"L'espace d'une seconde, l'un d'eux nous fait voir le monde mieux qu'en plein jour" (p. 95) : ainsi
Dominique Noguez caractérise-t-il fort justement l'aphorisme dans la postface de ce nouveau recueil. Romancier adapté à l'écran, ex-professeur de philosophie, essayiste spécialiste de cinéma expérimental et « découvreur » de
Michel Houellebecq, l'auteur retrouve ici l'inspiration d'"
Oeufs de Pâques au poivre vert"[1], le même sens de la dérision, teinté d'un élégant pessimisme. Généralement drôle, lauréat du grand prix de l'humour noir en 1999[2], et pataphysicien, D. Noguez mériterait amplement de figurer dans la fameuse anthologie surréaliste, aux côtés du scientifique-moraliste
Lichtenberg[3] et d'
Alfred Jarry : "Tout comme on donne de jolis prénoms féminins aux cyclones, on devrait donner des noms de monstres aux heureux évènements" (p. 30) ; "Belle peau bronzée n'en finira pas moins rongée par les vers" (p. 66) : écrites dans une langue classique et limpide, aigue, ces petites phrases confinent parfois à une forme d'incongruité volontaire, à l'absurde littéraire d'un disciple du Docteur Faustroll. D. Noguez n'y épargne pas ses contemporains, pas plus qu'il n'épargne une époque où la culture livresque semble reculer. "Poète : oiseau dans un monde où il n'y aura bientôt plus de branches", lisons-nous page 38. Par-delà les considérations existentielles, Noguez demeure, au sens noble du terme, un homme de Lettres, et les jugements sur d'autres créateurs ne manquent pas, parfois durs, intransigeants, notamment lorsqu'il évoque le côté "veuve d'
André Breton" de
Julien Gracq (p. 29), ou encore "L'axe Mallarmé –Almanach Vermot- Jacques Lacan" (p.52). Souvent sévères, mais généralement justifiées, ces brèves observations sont tempérées, adoucies par la malicieuse ironie de l'écrivain. On rit, ou plutôt on sourit. Illustrées par les magnifiques dessins de
Pierre Le-Tan, ces "
Pensées bleues" raviront autant les amateurs confirmés du genre court, que les néophytes ou les lecteurs occasionnels.
[1] Zulma, 2008.
[2] Pour son livre
Cadeaux de Noël, Zulma, 1998.
[3] Physicien et philosophe allemand,
Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799), nous a laissé de nombreux
aphorismes aujourd'hui célèbres, et dont certains figurent précisément dans L'
Anthologie de l'humour noir d'
André Breton. Citons notamment cette phrase chère à
Serge Gainsbourg, grand lecteur du moraliste : La laideur a ceci de supérieur à la beauté, c'est qu'elle dure.
Critique d'
Etienne Ruhaud parue dans "Diérèse".
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