Une passionnante analyse des 32 engagements militaires significatifs de la France entre 1961 et 2021 – et ce que l'on peut et doit en déduire.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/03/09/note-de-lecture-
le-temps-des-guepards-michel-goya/
Dix-neuf guerres sur trois continents ainsi que treize grandes opérations militaires de police internationale : c'est ainsi que l'on pourrait résumer quantitativement « la guerre mondiale de la France » depuis 1961.
Docteur en histoire contemporaine, ancien officier des Troupes de marine,
Michel Goya, auteur tout particulièrement apprécié sur ce blog (que l'on songe par exemple à son « Sous le feu » de 2014 ou à son «
S'adapter pour vaincre » de 2019) nous offre, avec ce « Temps des Guépards » paru chez Tallandier en janvier 2022, une visite guidée à la fois alerte et méticuleuse des caractéristiques techniques de ces opérations, mais peut-être bien davantage, de ce qu'elles démontrent, matérialisent et signifient en termes de lien national entre politique et armées, entre volonté du président-roi de la Vème République et modalités concrètes des opérations modernes – sous contrainte budgétaire permanente ou presque.
C'est d'abord en parcourant les « dernières guerres du général
De Gaulle » (opération sur Bizerte en 1961 puis succession d'opérations au Tchad entre 1968 et 1972, en dehors d'une petite multitude d'opérations d'assistance à impact plus limité), puis le « temps de la foudroyance » sous
Valéry Giscard d'Estaing (de la peu connue opération Lamantin en soutien aérien à la Mauritanie en 1977-1979 à l'alors fort médiatisée – avec dès 1980 un film de
Raoul Coutard (d'après le livre de
Pierre Sergent, ancien de l'OAS et élu FN), avec
Bruno Cremer et Jacques Perrin – opération de 1978 sur Kolwezi face aux « Tigres katangais »), en passant par la nouvelle mini-campagne du Tchad en 1978-1979, que
Michel Goya, derrière les détails opérationnels de chaque engagement, montre la mise en place d'une architecture unique de prise de décision et la résolution précoce, en apparence, d'un certain nombre de paradoxes hérités de la décolonisation et de la menace en Europe directement liée à la guerre froide.
C'est ensuite avec « la guerre sans la déclarer » (1978-1987), passant en revue les infortunes de la « guerre sous le seuil », au Liban, face en réalité à l'Iran et à la Syrie, de la guerre indirecte au Tchad, face à la Libye, et dans les « engagements ambigus » tels ceux, tardifs dans la période, au Rwanda, que
Michel Goya dégage les maux récurrents et bien connus de forces françaises dont les alliés admirent toujours très sincèrement la robustesse et la réactivité, mais dont le poids et l'allonge demeurent (jusqu'à aujourd'hui) toujours au bord de la rupture face à des missions souvent ambitieuses (dans leur accumulation) et à des pénuries quasiment chroniques de matériel, et dont le rôle demeure à l'entière discrétion de l'hôte de l'Élysée, hors de tout contrôle réel comme hors de toute possibilité sincère de discussion au point de friction du politique, du stratégique et de l'opérationnel.
Lorsque surviennent à partir de 1990 les « campagnes du nouvel ordre mondial », Koweit et ex-Yougoslavie au premier chef, la France se trouve ainsi davantage prise au dépourvu qu'elle ne l'imaginait (la « honte » ressentie face à la faiblesse des forces françaises disponibles pour être mises à disposition de la coalition destinée à libérer le Koweit envahi par l'Irak restera bien un traumatisme non négligeable, mais aucune véritable leçon applicable dans la durée n'en sera tirée au plus haut niveau).
En nous plongeant aux côtés des « soldats de la paix » (1991-1995), des « gendarmes des Balkans » (1995-2014), des « gendarmes de l'Afrique » (1996-2011), et de « l'entrée en guerre progressive contre les salafo-djihadistes » (1995-2007),
Michel Goya prépare son analyse de la nouvelle transition stratégique de 2008-2012, puis de la « bascule afghane » (2008-2012) – dont on sait désormais à quel point elle fut souterrainement déterminante dans l'évolution récente des armées françaises, comme nous le rappelaient par exemple aussi, encore récemment, aussi bien
Nicolas Mingasson que
Jean-Christophe Notin ou
Jean-Dominique Merchet, ainsi que de la « fin des guerres contre les États voyous » (2011-2014), avec la si étonnante « intervention libyenne ».
C'est bien entendu avec Serval / Barkhane, au Sahel, et avec la guerre contre l'État Islamique aux confins irako-syriens, que se conclut et se projette cette étude particulièrement stimulante et inspirée, mêlant rigueur analytique et historique vis-à-vis des faits, audace et humilité vis-à-vis des possibles leçons à tirer, d'une part, et des éventuelles orientations futures à envisager, d'autre part. Comme
Michel Goya nous y a désormais habitués, à la fois loin des idées reçues simplistes et des mantras trop souvent ressassés par divers storytellings déficients ou orientés, il y a bien place, en matière de réflexion historico-stratégique militaire contemporaine comme de travail sur les doctrines d'emploi des forces et le lien entre politique et intervention militaire, pour une approche exigeante, sans complaisance mais ne prétendant pas avoir réponse à tout, acceptant l'incertitude mais s'y attaquant avec intelligence et pragmatisme.
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