos.
À peine une minute et demie de ton temps et du temps de l'autre tordue, là-bas, a dit Johnny avec rancune. Une minute et demie du temps du métro et celui de ma montre, qu'ils aillent se faire foutre. Alors comment c'est possible que j'aie pensé, moi, pendant un quart d'heure, hein, Bruno ? Comment on peut penser un quart d'heure en une minute et demie ? »

« L'homme à l'affût » est une plongée dans la psyché tourmentée d'un musicien touché par la grâce. Éternel insatisfait, Johnny évolue dans une réalité parallèle, égare régulièrement son saxophone, arrive en retard aux sessions d'enregistrement organisées à Saint-Germain-des-Prés, ne se reconnaît pas lorsqu'il se regarde dans la glace et aperçoit des urnes funéraires lorsqu'il traverse un champ.

Il touche du doigt la beauté absolue lors d'une session new-yorkaise improvisée avec Miles Davis et ne parvient pas à accepter que la magie de cette rencontre avec les anges fût si fugace. Son génie est aussi sa malédiction. Johnny vit dans un temps qui se dilate, dans un univers qui n'est pas le nôtre, et qui nous est inaccessible. Lors de ses longs dialogues avec le narrateur, il tente en vain de construire un pont entre son monde intérieur et la réalité, mais la destinée semble l'avoir condamné à vivre comme un étranger en ce monde.

« L'homme à l'affût » dissimule derrière un hommage à la destinée de Charlie Parker, une spéculation sur la nature du génie qui habite, malgré eux, les créateurs. Cette interrogation spéculative permet à une autre forme de génie de se déployer : le génie littéraire de Julio Cortázar. À travers un récit dénué de mièvrerie, l'auteur argentin porte un regard touchant sur la trajectoire d'un musicien surdoué, la trajectoire d'une étoile filante qui éclaire une nuit sans lune avant de disparaître à tout jamais dans l'inconnu.

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L'homme à l'affût est une nouvelle extraite du recueil Les armes secrètes, publié initialement en 1958, soit trois ans après la mort de Charlie Parker. Bruno V..., le narrateur et critique, suit Johnny Carter, le saxophoniste dont il a écrit la biographie, à Paris avant son retour aux Etats-Unis, où il meurt peu de temps après. La nouvelle est composée de dialogues marquants qui arrivent à l'improviste dans la narration réaliste léchée, comme des improvisations de Jazz.
Les deux personnages sont duels, auto-destructeurs et à l'affût de quelque chose. d'un côté le génial Johnny Carter (notez les initiales) et de l'autre Bruno le narrateur, son cynique évangéliste, un peu Judas sur les bords et conscient de l'être.
Johnny survit dans une chambre d'hôtel crasseuse où pendouille une ampoule pleine de mouches. Il est assis sur un fauteuil galeux, nu sous une couverture. Il est fiévreux. En manque. Il a oublié son saxophone dans le métro. Dédée sa dernière compagne doit lui en trouver un avant le surlendemain car elle lui a dégotté un contrat. Johnny se moque du contrat et des dates. Bruno sort une bouteille de rhum. Et là Johnny tente d'expliquer à son biographe à l'aide de belles métaphores (ascenseur, métro) que lorsqu'il joue, il change d'endroit, part dans un voyage qui dure rempli de réminiscences. Un voyage qui dure deux minutes à peine dans la réalité. Johnny voudrait vivre pour toujours dans ce pays enchanté. Mais cette éternité lui échappe et il pleure, inconsolable. Sur le coup Bruno comprend vaguement ce qu'il veut dire mais à peine est-il dans la rue, il est irrité, il n'arrive pas à rationaliser, il a pitié de lui, il le méprise. Bruno l'aide cependant à trouver un saxophone. La biographie que Bruno a écrite masque des aspects de la vie réelle de Johnny et ses voyages hors du temps. Il fait l'éloge de sa musique divine en l'expliquant doctement. Johnny ne s'y reconnaît pas du tout et ne veut pas de son bon Dieu. Mais il ne lui en veut pas.
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José Muñoz rend un bel hommage au magnifique texte de Julio Cortázar, L'homme à l'affût, qui rendait lui même hommage au grand Charlie Parker, avec El Perseguidor, album puissamment illustré. Cette vingtaine de dessins à l'encre de Chine qui accompagne la nouvelle de l'auteur argentin est une oeuvre en soi.
Après Gardel, après Billie Holiday mais sans son compère Sampayo, Muñoz continue son incursion dans la musique, avec ce sens unique du noir et blanc qu'il maîtrise parfaitement et qui est devenu sa signature. Les planches voyagent des Etats-Unis à Saint-Germain-des-Près, racontent le génie d'un homme brûlé par ses excès, accompagnent la lente et inexorable déchéance d'un musicien hors norme qui se perd dans l'alcool et les drogues.
Muñoz n'occulte pas le texte de Cortázar, il le magnifie. Charlie Parker méritait bien un double hommage, et comme chaque fois que l'on relie la nouvelle, on retient toujours cette phrase incroyable, "Esto lo estoy tocando mañana" "ça je suis en train de le jouer demain ».
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Cette petite nouvelle a été écrite en hommage à un grand musicien de jazz, Charlie Parker (Johnny Carter dans le livre).
Le narrateur, Bruno, est un critique de jazz, ami avec johnny, un brillant saxophoniste, un génie qui sombre dans la maladie, la misère..Trop de vin, de cognac, de marijuana. du sexe, de l'amour, des délires paranoïaques.
On suit cette lente descente avec le jazz en toile de fond, la personnalité ambiguë du musicien, ses suicides manqués;
Un peu de tristesse nous traverse parfois mais il y a du rythme dans cette vie.
On sent l'âme de Saint Germain des prés, Boris Vian, les clubs de jazz et cela fait du bien.
Entre émotion et réalisme, ces 93 pages se lisent très vite.
Cette nouvelle fait partie du recueil "Armes secrètes" de Julio Cortazar.
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Bruno.V, notre narrateur, critique Jazz, suit ici Johnny Carter (fantôme littéraire de Charlie Parker), afin d'écrire sa bio.

