A travers les témoignages des proches qui l'accompagnèrent à la fin de sa vie, Artaud prend ici une figure mythique. Il me semble qu'il serait assez satisfait du résultat, encore qu'avec ce grognon, on ne sache jamais...
Parfois les points de vue se contredisent, selon les intérêts, les rivalités multiples. Pourtant un même amour pour l'homme-poème, une entité à part dans le monde des arts et de la littérature, les unit.
Artaud est un homme révolte, un homme cri, un homme palimpseste, un homme douleur.
Artaud se sent le Christ et il détrône l'autre, l'imposteur, qui n'a pas su sauver les hommes.
Artaud est un mystique délirant qui a les pieds sur terre et qui sait qu'il est en train de mourir.
C'est pourquoi il exerce cette fascination : qui, de ses amis, à part
Colette Thomas, est parvenu à accueillir la souffrance jusqu'à risquer la folie ?
Gérard Mordillat et
Jérôme Prieur , dans leur livre paru en 2020 et accompagné du DVD du documentaire "La véritable histoire d'Artaud le Momo", nous font rencontrer ceux qui étaient encore vivants en 1992.
Parmi eux :
- Anie Besnard, la petite amoureuse d'Artaud ;
-
Marthe Robert, spécialiste de
Kafka ;
-
Paule Thevenin, qui passa 40 ans de sa vie à reconstituer ses cahiers et à les éditer (chez Gallimard) ;
-
Henri Thomas, écrivain ;
-
Henri Pichette, poète ;
-
Denise Colomb, sa photographe préférée ;
- Jacqueline Adamov, psychanalyste, épouse d'Arthur Adamov,
et bien d'autres.
Sont aussi évoquées les figures de plusieurs peintres ( Pierre Courtens, Gustav Bolin...) ainsi que le souvenir du poète maudit mort en 1951
Jacques Prével, auteur du journal "En compagnie d'
Antonin Artaud" également mis en scène par
Gérard Mordillat en 1993 ;
Et, évoquant
Jacques Prével, nous rencontrons, en chair et en os cette fois, Rolande Prével, son épouse, et Jany de Ruy, sa seconde compagne (liaison hautement désapprouvée par Artaud, qui, au sujet des moeurs, avait des considérations très peu permissives : la sexualité et la génération étant à l'origine de l'enfermement de l'homme dans la chair, dans la souffrance et dans la grande escroquerie chrétienne d'un Dieu fornicateur par personne interposée, il faut les bannir, absolument).
On ne lui connut, du reste, de relations charnelles certaines qu'avec une seule femme, Génica Athanasiou, jeune actrice roumaine, avant son internement en 1937 (et peut-être avec Cécile Schramme durant leurs brèves fiançailles, puisqu'ils vécurent ensemble, mais on sait que vivre avec Artaud n'était pas synonyme de coucher avec lui).
En tous cas, de l'avis de tous, ses autres liaisons furent platoniques, dont celles avec Anie Besnard et
Colette Thomas. A cela plusieurs raisons, son système métaphysique d'abord, très tôt élaboré, et probablement aussi, la mise à distance de ses pulsions par le laudanum.
Antonin Artaud cependant, préférait incontestablement les femmes aux hommes, jeunes, intelligentes et jolies si possible. Il était souvent amoureux : "Seuls l'homme et la femme qui peuvent se rejoindre au-dessus de toute sexualité sont forts", disait-il, et "L'obsession des femmes est vitale, elle correspond à un besoin de vertu". L'amour chaste, comme aiguillon de la création ?
Ce document a été élaboré avec passion. On y sent vivre Artaud, ce phénomène qui fut en lui-même une oeuvre d'art, une "performance" ambulante. C'est pourquoi il est nécessaire, comme le sont les choses vraiment nécessaires : quand on l'a goûté, on a l'impression qu'on n'aurait rien compris sans son éclairage.