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Stéphan Lambadaris (Traducteur)
EAN : 9782361837310
272 pages
Les Moutons Electriques (14/05/2021)
3.52/5   23 notes
Résumé :
Dans un monde qui travaille a redécouvrir l'harmonie avec la nature, la petite ville d'El Modena, en Californie, prend l'aspect d'une utopie sociale et écologique. Pourtant, Kevin Claiborne, jeune architecte et constructeur qui a grandit dans ce monde plus vert, se trouve impliqué dans une lutte afin de préserver la vie équilibrée de sa communauté, contre les tentations d'exploitation et de corruption.

Entre polar, projection politique et science-fict... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Dès 1990, un travail fondateur de Kim Stanley Robinson dans l'exploration des possibilités utopiques contemporaines.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/03/02/note-de-lecture-lisiere-du-pacifique-kim-stanley-robinson/

Amateur doué au base-ball, Kevin Claiborne est un entrepreneur consciencieux en architecture, maçonnerie et construction, et un bon vivant populaire dans ses différents cercles amicaux. Sympathisant écologiste, il entre, sur amicale pression du parti, au conseil municipal d'El Modena, petite ville de Californie du Sud, aux confins du comté d'Orange. Position nettement moins anodine qu'elle ne le semble d'abord, comme il va le découvrir avec un joli mélange de timidité et d'effarement, car, depuis un grand sursaut législatif et juridique ayant eu lieu quelques dizaines d'années auparavant, le capital financier et industriel a vu ses appétits insatiables et quasi-immémoriaux sévèrement limités, redonnant un pouvoir jadis enfui aux assemblées citoyennes et à ces modestes conseils municipaux de 2065. Mais l'avidité et la soif de croissance (presque) à tout prix n'ont pas disparu pour autant…

Dans la petite cité où l'eau, comme dans une grande partie du Sud-Ouest américain, demeure un enjeu capital, de petites « grandes manoeuvres » semblent vouloir se dérouler, à l'instigation discrète du maire lui-même, autour d'une colline communale qui se trouve être le dernier espace sauvage au sein du tissu urbain local – un projet de centre commercial semblant même apparaître à l'horizon.

Publiée en 1990 (et bizarrement traduite en français seulement en 2021, par Stéphan Lambadaris, pour les Moutons Électriques), la troisième expérience de la trilogie du Comté d'Orange, largement fondatrice dans l'oeuvre de Kim Stanley Robinson (après son étude doctorale des « Romans de Philip K. Dick »), essayant d'explorer trois futurs possibles pour le plus riche (et par certains aspects l'un des plus emblématiques) territoire des États-Unis, vient logiquement après les deux précédentes, « le Rivage oublié » en 1984 et « La Côte dorée » en 1988, et précède déjà de peu, finalement, le lancement de la « Trilogie Martienne » (1992-1996), dont elle peut constituer, sous bien des aspects, une forme de banc d'essai particulier, tout particulièrement du côté du mélange de simplicité et de sophistication que suppose une véritable politique du vivre-ensemble, dans un cadre naturel donné (la relation de l'auteur et de ses personnages à la notion même de nature évoluera au fil du temps, comme il s'en expliquait dans un entretien sur Blast pour l'émission Planète B, à propos de son récent « le Ministère du futur », ici).

Par rapport au franc post-apocalyptique du « Rivage oublié » et au délétère business as usual (comme dirait par exemple Andreas Malm) – ou presque – de la « Côte dorée », l'eutopie partielle (quasiment au sens du « Écotopia » d'Ernest Callenbach, bien sûr) de « Lisière du Pacifique » aurait pu témoigner, chez un auteur de moindre envergure que Kim Stanley Robinson (même s'il était alors encore relativement « débutant » – comme il s'en explique au passage également dans l'entretien avec Planète B cité ci-dessus), de la difficulté, voire du défi, que représente le récit eutopique authentiquement spéculatif / romanesque (par opposition à l'exposé classique de quelque cité idéale), tant il s'agit de surmonter la malédiction (narrative) du « Les peuples heureux n'ont pas d'Histoire » – fausse sagesse, bien sûr, mais fort ancrée intellectuellement et spirituellement dans notre relation aux événements et à leur succession (on écoutera d'ailleurs – ici – avec bonheur les interventions d'Alain Damasio et de Li-Cam sur ce sujet, dans le cadre d'une table-ronde organisée par Planète B à Ground Control en février 2024, à l'occasion des 20 ans de la Volte). On notera au passage fort logiquement l'influence probable de « Lisière du Pacifique », parmi d'autres oeuvres, sur le travail enthousiasmant et ô combien courageux d'un Camille Leboulanger dans son « Eutopia » de 2022.

