Enfin j'en ai vu la fin....
Il n'est pas très épais ce livre, les gros pavés de mille pages et plus ne me font pas peur, mais la manière d'écrire de
Richard Millet , son style quoi, en a rendu la lecture particulièrement pénible. Les phrases sont longues avec des subordonnées alambiquées, les chapitres sont des blocs de fiel qu'aucun paragraphe ne vient alléger. J'étais dans ce roman comme un nageur manquant de souffle ne voyant jamais arriver la plage salvatrice. Paradoxalement j'ai pu apprécier la beauté indéniable de certaines images, le savoir faire de Millet dont on peut vraiment dire qu'il a du "style". Il est bien loin du charabia de quelques écrivains que je ne citerai pas. Quand il emploie des temps peu usités il ne se trompe pas, lui, dans la concordance des temps....
Il y a la forme. C'est fait. Maintenant quid du fond ? Pas de mystère quant au lieu : c'est le Limousin, plus particulièrement le Plateau de Millevaches, endroit emblématique de
Richard Millet. le Plateau de Millevaches c'est formidable pour la randonnée mais pour y vivre.....Et c'est bien là le problème de la narratrice, je
une femme.... plus très jeune, servant de bonniche, de serveuse, de servante, dans le restaurant que tient son vieil oncle au bourg de Saint-Andiau. Millet a le génie, malgré (ou à cause de ?) ses longues phrases, de plonger le lecteur dans l'ambiance de lassitude résignée qui va baigner toute l'oeuvre jusqu'à la fin. Les évènements relatés dans le roman se déroulement en Hiver . le bourg de Saint-Andiau se meurt, les vieux meurent, les jeunes partent, les commerces ferment, quelques anglais rachètent à prix d'or les vieilles masures.....
Richard Millet décrit excellemment son Limousin en perte de vitesse, en désertification.
Dans le restaurant de son oncle (ouvert que le midi et le seul qui reste au village...) la narratrice tombe amoureuse du nouveau "maître d'école" nommé par l'Inspection académique. C'est un écrivain qui vient de Paris, fatigué du petit monde littéraire du 6e arrondissement. Il est néanmoins natif du coin. On ne peut s'empêcher de penser que le nouveau professeur des écoles a de grandes ressemblances avec un certain
Richard Millet...
Le roman sera donc la narration des affres consécutifs à ce coup de foudre, non partagé, d'une presque vieille fille qui n'a jamais connu l'amour , pour un ex-écrivain plus très jeune qui préfèrera à la "native" du coin une je
une femme turque. Car une nombreuse minorité de travailleurs turcs sont présents dans les exploitations forestières du coin....
Langue magique de Millet ( bien qu'ordonnée en des phrases aussi longues qu'un jour sans soleil en Limousin, je le répète....) pour nous faire ressentir la dévoration de l'amour chez cette femme pétrifiée, déjà morte comme elle le sous-entend souvent dans sa narration. La mort et le sang personnifiés par le couteau de boucher qu'elle porte toujours sur elle , planent sur le roman ajoutant à l'atmosphère de déréliction. Si la narratrice n'a rien à attendre des hommes ici bas, le ciel est aussi vide ; nulle rédemption à espérer. Toujours et jusqu'à la fin des Temps l'Amour se conjuguera avec la Mort , le sexe de l'homme avec le couteau qui fend les chairs.
Des Babéliens s'étonneront alors peut-être que j'ai mis quatre étoiles à ce livre qui m'a donné tant de peine à lire. C'est que la beauté de la prose de Millet a emporté mes réticences. Nul doute que ce personnage plutôt clivant (voir son blog :-) soit un très grand écrivain. Quelques uns trouveront certainement que ses obsessions sont déplacées et convoqueront peut-être les grands mots : racisme,fascisme, islamophobie, à partir desquels aucune discussion n'est possible. Mais d'autres, tel son "païs"
Pierre Jourde, auvergnat lui aussi, ne s'y sont pas laissé prendre , refusant de signer le texte de mise à l'index inspiré par
Annie Ernaux . Cependant
Richard Millet aurait pu avoir l'élégance dans ses vitupérations 2.0 de ne pas transformer le nom de cette écrivaine, dont j'ai beaucoup aimé "
Les années", en Annus Ernie. S'il est doué pour les belles phrases qu'il oublie les jeux de mots.