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EAN : 9782378560492
80 pages
Verdier (09/01/2020)
3.77/5   15 notes
Résumé :
« Je consigne ici la crainte récurrente qui me prend à la gorge : que l’insignifiant drame que constitue, pour moi seul ou presque, l’horizon de ma mort, ici chanté en contrepoint des tragédies tressées qui embrasent le monde où je me suis inscrit, n’incite à la méprise, au vieux soupçon d’orgueil ; car en effet qui suis-je pour poser mon parcours en poids équivalent aux désordres mortels qui broient tant de mes frères ? car qui suis-je en effet pour oser célébrer c... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Lors d'une flânerie dans ma librairie indépendante, Les passeurs du texte, rue Émile Zola à Troyes, je remarque et emporte le dernier roman de Mathieu Riboulet, édité à titre posthume, un auteur que je découvre, c'est la beauté de la littérature, cet univers si vaste, que l'on explore sans cesse, Les portes de Thèbes viennent enrichir le cercle fermé de mes lectures. J'explore avec beaucoup de curiosité la biographie et la bibliographie de cet auteur qui fait défaut à ma culture, pour m'enrichir un peu plus de cet univers littéraire, arpenter sans relâche cette montagne sans sommet de la connaissance, du savoir et de la vérité, celle souvent obscurcie dans les ténèbres politiciennes sournoises, des médias aveugles, d'une société manipulatrice où le complotisme est l'excuse à tout combat de la vérité pour nier 1984, qui plane déjà sur notre planète, Orwell n'est plus, sa propagande sombre noircit la lumière de nos regards, Mathieu Riboulet est né en 1960, il meurt d'un cancer en 2018 à Bordeaux, le figaro le considère comme une auteur subtil et sulfureux, son oeuvre est l'empreinte d'un homme torturé par la violence du monde qui l'entoure et la beauté sensuelle de la chair sans pudeur entre hommes, ne cachant pas son homosexualité, ce roman posthume est presque un testament, l'auteur se meurt d'un cancer, syndrome génétique familiale, comme lui, le monde se fissure sous l'emprise de guerre, d'attentats, nous nous tuons entre nous, son corps implose de l'intérieur, la mort ne lui fait pas oublier les passions de la chair et son attirance pour les hommes, Les portes de Thèbes s'ouvrent dans ce sous-titre les éclats de l'année deux mille quinze où l'auteur laisse des débris multiples joncher dans les interstices des silences où coule sa prose passionnée et poétique, une musique ondule tout le long de ce roman d'espoir déçu et de corps à corps brûlant.
Le roman débute par l'annonce du cancer de son père, un diagnostic de tradition généalogique, l'auteur lui-même va continuer cet héritage, le cancer va avoir raison de son corps pour lui prendre la vie aussi, cet ouvrage relate ce corps malade et la mort sournoise qui va le happer vers cette destinée qui l'entoure : les attentats et la guerre impérialiste, c'est l'analogie de la haine et de l'amour, une écriture percutante et déroutante, une poésie amère et sensuelle, Mathieu Riboulet déroute avec ce roman court, son titre est révélateur, Les portes de Thèbes, allusion à la pièce Les Sept contre Thèbes, une tragédie grecque d'Eschyle, une lutte qui oppose Étéocle et Polynice, les frères d'Antigone et ce sous-titre Éclats de l'année deux mille quinze, où se superpose la diagnostic de son cancer du foie et les horreurs de ce mois de novembre de l'an deux mille quinze, toute l'intimité de Mathieu Riboulet devient une universalité collective, son corps meurtri devient celui de l'Europe, de ce monde malade-« le corps malade de l'Europe, le corps malade du monde, c'est le mien. » Cette trouble impression que notre société qui se meurt, c'est en lui qu'elle prend racine pour y germer ce cancer, cette maladie n'est plus familiale, elle est collective, nous appartenons à une seule famille, celle des hommes et femmes habitants la terre, il s'interroge « Entrez sans frapper, voyez l'état du monde ; comment ne pas tomber malade ? »
Il y a de la folie dans la prose de Mathieu Riboulet, de l'emphase, lorsqu'il termine certains paragraphes avec une phase qui débute par l'interjection Oh, une belle envolée lyrique, comme un cri du coeur qui perce sa chair de part en part pour, pour boucler sa première partie avec un poème où l'alexandrin est roi, laissant la sensibilité de notre auteur peintre avec sensibilité ses émotions passionnelles, ce tableau de Thèbes et des ces sept amants terroristes, un autre poème dans cette architecture désordonnée, fragmentaire que rédige Mathieu Riboulet dans sa deuxième partie du livre, faisant écho au premier, entremêlant son présent et ce passé avec celui des autres , des sept autres arabes ou musulmans, une novlangue qui perturbe notre amoureux des corps masculins ténébreux, bruns qui se donnent à lui, sans pudeur, le sexe devient une arme de paix et d'apaisement, l'orgie excitante d'être celui qui suce les queues de ces sept égarés, d'être là, entourés de des sept et de leur pomper leurs dards tendus comme des épées…. Ces passages sont une continuité du personnage Mathieu Riboulet, il assume sa personne, son homosexualité et livre ces fantasmes en n'oubliant pas l'attirance qui le lie à ces hommes, et son amour pour un de ces amants qu'il cite, narrant leurs rencontres, leurs étreintes et laissant cet homme devenir la stèle d'un amour unique , le gravant à jamais à lui.
Je vais finir par cet accord inconnu de l'année mille neuf cents seize entre la France et l'Angleterre qui flotte tout au long du roman, comme une blessure ouverte qui n'a pas toujours été cicatrisée, découpant, morcelant le proche orient, séparant Arabe et Turc au profit de ces deux puissances, sans faire intervenir les pays concernés, ce pouvoir occidentale sur les autres, cette puissance coloniale toujours présente, cette faiblesse de voler les richesses, de presser comme une orange ces terres pour en extraire les matières premières, Mathieu Riboulet creuse en profondeur dans les rouages de cet accord qu'il nomme Grey-Cambon, les deux noms qui l'ont signé, Edward Grey et Paul Cambon, il dénonce l'arrogance coloniale, la monstruosité politicienne, celle plus imaginative que la littérature pour inventer des fictions et redéfinir le réel, comme la guerre en Irak !

