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Sébastien Guillot (Traducteur)
EAN : 9782207144237
416 pages
Denoël (13/01/2021)
3.41/5   34 notes
Résumé :
1986. Charles Gardner et Roy Curtius sont isolés sur une base en Antarctique. Ils participent au programme de recherche d’éventuels signaux en provenance d’une intelligence extraterrestre. Si Charles est pragmatique et expansif, Roy est taciturne et, surtout, obsédé par la lecture de la Critique de la raison pure.
Leur cohabitation forcée va virer à l’inimitié à cause d’une lettre : une de celles que Charles a reçues et qu’il a accepté de vendre, sans l’avoir... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Adam Roberts est un auteur de science-fiction et fantasy britannique qui n'a, malheureusement, pas été beaucoup traduit chez nous. C'est Bragelonne qui le publie dans l'Hexagone pour la première fois avec sa nouvelle Swiftly dans son anthologie Fantasy de 2005. Il faut attendre trois ans plus tard pour voir son roman Gradisil sur les étalages des librairies françaises, puis 2014 pour la traduction de son Jack Glass par la défunte collection Eclipse. Écrivain multi-récompensé, Adam Roberts fait en ce moment même parler de lui dans la presse anglophone pour son dernier roman en date : La Chose en Soi / The Thing Itself. le Times, le Guardian ou encore Locus acclame la dernière oeuvre d'Adam Roberts, enchaînant les comparaisons élogieuses. Il n'en fallait pas plus pour se pencher sur cet ouvrage de 357 pages dont le titre — et la couverture ! — ne sont pas sans rappeler le fameux The Thing de John Carpenter.

Tout commence dans le froid…
C'est d'ailleurs en jouant volontairement sur cette comparaison qu'Adam Roberts entame son roman. Sauf que, le lecteur le découvre très rapidement, le récit de la Chose en soi a bien davantage d'ambition. Pour expliquer les nombreuses qualités de l'ouvrage, attelons-nous d'abord à en expliquer le postulat de départ.
Antarctique, 1986.
Charles Gardner et Roy Curtius sont deux scientifiques chargés de récolter et d'analyser des données sur d'hypothétiques signaux extra-terrestres dans le cadre du programme SETI. Comme on peut l'imaginer dans cet environnement hostile pour l'homme, la cohabitation entre les deux n'est pas des plus aisée. Surtout que nos deux scientifiques ne se ressemblent guère. Charles Gardner est un homme assez ordinaire, ouvert, cultivé, parfois drôle quand Roy Curtius est un petit génie froid, renfermé, hautain et calculateur. Ce dernier prétend d'ailleurs avoir accompli un sacré exploit : il aurait résolu le fameux Paradoxe de Fermi (En substance, pour ceux qui ne connaissent pas, Pourquoi n'avons-nous encore rencontré aucune vie extra-terrestre dans un univers aussi vaste que le notre ?).
Comment a-t-il réussi ce tour de force ? C'est simple, avec le livre d'un célèbre philosophe : La Raison Pure d'Emmanuel Kant. Bientôt, Charles s'aperçoit que son collègue sombre dans la folie et celui-ci finit même par tenter de le tuer. Alors qu'il est à l'article de la mort, dans le froid le plus absolu, Charles connaît une expérience atroce : il voit une chose terrifiante l'espace de quelques secondes.
Bien des années plus tard, détruit par ce traumatisme tant physique que psychique, Charles est contacté par une mystérieuse organisation qui se fait appeler l'Institut. Celui-ci lui demande une chose inconcevable : reprendre contact avec Roy Curtius enfermé depuis vingt ans dans un hôpital psychiatrique. Il serait en effet la clé d'une révolution totale pour notre monde moderne.
Voici à peu près le véritable départ de la Chose en soi — bien qu'il soit très difficile de résumer l'intrigue d'un tel roman. Adam Roberts commence donc par une histoire qui rappelle, volontairement, le paranoïaque The Thing pour en réalité partir sur une tout autre voie. Son récit, complexe et brillant, croise deux notions : l'une science-fictive avec un travail autour du Paradoxe de Fermi, l'autre philosophique en s'intéressant à vulgariser la Raison Pure de Kant. de prime abord, les deux n'ont pas grand chose à voir. À ceci près qu'Adam Roberts a une idée de base géniale qui est la suivante :
Selon Emmanuel Kant, nous sommes incapables de percevoir la réalité.
En effet, celle-ci n'est que le résultat de ce que nous transmettent nos sens. Ce que nous voyons, sentons, entendons est tributaire de notre conscience, ce qui signifie que la réalité que nous observons est une conception de notre cerveau mais n'est pas la “vraie réalité”. Celle-ci, qu'il appelle The Thing Itself (La chose en soi), nous est inaccessible par la nature même de nos interactions sensorielles avec le réel.
En suivant ce raisonnement, on résout de facto le fameux Paradoxe de Fermi : si nous n'avons jamais rencontré d'alien, c'est parce que nous sommes incapables de les voir. Adam Roberts tire alors le fil de cette idée pour tisser une oeuvre ébouriffante. En effet, si la conscience humaine est la limite qui nous empêche d'approcher la véritable réalité, l'apparition d'Intelligences Artificielles (IA) libère de ce carcan, permettant de vérifier un certain nombre d'interrogations millénaires.

