A Dieu ne plaise, de
Martine Hermant, est un roman historique de haute valeur. Il est à la chronique des moeurs provinciales du Berry et de ses seigneurs à la fin du premier quart du XIIIe siècle ce que
La chambre des dames de
Jeanne Bourin représente pour l'étude romanesque de la vie de bourgeois citadins, orfèvres à Paris, sous le règne de Saint Louis.
Si l'on est familier des mots employés dans les dialogues et qui sont tels qu'on pouvait les lire au Moyen Âge, on n'aura aucune peine à goûter la richesse de ce livre, et, dans le cas contraire, on prendra juste le soin de se familiariser avec ces sonorités anciennes qui laissent facilement deviner le sens du vocabulaire utilisé pour se glisser dans le récit savoureux et voluptueux de l'histoire de Lysandre et de Géraud de Boisgésir, son époux, du frère de ce dernier, Gilles, et de son principal lieutenant, Eudes de Huchemort, poète à ses heures et chanteur au son de la viole, capable de charmer et troubler les dames, mariées ou pas, avec quelques vers mémorables et parfaitement mémorisés. D'autres figures, plus étranges et plus inquiétantes, complètent la galerie de ces personnages : le Viez-Garol, espèce de sorcier, et sa fille L'Herminia, au corps souple et à l'âme sombre, qui vous entraîne facilement dans sa danse, malgré la crainte et l'étonnement qu'elle inspire, et que l'on suivrait partout, si ce n'était qu'elle et son père voyaient leur sécurité et leur ténébreux refuge protégés par une meute vociférante de loups, bien faite pour faire peur et pour faire fuir. le mystère s'invite dans ce récit au moment où tout semble suivre un ordre rationnel et logique et, nous rappelant que, toujours, la magie et l'étrange jouent un rôle dans nos existences, lors même qu'on les croit rectilignes et menées au seul rythme de nos volontés pensantes, comme si elles étaient toujours ordonnées selon des directives cérébrales clairement établies, il ajoute sa teinte particulière aux belles couleurs des forêts, des ciels, des champs, des châteaux, des églises visibles dans la campagne berrichonne mais aussi de la magnifique cathédrale qui s'élève à Bourges et qui nous tombe sous les yeux dans son élévation vertigineuse, sans le recul qu'il faudrait pour l'admirer de loin, tant les constructions qui l'entourent sont resserrées, et cela de quelque point que l'on choisisse pour l'observer.
C'est le temps des livres et des chants où se développe le bel idéal de Fin Amor, qui fait se pâmer dames et damoiseaux, mais que contrebalance la rudesse guerrière des seigneurs qui, au moindre refus de partage de couche de leurs épouses, s'adonnent sans sourciller à des amours ancillaires dépourvues de toute délicatesse et de toute tendresse.
Beaucoup de la douceur nous vient des femmes, et de Lysandre en particulier, qui, souvent ignorée ou mal comprise par son époux, cherche à rompre la monotonie des jours passés dans la demeure seigneuriale, par la compagnie de congénères ou de suivantes bien vivantes, mais aussi d'hommes tentateurs. Car, dans la suite de Gilles, frère de Géraud, il y a, nous l'avons dit, ce Eudes de Huchemort, qui fait tourner les têtes des hommes aussi
bien que des femmes - et cette ambiguïté court au long des pages de ce roman - et qui fréquente les lieux mal famés aussi bien qu'il est capable de servir une dame de la plus chaste manière, ce qu'il réussira à faire en devenant le féal de coeur de Lysandre, qui s'en défendra tout d'abord mais finira par succomber à l'étrange beauté de cet homme charmeur, capable de surprendre en bien comme en mal, ce qui nous amène à dire que l'auteure ne tombe jamais dans le piège qui consisterait à nous présenter, de manière manichéenne, des êtres ou totalement parfaits ou totalement mauvais.
Martine Hermant met de la nuance partout, dans chaque phrase, et des sentiments mêlés nous sont souvent rendus par sa plume très fine.
Le récit est plein de rebondissements d'un bout à l'autre, des rebondissements qui permettent à Lysandre de tromper un ennui palpable qu'on la voit eprouver auprès de son mari, malgré l'affection qu'elle lui porte. Les émois éprouvés dans son aventure amoureuse, très mentale et courtoise, mais néanmoins passionnée, avec Eudes de Huchemort, au travers des chants sentimentaux qu'elle ne fait qu'entendre au début, avant qu'elle ne se mette elle-même à l'apprentissage de la lecture, et au travers des rencontres pleines de retenue, voire de méfiance, au début, puis de
fougue et de fol abandon, avec son ami de coeur, qui la couvre de baisers et l'abreuve de serments, émouvants de sincérité, tout cela vient bouleverser une autre approche du temps, plus reposante et plus calme, celle de la succession régulière des saisons et des travaux des hommes dans les champs, parfaitement, artistiquement et délicatement décrits, avec poésie mais aussi avec réalisme.
Nous sommes sous le règne de Louis VIII le Lion, et le roi s'apprête à conduire une Croisade dans les terres de Raymond VII de Toulouse, des terres travaillées depuis belle date par l'hérésie dite cathare, et l'Eglise veut anéantir celle-ci par le fer, le feu et dans le sang et les flammes pour que les hommes reconnaissent sa seule autorité religieuse, ce qui permet au Capétien de s'ingérer hypocritement mais pragmatiquelent dans les affaires du Midi-
Pyrénées sous couvert de la défense d'une sainte et juste cause.
Le départ des hommes d'armes pour cette expédition va bien sûr déchirer le coeur de Lysandre, qui voit ainsi s'éloigner pour une aventure pleine de périls les deux hommes qui se partagent son coeur, et cela peu après la venue au monde du fils qu'elle a donné à son époux, Géraud, lui-même épris de coeur d'une dame de plus haut lignage. Nous laisserons ici notre tendre Lysandre, afin de ne pas dévoiler le dénouement de cette belle histoire d'amour. Et nous la quitterons sur une jolie citation, en laissant le lecteur se saisir à son tour de ce livre, qui se lit
avec bonheur.
"Les adieux furent presque gais. Lysandre sur le chemin du retour, se sentait la tête toute légère d'une euphorie lumineuse, et le corps alangui d'un bien-être suave.
"De reprendre sa place au château ne parvint pas à ternir cette béatitude qui se recroquevilla au fond d'elle-même ; c'était comme une lumière intérieure qui la portait, présence si essentielle que, même latente, elle existait en fond de
bonheur persistant" (page 277).
François Sarindar, auteur de :
Jeanne d'Arc, une mission inachevée (2015) et
Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010).