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EAN : 9782070143528
416 pages
Gallimard (30/11/-1)
3.83/5   706 notes
Résumé :
Condor, C’est l’histoire d’une enquête qui commence dans les bas-fonds de Santiago, submergés par la pauvreté et la drogue, pour s’achever dans le désert minéral d’Atacama…
Condor, c’est une plongé dans l’histoire du Chili, de la dictature répressive des années 1970 au retour d’une démocratie plombée par l’héritage politique et économique de Pinochet…
Condor, c’est surtout une histoire d’amour entre Gabriela, jeune vidéaste mapuche qui porte l’héritag... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (148) Voir plus Ajouter une critique
3,83

sur 706 notes
La Victoria, quartier populaire de Santiago. Un quartier meurtri, submergé par les trafics de drogue et la pauvreté, géré par des bandes de malfrats. Un quartier qui voit ses propres enfants mourir sous ses yeux. Enrique, le fils du rédacteur de Señal 3, est le quatrième adolescent retrouvé mort. Un quatrième décès inexpliqué en moins d'une semaine. La population, amère, s'insurge contre la police qui ne faisait rien pour protéger les jeunes de la Victoria. Gabriela, jeune vidéaste Mapuche, étudiante en cinéma, filme le corps du fils de celui qui l'avait accueillie à son arrivée à Santiago. Une vidéo qui lui révèlera une trace blanchâtre sous la narine droite du jeune homme. Aussitôt, elle fait part de sa découverte à Stefano, un ancien militant au sein du MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire) et aujourd'hui projectionniste au cinéma du quartier, avec qui elle cohabite. Les flics n'ayant pas l'air pressés de résoudre ces meurtres, la jeune Mapuche fait appel à un avocat, Esteban, qui se dit lui-même spécialiste des causes perdues. le duo, bientôt rejoint par Stefano et le Père Patricio, va tenter de mettre la lumière sur ces meurtres...

Caryl Ferey réécrit l'histoire, passée et présente, d'un pays encore fragile, marqué au fer rouge. Un pays où l'on panse encore les blessures de la dictature de Pinochet, où la misère s'étend, où la corruption s'en donne à coeur joie et où des gamins laissés pour compte sniffent de la colle et meurent sous l'oeil indifférent de la police. Heureusement que Gabriela, la jeune Mapuche, et Esteban, avocat désespéré, en rupture avec son milieu social et défenseur des causes perdues, vont mener, envers et contre tous, leur enquête. Aidés de cet ancien gauchiste proche d'Allende et de ce prêtre, ils iront jusqu'au bout d'eux-mêmes. Une enquête complexe mais ô combien riche. Caryl Ferey, pour ce faire, a passé quelques mois au Chili, s'est imprégné des coutumes locales et s'est penché sur un passé dictatorial, pourtant pas si lointain, qui pèse sur le présent. L'auteur dépeint une galerie de personnages extrêmement fouillée et complexe, plante ses décors magistralement et nous offre une intrigue passionnante, habile, parfois tortueuse. Un roman mené de main de maître, puissant, et vibrant servi par une écriture riche et descriptive.
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Une sale bête.

Une sorte de petite fraise sanguinolente et fripée autour de son cou déplumé, l'oeil violemment stupide- ou est-ce stupidement violent ? -, le bec crochu et les serres acérées et surtout ces deux ailes d'ombre gigantesque qui dessinent le lent tournoiement de la mort au fond du ciel vide.

Un prédateur, mais sans la noblesse altière de l'aigle, un charognard mais sans la méticulosité ménagère des insectes : c'est encore un tueur, un exécuteur des basses oeuvres mais c'est déjà le nettoyeur, c'est déjà le liquidateur qui fait place nette après le crime.

Carancho…disent les Indiens des Andes. Un rapace.

Un condor.

Il vit en altitude : celle des grands crimes impunis, celle de l'outrecuidance de l'argent, celle du mépris du petit, celle de l'exploitation sans scrupule, celle de la morgue scandaleuse qui ne rougit jamais de ses forfaits mais qui les cache, et n'hésite pas à en commettre d'autres encore, aussi sanglants, aussi atroces, pour dissimuler les premiers.

Pas mal trouvé, vraiment, le nom de Plan Condor.

