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EAN : 9782021430349
416 pages
Seuil (06/02/2020)
4.27/5   87 notes
Résumé :
La culture occidentale n'a cessé de représenter les manières dont l'amour fait miraculeusement irruption dans la vie des hommes et des femmes. Pourtant, cette culture qui a tant à dire sur la naissance de l'amour est beaucoup moins prolixe lorsqu'il s'agit des moments, non moins mystérieux, où l'on évite de tomber amoureux, où l'on devient indifférent à celui ou celle qui nous tenait éveillé la nuit, où l'on cesse d'aimer. Ce silence est d'autant plus étonnant que l... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (18) Voir plus Ajouter une critique
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Cet essai touffu et complexe a pour objet l'analyse sociologique des manières dont le capitalisme consumériste (autrement dit néolibéral) a métamorphosé les relations sentimentales – en parallèle avec la révolution sexuelle à partir des années 60, et grâce également à la révolution technologique opérée par l'hyperconnection des années 2000 (cf. l'application Tinder) – dans un sens qui provoque la destruction des liens d'intimité durables, une incertitude ontologique sur la valeur des acteurs ainsi que sur leurs désirs et conséquemment sur l'avenir de la relation, et enfin des nouvelles formes d'inégalité de genre au détriment des femmes. Une telle évolution, dans une logique de libre marché dérégulé des relations, comporte l'accroissement de la liberté sexuelle, mais se paye en contrepartie par une diminution de l'égalité et par l'ébranlement des fondements de l'estime de soi. Ce processus, appelé « capitalisme scopique », en relation avec une exposition – l'autrice n'ira pas jusqu'à dire « exhibition » et n'en tirera donc pas les conséquences psychanalytiques en termes de perversion par cause de dé-subjectivation – du sujet économico-sexuel, de son corps sexualisé, de son désir voire de sa jouissance, ce capitalisme scopique donc « crée un type d'identité particulier où l'économie et le sexe s'imbriquent et se complètent mutuellement » (p. 310).
En vérité, les prémisses de cette démarche d'articulation entre le système économique et les relations amoureuses existaient déjà dans le concept d'anomie introduit par Durkheim dans le Suicide (1897), où l'autrice rappelle opportunément qu'il s'applique à « l'homme célibataire », ainsi que dans le célèbre essai de Zygmunt Bauman, L'Amour liquide : de la fragilité des liens entre les hommes (2003), cité fugacement. Mais dans ce traité imposant et à l'appareil bibliographique impressionnant, cette articulation du capitalisme consumériste avec le « capitalisme scopique » se développe de la manière suivante.
Dans le chap. introductif est posée la pertinence de l'approche sociologique (contre l'hégémonie épistémologique de la psychologie) appliquée au choix, et en l'occurrence au refus ou à l'impossibilité d'opérer un choix amoureux, qui est appelé « choix négatif » ; il est aussi question de la critique de la liberté en amour, liberté apportée par la révolution sexuelle qui aboutit sur ce qui est défini le « non-amour ».
Le chap. II, « La cour amoureuse et l'émergence des relations négatives », a pour objet la comparaison du mariage traditionnel ritualisé, endogame et patrimonial, fondé sur « la certitude » (déclinée en six aspects), avec un nouveau marché sexuel, dérivé de « la liberté sexuelle comme liberté consumériste », dans lequel hommes et femmes disposent chacun d'un « capital sexuel ». [cf. cit. 1 sur la sexualité et le marché de consommation et cit. 2 sur les métamorphoses de la sexualité par la libération sexuelle convergeant vers le nouveau marché sexuel].
Le chap. III, « Confusion dans le sexe », par l'affinité ou l'analogie entre l'interaction consumériste et le prototype du « casual sex » (« l'aventure sans lendemain »), commence à poser la question de l'incertitude, dans la forme d'incertitude des relations.
Le chap. IV, « Le capitalisme scopique et l'émergence de l'incertitude ontologique », à mon sens le plus intéressant de l'ouvrage, commence par introduire le concept de valeur économique et symbolique des hommes et des femmes ; cette valeur implique une évaluation et une dévaluation. Là surgit une asymétrie. En effet, les femmes se valorisent (par leur corps et par la consommation marchande) mais les hommes les « évaluent » en tant que consommateurs de leur valeur sexuelle qu'ils s'approprient [cf. cit. 4]. Dans ce même chap., l'incertitude est envisagée dans sa forme ontologique, c-à-d. quant à la valeur de l'individu au regard de l'autre [cf. cit. 3]. Naturellement, cette incertitude se répercute sur l'estime de soi et la confiance en soi, et elle donne lieu à des stratégies de défense.
Celles-ci sont explorées dans le chap. V, « Une liberté avec beaucoup de limites », dans le sens où elles vont avoir pour effet une certaine frilosité dans l'investissement émotionnel, aggravée par l'ambivalence entre volonté d'engagement et valorisation de l'autonomie. Plus généralement, ce chap. aborde la question des limites de l'analogie avec l'univers contractuel et il découle sur les « relations négatives » : indéterminées concernant le « choix » et éphémères. [cf. cit. 5]
Ces deux qualités caractérisent aussi « la fin de l'amour » : le divorce et la séparation, qui fait l'objet du dernier chap., « Le divorce comme relation négative ». Ici, sont explorées plusieurs causes et modalités de cessation de la relation et la dichotomie autonomie-attachement est ultérieurement explorée. En fin de chap. est également traitée la question de la « compétence affective » dévolue aux femmes, qui sont aussi demandeuses de « marchandises émotionnelles », telles les psychothérapies et autres pratiques de « développement personnel », car c'est à elles qu'incombe la gestion du « processus relationnel ». [cf. cit. 6]
Enfin la Conclusion ouvre sur la valeur politique de l'étude des dysfonctionnements des relations sentimentales.
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Extrait
L'OBS. Comment faut-il entendre le titre de votre nouveau livre, « la Fin de l'amour », paru aux éditions du Seuil ?

