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EAN : 9782850610073
281 pages
Premier Parallèle (12/09/2019)
4.17/5   6 notes
Résumé :
Comment la langue façonne-t-elle l'esprit d'une époque ?
Tout au long du règne de Hitler, Victor Klemperer étudia les graves distorsions infligées à la langue allemande par le nazisme. Les enseignants seront désormais soumis à une « révision nationale et politique » -- comme les voitures, note-t-il en 1934. On parle désormais de « système » pour désigner le régime des années de Weimar, vilipendé en tant que régime parlementaire et démocratique « enjuivé ». Q... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Ce livre est surtout une invitation à lire « LTI, la langue du IIIe Reich. Carnets d'un philologue », l'oeuvre essentielle de Victor Klemperer. Ce dernier y analyse « à travers l'étude des atteintes portées à la langue, les mécanismes du « dérèglement social ».  » Klemperer y montre comment une langue déformée par la propagande d'un totalitarisme peut contaminer à leur insu jusqu'aux opposants à ce régime. Frédéric Joly nous rappelle ce que la Novlangue inventée par Orwell dans 1984 doit à cette analyse.

Frédéric Joly réussit son invitation en 15 pages, dès l'introduction où il nous rappelle des notions essentielles (par exemple la langue et la parole), et nous explique « parce que les mots, toujours disent la vérité de leur temps », comment Klemperer peut nous aider à comprendre notre époque où fonctionne « une hégémonie de l'opinion, du verbalisme, de la répétition sans fin des discours au détriment de la réalité ».

Le livre propose une biographie chronologiquement libre, avec des digressions, de Victor Klemperer. Il suit surtout les carnets publiés par celui-ci : « Mes soldats de papier. Journal 1933-1941 » et « Je veux témoigner jusqu'au bout. Journal 1942-1945 ».
Professeur de philologie déjà âgé et souffrant, d'origine juive mais non pratiquant et marié à une « aryenne », Viktor Klemperer se verra privé de son poste à l'université de Dresde, puis de ses biens, et menacé malgré sa situation conjugale. Il continuera à travailler sur les auteurs français, Montesquieu et Voltaire qu'il admire, mais aussi Rousseau et nourrira de ces lectures sa réflexion sur « le nazisme et sa phraséologie ».
L'ouvrage contient de nombreux rappels historiques sur l'Allemagne autour de la guerre, sur la progression des lois antisémites, sur les « évacuations » dont dès 1942 les juifs avaient compris qu'elles signifiaient extermination. Il souligne aussi l'angoisse causée par les destructions massives lors des bombardements des alliés, pas seulement à Dresde. Il nous décrit le quotidien d'un intellectuel persécuté, qui réfléchit sur son temps à travers sa vision de philologue : il travaille déjà à son ouvrage principal, « LTI », qui sera publié en 1947, donc en Allemagne de l'Est. Et explique finalement les réticences de Klemperer qui voit ses collègues sympathisants nazis réintégrés dans leurs postes et reconnaît dans le langage soviétique beaucoup de caractéristiques de la LTI. La partie librement biographique nous présente quelques exemples de l'analyse de Klemperer sur la langue du 3e Reich. On y découvre ses réflexions par exemple sur la question du romantisme allemand auquel Klemperer impute une partie de l'idéologie nazie. Frédéric Jolyy distingue un romantisme allemand encore européen et un romantisme teuton qui refuse le monde. À ce dernier, le nazisme emprunte au moins un vocabulaire de rupture souligné par Klemperer, qui remarque la vision d'une « Europe germano-nordique entièrement « purifiée de son legs romain et chrétien » par l'idéologie nazie.

Frédéric Joly propose ensuite un ensemble de réflexions sur l'héritage de Klemperer. Il aborde certaines dérives de notre langage qui est influencé par la pensée économique comme la LTI l'était par une vision mécaniste, et qui conduit à la défiance des populations. La question de la vérité est centrale, avec une référence admirative à Nathan le Sage de Gothold Ephraïm Lessing (La recherche de la vérité est plus importante que sa possession). Comme sous le nazisme, beaucoup de discours sont encore centrés sur les opinions et non sur les faits.