Après la dictature de Pinochet, il faut faire disparaître toute trace des exactions commises et surtout en dissimuler les auteurs.

Ceux-ci en effet sont toujours aux manettes et même aux meilleurs places : trafic de drogue, direction des ports, des usines, grâce à la privatisation accélérée, sous la houlette des Chicago Boys, de tous les biens publics brièvement rendus au peuple chilien par Allende juste avant le coup d'état du 11 septembre 1973 ; exploitation des mines, mise en coupe réglée du sol et du sous-sol même dans les zones les plus protégées.

Tuer, nettoyer et rester maître de l'erre. Voilà en résumé le Plan Condor.

Une sorte de terrorisme d'état qui vit la police secrète, la DINA, aidée de la NSA, de la CIA, de la DEA (on appréciera l'euphémisme de ces acronymes…) urbi et orbi, exécuter, en toute exterritorialité et en toute impunité, les derniers opposants , les rares témoins et…tous ceux ou celles qui auraient l'idée saugrenue, après la dictature, de faire la lumière sur cette sombre période et de rendre, enfin, la justice.

Le décor de CONDOR est planté : un nid de charognards défendant bec et ongles leur pitance présente et leurs turpitudes passées.

Entre la cuvette de Santiago, le port bariolé de Valparaiso et les cimes altières des Andes avec leurs lacs de sel, les plages de l'Océan pas pacifique du tout et le désert chamanique des mapuches, un petit groupe de justiciers amateurs – Stefano, un vieux projectionniste, militant du MIR échappé des geôles fascistes, Gabriella, une belle indienne magique et libre, vidéaste audacieuse, Estebàn, un fils de famille hanté par la culpabilité de classe et avocat des causes perdues-, tente de faire pièce aux tueurs qui ont changé de nom, de statut, de visage mais pas d'âme…Ils ont gardé celles des charognards qu'ils sont toujours, derrière leurs plumes de paons.

Mais, quand on cherche à faire justice, surtout si le danger est mortel, et que les cercles concentriques des condors se resserrent au-dessus de vous, il y a l'amour, la fougue, les rêves, les mots.

Les balles qui vous cherchent avec obstination dans l'air brûlant ne peuvent pas tout tuer. Il reste les poèmes de Pablo Neruda, les chansons de Victor Jara, ou celle, têtue, de Catalina pour son Colosse..

J'ai lu presque d'une traite ce livre terrible et haletant : étonnamment bien documenté, magnifiquement bien construit, nous emportant à la suite de ce trio attachant, à travers tout le Chili d'aujourd'hui, hanté par celui d'hier.

Un roman –noir ? politique ? historique ? policier ? – construit comme une fugue, tissant et reprenant son thème avec brio, jusqu'au « cliffhanger » final, où les condors du vieil Elizardo viennent tournoyer et parfois achever d'autres condors aux mains sales..et verruqueuses!

D'abord prudent, factuel, réaliste, documenté, le récit de Caryl Ferey, décidément très inspiré, devient lyrique, âpre, passionné.

On perd en distance critique, on gagne en intensité dramatique, et c'est bien : cette accélération du rythme …et du pouls, font partie des puissantes qualités du livre. J'ai lu cinq livres de Caryl Ferey, dont j'aime la fougue, l'humour trash et le regard décapant sur les paysages, les êtres et les choses. Ici il y a plus : une sincérité, un vibrato, une émotion. Sans doute parce que le Chili ne laisse personne indifférent, même des années après la mort du Vieux, défendu par Madame Thatcher, et mort de sa belle mort sans avoir eu le temps de se voir juger et condamner pour crimes contre son peuple.

CONDOR m'a vraiment emportée, bouleversée, et fait revivre ce mois de septembre 1973 où « il a plu sur Santiago » et où nous nous sommes retrouvés impuissants devant la violence de la répression et ulcérés devant le grand silence des démocraties- dont l'une avait même les mains encore toutes pleines de sang.