Une lecture forte et prenante, j'ai eu des saveurs Baudelairienne qui se sont échappées de la prose de Mathieu Riboulet, une forme de révolte Camusien aussi transpire dans ces effluves de ces pages, la mort rode, la mort ronge, la mort c'est la vie aussi, Mathieu Riboulet est un écrivain fougueux, engagé, amoureux, réaliste et le feu qui l'anime, on le retrouve dans son écriture, il faut de temps en temps venir à lui et oser se perdre dans ce marécage littéraire sans s'y noyer, juste découvrir la beauté du lieu et la magie des mots.
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Les Portes de Thèbes, Éclats de l'année deux mille quinze, Mathieu Riboulet. Janvier 2020 posthume. Éditions Verdier.

Quand l'intime et le politique se nouent et se lient pour faire état de éclats des corps des morts victimes de l'ingérence des puissants et de l'auteur atteint d'un cancer du foie dont il est mort. Triste prescience sur son cancer qui l'emportera et des morts qui s'amoncelent toujours plus au Moyen-Orient…

« le corps malade de l'Europe, c'est le mien. Frappez et j'ouvrirai. »

« Je consigne ici la crainte récurrente qui me prend à la gorge : que l'insignifiant drame que constitue, pour moi seul ou presque, l'horizon de ma mort, ici chanté en contrepoint des tragédies tressées qui embrasent le monde où je me suis inscrit, n'incite à la méprise, au vieux soupçon d'orgueil ; car en effet qui suis-je pour poser mon parcours en poids équivalent aux désordres mortels qui broient tant de mes frères ? car qui suis-je en effet pour oser célébrer ces deux naufrages muets en langue densifiée ? C'est que, tout simplement, je ne me résous pas à finir en laideur, autant aurait valu disparaître plus tôt, bien plus tôt, aux jours sombres où pointe la conscience des choses. »

À la fois essai et autobiographie, Riboulet mêle ici les attentats de 2015, les accords franco-britannique de 1916 et sa résignation face à son cancer dont il mourra en 2018. le titre renvoie évidemment à la tragédie d'Eschyle Les sept contre Thèbes mais pourtant jamais l'auteur ne sombre dans le pathos propre à la tragédie. Et dieu sait qu'il en est question ici…

Le pessimisme est absolu mais il est pourtant question de lumière quand les corps se fondent*. Ajoutez-y ce goût pour les malfrats, cette obsession de la mort et la beauté de la prose poétique et vous y retrouvez du Jean Genet dont Riboulet se fait l'héritier.
En effet, la plume est d'une subtilité et d'une beauté comme j'en ai rarement lue. le style, poétique, est absolument saisissant. Alexandrins, poème, chant lyrique et faits historiques s'y déploient remarquablement. Il faut plus que de l'audace pour mêler les évènements de 1916 à ceux de 2015 en plus d'un cancer en mêlant tout à la fois le désir et la puissance des corps. Il faut du génie. Ainsi l'horizon de la mort de l'auteur rejoint les douleurs du monde et de tous ces corps sacrifiés.

*Peut-être certaines scènes de fusion homosexuelle dérangeront-elles certains lecteurs.
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Court roman dominé par la fin de vie de l'auteur et par la fin d'un monde connu (et reconnu).
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Citations et extraits (22) Voir plus Ajouter une citation
L’heure est encore aux mots…
  
  
  