Eva Illouz. Je voulais m'inscrire dans ce genre littéraire des « la fin de… », à l'instar de « la Fin de l'Histoire », qui réfléchit aux grands changements de l'époque contemporaine, pour souligner que le champ des relations sexuelles et sentimentales était en train de se modifier fondamentalement. Car si l'amour continue de hanter nos vies, c'est à la façon du spectre. Nous ne savons plus si l'amour existe ou n'existe pas, s'il est réel ou si nous l'avons inventé.

C'est aussi la fin de l'amour telle qu'elle est vécue par les acteurs, de façon phénoménologique : la séparation, l'arrêt des relations, mais aussi le refus d'en commencer une, ou bien leur multiplication, qui sont autant de pratiques de non-choix de plus en plus fréquentes. J'ai donc voulu construire une sociologie « des relations négatives », de ce qui ne se passe pas et qu'il faut pourtant interroger.
Eva Illouz, par Luc Boltanski : « Elle renouvelle la pensée critique »

On pourrait penser le sujet secondaire par rapport aux retraites par exemple, mais le fait d'avoir ou non des enfants, dans des structures familiales classiques ou pas, a des répercussions majeures sur la structure démographique, et donc économique, d'un pays. C'est d'ailleurs pourquoi, à sa sortie en Allemagne, le livre a été recensé dans la newsletter du Bundenstag.
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Je me suis lancé dans la lecture de "La fin de l'amour" pour me maintenir au courant des pratiques amoureuses de mes contemporains. Hasard de lecture ou pas, je poursuivais en même temps une relecture d'"Orgueil et préjugés" de Jane Austen. J'ai pu constater dans les moeurs amoureuses un gouffre entre l'approche victorienne et celle contemporaine. Comment a-t-on pu passer d'une cour amoureuse longue et fastidieuse au coup d'un soir, facile et sans engagement grâce aux applications de rencontre. Eva Illouz analyse finement cette évolution en associant histoire des idées, concepts théoriques sophistiqués et regard aiguisé sur notre culture contemporaine. Il faut s'accrocher dans les passages théoriques en particulier dans la première partie du livre où la lecture est plutôt ardue. Mais ensuite, lorsqu'Éva Illouz s'intéresse aux effets d'Internet et du capitalisme sur l'amour, c'est bien plus passionnant, mais pas forcément très joyeux. L'analyse est agrémentée de témoignages éclairants que j'ai particulièrement appréciés pour étayer les hypothèses de l'autrice. J'ai été surpris de ne pas y entendre plus parler des enfants qui peuvent être parfois des sources de tension dans les couples. Les femmes, un temps gagnantes de cette évolution grâce à la liberté sexuelle acquise dans les années 60 en sont devenues ensuite les perdantes. L'industrie capitaliste de l'image (médias, monde de la mode et des cosmétiques) et les réseaux sociaux sur Internet sous domination masculine se sont emparés de l'image de la femme libérée pour en faire une marchandise sexuelle. Pas très romantique, mais terriblement rentable. "La fin de l'amour" ne redonne pas le sourire, mais dresse un portrait fidèle des pratiques amoureuses actuelles, de leurs enjeux et de leur fonctionnement. Je pense qu'Éva Illouz qui en fait une analyse stimulante compte parmi les grands penseurs de notre époque.
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Oh amour, où es-tu?
Une analys centrée principalement sur le XXième siècle, ses avancées et ses désordres, des extrêmes qui ont découlé par des luttes de pouvoir.
