Eloge du Repos ou quand
Paul Morand peste contre
l'homme pressé…
C'est le joli mois de mai, mois de mue-gaie ! mai 1936, 1er mai, jours fériés, comme un air de vacances printanières…
“Le vrai secret pour avoir de la santé et de la gaieté est que le corps soit agité et que l'esprit se repose : les
voyages donnent cela”
Dans la lignée du Droit à la Paresse de
Paul Lafargue ou de l'
Éloge de l'Oisiveté de
Bertrand Russell,
Paul Morand signe en 1937, en plein Front Populaire, un petit essai à destination des nouveaux vacanciers de France qui profitent des réductions des tarifs des transports ferroviaires de 40% de la toute jeune SNCF, décidés par Léo Lagrange (et qui existent encore aujourd'hui si jamais…).
Mais d'abord, c'était quoi le Front Populaire ? Sous la IIIe République, régime parlementaire, en moins de deux ans, sans recours à l'article 49.3 (qui n'existait pas) et avec plusieurs crises gouvernementales, Léon Blum et ses alliés de la gauche unie mettent en place des réformes à faire tourner la tête : réduction du temps de travail, hausse des salaires, premières femmes ministres, nationalisation de la SNCF, festival de Cannes, création du CNRS, prolongation de l'instruction des enfants jusqu'à quatorze ans, premier noir, Félix Éboué, nommé Gouverneur de Guadeloupe, avancées en terme de démocratie sociale inédites entre les partenaires sociaux, tentatives d'amélioration du sort des colonies et des étrangers en métropole etc… et bien sûr, l'avènement des congés payés, deux semaines de repos accordées aux travailleurs français que même le régime fasciste de Vichy, qui se construit comme la négation de principe de l'oeuvre du Front populaire, n'osera pas remettre en cause…
L'écrivain français offre un témoignage de l'effervescence des premiers congés payés : “il suffit de regarder nos rues ou nos routes un samedi pour constater que les lois nouvelles ont bouleversé la vie nationale. Les jeunes s'y sont adaptés sur l'heure : ils partent, ils courent, ils bondissent et c'est plaisir de les voir prendre d'assaut les gares, enfourcher les motos qui s'arrachent du pavé, sauter dans les trains en marche, sans autre bagage que leur élan vital.”
Morand, diplomate dilletant, a néanmoins quelques conseils à donner car “il existe une technique du congé” et “l'oisiveté exige tout autant de vertus que le travail” dans un pays qui travaille trop ! Ce n'est pas nouveau, si la productivité française est aujourd'hui une des meilleures d'Europe, ce que semblent continuellement ignorer les chantres du “travailler plus pour… travailler plus”, dans les années trente déjà
Morand souligne que les français travaillent énormément, ils ont le goût du labeur, et passent leurs dimanches à bricoler.
L'écrivain craint, avec raison, que l'on créé à ces nouveaux estivants de nouveaux besoins artificiels les éloignant de l'oisiveté, la méditation et le ralentissement du mouvement de la vie, mais pour cela il faudrait faire montre de moins d'infantilisme, et surtout de pessimisme ce qui caractérise pour lui l'esprit des français,
Morand invitant plutôt à cette “dilatation gratuite de l'être qu'est la joie.”
“
Malraux me disait un jour que la lutte des classes n'avait vraiment pris toute son acuité que depuis que le cinéma avait fait voir, et comme toucher du doigt aux prolétaires, le luxe dans les demeures des riches, réalisant ainsi à son insu le mot atroce de Lassalle : nous leur ferons comprendre malgré eux qu'ils sont malheureux.” Ce petit opus est drôle et insolite dans la mesure où le parrain des Hussards, collabo notoire, n'était pas tout à fait un homme de gauche, comme quoi les congés c'est trans-partisan, si certains s'en plaignent ils peuvent en faire don aux autres !
“tout voyageur est, pour le temps de son voyage, candidat à une nationalité d'emprunt.”
Morand touriste professionnel, donne quelques avertissements de comportement aux français dont la réputation en villégiature les précède. Il vante aussi les vertus du sport, à une époque où l'éducation physique devient, grâce au ministre Jean Zay, une composante de l'instruction publique, que ce soit la marche en forêt ; “il n'y aura jamais trop d'arbres” souligne-il bien conscient des enjeux en terme d'absorption de CO2 (nous sommes en 1937.. pour ceux qui redécouvrent l'écologie tous les six mois), ou prendre les eaux des rivières ou des plages côtières, mais aussi le camping et l'avion.
Qu'en pensez-vous ?