En 1990 déjà, et donc bien avant, par exemple, la « Trilogie climatique » (2004-2007) ou « New York 2140 » (2017), Kim Stanley Robinson est capable de mobiliser sa compréhension intime (et qui ira toujours s'améliorant) des mécanismes juridiques, économiques et financiers (et surtout d'imaginer leur orientation au bénéfice de causes différentes et souhaitables) lorsqu'il s'agit de juguler les pulsions d'avidité qui détruisent le monde (et les vies de ses habitantes et habitants) depuis quelques siècles sous l'égide d'un capitalisme jamais rassasié. Comme le montrent les trop rares utopies ambiguës de notre temps (depuis le séminal « Les dépossédés » d'Ursula K. Le Guin en 1974), il n'est nul besoin pour cela (et contrairement à ce que laisse entendre à plaisir la vulgate néo-libérale) de recourir à des arsenaux policiers et surveillants qui sont d'ailleurs aujourd'hui bien davantage l'apanage des divers ordo-libéralismes (qu'ils soient américain, européen, russe, chinois ou indien) que de quelque utopie socialisante et partageuse, renvoyée de nos jours, encore, à l'état de fantasme.
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En 2021, l'utopie a posé ses valises chez les Moutons électriques. En effet, cette année ils ont eu envie de revenir à un imaginaire positif et plein d'espoir, sans doute pour casser cette morosité ambiante qui s'est installée dans nos coeurs, depuis plus d'un an maintenant.

Aussi, en mai, ils ont eu la bonne idée d'éditer une pépite américaine signée par le célèbre auteur de la trilogie, Mars. Il s'agit de Lisière du Pacifique de Kim Stanley Robinson qui a même reçu pour le présent ouvrage, en 1991, le prix John-Wood-Campbell Memorial.
Ne lisant que très peu de science-fiction et/ou de climate fiction, je ne connaissais donc pas la plume de Kim Stanley Robinson. Or, avec Lisière du Pacifique, j'ai découvert une écriture délicate et un imaginaire aussi flamboyant qu'éclairant.

Dans Lisière du Pacifique, on débarque donc à El Modena, une petite ville californienne peuplée par une communauté d'habitants qui tente de vivre en harmonie avec la nature. On y suit notamment Kevin Clairbone, un natif des lieux qui exerce la profession d'architecte et de constructeur de maisons. Alors que son tour est venu de siéger au conseil municipal, il découvre une anomalie dans la gestion de l'eau. de fil en aiguille, ses investigations vont l'amener à mettre à jour une affaire de malversation, impliquant des élus locaux et des sommes d'argent aux origines douteuses. Dans un monde pourtant devenu plus vert et qui s'est battu pour la justice sociale, que peut-il se passer lorsque la corruption resurgit ?

Kim Stanley Robinson s'est beaucoup illustré dans l'écriture de thrillers climatiques et écologiques, alors on ne s'étonne pas de la voir imaginer ici une utopie dans laquelle ces questions sont au coeur des enjeux.

Ainsi, dans ce roman, l'auteur a imaginé un futur dans lequel l'Amérique et plus particulièrement la Californie s'est reconnectée à la nature. Il nous immerge au sein d'une communauté qui a refait société en vivant à l'écoute les uns des autres. On découvre d'immenses demeures fonctionnant aux énergies renouvelables et où plusieurs familles cohabitent. Les humains ne sont plus isolés et individualistes mais vivent selon le principe du partage. Chaque maison dispose d'un potager collectif où chacun doit prendre part à son entretien. Il en va de même pour la gestion de la commune qui est assurée par les citoyens chacun à leur tour. Lisière du Pacifique nous décrit un monde plus humaniste et plus équitable car il a mis à bas le capitalisme néocolonialiste pour laisser place à une vraie justice sociale.