Si la femme a obtenu une apparente parité au fil du temps, grâce à la contraception, l'éducation, le travail et la libération sexuelle, le pouvoir lié à l'argent, ancien, perdure par le biais du capitalisme qui ne voit la sexualisation de la femme que comme une marchandise et non une réalité de la nature que nous revendiquons au même titre que chaque individu.
Encore une fois, l'entièreté de la femme est mise en péril, de manière sournoise par le pouvoir.
Une analyse à travers les médias actuels, des sites de rencontre à la publicité qui désormais, en bannissant la sexualisation du féminin, nous coupe aussi d'une dimension de séduction et donc du pouvoir, l'hyper-sexe féminin étant cantonné à la seule pornographie. La fin de l'amour, la fin du rêve...
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Lecture exigeante qui a fait alterner chez moi des états de jubilation intellectuelle à voir décortiquée de manière si exacte une réalité que je n'avais pas conceptualisée à ce point et des moments de découragements mâtinés de sourde révolte : non, ce n'est pas possible que toutes les relations soient contaminées par le "capitalisme scopique" dont parle Eva Illouz. Non, les thérapies n'ont pas pour seule fonction de consolider un moi qui entre alors en conflit avec les contraintes d'interactions sociales ou amoureuses où ne prime pas toujours la reconnaissance des émotions. Non le care n'appartient pas qu'aux femmes. Non les hommes ne sont pas obligés de ne s'epanouir que dans la revendication d'une liberté extérieure au foyer.
Et pourtant, comme ces clés de lecture de notre monde contemporain sont opérantes !
Le premier chapitre est ardu : très théorique puisqu'il pose les bases d'une "sociologie du choix négatif". La lecture est plus aisée ensuite, aérée de multiples témoignages qui m'ont donné tour à tour le sentiment d'être sur une autre planète ou au contraire de voir exposés des ressorts de fonctionnement que j'avais fait miens. C'est toujours fascinant de constater combien les destinées individuelles sont pétries de projections sociales et idéologiques collectives. Bref, un livre éclairant et stimulant.
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critiques presse (1)
Telerama
11 février 2020
Dans son essai “La Fin de l’amour”, la sociologue Eva Illouz continue à observer avec finesse l’influence du capitalisme sur nos rapports affectifs.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (38) Voir plus Ajouter une citation
Bérénice : Depuis mon divorce, je suis sortie avec quelques hommes mais je trouve cela étonnamment difficile. Pas tant à cause des hommes eux-mêmes qu'à cause de moi.
Intervieweuse : Qu'est-ce qu'il y a de difficile ?
Bérénice : Certains détails peuvent me déstabiliser.
Intervieweuse : Lesquels par exemple ?
Bérénice : J'avais rendez-vous pour la troisième fois avec un homme. Je l'avais bien aimé les deux premières fois, et puis il s'est pointé avec une chemise ridicule, plouc, embarrassante, pas une chemise d'ouvrier stylée, mais une chemise que son grand-père avait probablement achetée dans les années 40 dans une friperie. Je me suis dit, soit il n'a aucun goût, soit il se fiche complétement de moi, soit il appartient à un monde totalement différent du mien, genre ce type est à l'ouest. Et juste comme ça, à cause de sa chemise, je n'arrivais pas à me sentir attiré par lui. Je veux dire, ce n'est pas non plus tout à fait ça, mais ça m'a détourné de lui, j'ai dû faire des efforts pour retrouver l'attrait que j'avais pour lui. C'est gênant à dire, mais la chemise a été un véritable tue-l'amour.

