Lors d'une flânerie dans ma librairie indépendante, Les passeurs du texte, rue Émile
Zola à Troyes, je remarque et emporte le dernier roman de
Mathieu Riboulet, édité à titre posthume, un auteur que je découvre, c'est la beauté de la littérature, cet univers si vaste, que l'on explore sans cesse,
Les portes de Thèbes viennent enrichir le cercle fermé de mes lectures. J'explore avec beaucoup de curiosité la biographie et la bibliographie de cet auteur qui fait défaut à ma culture, pour m'enrichir un peu plus de cet univers littéraire, arpenter sans relâche cette montagne sans sommet de la connaissance, du savoir et de la vérité, celle souvent obscurcie dans les ténèbres politiciennes sournoises, des médias aveugles, d'une société manipulatrice où le complotisme est l'excuse à tout combat de la vérité pour nier 1984, qui plane déjà sur notre planète, Orwell n'est plus, sa propagande sombre noircit la lumière de nos regards,
Mathieu Riboulet est né en 1960, il meurt d'un cancer en 2018 à Bordeaux, le figaro le considère comme une auteur subtil et sulfureux, son oeuvre est l'empreinte d'un homme torturé par la violence du monde qui l'entoure et la beauté sensuelle de la chair sans pudeur entre hommes, ne cachant pas son homosexualité, ce roman posthume est presque un testament, l'auteur se meurt d'un cancer, syndrome génétique familiale, comme lui, le monde se fissure sous l'emprise de guerre, d'attentats, nous nous tuons entre nous, son corps implose de l'intérieur, la mort ne lui fait pas oublier les passions de la chair et son attirance pour les hommes,
Les portes de Thèbes s'ouvrent dans ce sous-titre les éclats de l'année deux mille quinze où l'auteur laisse des débris multiples joncher dans les interstices des silences où coule sa prose passionnée et poétique, une musique ondule tout le long de ce roman d'espoir déçu et de corps à corps brûlant.
Le roman débute par l'annonce du cancer de son père, un diagnostic de tradition généalogique, l'auteur lui-même va continuer cet héritage, le cancer va avoir raison de son corps pour lui prendre la vie aussi, cet ouvrage relate ce corps malade et la mort sournoise qui va le happer vers cette destinée qui l'entoure : les attentats et la guerre impérialiste, c'est l'analogie de la haine et de l'amour, une écriture percutante et déroutante, une poésie amère et sensuelle,
Mathieu Riboulet déroute avec ce roman court, son titre est révélateur,
Les portes de Thèbes, allusion à la pièce
Les Sept contre Thèbes, une tragédie grecque d'
Eschyle, une lutte qui oppose Étéocle et Polynice, les frères d'Antigone et ce sous-titre Éclats de l'année deux mille quinze, où se superpose la diagnostic de son cancer du foie et les horreurs de ce mois de novembre de l'an deux mille quinze, toute l'intimité de
Mathieu Riboulet devient une universalité collective, son corps meurtri devient celui de l'Europe, de ce monde malade-« le corps malade de l'Europe, le corps malade du monde, c'est le mien. » Cette trouble impression que notre société qui se meurt, c'est en lui qu'elle prend racine pour y germer ce cancer, cette maladie n'est plus familiale, elle est collective, nous appartenons à une seule famille, celle des hommes et femmes habitants la terre, il s'interroge « Entrez sans frapper, voyez l'état du monde ; comment ne pas tomber malade ? »
Il y a de la folie dans la prose de
Mathieu Riboulet, de l'emphase, lorsqu'il termine certains paragraphes avec une phase qui débute par l'interjection Oh, une belle envolée lyrique, comme un cri du coeur qui perce sa chair de part en part pour, pour boucler sa première partie avec un poème où l'alexandrin est roi, laissant la sensibilité de notre auteur peintre avec sensibilité ses émotions passionnelles, ce tableau de Thèbes et des ces sept amants terroristes, un autre poème dans cette architecture désordonnée, fragmentaire que rédige
Mathieu Riboulet dans sa deuxième partie du livre, faisant écho au premier, entremêlant son présent et ce passé avec celui des autres , des sept autres arabes ou musulmans, une novlangue qui perturbe notre amoureux des corps masculins ténébreux, bruns qui se donnent à lui, sans pudeur, le sexe devient une arme de paix et d'apaisement, l'orgie excitante d'être celui qui suce les queues de ces sept égarés, d'être là, entourés de des sept et de leur pomper leurs dards tendus comme des épées…. Ces passages sont une continuité du personnage
Mathieu Riboulet, il assume sa personne, son homosexualité et livre ces fantasmes en n'oubliant pas l'attirance qui le lie à ces hommes, et son amour pour un de ces amants qu'il cite, narrant leurs rencontres, leurs étreintes et laissant cet homme devenir la stèle d'un amour unique , le gravant à jamais à lui.
Je vais finir par cet accord inconnu de l'année mille neuf cents seize entre la France et l'Angleterre qui flotte tout au long du roman, comme une blessure ouverte qui n'a pas toujours été cicatrisée, découpant, morcelant le proche orient, séparant Arabe et Turc au profit de ces deux puissances, sans faire intervenir les pays concernés, ce pouvoir occidentale sur les autres, cette puissance coloniale toujours présente, cette faiblesse de voler les richesses, de presser comme une orange ces terres pour en extraire les matières premières,
Mathieu Riboulet creuse en profondeur dans les rouages de cet accord qu'il nomme Grey-Cambon, les deux noms qui l'ont signé, Edward Grey et Paul Cambon, il dénonce l'arrogance coloniale, la monstruosité politicienne, celle plus imaginative que la littérature pour inventer des fictions et redéfinir le réel, comme la guerre en Irak !
Une lecture forte et prenante, j'ai eu des saveurs Baudelairienne qui se sont échappées de la prose de
Mathieu Riboulet, une forme de révolte Camusien aussi transpire dans ces effluves de ces pages, la mort rode, la mort ronge, la mort c'est la vie aussi,
Mathieu Riboulet est un écrivain fougueux, engagé, amoureux, réaliste et le feu qui l'anime, on le retrouve dans son écriture, il faut de temps en temps venir à lui et oser se perdre dans ce marécage littéraire sans s'y noyer, juste découvrir la beauté du lieu et la magie des mots.