Pourtant dans cette utopie vivent des hommes et des femmes avec des désirs propres qui peuvent parfois aller à l'encontre de l'intérêt général. Voilà d'ailleurs un premier frein à toute bonne utopie quand bien même ses fondements seraient réalistes et réalisables. Or, justement ici Kim Stanley Robinson nous rappelle que les humains ne sont jamais à l'abris de voir resurgir la soif de pouvoir et/ou d'argent. Pour preuve avec cette histoire de terrain sur le point de se voir accorder par la mairie un changement de zonage. Ici, l'auteur nous démontre comment une si petite action peut cacher en réalité un iceberg d'agissements peu louables. La philanthropie n'est décidément qu'une chimère, et lorsqu'il s'agit de faire fructifier des capitaux, tous les moyens sont bons. Mais ce genre de fonctionnement sociétal peut trouver d'autres limites, ne serait-ce qu'au niveau du désintérêt citoyen. En effet, si les citoyens eux-mêmes refusent de s'investir, quel avenir la communauté-elle peut espérer suivre ?

Tout en découvrant ce futur auquel on a envie de croire, l'auteur nous annonce dès le début que quelque chose cloche. C'est une tactique efficace pour obtenir toute notre attention puisque très vite on est happés par l'urgence des personnages qui s'agitent pour sauver leur utopie.

Alors qu'une lutte se dessine progressivement, on fait la connaissance d'une galerie de personnages crédibles et touchants. L'auteur a eu à coeur de donner à son récit une vraie diversité dans ses protagonistes autant du point de vue de leur nationalité que de leur âge, afin que chaque lecteur s'y retrouve.

Parmi eux, il y a bien entendu l'idéaliste Kevin, gauche dans ses amours qui se retrouve bien souvent bégayant devant la splendide Ramona. Personnage principal de ce récit, on s'attache immédiatement à ce dernier. Tout à ses doutes sentimentaux, il n'en oublie pas pour autant de s'investir corps et âme pour cette terre qui l'a vu naître et qu'il a envie de protéger. C'est pour cela qu'il se tourne vers son grand-père, Tom. Grand militant en son temps, ce dernier s'est renfermé sur lui-même depuis le décès de sa femme et vit en marge de la ville. Mais, c'est sans compter sur l'opiniâtreté de son petit-fils ainsi que celle d'autres habitants qui vont lui remettre le pied à l'étrier. Tom est un vieux monsieur touchant pris entre ses souvenirs douloureux et chéris et un présent agité qu'il a du mal à accepter. Quant à Doris, l'une des colocataires de Kevin, elle est très investie pour la cause écologique. Frustrée par ses sentiments non partagés pour Kevin, elle reste une alliée de choix pour ce dernier dans le combat qu'ils ont décidé de mener ensemble. Enfin, il y a Oscar, un personnage étonnant. Avocat, il prodigue moult conseils aux habitants d'El Modena, mais il cache aussi une personnalité haute en couleurs dont les passions sont aussi déroutantes que le bonhomme est imposant.

Ainsi, Lisière du Pacifique, c'est aussi une mosaïque de petites histoires qui s'entrecroisent pour nous partager des tranches de vie où les larmes se disputent aux sourires. Tous ces personnages dégagent une telle émotion que cela contribue grandement à rendre le roman séduisant. On apprécie d'emblée de suivre la vie de ces gens et de marcher dans leurs pas. On partage pleinement leurs craintes, leurs espoirs, leurs frustrations et leurs déceptions... suite sur Fantasy à la Carte.