Sommes-nous seuls dans l'univers ?
Dieu existe-t-il ?
Pouvons-nous jouer avec les caractéristiques de notre propre réalité ?
En disciple de Philip K. Dick, Adam Roberts ne fait pas que s'interroger sur le sens du réel mais questionne également les répercussions d'une remise en cause de celui-ci. Dans La Chose en soi, le britannique s'appuie sur le travail de Kant pour emmener son lecteur dans une foultitude d'interrogations toutes plus géniales les unes que les autres. de façon tout à fait remarquable, il vulgarise à tour de bras la pensée Kantienne en employant toutes les analogies possibles et imaginables. Au cours de discussions-fleuves entre ses personnages, il démonte la réalité et offre une perspective géniale au lecteur : si l'on connaît réellement les caractéristiques de la chose en soi, il est possible de modifier à volonté les paramètres du réel. Ainsi, dans la catégorie quantité de Kant, on peut modifier l'espace et ouvrir la voie au voyage sub-luminique. On peut tout aussi bien tordre le paramètre temps et plonger dans le passé. Mieux (mais plus délicat à comprendre), on peut inverser les relations cause-effet. Toutes ces choses qui paraissent bien abstraites dites ainsi sont pourtant parfaitement expliquées et mises en scène par Roberts.

Entrelacement narratif
Au moyen du parcours de Charles Gardner tout d'abord. Ce scientifique loser (et médiocre sur le plan relationnel), est le point d'attache du lecteur dans le fil principal de l'intrigue où Roberts s'amuse à mélanger métaphysique, thriller, complot à la X-Files et Intelligence Artificielle. le revers de la médaille de la densité des idées abordées, c'est évidemment une certaine aridité du texte. Si Charles fait un temps office de seule balise d'empathie dans cette mer de considérations philosophiques, Roberts prend le risque de perdre son lecteur en route. Sauf qu'il a plus d'un tour dans son sac. le premier, évident, est que le propos sous-jacent sur la nature de la réalité ainsi que ses multiples développements(L'existence de Dieu notamment…ou même d'autres catégories définissant la réalité et non découvertes par Kant)s'avèrent tellement passionnants que l'on ne décroche pas. Mais surtout, et c'est le second point, Roberts intercale entre les chapitres de son récit principal sur Charles et l'Institut…des chapitres à travers le temps. À la façon d'un David Mitchell, l'écrivain déroule l'écheveau temporel pour pourvoir y distiller davantage d'humanité mais aussi, et c'est là que la chose devient extraordinaire, pour faire correspondre fond et forme.

Exercices Kantiens
Le philosophe Kant avait établi douze catégories au total pour définir la chose en soi. La Chose en soi est découpé en douze chapitres avec, chacun, un sous-titre entre crochets qui se rattache à l'une de ces catégories. Avec un style sans cesse inventif, Roberts retranscrit dans la forme ce que veulent dire les catégories de Kant. L'exemple le plus brillant est bien évidemment le chapitre huit “The Fansoc for Catching Oldfashioned Diseases” où non seulement le britannique imagine une société futuriste transcendée par l'application des théories Kantiennes mais qui, en prime, ne s'exprime plus de la même façon à l'écrit. Tout est causes et conséquences, avec + et — ou =. Même lorsque tout s'embrouille. Rien que ce chapitre spécifique contient plus d'idées que bien des romans science-fictifs. À côté, on suit les histoires de personnages hautement touchants à travers les siècles. Thomas, le serviteur violé et molesté par son maître, la grossesse de Pénélope et son rapport intime à Gibraltar, l'histoire d'amour entre Adonais et un fantôme du voyage dans le temps…Et bien d'autres choses. Ces récits, loin d'être anecdotiques, renforcent la structure de l'intrigue principale, l'approfondissent et vulgarisent encore davantage les choses. Si vous avez du mal avec le concept de “vraie réalité”, peut-être comprendrez vous mieux en vous imaginant dans la peau de deux touristes explorant Francfort à l'aide d'un guide touristique. Comment ? Croyez-vous réellement visiter Francfort ou explorez-vous la ville à travers le prisme du guide ? Ces comparaisons simples mais ultra-efficaces jalonnent le récit de bout en bout donnant une richesse incroyable au texte d'Adam Roberts.

