Un livre sur Gary. Bonheur total. Quoique, c'est risqué. C'est que j'adule Gray, je suis ultra fan de ses livres. C'est l'auteur que j'admire, dans son cas on peut dire le personnage auteur qu'il donne à voir dans ses autobiographies romancées et témoignages romancés, ou qu'ont dévoilées les premières biographies à son sujet. Mais a-t-on vraiment envie de connaître tous les détails de la vie de quelqu'un que l'on admire au risque de finir par tomber sur sa face sombre ? Alors quel besoin me direz-vous d'aller lire les ouvrages sur Gary, au lieu de me contenter de ses romans et de ses écrits ?
A travers ses romans, on entrevoit forcément la personnalité de l'auteur par les choix de ses personnages, dans les dialogues qu'il met en scène. Donc oui, j'ai envie d'en savoir un peu plus.
Le livre d'
Agata Tuszynska nous offre un récit sans complaisance, qui ne contredit pas pour autant l'admiration qu'elle porte à Gary.
Agata Tuszynska a construit un récit en trois parties ; Kacew, Gary,
Ajar, suivant l'évolution de la vie de l'auteur. Elle entrecoupe son récit de considérations plus personnelles, de référence à des auteurs polonais en particulier. Elle passe vite sur certains aspects, s'attarde sur d'autres, explique ses choix et les sources qui lui permettent d'affirmer ou d'infirmer certains propos de
Romain Gary. On suit la vie de
Romain Gary, sa relation à sa mère, son père ; sont évoqués les membres de sa famille, réelle ou supposée, de son demi-frère jamais évoqué à son non-père souvent évoqué. Ses migrations à travers le monde, de l'exode vécu enfant, son départ pour sauvegarder une certaine idée de la France à ses pérégrinations dans sa carrière diplomatique, ses voyages liés à ses choix culturels, son exil financier. C'est un homme qui a réellement vécu à travers le monde, qui se trouvait imprégné des cultures étrangères. Est-ce parce qu'il a connu très tôt différentes cultures, qu'il parlait différentes langues et que quoi qu'il en ait dit par la suite, la maîtrise d'une langue est essentielle pour comprendre un peuple, qu'il a été ensuite si ouvert et sensible à différentes cultures, si prompt à les comprendre, à les ressentir. Au cours du livre, on suit l'histoire à laquelle fut confronté
Romain Gary, mondiale ou régionale, le monde dans lequel il a inscrit son histoire plus personnelle.
Et donc son histoire plus personnelle : sa mère, au tout premier plan, ses amis, ses femmes, sa famille. Ah, les femmes ! Comment passer l'épreuve de la remise en cause moderne du machisme dominant à l'époque ? Mal. Mal et de manière un peu schizophrène entre une parole qui portait aux nues l'Amour unique, le « paysan qui honorait la même femme tous les soirs de leur vie [je cite de mémoire, il a dit quelque chose de ce genre] » et ses actes qui concernaient un nombre effrayant et désespérant de femmes, parfois plusieurs lors d'une même journée. Des citations pour louer la féminité présente en tout homme, le discours anti-macho et la réalité dans laquelle il avait visiblement besoin de s'assurer de sa virilité et qui l'autorisait à utiliser les femmes un peu trop comme des objets. Reste une certaine réciprocité qu'il admettait chez les femmes, Lesley comme Jean étaient des femmes libres et aux moeurs légères (je ne sais pas si je choisis le bon terme pour dire qu'elles ne vivaient pas leur sexualité de manière traditionnelle). Voilà. C'est le moment de dire qu'il faut séparer l'auteur de son oeuvre mais évidemment pour Gary cela peut poser problème.
Tout au long du livre, qui suit l'histoire de Gary de manière chronologique, on suit aussi l'évolution de son oeuvre, les livres sont commentés, plus ou moins brièvement et sont inscrit par quelques explications claires et éclairées dans l'histoire, dans la vie de Gary et dans l'ensemble de son oeuvre. Et on sent bien qu'
Agata Tuszynska maîtrise tout à fait l'oeuvre Gariesque.
Gariesque, qui a l'avantage de rimer avec picaresque, et qui permet d'éviter Garienne aux sonorités déplaisantes dans ce cas précis.
Agata Tuszynska a titré son livre
le jongleur en référence aux artistes de la commedia del arte, aux prestidigitateurs en tout genre et c'est un beau titre bien choisi pour le symbole de la recherche de l'impossibilité de la balle supplémentaire du jongleur.
On suit l'évolution du personnage que Gary, plus précisément Kacew, a créé de lui-même, personnage qu'il fait évoluer pour différentes raisons. On fait tous cela un peu je crois. Se créer un personnage, une idée de soi qui ne correspond pas tout à fait, pas vraiment ou pas du tout à notre vrai moi intérieur, c'est selon. Gary le faisait forcément avec ses personnages de roman dans lesquels il mettait un peu de l'idée qu'il avait de lui-même, mais il le faisait de son personnage-avatar Gary puis
Ajar, qu'il avait peut-être voulu faire vivre en partie d'une manière qui corresponde à un bout de lui-même. On sent bien que tout cela va mal finir. Et on le sent très tôt que tout cela va mal finir. Parce qu'on le sait, certes, mais parce qu'
Agata Tuszynska écrit bien les pensées négatives de
Romain Gary, les dépressions, les angoisses, les idées suicidaires qui l'ont très tôt habité et accompagné.
Pas de grande révélation dans ce livre mais des éclaircissements, des mises aux points, des éclairages particuliers. Un point de vue, beau, admiratif et même amoureux. Un amour tout à fait platonique si j'ai bien compris, un amour plutôt fraternel qui correspond totalement à mon propre ressenti.
Agata Tuszynska s'adresse à l'auteur dans des lettres. Une belle histoire d'amour entre une lectrice et un auteur. Et les histoires d'amour finissent mal en général. Sauf si c'est nous qui les écrivons.
Vous aurez compris que j'ai été conquise. J'ai adoré ce livre, mais c'était facile, c'était couru d'avance, je suis entièrement acquise à la cause. Pleine d'une admiration lucide cependant, alors la face sombre de Gary ne m'a pas étonnée plus que cela.
Un détail m'a manqué : sont évoqués différents aspects de ses livres, de ses personnages. Je me suis souvent interrogée, et continue de le faire d'ailleurs, sur le baron, personnage récurrent et totalement déplacé dans chacun des livres où il apparaît : est-il l'incarnation d'une idée ? de l'auteur lui-même ? Il y a sûrement un livre qui parle de lui, une thèse qui existe quelque part et qui en propose une analyse. Si quelqu'un est au courant de quoi que ce soit sur le sujet, il faut me faire signe, merci.
A tous les admirateurs de Gary, je recommande ce livre sans hésitation.
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