Quelle belle découverte que celle
de la poésie de
Sergueï Essenine !
Cette découverte m'a d'autant plus touché qu'elle s'est faite au travers du
Journal d'un poète, anthologie remarquablement présentée, préfacée et traduite par
Christiane Pighetti, (connue aussi pour ses traductions de l'oeuvre poétique d'
Ossip Mandelstam).
Les poèmes qui composent ce recueil ont été écrits entre 1910 (
Essenine avait alors 15 ans) et décembre 1925, soit jusqu'à la mort du grand poète russe.
Ce que je retiens de cette lecture, c'est l'élan, l'enracinement autant que le détachement de l'écriture d'
Essenine. Tout en elle se livre avec générosité, avec profondeur : les thèmes de ses poèmes sont nombreux, qui vont de son enfance, le souvenir de sa mère, l'évocation de la campagne, de la grande Russie, des sursauts politiques de l'époque, son attachement aux déshérités de la vie, ses voyages à l'étranger qui marqueront le début de ses ennuis de santé mentale,...
Le style, le rythme, les sonorités, l'intonation, les différents registres lexicaux, l'usage des métaphores, la multiplicité des formes, rendent compte chez
Essenine d'une vraie maîtrise de l'écriture mais aussi d'une grande sensibilité.
« […]
Au jardin de l'aube ne mène qu'une sente
et le vent d'octobre happera le petit bois.
Le poète vient en ce monde
comprendre, et ne rien prendre.
Il vient embrasser la vache,
prêter l'oreille du coeur au bris de l'épi.
Taille, taille, serpe des poèmes !
Arbrisseau du soleil, sème la fleur de merisier !
(septembre 1919) »
Du très jeune poète à l'homme brisé par la maladie et l'alcool, la vie, le destin de
Sergueï Essenine est tout à la mesure de son écriture : pleine de heurts mais aussi de constance et de volubilité. Comme la vie de son auteur, c'est une poésie faite de contrastes, de ruptures, mais qui révèle toujours une sincérité naturelle, une application particulière chez lui à décrire la nostalgie, l'attachement aux êtres et à son pays, mais aussi une perception particulière de la solitude, d'un monde qui lentement s'en va, qui continuera son chemin sans lui.
La poésie de
Sergueï Essenine est belle et saisissante comme un regret, qui demeure là, sans faire de bruit. Essentielle.
« […]
Que ce soient clochettes, échos lointains,
tout vient en moi tranquillement se loger.
Fais une pause, mon âme ! N'ai-je pas assez couru avec toi
ces voies tumultueuses qui nous étaient fixées.
Un jour nous comprendrons ce qui s'est passé,
ce que nous avons vu, ce qu'il est advenu au pays.
Alors nous pardonnerons l'offense au goût amer
de par notre faute, ou celle d'autrui.
J'accepte ce qui fut, et ce qui ne fut pas.
En ma trentième année, je n'ai qu'un regret :
avoir de ma jeunesse exigé trop peu.
À m'égarer dans les vapeurs de troquets.
(1925)
[...] »
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