Ce deuxième tome du Miroir des Limbes est sous-titré
La Corde et les Souris, d'après un petit conte, du genre zen, qu'on retrouve en exergue. le côté fictionnel est plus manifeste, et patent dans la dernière histoire intitulée
Lazare.
Lazare est encore une confrontation à la mort, écrite lors d'une hospitalisation de
Malraux, mais il raconte aussi une histoire où le commandant Berger (son pseudonyme de résistant) se retrouve dans l'armée allemande sur le front russe pendant la première guerre mondiale, plus précisément pendant une attaque au gaz. Une attaque qui débouche sur une improbable fraternisation entre les soldats allemands et russes.
Je suis étonné qu'on accuse autant
Malraux de mythomanie et de mensonges ; pourquoi lui et pas les autres ? Surtout les autres romanciers mais même les autres mémorialistes. Au contraire, il y a une forme de sincérité sur le travail d'écrivain dans ces
Antimémoires : comment les images, vécues ou pas, se mêlent et comment on construit un récit avec tout ça ; en filigrane on comprend qu'écrire était loin d'être une activité anodine pour lui. Il s'en explique assez clairement dans
Lazare, il me semble : « Des images ne composent pas une biographie, des évènements non plus. C'est l'illusion narrative, le travail biographique, qui créent la biographie. Qu'a fixé
Stendhal, sinon des moments de la sienne ? Chacun articule son passé pour un interlocuteur insaisissable : Dieu, dans la confession ; la postérité dans la littérature. On a de biographie que pour les autres », « Et qu'est-ce qu'un passé qui n'est pas une biographie ? Une conscience d'exister, plus profonde que la connaissance, et même que toute autre conscience ? », « L'ultime conscience n'a rien de commun avec le souvenir de nos actes ni la découverte de nos secrets. On n'est pas son histoire pour soi-même ». Tout est le témoignage d'une conscience.
D'ailleurs il ne fait pas plus la biographie de Picasso et
De Gaulle, à peine donne-t-il une image de leurs personnalités à travers des dialogues. Ce qui l'intéresse c'est ce qu'on fait ces hommes. Peut-être que Picasso, en tant qu'artiste, révèle quelque chose de notre civilisation, dans sa constante révolte, la métamorphose de son style, sa profusion. En ce qui concerne la raison de leur action, elle est la même pour tous les hommes, chacun avec sa réponse personnelle : « Pendant l'hiver de 1943, entre les Eyzies illustres et Lascaux inconnue où nos armes étaient cachées, je me suis demandé, en rêvant des troupeaux de rennes au loin dans la neige préhistorique, si l'homme est né lorsque pour la première fois, devant un cadavre, il a chuchoté : « Pourquoi ? » Il s'est beaucoup répété depuis. Inépuisable bête. »
Lazare est un excellent livre, écrit par un agnostique attentif, trop conscient de la mort et de l'importance des relations que chacun entretient avec elle pour finir en dogmatique agressif. le petit chapitre où il est question de Mai 68 est très bien fait aussi, assez amusant. Peut-être que
Malraux, fumeur de haschich, qui adorait l'Inde et les voyages, aurait été un parfait hippie, s'il était né trente ans plus tard et s'il n'y avait pas eu le freudo-marxisme ?