J'ai vu il y a quelques mois un très beau film : LE BOUTON DE NACRE de Patricio Guzmàn, un documentaire chilien sur le même sujet -la mémoire de la violence. Ici, la mémoire de l'eau qui se souvient des tortures- celles des suppliciés de Pinochet, jetés dans l'Océan, attachés à un rail de chemin de fer- et même des crimes très anciens, - le génocide patagonien- entre le Pacifique et la Terre de feu

En fermant le livre de Caryl Ferey, je me suis dit que ce Bouton de Nacre aurait pu être le documentaire de Gabriella, la vidéaste passionnée de CONDOR : comme lui, son film est arraché à la réalité chilienne d'aujourd'hui, mais il nous parle du passé, de la terre désertifiée des mapuches, de l'eau convoitée du Salar de Tara, et il sait dire, malgré la mort et la résistance du mal, la beauté des images, la force de la poésie,la chaleur de l'amour.

Hors de portée des condors de toute plume…
Merci aux éditions Gallimard et à masse critique de Babelio qui m'ont permis ce voyage à émotions fortes garanties!
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Santiago du Chili, quartier pauvre de la Victoria, le jeune fils du rédacteur de la châine Senal 3 âgé de 14 ans est retrouvé mort comme un vulgaire malfrat victime de règlement de comptes. Gabriela, une mapuche vidéaste filme la caméra au poing le corps du jeune Enrique. Elle est persuadée qu'il s'agit d'un assassinat. La section antiémeute disperse la foule qui demande vengeance. Gabriela cherche un avocat et est aiguillée vers Esteban, un spécialiste des causes perdues. Aidés du projectionniste Stefano, un ancien militant de la garde révolutionnaire au début des années 70 et du père Patricio qui se voue corps et âme à ce quartier, la fine équipe va plonger à leurs risques et périls dans la recherche de la vérité qui va faire ressurgir des spectres du passé.

Caryl Ferey tisse une intrigue haletante sous fonds de corruption, de drogues de disparitions d'enfants et d'amour impossible. le pays porte encore les traces et les stigmates de la dictature de Pinochet : la mort d'Allende, le martyr du chanteur et poète Victor Jara en 1973 et la chasse et l'élimination des opposants au régime connu sous le fameux plan Condor. Une société chilienne ultralibérale réservée à une élite qui dilapide les richesses du pays en spoliant la population. Un Chili qui laisse au bord de la route les indiens Mapuches et qui entasse dans des dépotoirs les exclus du système de plus en plus jeunes. La misère urbaine à la périphérie de Santiago du Chili est décrite de manière saisissante. La corruption est généralisée...la police de mèche.

Les personnages qui mènent l'enquête et la quête de vérité incarnent d'une manière un peu caricaturale les différents opposants au système de corruption : Gabriela, une jeune Mapuche rebelle et visionnaire , Esteban, avocat cynique qui rejette ses privilèges, Stefano, un ancien qui a souffert dans sa chair de la dictature et Edward un avocat fiscaliste au bout du rouleau ....et face à eux des fantômes en chair et en os qui ressurgissent du passé...
Le roman monte progressivement en puissance et explose dans un décor de cinéma, de western chilien dans le désert d'Atacama.

Condor, Un roman très Clash (album Sandinista) et trash pour sa vision du Chili corrompu et ultra capitaliste.

je remercie Babelio, Masse critique et les éditions Gallimard pour cette découverte
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L'Amérique du sud n'est vraiment pas mon terrain de jeu littéraire . Je ne parle pas un mot d'Espagnol, je ne sais pas à quoi peut ressembler un pisco sour ou un ceviche, mais ce polar historique chilien palpitant m'a passionnée. De l'auteur, j'avais déjà lu Zulu, qui m'avait retournée complètement avec ses personnages intenses et sa noirceur désespérée. Alors j'ai suivi Caryl Ferey avec confiance en terre inconnue, pour cette enquête dans le Chili, pas vraiment guéri de la dictature de Pinochet.

Il est vrai que le petit général en question, mort tranquillement dans son lit , fortement aidé par la CIA, dans l'opération Condor contre tout ce qui avait l'air d'être communiste en Amérique du Sud, a eu tout le temps de faire torturer, emprisonner et fusiller au nom d'un ordre établi méprisant l'humanité une bonne partie de la population de ce pays, et de causer des blessures durables aux descendants et survivants.