  
L’heure est encore aux mots.
Mais elle n’est plus aux jeux.
Nous n’inventerons pas « Thèbes » et ses sept portes,
Nous n’inventerons pas ces stratégies fiévreuses,
Les greniers pleins de blé, les récoltes à sauver
Des désastres certains envoyés par le ciel.
Nous n’inventerons pas ces tactiques nerveuses,
Les chevaux, la poussière et le goût des batailles
Pour sauver nos cités unies dans les conflits.
Nous n’inventerons pas, non plus, les hauts étages du jeu
Auxquels mènent seules les victoires sur l’ennemi,
Ces hauts étages où, muets et au plus près des peaux,
Dans le nu des grands corps,
Nous nous aimons par jeu, par goût et par défi,
Au long d’une rude étreinte, les mains pleines de muscles,
De sueur et de plaisir.
Ô vous que j’ai aimés et qui m’aurez quitté
pour des morts trop terrestres.
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Il a donc fallu que j’accepte l’ouverture de mon corps. Ce n’est pas le moindre des paradoxes du temps : tout se ferme (les hommes, les regards, les frontières, les esprits), et plus tout se ferme plus il me faut ouvrir, c’est la réponse, je ne sais rien faire d’autre. Écrire c’est ouvrir, bien sûr, je sais cela, mais il suffit d’écrire fermé pour que l’élan se perde. Et des livres fermés, il s’en publie à la pelle. Il faut donc s’attacher à écrire des livres ouverts pour raconter des histoires ouvertes, aérer les fictions, valser avec les chronologies, dire que les corps, nos corps, sont encore ce qui s’ouvre et le plus et le mieux et le plus aisément, même quand on ne le veut pas.
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Le seize septembre deux mille un…



Le seize septembre deux mille un, mon père, franchissant
les grilles de l’hôpital où un diagnostic de cancer, pronostic
deux ans, venait de lui être posé, me dit: « Aujourd’hui ton
grand-père aurait eu cent ans et ta grand-mère est morte
depuis cinquante ans », tous deux emportés aussi par un
cancer, gorge pour le premier, généralisé pour la seconde
(où avait-il bien pu commencer je n’en sais rien), pour mon
père ça finirait généralisé aussi (et je ne me rappelle plus
où ça avait commencé), le seize septembre deux mille un,
donc, nous étions là sur ce trottoir, il faisait une chaleur
de bête et nous dressions de conserve la cartographie en
araignée de cette pathologie qui nous prenait filialement
en tenailles puisque cinq ans avant j’avais eu moi aussi
droit à la chose, dans le sang, plus abstrait, un rien plus
chic ou moins trivial, comme on voudra, et qu’il me restait
quinze ans avant d’avoir droit au second, le foie cette fois,
plus mythologique que chic, prométhéen, enchaîné à l’œil
d’aigle, absurde, agissant. Si je me fie à cette chronologie
familiale pathologique, à ses intervalles désordonnés, ses
sautes d’humeur et ses fausses logiques apparentes, je
devrais aller mon train une petite vingtaine d’années
encore, considérant qu’on meurt chez nous, côté masculin,
entre soixante-quinze et quatre-vingts ans, ou beaucoup
moins, considérant que de père en fils on meurt tous les
vingt ans environ, raisonnement qui me laisserait donc sept
ou huit ans. Les chronologies, on le sait, sont des fictions,
il faut s’y fier sans s’y fier, mais de quelque côté que je le
prenne, le vol de l’aigle à l’aplomb de mes yeux quand je
suis étendu dit sans ambages le rebours du décompte.

p.9-10
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Le monde depuis deux mille un…



Le monde depuis deux mille un a singulièrement changé,
mais la brutalité qu’il met en œuvre pour se rappeler à
notre bon souvenir, frapper à nos portes ou nous fendre
les os ne varie guère. Le diagnostic de mon père lui a été
livré cinq jours après l’attentat du World Trade Center, le
mien trois jours après qu’une brochette de sept marioles a
laissé cent trente-sept cadavres sur le sol de Paris, dont les
leurs, le treize novembre deux mille quinze. Et j’entame
ce travail à quelques jours du déclenchement, en octobre
seize, de la bataille de Mossoul par l’armée irakienne, le
gouvernement régional du Kurdistan et une poignée de
milices chiites, sunnites et chrétiennes (bel exemple d’œcu-
ménisme) contre les hommes de Daech aux commandes de
la ville depuis juin quatorze.

p.10
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Vous avez conquis Thèbes, craché sur la mémoire de vos pères endormis, et ceux qui, à ma place, souhaiteraient vous aimer sont contraints au néant.
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Vidéo de Mathieu Riboulet
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Peut-on imaginer un banquet sans ce rendez-vous avec l'histoire, sous le couvert de la halle du village, à l'heure apéritive ? Depuis des années, Patrick Boucheron y a installé une marche interrogative et peu à peu collective, textes en main, le nez aux vents du lieu, de ses mémoires, de ses questions. C'est ici, en 2017, qu'avec Mathieu Riboulet il proclama le manifeste fondateur de cette nouvelle étape du banquet, « Nous sommes ici, nous rêvons d'ailleurs », titre de l'ouvrage récemment paru aux éditions Verdier. Cette année, des historiens, des journalistes, des écrivains reprendront avec lui la question de Demain, la veille, dans un dialogue qui tissera, jour après jour, le récit du banquet.
Entretien réalisé pour Corbières Matin, dans le cadre du banquet du livre d'été « Demain la veille » qui s'est déroulé du 5 au 12 août 2022.
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