Je cherchais un livre d'un auteur du Maghreb pour un challenge dont c'est l'objet (entre autres), sans grand succès… car à part les innombrables points de vue sur la guerre d'Algérie ou autres sujets d'actualité politique plus récents (et notamment le printemps arabe), on semble errer dans un désert littéraire, du moins pour ce qui est arrivé jusqu'en Europe – j'exagère à peine. Jusqu'à ce que, au détour de mes recherches, je tombe sur cet auteur inattendu, et ce n'est même pas ce titre que j'avais repéré en premier lieu, mais bien
L'insoumise de la porte de Flandre : mais c'est à Bruxelles, ça ! plus précisément à Molenbeek, commune de triste réputation parfois, limitrophe de la mienne… et aussi cet arrêt de tram où je descendais autrefois (avant mars 2020), quand je prenais le tram 51 pour aller au bureau, et de là je faisais une petite balade dans les rues du vieux Bruxelles jusqu'à ma correspondance métro… Nostalgie !
Mais alors, les chemins du choix des livres sont bien impénétrables ! En effet, comme je le fais presque systématiquement quand je découvre un nouvel auteur potentiellement intéressant, je parcours ses autres titres avant d'arrêter mon choix… et c'est ainsi que je suis tombée sur celui-ci, qui tout à coup m'a fait craquer, malgré une note assez tristounette. le roman autour de la porte de Flandre est bien sûr dans ma Wish List, tandis que j'embarquais pour une lecture en Yorkshire. Et je suis enchantée !
Le format court de ce roman ne permet qu'une brève tranche de vie du jeune chercheur en économétrie Adam qui, ayant obtenu un poste à l'université de York, s'embarque de façon plus privée dans une étude ethnographique du peuple anglais, s'inspirant des grands explorateurs, comme
James Cook qui apparaît à plusieurs reprises. On imagine sans difficulté que cet Adam représente l'auteur lui-même... Pour son étude, Adam se rend régulièrement au pub du coin, le Blue Bell, où il rencontre une galerie de personnages improbables –dont la fameuse « femme la plus riche du Yorkshire »- et pas forcément représentatifs du peuple anglais, du moins pas tel qu'on l'imagine depuis notre Europe continentale. Mais peu importe : même si ces personnages ne sont pas forcément crédibles, on se prend au jeu car Adam est attachant dans sa naïveté à traquer l'Anglais-type. Et surtout, à travers ses anecdotes du Blue Bell, mais aussi des souvenirs de l'enfant qu'il était dans la petite ville d'Azemmour au Maroc ou l'étudiant à Paris, le tout orné de 1.001 digressions, l'auteur dénonce un certain racisme ordinaire – on l'adule presque en tant que parisien, mais la minute d'après on le fuit quand il révèle qu'en fait il est marocain, pour ne citer qu'un exemple ! et son étonnement proche de l'ébahissement lorsque, quelquefois, on continue de le considérer comme un autre humain, tout simplement, malgré ses origines. La question est posée, aussi, tout au long du livre : à partir de quand est-on « l'étranger » de l'autre, et pourquoi certains peuples « primitifs » doivent-ils être étudiés par des ethnographes, alors que d'autres au nom de leur modernité n'auraient rien à (dé)montrer?
Le tout est écrit dans une langue enlevée et plutôt érudite, truffée de citations et autres passages essentiellement en anglais (mais parfois en latin, j'ai aussi repéré de l'italien… ou du français), qui ne renvoient jamais à aucune note de traduction (qui aurait sans doute gâché le plaisir, de toute façon), mais aussitôt intégrés ou reformulés dans le texte, ce qui les rend légers, presque vaporeux parfois. Toute cultivée que soit cette écriture, on n'a jamais le sentiment d'une prise de tête, car cette plume est saupoudrée d'autodérision pleine d'un humour toujours très fin et piquant qui fait ne fait pas de ravages incontrôlés, mais qui fait sourire tout au long du livre.