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Dans un futur aux allures d'utopie, El Modena est une ville que le parti des Verts a fait évoluer de façon à lui conserver une dimension humaine intégrée harmonieusement à la nature : selon la charte du conseil municipal, les entreprises qui s'y implantent ne doivent pas compter plus de cent employés. Des heures hebdomadaires de travail civiques sont obligatoires. Tout le monde circule à vélo, des voitures pouvant être louées pour de plus longues distances. le softball est le sport qui réunit les habitants autour de quelques vedettes locales dont Kevin, Alfredo et Ramona.
L'histoire va tourner autour de la relation entre ces trois protagonistes essentiellement. Alfredo est le maire de la ville et Kevin a été sollicité pour faire partie du conseil municipal. Dès la première séance à laquelle il participe, il flaire anguille sous roche lorsque le maire propose, d'une part d'augmenter l'approvisionnement de la ville en eau – celle-ci étant particulièrement rare et chère en Californie, d'autre part de changer le zonage de la dernière colline encore vierge du pourtour de la ville, Rattlesnake Hill et de la passer en zone commerciale. Soupçonnant une affaire louche, Kevin va dès lors s'attacher à débusquer et combattre le projet caché d'Alfredo, avec l'aide d'Oscar, avocat nouvellement installé en ville, de son grand-père Tom, ex-avocat ayant beaucoup oeuvré pour le bien d'El Modena et de quelques autres amis : Franck le pasteur, Doris la militante, Nadezhda la navigatrice, etc.
Kim Stanley Robinson, surtout connu pour être l'auteur de la Trilogie de Mars, a obtenu le prix John-Wood-Campbell Memorial en 1991 pour ce roman qui reste très actuel et nous montre les vies enchevêtrées de personnages émouvants et crédibles dans leurs combats.
« L'utopie, c'est le processus qui consiste à faire un monde meilleur, c'est le nom du chemin que l'histoire peut prendre, un processus dynamique, tumultueux, insoutenable, sans fin. Une lutte éternelle. »
Christine Brignon
Chronique parue dans Gandahar 32 de juin 2022
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« Lisière du Pacifique » est le genre de livre qui se passe dans un monde dans lequel tout le monde devrait aspirer à vivre. Il fait bon vivre, la vie est plus simple et plus saine. Les personnages, tous autant qu'ils sont, sonnent assez vrai. le genre de gens qu'on pourrait côtoyer dans le monde réel. le rythme est assez déstabilisant, car lent et pausé. Un livre qui prend clairement son temps avec plein de tranches de vie des différents personnages pour nous amener à les découvrir, à découvrir cet autre monde. Pourtant, j'ai trouvé ça tellement plaisant. Si ce livre ne me parait pas inoubliable, j'y ai trouvé quelques heures d'une certaine tranquillité dans une utopie qui fait rêver et réfléchir.
Lien : https://blogconstellations.h..
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critiques presse (2)
Telerama
10 août 2021
La façon dont il nous immerge dans le monde d’El Modena est particulièrement remarquable. Pas de grandes scènes d’exposition, pas de résumé de ce qui a amené à la situation actuelle, mais la découverte au fur et à mesure de ce qui est nouveau, distillé par petites touches, sans que l’anormalité de la chose ne soit spécialement désignée. Il sait prendre son temps : pas d’action échevelée, pas de personnages archétypaux et trop porteurs de messages, mais l’observation lente et fouillée d’une communauté confrontée à un péril et de très belles descriptions de ces paysages américains qui nous ont tous bercés.
Lire la critique sur le site : Telerama
Syfantasy
27 juillet 2021
Avec Lisière du Pacifique, Kim Stanley Robinson signe un récit lent et personnel d’une ville qui s’efforce ne plus marquer le monde de la présence humaine. Les amateurs de l’auteur se retrouveront dans ce style plein d’une langueur qui fait honneur à l’œuvre de l’auteur et il nous rappelle qu’un autre quotidien est possible si l’Homme se mettait à oublier sa folie des grandeurs.
Lire la critique sur le site : Syfantasy
Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Un groupe quelconque. Au pouvoir ou déchu. Agissent ensemble. Disons, des avocats, la loi ? Toujours impossible de perdre l'impression que c'est là qu'il pourrait y avoir une différence, malgré ma propre expérience. Refaire la loi du territoire. Disons toute une promo de l'école de droit de Harvard, la promo de l'année '12 s'en va prendre des postes en tous genres, gouvernement, Banque mondiale, FMI, Pentagone. Sauvons le vingt-et-unième siècle. Plausible ? Non. Une histoire. Mais au moins c'est possible, je veux dire, on pourrait y arriver. Rien pour nous arrêter, hormis l'inertie, l'idéologie. Le manque d'imagination ! Des enseignants, des chefs religieux... mais peu sont politiquement actifs dans le groupe. Et tous tombent d'accord sur tout un programme d'action, tous. À quel point est-ce que quelque chose se révèle peu plausible avant que ce soit inutile ? C'est la théorie du complot, à vrai dire. On na pas besoin de ça non plus.
L'histoire modifiée par un livre à succès, une utopie, tout le monde la lit et se fait des idées, ou de vagues tentatives d'idées, ç change leur perception du monde, tout le monde se met à œuvrer en vue d'un monde meilleur...
Désespérant. Marcuse : l'un des pires signes de danger, c'est que l'on ne peut imaginer le chemin d'ici à l'utopie. Pas moyen d'y arriver.
Faites le premier pas et vous y serez. Processus, dynamisme, le moyen, c'est la vie. Nous devons imaginer le moyen. Notre imagination est plus forte que la leur ! Faites le premier pas et vous serez en route.