Ils sont tous à vif les personnages de Condor, marqués à vie par les prisonniers du stade , les charniers du désert d'Atacama, tous victimes de la DINA, la police politique du caudillo de l'Altiplano. Certains recherchent activement les responsables de la mort de leurs proches, comme Edward, l'ami d'Esteban l'avocat recruté par Gabriella, étudiante en cinéma, au nom des parents d'enfants retrouvés morts dans une favéla de Santiago, et dont la police n'a cure . En effet, l'autre mal dont souffre le Chili, ce sont les clivages sociaux très marqués, et les discriminations indignes dont sont victimes les peuples premiers amérindiens, et tous les pauvres relégués dans des quartiers sordides, à qui l'on refuse la justice.

C'est une histoire d'amour intense et tragique, qui rapproche Gabriella, jeune mapuche pauvre exilée loin de chez elle, et Esteban, l'avocat aux pieds nus, "des causes perdues", comme il dit, le gosse de riche qui trimballe son mal être de bar en bar, le rince dans des litres d'alcool et le couche dans les pages énigmatiques d'un conte poétique où son destin se mêle à celui des victimes du stade de Santiago. Il est l'anti héros par excellence celui qui risque sa vie à la recherche des coupables dans une affaire qui dérange les anciens tortionnaires et leurs complices, qui n'ont jamais été jugés pour leurs crimes. Résoudre l'affaire des enfants de la Victoria, c'est secouer un nid de frelons.

J'ai vraiment aimé cette histoire, où la lumière parfois arrive au détour d'une évocation, celle de la grand-mère chamane de Gabriella, laquelle a semble -t-il hérité de ce pouvoir issu de cette terre volcanique et du vent, pour être une sorcière cinéaste bienveillante au service de la vérité .
Je remercie sincèrement Babelio et Gallimard pour ce bon moment de lecture et l'occasion de rencontrer cet écrivain voyageur dans l'espace-temps.
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"Condor" de Caryl Férey - La Chronique Chili con carne !

Caryl Férey a une écriture argentée, ses mots brillent, ses phrases scintillent et ses romans rutilent. Et "Condor" n'échappe pas à la règle...

Chacun de ses livres est une merveilleuse leçon d'humanité, un cri lâché au milieu d'un monde à la dérive. Un écrivain à la plume Punk et nihiliste. Il y a peu d'espoir qui suinte de ses romans et pourtant on y trouve toujours de quoi respirer, suffisamment pour éviter l'asthme, suffisamment pour redresser la tête et poursuivre sa route vers notre firmament, la tête emplie de réflexions diverses, sur le sens de la vie, sur l'injustice, sur l'amour...

Écrivain bohème, artiste voyageur, Caryl nous dépayse à chaque nouveau bouquin. Après la Nouvelle-Zélande, l'Afrique du Sud et l'Argentine, c'est au tour du Chili de recevoir les coups de boutoir de l'homme. Un Chili qui après avoir survécu à 17 ans de dictature "Pinochetienne" (non ce mot n'existe pas... sigh) s'enlise dans un ultra-libéralisme meurtrier, une société corrompue, une plaie pour les pauvres hères qui se voient refouler à la périphérie des villes (ça vous rappelle quelque chose ?).

Caryl Férey a le don de créer des personnages auxquels on s'identifie très vite - la machine à empathie fonctionnant à plein régime - et qui imprègne notre âme de leurs gènes. Il y a un lyrisme, une poésie noire, une profondeur dans chacun de ses protagonistes.

Puisqu'on parle de poésie, Caryl Férey, en plein milieu de son intrigue, nous régale de mots sublimes, écorchés, dont le sens échappera probablement au profane (j'en suis un) mais dont la qualité orale est superbe. Après, à lire c'est abscons et pas la partie la plus passionnante du livre mais ça a le mérite de vous emmener ailleurs. Il qualifie cela de "poésie destroy" et c'est exactement ce que c'est. Pour l'anecdote il a travaillé cette partie pour en faire une lecture musicale avec Bertrand Cantat (le chanteur de Noir Désir), projet qui sera défendu sur scène.

Évidemment, il y a de la fureur et de la violence dans un polar de Caryl Férey, contrastée par de somptueuses histoires d'amour, de celles qu'on envie, de celles qui élèvent, de celles qui inspirent. Qu'elles soit vécues jusqu'au bout ou contrariées ces histoires apporte indéniablement un supplément d'âme, une touche de couleur dans un roman à la noirceur prégnante.