On pourrait encore écrire des pages et des pages sur La Chose en soi mais c'est en définitif assez inutile.
D'une densité incroyable, le récit d'Adam Roberts laisse pantois par son habilité à changer de forme et à jongler avec les thématiques. À la fois drôle, effrayant, vertigineux et remarquablement ingénieux, ce roman-caméléon fascine de la première à la dernière page.
La Chose en soi est un chef d'oeuvre, un vrai, tout simplement.
Lien : https://justaword.fr/the-thi..
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Autant le dire d'emblée. La SF, ce n'est pas ma tasse de thé. Erreur d'aiguillage chez le libraire!
Mais ce roman est décidément bien écrit, bien structuré, avec une pointe de suspens, des déplacements vertigineux dans le temps et de l'humour.
Un mélange subtil de philosophie, d'extra-terrestres, d'ordinateurs, sans oublier Dieu évidemment.
Je crois que les amateurs du genre y trouveront beaucoup de plaisir.
En 1986, Charles Gardner et Roy Curtius sont isolés sur une base en Antarctique. Ils participent à un programme de recherche de possibles signaux provenant d'extraterrestres. Tout les oppose. Alors que Charles passe son temps à regarder des films grand public, Roy se passionne pour Kant et La critique de la raison pure.
Dans leur isolement et le froid polaire, Charles reçoit beaucoup de lettres, contrairement au prétentieux Roy. Celui-ci rachète une des missives de Charles. Et là, tout bascule. Roy prétend avoir résolu le paradoxe de Fermi et tente d'assassiner son collègue.
S'en suivent de longues interrogations sur la perception que l'on a du monde et de la réalité.
Le cosmos est-il une hallucination? Kant affirmait ainsi qu'il existait bel et bien un monde réel, qu'il appelle le Ding an sich, la chose telle qu'elle est vraiment. La chose en soi. Notre seul accès à celui-ci passe par nos perceptions, nos sens, et donc par la façon dont nos pensées sont structurées. Certaines choses que nous considérons comme intrinsèques au monde extérieur feraient en fait partie de la structure de notre conscience.
C'est ici qu'interviennent les ordinateurs qui, eux, peuvent s'extirper de notre perception humaine. Les toutes premières machines copiaient la conscience humaine, mais une fois qu'elles s'en dont dégagées, peut naître l'intelligence artificielle.
Une conscience rationnelle, intelligente, libérée des contraintes de l'espace et du temps. Capable de voir dans le Ding an sich.
Ce serait là une révolution. La distance pourrait être éliminée, tant à l'échelle humaine qu'interstellaire. le temps pourrait être ralenti.
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Contrairement aux autres critiques, j'ai peu apprécié ce roman, il m'a déçu. Adam Roberts était meilleur avec Jack Glass. Dire que l'on aborde Kant, un peu, et mal. Dire qu'on aborde le paradoxe de Fermi, un peu, mais vraiment léger. Cela aurait pu être un très bon roman car le sujet est passionnant, et l'histoire en elle même est très originale. Mais les incursions "d'à coté" en "d'autres temps", sont longues, pénibles, répétitives, et à oublier. Reste le récit en lui même, qui est troublant, humoristique, bien travaillé, intéressant sans aucun doute. Mais l'ensemble ne me laisse pas grand chose. On est loin des chefs d'oeuvre de la SF, comme certains l'ont écrit : très loin. Il aurait pu avec un tel sujet, mais non.

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Tout commence en 1986 où RoyCurtis et Charles Gardner sont isolés en Antarctique pour recueillir d'éventuels signaux en provenance d'une civilisation extraterrestre. Tout oppose les deux scientifiques : Charles est pragmatique et volubile quand Roy l'introverti passe son temps à lire et relire Critique de la raison pure. Ce dernier prétend d'ailleurs qu'il a résolu le Paradoxe de Fermi grâce à Kant, s'attirant les foudres de son comparse.

Après un premier chapitre introductif, Adam Roberts nous narre alternativement des évènements vécus par Charles et des histoires totalement indépendantes autour d'autres personnages, en des lieux et des temps différents. La trame principale est d'une construction assez classique, linéaire et plutôt abordable. A l'instar de Cartographie des nuages de David Mitchell, les récits alternatifs sont eux assez déroutants sur le fond mais aussi sur la forme chaque texte étant écrit dans un style différent. On pourra d'ailleurs féliciter le traducteur Sébastien Guillot qui a fait un joli travail sur ce roman. L'ensemble forme un tout parfois hermétique, plus qu'étrange et très énigmatique...