[NB : Extrait du journal de Thomas William Barnard, dit Tom]
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Sur les pas de Tom qui arpentait le sentier jusqu’à son chalet, Kevin regarda le vieil homme s’incliner en arrière et secoua la tête, exaspéré. Ce n’était tout simplement pas le grand-père avec qui il avait grandi. En ce temps-là, il n’existait pas d’animal plus social que Tom Barnard ; il parlait sans cesse, il organisait constamment des nuitées en camping pour des groupes de la ville, il emmenait son petit-fils dans les canyons et sur les montagnes de Santa Ana et les monts San Jacinto, et puis reprenait la route pour le parc d’Anza Borrego et celui de Joshua Tree, avant de repartir pour Catalina puis descendre en Basse-Californie et dans les Sierras du sud – en parlant tout au long du chemin, pendant des heures chaque jour, de tout ce qu’on pouvait imaginer ! Une grande partie de l’éducation de Kevin – ce dont il se souvenait vraiment – venait de Tom lors de leurs randonnées ensemble, du fait de poser des questions et d’écouter Tom divaguer.
« Je détestais le capitalisme parce que c’était un mensonge ! disait Tom, traversant le ruisseau de Harding Canyon avec abandon. On prétendait que si chacun s’occupait de son intérêt personnel, ça ferait une communauté respectable ! Quel mensonge ! » Plaf, plouf ! « C’était le gouvernement qui faisait office d’agent protecteur, un système de croyances pour les riches. Allons, même quand ça avait l’air de fonctionner, où est-ce que ça les menait ? Ils finissaient enfermés dans de grandes demeures et fous à lier.
– Mais il y en a qui préfèrent rester seuls.
– Ouais, ouais. Et l’intérêt personnel, ça existe, personne ne peut affirmer le contraire ; les gouvernements qui ont essayé ont eu de gros ennuis, parce que c’est un mensonge d’un genre différent. Mais dire que l’intérêt personnel, c’est tout ce qui compte, ou qu’il faut lui laisser libre cours ! Seigneur. Si vous y croyez, rien d’autre que l’argent n’aura d’importance.
– Mais tu as changé ça, disait Kevin, les yeux baissés vers ses jambes.
– Oui. On a donné à l’intérêt personnel un peu de place, mais limitée. On l’a canalisé vers le bien commun. C’est ce à quoi sert la loi, comme on l’a vu à l’époque. » Il se mit à rire. « La législation est un pouvoir révolutionnaire, mon garçon, bien qu’elle soit rarement considérée comme telle. On en a tiré tout ce qu’on pouvait, et la plupart d’entre nous en ont apprécié les résultats, à l’exception de certains riches, qui se sont battus comme des chacals, pour conserver ce qu’ils avaient. À vrai dire, c’est un combat qui se poursuit. Je ne pense pas que ça puisse finir un jour. »
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La politique, c'est l'art du possible, Damaso, et si tu fixes des objectifs impossibles à réaliser, alors quel genre de politique ça fait de toi ? C'est débile. Quoi ? Non... Faux. On peut diviser tout Marx en deux, l'historien et le prophète. Comme historien, il était génial et on se sert de son paradigme tous les jours, je ne remets pas ça en question, mais comme prophète, il avait tort dès le début ! Aujourd'hui, tous ceux qui se disent marxistes ont du elote* à la place du cerveau...