Cet essai est facile à lire, même si son foisonnement de références donne un peu le vertige quand on est comme moi loin des cercles universitaires et intellectuels. La biographie de Klemperer fait frissonner. Je recommande chaleureusement ce livre, ne serait-ce que parce qu'il donne furieusement envie de découvrir Klemperer (évidemment), mais aussi des auteurs que j'aurais dû lire (Mona Ozouf, Gothold Ephraïm Lessing , Leonardo Sciascia, Hannah Arendt, Elias Canetti, Ernst Bloch, Walter Benjamin, Georges Bataille...), et d'autres que je connais mais qu'il éclaire (Thomas Mann, Ernst Jünger, Paul Valéry, Franz Kafka).

J'ai été légèrement déçu que Frédéric Joly ne décode pas pour nous le langage d'un président des USA à la perruque de renard, ou celui des réseaux dits sociaux : ce seraient des sujets pour un prochain ouvrage. J'ai aussi beaucoup aimé ce qu'il dit de la langue, par exemple dans le journal de Gide opposé à ceux de Kafka ou Klemperer, et j'ai seulement regretté de ne pas y trouver davantage d'exemples des analyses de LTI : décidément, il faut aussi lire cet ouvrage essentiel.

PS : inquiet de ne pas publier à temps cet avis, j'ai oublié que je voulais remercier Babelio et les éditions Premier Parallèle pour l'envoi de ce livre, dans le cadre de Masse Critique. Je profite de cet ajout pour dire que le catalogue de cet éditeur contient des morceaux bien appétissants.
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Attiré par son titre, la curiosité d'ouvrir cet ouvrage d'apparence bien austère m'a piqué. N'étant pas du tout versé dans le registre, un peu d‘efforts m'ont certes été nécessaires mais j'en ai terminé la lecture satisfait d'avoir pu percevoir quelques traits des interrogations de ce domaine de la philologie et des rapports du langage et des fondements de nos sociétés.
Une première partie m'a attaché à ce professeur Victor Klemperer, romaniste, essayiste , philologue passionné du siècle des Lumières et à son parcours , son calvaire , dans l'Allemagne de Weimar à celle de la RDA. Juif, marié avec une protestante, au cours des années de persécution du 3ème Reich il sera peu à peu dépouillé de sa chaire à l'université et de tous les éléments du confort de sa situation, bibliothèque, livres, maison, voiture . Pourtant rien n'éteindra la vie de l'esprit du "Selbstdenker" , sa passion pour l'écriture et la tenue quotidienne de ses carnets, source de son chef d'oeuvre. Rescapé des bombardements de Dresde, il survit à l'Est après la capitulation et c'est derrière le rideau de fer qu'il publiera et refera son existence, résigné et sans illusions vis-à-vis de la similitude des totalitarismes. et des marques imprimées dans les langages
Cette émouvante accroche ouvre sur une seconde partie moins factuelle, tentative de faire rentrer le lecteur dans la philologie à la découverte des mûrissements et sous-jacents de « LTI, la langue du Troisième Reich » , Un très dense examen de cette improbable trahison de la culture et des racines littéraires et sociales d'une telle survenance de circonstances.
Dans la toute dernière partie Frédéric Joly nous ramène à notre temps « confus, magmatique » et ouvre la réflexion sur ce que pourraient être les éléments fondant une Lingua Quintae Republicae voire, d'une Ligua Populistae dont les proches échos malheureusement nous assaillent et même peut-être l'émergence d'une Lingua Ultimum Terrae issue d'une culture hégémonique de la fonctionnalité. C'est sans regrets que je me suis perdu dans ces multiples références interrogeant avec Lessing , Harendt, Thomas Mann et tant d'autres les rapports de la langue ,du vrai et de la croyance. Une difficile mais belle lecture . inspirant cette critique certainement bien trop rudimentaire.
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Merci Babelio et MasseCritique pour ce superbe essai.