La chose en soi est un roman qui interroge sans cesse son lecteur. Avec cette immense réflexion sur la conscience, la réalité des choses et la façon d'appréhender le monde, Adam Roberts nous plonge dans un questionnement incessant, s'intéressant à l'espace et au temps, aux Intelligences Artificielles, à Dieu et aux extraterrestres, l'ensemble étant intimement lié par la philosophie Kantienne et cette fameuse Ding an sich. Heureusement l'auteur est un bon vulgarisateur et à l'aide d'images simples nous explique des concepts parfois abscons.

La chose en soi est un donc roman qui sort de l'ordinaire dans lequel il faut se laisser porter et où il faut accepter de ne pas tout comprendre. Un vrai plaisir de lecture, un émerveillement et une découverte.


Lien : https://les-lectures-du-maki..
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Sous le double signe flamboyant et malicieux d'Emmanuel Kant et de John Carpenter, une science-fiction aventureuse, surprenante et réjouissante.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/02/04/note-de-lecture-la-chose-en-soi-adam-roberts/

Ce qui aurait pu apparaître comme une bien improbable gageure se transforme au fil des pages en une étonnante réussite, servie par une alliance rare entre sérieux imperturbable et sens profond de la farce, assez proche de ce que l'on trouve chez l'Américain James Morrow, de « La trilogie de Jéhovah » à « L'arche de Darwin », n'hésitant pas à manier une extrême érudition néanmoins rendue joliment digeste, à pratiquer des incises historiques et futuristes (oh, la saveur baroque du Fan Club des Maladies Démodées !) pour mieux affoler la perception du réel que le roman place résolument sur la sellette, en se permettant de réjouissantes parodies concernant aussi bien James Joyce que Joseph Conrad, à faire surgir l'horreur authentique, glaçante et gore, à travers le tendon d'un mollet gauche, ou encore à laisser planer en une somptueuse ironie des certitudes assenées telles que « Je suis un ordinateur. Je ne peux pas mentir ». Se déplaçant avec grâce et malice parmi les attentes de la lectrice ou du lecteur pour les déjouer efficacement, Adam Roberts nous offre, sous couvert d'aventure science-fictive, une réjouissante critique de la faculté de juger en même temps que de forts insidieux fondements d'une métaphysique des moeurs.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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critiques presse (1)
Bibliobs
27 avril 2021
Un ovni littéraire, à la fois jeu de piste sans piste, roman d’aventure intérieure ou ouvrage de philosophie savante.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (4) Ajouter une citation
C’est avec la lettre que ça a commencé.
Roy, lui, situerait sans doute le début de cette histoire au moment où il a résolu le paradoxe de Fermi, lorsqu’il a atteint (dixit) la lucidité. Un bien grand mot, si vous voulez mon avis : je lui préfère maladie. Maladie mentale. Sans doute lui-même en conviendrait-il, désormais. Vu le nombre de psychiatres qui se sont penchés sur son cas. Toujours est-il que Roy le reconnaît lui-même dans les nombreuses missives qu’il m’a adressées depuis son asile. Il envoie également divers manifestes et communications aux journaux, si j’ai bien compris. Dans chacune de ses lettres, il prétend avoir enfin résolu le paradoxe de Fermi. Si tel est le cas, je ne m’attends pas à voir mes cauchemars s’atténuer de sitôt.
Parce que je fais des cauchemars, ça, oui. Des cauchemars viscéraux. Je me réveille en sueur, et en pleurs. Si Roy se fourvoie, peut-être s’atténueront-ils avec le temps.
Mais vraiment : tout a commencé avec la lettre.
Je me trouvais en Antarctique avec Roy Curtius, à des centaines de kilomètres de toute civilisation. C’était en 1986, lors d’une soirée polaire longue de plusieurs semaines précédant une nuit polaire longue de plusieurs mois. Notre travail consistait à traiter les données astronomiques brutes provenant de Proxima et d’Alpha du Centaure. Ce qui revient à dire qu’on cherchait des preuves d’une vie extraterrestre. Certaines bizarreries avaient été détectées dans les émissions radioastronomiques provenant de cette partie du ciel, et nous avions pour mission d’examiner ça d’un peu plus près. On nous avait confié d’autres études scientifiques, histoire de rentabiliser notre présence sur place, mais c’était la recherche de vie extraterrestre qui occupait l’essentiel de notre temps. On entretenait l’équipement, on faisait un premier tri dans les données – dont on transmettait la majorité au Royaume-Uni, pour qu’elles y soient analysées plus en détail. Vu que je vais dire un certain nombre de choses désobligeantes sur Roy dans les pages qui suivent, je vais commencer par lui concéder ceci : ce type était un genre de génie de la programmation – alors même, ne l’oubliez pas, que « l’informatique » en était encore à ses balbutiements à la fin des années 1980.