*elote : préparation culinaire mexicaine à base d'épis de maïs grillés.
[NB : il s'agit ici d'une conversation téléphonique]
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Mal à l’aise, Kevin pédala jusqu’au parking. En sa qualité d’entrepreneur, il s’était déjà présenté devant le conseil à de nombreuses reprises, mais entrer dans la cour en tant que membre du conseil, ce n’était pas la même chose. Comment avait-il bien pu se fourrer là-dedans ? Bon, il faisait partie des Verts depuis toujours. Rénovons cette sinistre résidence vétuste qu’est le monde ! Et cette année, il avait fallu qu’ils trouvent deux personnes pour siéger au conseil, mais la plupart des caciques du parti avaient autre chose à faire, ou avaient déjà effectué un mandat, ou bien se trouvaient empêchés avec d’autres raisons de ne pas se présenter. D’un seul coup, et Kevin ne savait pas au juste qui avait pris cette décision et comment on l’avait prise, tout le monde s’était mis à l’encourager à le faire. On le connaissait bien, on l’aimait bien, lui disaient les autres, et il avait mené à bien beaucoup de travaux visibles dans la communauté. « Très visibles, dit-il.. Je fais des maisons. » Il finit par se laisse convaincre. Les membres du Parti des Verts siégeant au conseil votaient sur tous les sujets importants en exprimant l’opinion du groupe, donc ce n’était pas grand-chose. S’il y avait des choses qu’il ignorait, il pouvait apprendre sur le tas. Ce n’était pas bien dur. Tout le monde devait y aller chacun à son tour. Ça allait être sympa ! Il pourrait consulter quelqu’un en cas de besoin.
Mais, se rendit-il compte, il aurait surtout besoin de consulter quelqu’un lorsqu’il serait concrètement assis là-haut à la table du conseil, juste au moment où il lui serait impossible de consulter ! Il se passa la main dans les cheveux. C’était tout lui, ça, pensa-t-il piteusement, d’y penser seulement maintenant. C’était trop tard, il avait eu le poste. Il ne lui restait plus qu’à apprendre le métier. (…)
Au cours de la soirée, la musique se fit plus forte, jouée au pas de charge.
« Il y a un fou parmi nous », fit observer Doris. Ils le regardèrent, un homme fort portant un long manteau noir. Il passait d’un groupe à l’autre avec une étrange grâce rhinocérale, interrompant les conversations les unes après les autres. Il prenait la parole, les autres paraissant perplexes ou choqués ; il partait pour s’inviter ailleurs, les cheveux en bataille, renversant le champagne de sa coupe.
Le mystère s’éclaircit lorsqu’Alfredo le présenta.
« Hé, Oscar, viens par ici ! Dites, tout le monde, voici le nouvel avocat de la ville, Oscar Baldaramma. Vous l’avez peut-être aperçu pendant les entretiens. »
Pas Kevin. Oscar Baldaramma s’approcha. Il était immense : plus grand que Kevin, gros, et sa masse était répartie partout sur son corps. Il avait un visage lunaire, un cou comme un tronc d’arbre, et une énorme poitrine en forme de tonneau, plus que compensée par un ventre rond. Ses cheveux noirs frisés étaient encore moins bien coiffés que ceux de Kevin, et son costume anthracite avait bien cinquante ans de retard. Lui-même faisait dans les quarante ans.
À présent, il opinait du chef, démultipliant les plis de son menton et avançant des lèvres épaisses et mobiles.
« C’est sympa de rencontrer l’autre petit jeune de la troupe » fit-il d’une vois plate et éraillée, comme s’il s’amusait de cette expression.
Kevin acquiesça, à court de paroles. Il avait entendu dire que le nouvel avocat de la ville était une pointure du Midwest, et qu’il avait plusieurs années de travail à Chicago à son actif. Qui plus est, ils avaient besoin d’un bon avocat, parce qu’El Modena, comme la plupart des villes, était souvent traînée en justice. Il avait fallu près de six mois à l’ancien conseil pour remplacer l’avocat précédent. Mais choisir un type comme ça !
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Le désespoir ne pourrait jamais s’insinuer dans un matin comme celui-ci.
L’air frais sentait la sauge et prenait une clarté qui n’arrivait en Californie du Sud que lorsqu’un vent provenant de Santa Ana dispersait de son souffle toute brume et toute histoire au loin, au large. Un air comme du verre de télescope, si bien que les monts San Gabriel enneigés semblaient à portée de main, bien qu’à une soixantaine de kilomètres de distance. Les flancs des contreforts bleus révélaient les rainures de chaque ravin, et en bas de ces contreforts s’étendait vers la mer une grande plaine côtière qui ne montrait rien d’autre que des cimes : des bosquets d’orangers, d’avocatiers, de citronniers, d’oliviers ; des brise-vent d’eucalyptus et de palmiers ; des ornements représentant mille variétés différentes, à la fois naturelles et génétiquement modifiées. C’était comme si toute la plaine formait un jardin revenu à l’état sauvage, les premières lueurs du soleil inondant le paysage de toutes les nuances de vert existantes.
Surplombant ce spectacle, un homme arpentait un sentier dans les collines, s’arrêtant de temps à autre pour admirer la vue. Il avait une démarche lâche, dégingandée, et sautait souvent à cloche-pied, comme s’il s’adonnait à un jeu. Il avait trente-deux ans, mais ressemblait à un garçon laissé pour compte dans les collines, un jour sans fin devant lui. Il portait un pantalon kaki, un polo et des tennis crasseuses. Il avait les mains grandes, parsemées de croûtes et de cicatrices, et les bras longs. De temps en temps, il interrompait sa randonnée pour saisir brusquement une batte de baseball invisible et, dans un demi-mouvement de balancier, s’écrier : « Boum ! » Des colombes en pleine parade nuptiale s’éparpillaient devant chacune de ses frappes, et l’homme s’en amusait en descendant le sentier. Il avait le cou rouge, la peau couverte de taches de rousseur, les yeux endormis, les cheveux blond paille et en bataille. Il avait le visage long, les pommettes hautes et prononcées, les yeux bleu pâle. En essayant de marcher et de regarder Catalina en même temps, il trébucha et dut presser le pas pour retrouver l’équilibre. « Ouah ! s’exclama-t-il. Eh ben ! Quelle journée ! »