Ici, l'attirance sexuelle est induite par des objets de consommation. Elle est facilement altérée par un mauvais "look", car l'attirance sexuelle est désormais fortement influencée par les icônes, les images et les marchandises diffusées par les médias. L'évaluation visuelle associe l'identité d'une personne avec des produits de consommation, et correspond à l'affirmation conjointe d'un goût de consommateur et d'un goût émotionnel. Les objets de consommation sont donc des éléments à partir desquels un rejet est provoqué.
Dans un autre exemple, Claudine, une française de quarante-huit ans (d'une grande beauté), raconte une relation avec un ancien petit ami :
Claudine : Un jour, il est venu me rendre visite un dimanche matin. Il revenait de voyage et a sonné à ma porte ; je ne m'étais pas encore brossé les dents et je n'étais pas habillée. J'étais en chemise de nuit. Je n'étais pas maquillée et je n'étais pas coiffée. Quand il est rentré, j'ai vu qu'il faisait une drôle de tête. Il m'a dit : " Qu'est-ce qui s'est passé ? Tu es malade ? Tu vas bien ? Tu as l'air tellement différente de d'habitude."
Intervieweuse : Qu'avez-vous répondu ?
Claudine : Je l'ai serré dans les bras, je croyais qu'il allait m'embrasser mais il ne l'a pas fait. Je me suis alors demandé si ce type m'aimerait encore quand je serai vieille et ridée.

Comme le suggère ces deux exemples, l'attirance pour quelqu'un peut être remise en cause dès le moment où s'efface l'agencement visuel et le spectacle qui l'ont rendue possible. Si les objets de consommation sont devenus l'environnement implicite de l'attractivité, ils sont également inséparables de l'identité individuelle, et créent une équivalence entre les objets et les personnes, suggérant par là que les personnes sont (d)évaluées comme des objets.
Enfin, toute l'économie de l'attractivité visuelle repose sur le renouvellement constant du "look", instaurant une équivalence entre l’attractivité, la mode et la jeunesse (d'où l’extraordinaire développement de l'industrie anti-âge, allant des crèmes à la chirurgie). Parce que les femmes jeunes se trouvent au sommet de la hiérarchie du capital sexuel, en particulier pour les hommes qui possèdent un capital économique élevé (là encore, Donald Trump est un exemple paradigmatique de cette logique de marché). Mais, contrairement à d'autres formes de ressources sociales, la jeunesse contient par définition un mécanisme d'obsolescence programmée : dans l'industrie de la mode, une mannequin de vingt-trois ans est considérée comme vieille. Cela signifie que le champ de la sexualité est structuré par l'obsolescence (et l'angoisse qui va avec). Cette composante de l'économie capitaliste conduit à un renouvellement et une amélioration constante de l'apparence physique à travers des biens de consommation destinés à rester jeune et attirant.

(P 172/174)
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J'oserais donc l'hypothèse suivante : dans les domaines de l'amour et la sexualité, nous sommes passés d'une modalité d'action culturelle où la culture opérait une description "épaisse" du monde en symboles et en récit moraux, prescrivait et guidait le comportement par le biais de significations fortes ou de plan d'action bien structurés (la cour amoureuse en est un bon exemple), à une modalité de la culture où l'autonomie et la liberté produisent des principes d'interaction relativement peu définis et flous avec des résultats imprévisibles, c'est-à-dire des interactions relativement dépourvues de normes, du moins dans la sphère privée et intime (la sphère du travail, au contraire, obéit aujourd'hui à des scénarios très précis). Par absence de norme, j'entends non seulement que le comportement est improvisé et qu'il obéit à des règles ouvertes, mais aussi que les normes gouvernant la conduite des liens sexuels ne sont pas claires, qu'elles n'obéissent pas à un scénario moral, et que si les règles de réciprocité sont enfreintes, le risque de sanction sociale est faible. Les interactions sans normes n'établissent pas de distinction claire entre un comportement approprié et un comportement non approprié, car il existe peu de sanctions associées à un comportement inapproprié. Ce manque de normativité "épaisse" est une conséquence directe de la pratique de la liberté, et des injonctions positives qui lui sont associées, comme l'indépendance, l'autonomie et l'hédonisme, la terminologie dominante de l'individualité. Ces injonction positives engendrent des liens négatifs, des liens qui sur le plan normatif, sont flous, chaotiques, ont des définitions et des objectifs multiples, et sont le lieu de l'expression de l'autonomie de l'individu à travers le retrait et le non-choix.