Fréderic Joly revient sur LTI, la langue du IIIe Reich par l'intellectuel Victor Klemperer. Avec le bon dosage, il nous propose un résumé des grandes idées du titre en les mettant en parallèle avec la biographie de l'auteur, son quotidien de juif intellectuel dans un pays qui bascule dans le fascisme et ensuite dans la guerre. Frédéric Joly ne se contente pourtant pas de cette lecture biographique déjà saisissante, il dresse des parallèles avec les intellectuels de l'époque, interroge la réception du texte et surtout le met en lumière par le travail de philologue romaniste entrepris bien avant que le petit caporal ne se pointe dans le paysage politique.
Ensuite, Joly interroge notre rapport à la langue, au langage et au risque d'une utilisation uniquement performante. Cet essai n'est pas titre c'était-mieux-avant ou un larmoyant bouhou-on-ne-respecte-plus-lacademie, au contraire il est un plaidoyer pour la nuance et la contextualisation qui font souvent défaut de nos jours. Il est aussi un rappel (ou un avertissement?) que lorsque les élites (politiques, commerciales, autres) s'emparent de la langue, les éléments de la langue, élément immatériel de notre quotidien, peuvent changer profondément notre perception de la vérité et donc notre vie.
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critiques presse (1)
Bibliobs
10 septembre 2019
Dans « la Langue confisquée », Frédéric Joly relit Victor Klemperer, auteur de l’exceptionnel « LTI. La langue du IIIe Reich ». Un éclairage saisissant à l’heure des « fake news » et des éructations populistes.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Staline semble chérir autant que le défunt Führer les métaphores mécanistes – indice sûr, note Klemperer, d'une volonté de « mise au pas ». Un constat qui n'augure vraiment rien de bon et que viennent confirmer au quotidien les agissements des militaires soviétiques stationnés à Dresde, entre autoritarisme, je-m'en-foutisme intégral et, souvent, gangstérisme.
P 178
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En effet , s’il serait aujourd’hui à la fois faux et déplacé de parler d’une dépossession radicale du sujet parlant , d’un déracinement entier du « critère éternel de la vérité et du mensonge » , ce critère semble tout de même susciter l’indifférence de beaucoup. Nombreux sont ceux , à l’évidence , qui ne se soucient pas du vrai, et assez nombreux aussi ceux dont la profession consiste à faire en sorte que ce vrai cesse d’être une valeur. Aux ingénieurs de l’âme de Lénine auraient succédé des ingénieurs du chaos , ces spécialistes du traitement et de la manipulation des mégadonnées , passés maître dans l’art d’instiller la confusion dans les esprits.
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De nouveaux problèmes se posent et de nouveaux écueils guettent. Et un paramètre majeur semble être, comme au début du siècle précédent, mais selon de tout autres modalités , la non-contemporanéité., soit cette coexistence, fondamentalement problématique pour la cohésion du tissu social, de temporalités différentes -en l’occurrence de présentismes différents- au sein même des populations. Et qui dit temporalités différentes dit intérêts divergents et langages différents.
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Un langage qui, s’il était d’une pauvreté affligeante, s’il recyclait plus qu’il n’inventait, se voulait néanmoins d’une redoutable efficacité, capable de communiquer à la population l’ »élan » qui le mènerait à la victoire finale , capable d’impulser dans le cœur du peuple le « mouvement » qui allait le porter jusqu’à l’anéantissement total
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Videos de Frédéric Joly (3) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Frédéric Joly
Présenté par Robert Maggiori, philosophe co-fondateur des Rencontres Philosophiques de Monaco et critique littéraire.
« Pourquoi lire (13 bonne raisons au moins) », co-écrit par Annie Ernaux, Philippe Garnier, Jürgen Habermas, Eva Illouz, Frédéric Joly, Esther Kinsky, Sibylle Lewitscharoff, Nicolas Mahler, Oliver Nachtwey, Katja Petrowskaya, Hartmut Rosa, Clemens J. Setz et Joëlle Zask. Publié chez Premier Parallèle, 20€, 240 pp.
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