L'histoire se déroule dans un St-germain des prés qui sent bon la trompette (de la mort ?)
Effectivement, cette période Parisienne dans la vie de Parker (ou Johnny Carter, on s'y perd) annonce déjà le drame à venir.

Passion musicale, coup de génie, concerts et impros à tomber, mais aussi... descente vertigineuse, hôtel minable et nescafé...le sexe, drogue, picole, Jazz, sauce Cortazar/Parker.
Le génie est bien là, il dynamite le Jazz, révolutionne la scène, un nouveau son est en train d'émerger..le BeBop est né.
Mais le géant est fragile, il se perd dans le temps, dans notre temps à nous ; dans le sien les minutes s'étirent un quart d'heure, et, comme il dira à Miles (autre grand génie en formation), il entend des solos qu'il a déjà joués demain.
Le danger d'être un génie, c'est de se retrouver seul et incompris.
Ça t'envoie droit dans le mur.

Notre narrateur, lui, assistera à la déchéance de son ami, mais poursuivra son but... écrire sa bio et trouver la reconnaissance, mais si sa biographie passe à côté de l'essentiel... après tout, si elle se vend bien.

J'ai vraiment bien aimé cette nouvelle de Julio Cortazar (que je ne connaissait pas).
On y retrouve quelques épisodes de la vie du saxophoniste, des musicos, des amis (es), des lieux...
L'atmosphère très sombre qui devait planer sur "Bird" à cette époque de sa vie est plus que palpable.
Il manque tout de même un élément qui a eu un rôle certain dans la vie (et dans la mort) du musicien (et de toute une floppée de Jazzmen de talent d'ailleurs... Miles, Coltrane, Billie Holliday, Chet, Art Peppers... pour les plus connus)... c'est l'héroïne.
En effet, elle se retrouve gommée du récit, alors que l'addiction à la came de Parker n'est un secret pour personne.
M'enfin...c'est une nouvelle sur Johnny Carter, pas une bio de Parker, alors..... tirons un trait! :)

Je me suis fait plaisir en prolongeant ma lecture par 4h de podcast consacrées à la Baronne "Pannonica", "Tica" dans le livre, "Nica" dans la vraie vie , fille du banquier "Rothschild", chez qui mourra Charlie Parker à son retour aux Etats Unis, suite à cette aventure Parisienne.