(P136)
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Ralph : Ça fait, quoi, plus de vingt ans que j'ai des rendez-vous avec des filles et je peux vous dire que quelque chose à changé depuis que je me suis mis à chercher, depuis mes vingt-cinq ans à peu près. Je ne suis pas si vieux, mais je vois un changement.
Intervieweuse : comment décririez-vous ce changement ?
Ralph : Il me semble que c'est devenu très compliqué d'attirer l'attention d'une femme. Elles ont toutes l'air complètement absorbée par leur téléphone portable, leur page Facebook, Instagram, et par tout ce que les gens disent d'elles. Elles vérifient constamment leurs mails. Quand j'avais vingt ans et que j'essayais de faire des rencontres, ce n'était pas comme ça. Aujourd'hui, j'ai l'impression qu'elles ont la tête ailleurs. Pas dans la rencontre. Elles ont du mal à se concentrer sur vous. Mon échantillon est peut-être biaisé, mais celles qui restent sur le marché sont comme ça. Mais je ne crois pas. Je pense que c'est quelque chose de plus général.
[...plus tard dans l'entretien]
La dernière fois, j'ai rencontré une femme qui ne savait pas où était Miami. Elle pensait que Los Angeles était plus près de l'Europe que Miami. J'ai trouvé ça embarrassant. Je n'ai pas de temps à perdre avec ce genre de personne. Je l'ai dégagé. En une seconde. Je n'ai pas la patience. Des centaines d'autres m'attendent sur Tinder.

Une sexualité ouverte, organisée sur un marché de rencontres ouvert, soulève le problème de l'évaluation des personnes. L'abondance de partenaires potentiels proposée par la technologie confère à l'évaluation un caractère formel, comparable à un "entretien" qui doit permettre de rapidement faire la part entre les "bons" et les "mauvais" candidats. Dans la mesure où les partenaires potentiels sont décontextualisés, c'est-à-dire coupés de leur environnement social, les agents deviennent des évaluateurs purement sélectifs, tentant de discerner la valeur d'une personne dans un contexte abstrait qui a lui-même une forme marchande abstraite. De plus, les questions posées prennent souvent la forme d'un test standard. Pour Katya et Ralph, la rencontre est un entretien qui a toutes les caractéristiques d'un examen noté. Si les "intervieweurs" n'ont pas toujours une idée claire de leurs préférences, ils savent clairement ce qu'ils ne veulent pas, et utilisent ces rendez-vous comme une occasion d'exercer un verdict d'échec, exprimant leurs goûts et leurs jugements personnels à travers des non-choix, comparable au swipe à gauche de Tinder.

(P 160/161)
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6. « […] Le développement du capitalisme consumériste n'est possible que par l'expansion et la prolifération des besoins, réels on non. Nous partons généralement du principe que la prolifération de ces besoins est d'ordre matériel […]. Pourtant, l'une des particularités du capitalisme après les années 1960 a été la prolifération des besoins psychologiques et émotionnels. Étant donné la manière dont l'économie consumériste s'est insinuée dans les moindres recoins de la subjectivité, le capitalisme s'est aussi développé à travers des marchandises émotionnelles […] ; il s'agit de services que l'on peut acheter pour changer et améliorer sa complexion émotionnelle. Cet aspect du capitalisme encourage les hommes et les femmes à se considérer comme un ensemble d'attributs affectifs à optimiser. Les relations sont le réceptacle principal des marchandises émotionnelles, un terrain où l'on consomme non seulement à leur commencement, mais aussi pour les maintenir et les améliorer. » (pp. 290-291)
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1. « La sexualité a fourni au capitalisme une extraordinaire occasion de se développer car elle exigeait d'être constamment recréée ; de même, elle a fourni de multiples opportunités de production d'atmosphères sexy. La sexualité est devenue une plateforme culturelle pour consommer des biens solides et standardisés (par exemple, la lingerie, le Viagra ou le botox), des biens associés à une expérience (par exemple les cafés, les bars pour célibataires ou les camps de nudistes), des biens plus intangibles, comme les conseils thérapeutiques pour améliorer ses performances et ses compétences sexuelles, des marchandises visuelles (par exemple les magazines féminins ou la pornographie), et ce que j'appellerais les biens atmosphériques supposés créer une ambiance sexy. La sexualité est ainsi devenue un objet de consommation à multiples facettes, saturant à la fois la culture de la consommation et l'identité privée […]. Curieusement, ce n'est pas la sexualité qui est l'inconscient de la culture consumériste, mais la culture consumériste qui est devenue la pulsion inconsciente structurant la sexualité. » (pp. 76-77)
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Vidéo de Eva Illouz
Eva Illouz, sociologue et philosophe, était l'invitée de "La Fabrique des idées", les masterclass de Philosophie magazine, mercredi 24 janvier au Club de l'Étoile, à Paris (17e).
Prochain rendez-vous : Jean-Luc Marion, phénoménologue, académicien, grand théoricien de la "donation", mercredi 6 mars en présentiel ou visio. Informations et résa :
www.philomag.com/masterclass
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