Nul doute, à la lecture de ce nouveau titre, qu'
Eric Senabre est animé par la nostalgie : après "Chapeau Melon & Bottes de Cuir" dans "A la recherche de Mrs Wynter", après la série "Star Trek" évoquée de façon déguisée dans "
Star Trip", ou encore après les films de monstre à la "Godzilla" dans "
Katsuro le titan", il semble convoquer ici les fantômes de Fantômette et
Belphégor (sans mauvais jeu de mot aucun). Une dédicace toute spéciale à
Georges Chaulet, créateur de la célèbre justicière masquée en jaune et noir, confirme cette première inspiration. Non content de donner ici vie à une héroïne qui, la nuit venue, va faire justice dans les rues parisiennes en justaucorps et cape noire,
Eric Senabre prête à Sophie une personnalité qui n'est pas sans rappeler le caractère de notre bonne vieille Fantômette : des talents d'équilibriste, une vraie maîtrise des techniques de combat, mais surtout un humour subtil et un sens de la répartie inaltérable.
Également assumée par l'auteur, l'inspiration puisée dans "
Belphégor" tiendrait davantage à la seconde identité choisie par l'héroïne : Thanaxas, démon fictif d'inspiration chinoise. Dans "
Belphégor" (le roman original d'
Arthur Bernède puis ses adaptations cinématographiques ou télévisées), le rôle titre est celui d'un criminel masqué qui emprunte le nom d'un démon oriental pour commettre ses forfaits. Le cadre spatio-temporel est également similaire, puisque le feuilleton de Bernède se déroule dans le Paris des années 1920. A ces sources d'inspiration officialisées par l'auteur, difficile de ne pas ajouter "Les Vampires", de Louis Feuillade. Ce film muet en 10 épisodes tourné en 1915 met en scène le personnage d'Irma Vep, criminelle qui sillonne Paris en nocturne, revêtue d'une combinaison noire moulante. Une possible influence supplémentaire ?
Il faut reconnaitre que tout le roman d'
Eric Senabre est habité par cette atmosphère rocambolesque chère aux fictions françaises du tournant du XXème siècle : impossible, avec le personnage de Thanaxas, de ne pas songer aux romans feuilletons caractéristiques de cette époque et à ses personnages aux multiples facettes. Arsène Lupin, Fantômas, ou encore Rocambole (qui a depuis donné son nom au genre) habitent la plume de l'auteur. On imagine sans difficulté une publication de "
La Semeuse d'Effroi" sous forme d'épisodes – pourquoi pas dans Le Petit Parisien ?
Le plaisir de la lecture est multiplié par l'immersion dans cet univers particulièrement fantasmagorique qu'est le Grand Guignol. Cette salle de spectacle ouverte au XIXème siècle dans la cité Chaptal était spécialisée dans les pièces horrifiques et sanguinolentes. Les effets spéciaux, pourtant à l'ancienne, s'avéraient tellement réalistes qu'il n'était pas rare de voir des spectateurs s'évanouir dans le public. Véritable précurseur du cinéma d'horreur, le Grand Guignol a durablement marqué la culture populaire française ; même la recette du faux sang créé à l'époque pour la scène par Paul Ratineau, maître des trucages, est restée quasiment la même pour le grand écran d'aujourd'hui. Il n'est donc pas surprenant de retrouver ce véritable génie parmi les personnages de Senabre, de même que Paula Maxa. Cette comédienne iconique du Grand Guignol, surnommée la "
Sarah Bernhardt de l'impasse Chaptal" ou encore "La femme la plus assassinée du monde", véritable tête d'affiche, occupe une place de choix dans cette intrigue. On applaudit l'idée de l'auteur de situer son histoire dans ce milieu haut en couleurs, tant il se prête à la quête de l'héroïne en plus d'être le levier de nombreux rebondissements.
L'enquête menée par Sophie tient le lecteur en haleine tout au long de ce roman, particulièrement rythmé et bien construit. On suit cette nouvelle justicière pleine de charme, de répondant et d'astuces dans les nombreux recoins du Paris des années 20, entre les hôtels particuliers où siègent des politiciens peu scrupuleux et les tripots où l'on peut danser le Charleston toute la nuit. On s'attache furieusement aux personnages que l'héroïne croise sur son chemin, de son parrain aimant à son ami Félicien, professeur de savate, en passant par l'inénarrable Mrs Helliwell, sa préceptrice pleine de fantaisie. le tout baigne dans une atmosphère délicieusement exotique entretenue par l'omniprésence de la culture chinoise, qui donne une dimension particulièrement riche et foisonnante à ce roman. On espère vivement retrouver tout ce beau monde dans un éventuel second tome...
préceptrice pleine de fantaisie. le tout baigne dans une atmosphère délicieusement exotique entretenue par l'omniprésence de la culture chinoise, qui donne une dimension particulièrement riche et foisonnante à ce roman. On espère vivement retrouver tout ce beau monde dans un éventuel second tome...
En bref : Au croisement de "Fantômette" et "
Belphégor", "
La Semeuse d'Effroi" nous plonge dans le Paris rocambolesque de 1926 façon roman-feuilleton.
Eric Senabre nous entraîne sur les traces d'une héroïne aventurière cultivant une double identité palpitante : pensionnaire le jour et justicière masquée la nuit. La culture chinoise et ce décor particulièrement bien choisi qu'est le Grand Guignol apportent une dimension historique particulièrement riche et propice au développement de l'intrigue. On adore et on en veut encore !