Deuxième livre de
lettres que je lis, après Mozart à Paris, et je dois dire que ce type de lecture apporte quelque chose qui restera toujours hors de portée des livres d'historiens. Ce sont des documents qui montrent la vie au jour le jour, qui rendent les êtres vivants, nous les font reconnaître comme tels, avec lesquels on peut se comparer. Ils offrent aussi un angle unique sur l'Histoire.
Ce petit Folio 2€ (bientôt 3) compile les
lettres que la marquise
De Sévigné écrit à sa fille récemment mariée, madame de Grignan, alors que cette dernière a quitté Paris pour s'en aller retrouver son mari en Provence.
C'est tout le petit monde des aristocrates de cour, qui butine autour du jeune Louis XIV, que l'on voit vivre ici.
Madame de Sévigné est une personne avisée et érudite, qui fréquente des salons aussi bien que la reine, qui est amie
De La Rochefoucauld et de Mme de Lafayette. Elle et ses pareils aiment aller au théâtre ou écouter avec ferveur les sermons du prêcheur Bourdaloue. Ils aiment aussi, plus communément, jouer aux cartes ou essayer la nouvelle coiffure à la mode. Une vie certes privilégiée par rapport à la moyenne française de l'époque, mais que je ne trouve pas si éloignée de la nôtre, dans le sens où les besoins essentiels sont satisfaits et que l'on peut se construire des problèmes avec du superflu et remplir sa vie de divertissements.
Très différent de notre époque en revanche, la succession de
lettres permet de sentir la durée d'un voyage. Partie début février, Mme de Grignan n'arrive en Provence que fin mars. Les
lettres de sa mère accompagnent le mouvement avec des décalages. Parfois elles partent par la poste, parfois avec untel qui descend sur Lyon ou Avignon et va tenter d'intercepter la voyageuse. Ce que nous mettons trois heures à parcourir en TGV devient ici une véritable aventure. Pour preuve, la traversée du Rhône de Mme de Grignan par mauvais temps, où la dame risque carrément sa peau, fait l'objet de plusieurs
lettres affolées et d'un récit épique que
Mme de Sévigné fera à la reine elle-même.
Mme de Sévigné est érudite, je le disais plus haut. Et elle sait écrire. On a perdu ce talent de nos jours. Elle glisse sans difficulté des citations de Racine ou
Boileau aussi bien que de l'antique dans sa rhétorique épistolaire. Ses
lettres sont riches d'expressions que je ne connaissais pas comme « Je lui donnerai de quoi boire » pour « je le remercierai en lui donnant de l'argent », ou « je me fais des dragons » pour « je me fais du souci ». La construction des
lettres, dont on a l'impression qu'elles sont écrites en permanence, m'a parfois surpris ; telle cette fin : « Je vous aime, mon enfant, et vous embrasse avec la dernière tendresse. M. Vallot est mort ce matin. »
Mais l'essentiel du texte est consacré à la déclaration de l'amour infini que la mère éprouve pour sa fille. Elle n'en finit pas de le consigner de mille façons, au point qu'il est difficile d'accepter l'hypothèse qu'il s'agit seulement d'un standard d'écriture.
Mme de Sévigné présente aussi souvent les bons voeux et les embrassades de ses amis à sa fille. C'est un peu répétitif et fatigant à lire pour le lecteur que je suis, mais l'auteure des
lettres n'écrivait pas pour moi, pas vrai ?
L'éditrice du livre a eu l'extrêmement bonne idée d'ajouter un petit lexique des personnages mentionnés dans les
lettres. Il est indispensable à une lecture éclairée.
Un livre en appelant un autre, j'ai commandé un livre des maximes
De La Rochefoucauld, histoire de retrouver bientôt ce petit monde.