Quel beau livre… Me revoilà fier d'être belge en vous recommandant avec enthousiasme ce roman de
Patrick Delperdange, prenant, touchant, une fiction bien réelle racontée comme un conte. Magnifique moment d'évasion !
Le prolifique
Patrick Delperdange s'adresse tantôt aux jeunes, tantôt aux adultes, au travers de romans, de nouvelles et de scénarios de bandes dessinées. J'ai lu quelques uns de ses livres, dont j'ai déjà rapporté ici qu'ils m'avaient laissé une impression paradoxale: j'avais plusieurs fois terminé mes lectures dans une certaine déception mais en étant tout de même curieux de continuer à explorer le travail de l'auteur parce qu'un je ne sais quoi me laissait présager que je finirais par mieux apprécier son style ou par tomber un texte qui me plairait davantage.
Bien m'en a pris car «
Chants des gorges » s'est avéré un gros
coup de coeur ! On catalogue souvent
Patrick Delperdange comme auteur de romans policier, mais classer ce livre-ci dans la catégorie des policiers serait trompeur, même si l'on y relate quelques meurtres. Pas vraiment un roman noir non plus. Difficile de le ranger dans une case, en fait (et pourquoi le faudrait-il, d'ailleurs ?).
Ce roman m'a donné le même plaisir d'évasion qu'un conte. Il m'a plongé dans un univers à la fois réel et onirique. Réel car chaque chapitre aurait pu être inspiré par un fait divers relaté dans un quotidien: une agression sexuelle, des jeunes en fugue, des gitans qui protègent leur clan, de la violence de petits malfrats, une femme que la perte de son enfant a rendue folle, etc. Mais l'auteur est remarquablement parvenu à adopter un style qui transporte cette réalité dans l'imaginaire, me poussant à qualifier le texte d'onirique, même si je ne suis pas satisfait de ce mot, qui pourrait vous évoquer un rêve bleu alors qu'on est plus proche du cauchemar. Comme dans un conte, l'auteur force un peu le trait pour que ses personnages paraissent uniques, extra-ordinaires, qu'ils soient marginaux, comme le jeune homme qui est au centre du roman, ou auréolés de prestige comme le vieux gitan.
Le personnage principal est un jeune garçon marginal et renfermé, dont on devine qu'il a souffert d'une situation « sale » et que la « saleté » finit par obséder, je vous laisse découvrir comment, faisant de lui une sorte d'idéaliste justicier. Il est forcé de quitter son village et, cherchant du travail, rencontre d'autres personnages. Ce petit voyage, avec ses rencontres successives, contribuent à créer une ambiance de conte, de même que des effets de style comme le fait de qualifier chaque chapitre de « chant ». La langue est très soignée. le jeune garçon est le narrateur du premier et du dernier chant; chacun des cinq autres chant a pour narrateur un des personnages rencontrés par le jeune garçon. L'auteur laisse certains points ouverts, ajoutant une touche de mystère, mais sans créer de frustration chez le lecteur. Je voudrais encore illustrer mes impressions en citant quelques livres qui m'ont procuré un plaisir de lecture analogue, même si je risque d'être mal interprété car leurs ambiances et leurs personnages sont fort différents; je pense à «
Le coeur cousu » de
Carole Martinez ou à « Le petit joueur d'échec » ou «
La formule préférée du professeur » de
Yôko Ogawa.
En gardant un scénario identique, «
Chants des gorges » aurait pu être écrit d'une autre manière, en accentuant son côté réaliste et en diminuant son côté imaginaire. Je pense qu'alors, il se serait davantage rapproché des romans de
Patrick Delperdange que j'ai moins appréciés.
«
Chants des gorges » a été récompensé du prix Victor Rossel 2005, un gage de qualité bien apprécié des lecteurs belges. Au moment où j'écris, je suis à la fois étonné et peiné qu'il n'ait fait l'objet que de trois commentaires sur Babelio. Je vous incite donc très très chaleureusement à vous plonger dans ce magnifique roman et à poster vos commentaires !