L'intrigue policière n'est pas en reste même si ce n'est pas le point le plus important du roman. Un air de western Léonien sur fond de société en déliquescence. Des scènes d'actions soudaines et définitives. Un roman alimenté par l'alcool, la drogue, un peu de sexe et surtout ce bon vieux Rock'n'Roll !
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critiques presse (2)
Bibliobs
06 avril 2016
Une Série noire pure et dure.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LeFigaro
04 avril 2016
Condor est une plongée brutale dans le Santiago contemporain, ses bas-fonds plutôt, le quartier de la Victoria où les uns vivent en vendant de la drogue tandis que les autres meurent en la consommant.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (137) Voir plus Ajouter une citation
« L'ambiance était électrique Plaza Italia. Fumigènes, musique, chars bariolés, les hélicoptères de la police vrombissaient dans le ciel, surveillant d'un œil panoptique les vagues étudiantes qui affluaient sur l'artère centrale de Santiago.
Gabriela se fraya un chemin parmi la foule agglutinée le long des barrières de sécurité. Elle avait revêtu un jean noir, une cape de plastique transparent pour protéger sa caméra des canons à eau, de vieilles rangers trouvées aux puces, le tee-shirt noir où l'on pouvait lire : « Yo quiero estudiar para no ser fuerza especial* » : sa tenue de combat.
C'était la première manifestation postélectorale mais, sous ses airs de militante urbaine, Gabriela appréhendait moins de se frotter aux pacos – les flics – que de revoir Camilla.
Elles s'étaient rencontrées quelques années plus tôt sous l'ère Pinera, le président milliardaire, lors de la révolte de 2011 qui avait marqué les premières contestations massives depuis la fin de la dictature. Ici l'éducation était considérée comme un bien marchand. Chaque mensualité d'université équivalait au salaire d'un ouvrier, soixante-dix pour cent des étudiants étaient endettés, autant contraints d'abandonner en route sauf à taxer leurs parents, parfois à vie et sans garantie de résultats. À chaque esquisse de réforme, économistes et experts dissertaient sans convoquer aucun membre du corps enseignant, avant de laisser les banques gérer l'affaire – les fameux prêts étudiants, qui rapportaient gros. »
(*« Je veux étudier pour ne pas faire partie des Forces spéciales »)
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Après quinze ans de dictature, Augusto Pinochet s’était résolu à organiser un référendum national – pour ou contre la poursuite de sa gouvernance -, attendu comme un plébiscite. En dépit de son âge avancé et de la fin de la menace communiste, les conseillers du dictateur n’étaient pas inquiets : tous les médias appartenaient aux groupes privés affiliés, les défenseurs du « Non » au référendum n’auraient que des spots télévisés à proposer face au vieux Général, présenté comme père protecteur de la nation. Ils avaient tort : le monde avait changé sans eux, qui n’avaient rien vu.
Malgré la victoire de la Concertation (la coalition des partis démocrates) au fameux référendum, Stefano appréhendait son retour au pays. Ce fut pire. Jaime Guzmán, un jeune professeur de droit constitutionnel formé à l’École de Chicago, avait adopté les théories d’Hayek et de Friedman, dérégulant tous les secteurs d’activités pour faire du Chili, dès 1974, la première économie néolibérale au monde.
Vingt ans plus tard, le contraste était saisissant. Le centre-ville de Santiago, les enseignes, les mentalités, tout avait changé : Stefano ne reconnaissait plus rien. Qu’était-il arrivé à son pays ?
L’oubli fait aussi partie de la mémoire. Atomisée par les années de plomb, la société chilienne, autrefois si généreuse, s’était confite dans la morosité d’un puritanisme bien-pensant où la collusion des pouvoirs pour la privatisation de la vie en commun était sans frein : supermarchés, pharmacies, banques, universités, énergies, les Chicago Boys de Guzmán avaient passé le pays au tamis de la cupidité, interdisant syndicats et revendications salariales. Un Chilien sur cinq vivait dans des conditions de pauvreté extrême, sans droits sociaux, mais qu’importe puisqu’il y avait des malls et des shopping centers où ils pourraient acheter à crédit la télé à écran plat qui étoufferait dans l’œuf toute velléité de protestation.