La base était située aussi loin que possible de toute pollution, tant lumineuse que radio. Il n’existait pas d’endroit plus isolé sur cette planète.
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Laissez-moi reprendre le fil de cette histoire, réorganiser les lettres pour leur donner un sens nouveau. Et l’anagramme qu’on obtient, la voici : la vie ne met pas cinq minutes à devenir merdique. C’est en tout cas ce qui est arrivé à la mienne, croyez-moi. Pendant longtemps j’ai mis ça sur le compte de l’alcool, de mon visage difforme, de ma solitude prolongée – voire d’une divinité maligne qui me détestait et n’existait même pas, la salope, ce qui n’arrangeait pas les choses. Mais pas sur ce qui s’était passé en Antarctique – parce que je n’avais vraiment aucune envie de me remémorer la rencontre (appelons ça comme ça) que j’y avais faite. J’avais vécu des choses que je ne pouvais pas dé-vivre. Point barre. Et pourtant, cahin-caha, ma vie s’est poursuivie. Grâce à l’alcool, entre autres. J’agissais comme si ça ne s’était jamais produit, alors même que cela structurait l’intégralité de ma misérable existence – « comme si » étant, bien entendu, plus que suffisant pour vivre une existence anglaise. C’est peu ou prou une définition concise de l’anglitude.
Cette phrase d’Oscar Wilde, sur le fait de vivre dans le caniveau mais en regardant les étoiles, m’a toujours irrité. Quelle préciosité ! Quelle affectation. Moi j’étais quelqu’un dont le quotidien consistait, littéralement, à regarder les étoiles ; jusqu’à ce que je me retrouve jeté – tout aussi littéralement – dans le caniveau. Je sais donc de quoi je parle. J’étais, à vingt-cinq ans, un doctorant en astrophysique de l’université de Reading, occupé à travailler sur des émissions radio non aléatoires en provenance d’objets stellaires appartenant à notre galaxie. Et puis ma vie a pris un tour merdique. Le jour de mon cinquantième anniversaire, j’étais éboueur à Bracknell et à Wokingham. Les lettres s’accumulent au bas de la pente, déversées par la benne du camion poubelle. Chacune est un petit fantôme personnel.
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Ne me demandez pas comment j’ai fait pour franchir la porte verrouillée. Je ne pourrais pas vous répondre.
La chaleur de l’air me brûlait la gorge. Incapable de rester debout plus longtemps, je me suis à moitié affalé sur le côté ; mon bras a heurté un des radiateurs – on aurait dit du métal en fusion. Je me suis écroulé par terre en hurlant, hors d’haleine.
Peut-être ai-je perdu connaissance. Je ne saurais dire comment je suis revenu à moi. Sans doute ne suis-je resté évanoui que quelques instants, parce que j’ai aussitôt éprouvé une douleur terrible dans les mains. Une douleur atroce ! Comme si quelqu’un les avait insérées toutes les deux dans le Gom Jabbar, ou dans un bain d’eau bouillante. Aujourd’hui, je sais de quoi il s’agissait : du retour des sensations dans ma chair gelée. Mais pareille douleur… c’était nouveau pour moi. J’ai crié et hurlé comme si l’Inquisition espagnole s’était acharnée sur moi. Je me tortillais et pleurais comme un bébé.
Je me suis remis tant bien que mal en position assise, mon dos contre le mur et les jambes étendues par terre. Roy, posté devant la porte de la salle commune, tenait dans sa main droite ce qui me semblait être un pistolet – j’allais bientôt découvrir qu’il s’agissait en fait d’un lance-fusées.
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« On fait trop confiance à la technologie moderne, m’a-t-il dit un jour. La solution au paradoxe de Fermi ? Tout est là-dedans. » Et il s’est mis à caresser la couverture de la Critique [de la raison pure], tel un Ernst Blofeld flattant son chat blanc.
« Si tu le dis, mec », ai-je rétorqué.

1. Chose, et patraque, p. 13
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Vidéo de Adam Roberts
Adam Roberts présente ici sa nouvelle oeuvre, La Chose en soi, roman d'aventures drolatique et tour de force littéraire érudit. À paraître le 13 janvier prochain aux éditions Denoël.
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