Il descendit un versant pour arriver à El Modena. Ses amis quittaient les collines seuls ou par deux, à pied ou à vélo, pour converger vers une intersection en travaux. Ils prirent des pioches ou des bêches, sautèrent dans les trous bruts et se mirent au travail. La terre volait dans les trémies, les pioches cognaient les pierres en faisant pam pam pam, des voix échangeaient les potins de la semaine.
Ils refaisaient la rue. Une grande quatre voies asphaltée avec intersection, des bordures blanches en béton, de grands parkings en asphalte et des stations-service à chaque coin, des centres commerciaux derrière. Maintenant, les bâtiments avaient disparu et la majeure partie de l’asphalte aussi, transporté vers les raffineries de Long Beach ; et ils creusaient plus profondément.
Ses amis l’accueillirent.
« Salut, Kevin, regarde ce que j’ai trouvé.
– Salut, Doris. On dirait un feu tricolore, cette boîte.
– On en avait déjà trouvé un. »
Kevin s’accroupit près de la boîte, l’inspecta.
« Maintenant, on en a deux. Ils l’ont probablement laissé ici quand ils en ont installé un nouveau.
– Quel gâchis. »
D’un autre cratère, Gabriela grogna.
« Non ! Non ! Des lignes téléphoniques, des câbles d’alimentation, des conduites de gaz, des tubes en PVC, le réseau de feux tricolores – et maintenant un autre réservoir de station-service !
– Regardez, il y a un tas de canettes de bière écrasées, annonça Hank. Au moins, pour certaines choses, ils assuraient. »
Tout en creusant, ils taquinaient Kevin à propos de la réunion du conseil municipal de ce soir, le premier de Kevin en tant que membre du conseil.
– Je comprends toujours pas comment tu t’es laissé entraîner là-dedans », l’apostropha Gabriela.
Elle travaillait dans la construction avec Kevin et Hank ; jeune, coriace et sauvage, elle n’avait pas sa langue dans sa poche et en faisait souvent voir de toutes les couleurs à Kevin.
« Ils m’ont dit que ce serait amusant. »
Tous éclatèrent de rire.
« Ils lui ont dit que ce serait amusant ! Voilà quelqu’un qui a assisté à des centaines de réunions du conseil, mais quand madame Jean Aureliano lui dit que c’est amusant, Kevin Claiborne répond « Oh, oui, sûrement ! ».
– Eh ben, ce sera peut-être le cas. »
Ils rirent de plus belle.
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RENCONTRE AVEC KIM STANLEY ROBINSON

Romancier et nouvelliste, Kim Stanley Robinson est peut-être le plus jeune de nos Grands Anciens. Son oeuvre magistrale dessine pour l'humanité à venir une carte indispensable des chemins de l'espace Rencontre avec celui qui est allé sur Mars.

Avec Kim Stanley Robinson Modération : Ugo Bellagamba
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