Les militaires ayant piétiné cent fois le droit international, Pinochet avait modifié la Constitution pour graver dans le marbre les rouages du système économique et politique (une Constitution en l’état immodifiable) et s’octroyer une amnistie en se réservant un poste à vie au Sénat, où les lois se faisaient. La mort du vieux Général au début des années 2000 n’y changea rien. Manque de courage civil, complicité passive, on parlait bien de mémoire mais tout participait à tordre les faits, à commencer par les manuels scolaires où le coup d’État contre Allende était dans le meilleur des cas traité en quelques pages, voire pas du tout…
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Les pierres parlent ou chantent quand, dévalant les sommets, le souffle gelé des Andes les polit en mordant l'éternité. Usures dynamiques, telluriques, primitives, c'est le vent qui dicte et façonne en architecte capricieux l'inclinaison du temps. Tout est immobile dans le grand désert du Nord, immanent. Les conquérants incas les avaient assujettis les premiers, mais on trouve encore les traces des premiers Atacamènes dans les peintures murales des grottes : dessins d'animaux, de mains plaquées selon la texture du pigment, autant de tentatives de survie pétrifiée dans la roche.
Les pierres parlent et crient parfois : c'est dans ce désert [d'Atacama] que la dictature avait installé ses camps de concentration. Des centaines d'opposants politiques étaient emprisonnés dans des baraquements sommaires, souvent sans identification, plus sûrement assassinés et jetés dans les poubelles de l'Histoire. Des disparus, hommes et femmes que les militaires enterraient au petit bonheur d'un océan rocailleux, une balle dans la nuque en guise de linceul.
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Soudain le Colosse s’ébroua.
– Qu’est-ce qu’il y a ? s’inquiéta Catalina.
Il chuchota :
– Ils sont là…
Le fleuve coulait en bordure des barbelés.
Il coulait une eau saumâtre, baignée d’anguilles, une eau de cochons qui scintillait pourtant sous les feux des spots. Et ils arrivaient des quatre coins de nulle part, moitiés d’automates attirés par le flux… Ils arrivaient par groupes pressés, ça se bousculait jusque dans les derniers rangs, les plus fanfarons prédisaient des miracles, vingt, trente pour cent, des miracles bénéfice pour tous qui en valaient la chandelle, des miracles garantis qu’ils espéraient tellement, et si toutes leurs petites actions mises bout à bout ne faisaient pas un geste capital, ils espéraient au moins tirer leur épingle du jeu.
Ils en voulaient.
On les avait programmés compétition.
Ils en voulaient.
On les avait programmés capital spermatique.
Ils en voulaient encore.
On les avait programmés spéculateur précoce.
Ils en voulaient à mort !
– Oh, non…, souffla-t-elle. Non, n’y allez pas !
Mais les affamés n’écoutaient pas : ils se précipitèrent vers l’eau du fleuve qui croyaient-ils coulait pour eux, et y plongèrent leurs mains avides.
Oh ! oui ils en voulaient, ils en voulaient vite ici maintenant, et que si c’était bon pour eux, c’était pas mauvais pour les autres…
Évidemment, ils ne comprirent pas tout de suite : c’est quand ils ressortirent leurs mains de l’eau noire et les virent lacérées, qu’ils commencèrent à crier.
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Son propre passé était devenu illégitime, l'argent qui lui revenait illégitime, les femmes qui lui tombaient crues dans les bras illégitimes, ses amours même avaient été illégitimes, de simples accointances de classe, tout était faux, gâché, pourri, comme s'il avait vécu jusque là l'existence d'un autre, d'un imposteur. En partageant le cabinet d'avocat avec Edwards, en culbutant les petites princesses de son rang sans en aimer aucune, en respirant l'air de l'appartement payé avec l'argent de ses parents, Esteban n'avait jamais vécu qu'en imposteur. Même écrivain, il serait un imposteur. Un Roz-Tagle. La distance qui le séparait des gens ordinaires avait été intégrée dans le corps social du pays, celui d'un malade: lui s'était désintégré du corps social.
Il avait explosé en vol.
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