Pour ceux que ça intéresse :
" Pannonica de Koenigswarter "
La bonne étoile du Jazz.
( Sur Radio France).

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Citations et extraits (22) Voir plus Ajouter une citation
Je vais raconter le truc du métro à Bruno. L'autre jour j'ai parfaitement compris ce qui se passait. J'étais en train de penser à ma vieille, à Lan, aux copains et, au bout d'un moment, j'ai eu l'impression que je me promenais dans mon quartier et que je voyais les gars qu'il y avait à cette époque. Mais ce n'était pas vraiment penser, je crois que je t'ai déjà dit que je ne pense jamais. C'était comme si j'étais planté à un coin de rue en train de regarder passer ce que je pensais, mais sans penser ce que je voyais, tu saisis? Jim dit que c'est pareil pour tout le monde, qu'en général personne ne pense pour son propre compte…
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C'est toujours la même chose, me voilà heureux de nouveau pouvoir penser que les critiques sont beaucoup plus nécessaires que je ne suis moi-même porté à la croire (en privé) ; les créateurs, eux, depuis l'inventeur de la musique jusqu'à Johnny, sont bien incapables de tirer les conséquences dialectiques de leur oeuvre, de postuler les raisons et la transcendance de ce qu'ils écrivent ou improvisent.
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En réalité, je n'avais jamais pensé qu'il pût lire mon livre. L'art incomparable de Johnny. Que pouvais je dire de plus ? Mais c'est peut-être justement à ce tournant qu'il m'attend, à l'affût comme toujours ramassé sur lui-même, prêt à faire un de ces bonds qui risquent toujours de blesser l'un de nous. Honnêtement, que m'importe sa vie ? La seule chose qui m'inquiète c'est qu'en se laissant mener par ce genre d'existence que je ne peux pas suivre, disons que je ne veux pas suivre, il ne finisse par contredire les conclusions de mon livre, par laisser entendre une ou deux fois que sa musique n'est pas ce que je dis.
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C'est un jazz qui rejette tout érotisme facile, tout wagnérisme, si je puis dire, et qui se situe sur un plan désincarné où la musique se meut enfin en toute liberté comme la peinture délivrée du représentatif peut enfin n'être que peinture.
Mais une fois maître de cette musique qui ne facilite ni l'orgasme ni la nostalgie, cette musique que j'aimerais pouvoir appeler métaphysique.
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Les gars se sont arrêtés nets, eux aussi (deux ou trois ont continué de jouer pendant quelques mesures, comme un train qui freine avant de s’immobiliser). Johnny se frappait le front et répétait : « ça, je suis en train de le jouer demain, c’est horrible, Miles, ça, je l’ai déjà joué demain. » On ne pouvait pas le sortir de là. La séance était fichue. Johnny se remit à jouer sans entrain, il avait envie de s’en aller (se droguer, dit l’ingénieur du son, mort de rage) et quand je le vis partir, vacillant, le visage cendreux, je me demandais si cela pouvait continuer encore longtemps.
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Vidéo de Julio Cortázar
Auteur de nombreux recueils de nouvelles qui ont fait de lui le maître de la littérature fantastique, Julio Cortázar a laissé une oeuvre où les convictions côtoient l'onirisme et l'humour, s'imposant ainsi parmi les plus grands écrivains de la littérature latino-américaine moderne.
Lire Cortázar, c'est plonger dans un univers littéraire à la fois captivant et déroutant, où la réalité se mêle à l'imaginaire avec une habileté saisissante.
Tous les livres de Cortázar publiés chez Gallimard : https://www.gallimard.fr/Contributeurs/Julio-Cortazar
>Littérature (Belles-lettres)>Littérature espagnole et portugaise>Romans, contes, nouvelles (822)
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