On en arrive ainsi, comme le remarque Wendy Brown, à une situation où la gauche est plus attachée à sa marginalité et à ses échecs qu'à sa fécondité potentielle. Elle s'accroche à un passé fantomatique, elle regarde en arrière et manifeste un penchant à l'autopunition. Tout cela donne à penser qu'il faut reconsidérer le rôle des sentiments et des émotions qui "soutiennent" la gauche dans ses attachements et ses projets : en quoi induisent-ils des positions potentiellement conservatrices, voire autodestructrices ?
La concurrence devient alors la seule norme de comportement qui vaille. Elle se substitue à l'échange qui est la norme de la société libérale et dont il faut souligner qu'il n'est pas réductible à l'échange économique. On n'échange pas seulement des biens : on échange des mots, des paroles, des arguments, des opinions, des connaissances et des savoirs, des biens culturels et symboliques. L'échange met les sujets en relation alors que la concurrence les met en position d'individus séparés et atomisés.
[Adam] Smith écrit que "ce n'est pas de la bienveillance du boucher, du boulanger, ou du marchand de bière que nous attendons notre dîner mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité mais à leur égoïsme ; et ce n’est jamais de nos besoins que nous leur parlons, mais toujours de leur avantage." Mais il écrit également que si égoïste soit-il (ou supposé tel), l'homme a dans sa nature certains principes "qui le conduisent à s'intéresser à la fortune des autres et qui lui rendent nécessaire leur bonheur, quoi qu'il n'en retire rien d'autre que le plaisir de les voir heureux".
On comprend mieux pourquoi la lecture de "La Princesses de Clèves" par le candidat aux concours administratifs est non seulement inutile au regard de son insertion dans le marché du travail mais contre-productive. Car, à la lecture de ce texte, la "guichetière" risquerait d'être dangereusement habitée par un trouble intérieur. Comment pourrait-elle (et devrait-elle) comprendre par exemple le comportement apparemment incohérent - échappant en tout cas à toute rationalité calculante - de la princesse de Clèves qui n'obéit ni à la logique de l'intérêt ni à celle de la satisfaction, encore moins à celle de la jouissance ?
Cet État managérial (state gouvernance) invoque constamment, pour justifier sa politique, les termes de la modernisation, de la rationalisation des choix budgétaires, de la réforme de l'État (la RGPP : "révision générale des politiques publiques"). La référence à un quelconque "bien commun" s'est effacé au profit du rapport entre les moyens et les résultats, mesuré de façon quantifiable, qu'il s'agisse de la réforme de la Poste, de la "privatisation" (qui en désigne pas tant le retrait de la puissance publique qu'un modelage de son fonctionnement et de ses finalités sur celles des l'entreprise), d'EDF, etc.
Mazarine Pingeot vous présente l'ouvrage "Ainsi meurt la démocratie" de Chantal Delsol et Myriam Revault d'Allonnes aux éditions Mialet-Barrault dans la collection Disputatio. Entretien avec Pierre Coutelle.
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Note de musique : © mollat
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