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Jean-Pierre Vernant (Directeur de publication)
EAN : 9782020389693
433 pages
Seuil (02/01/2000)
4.29/5   12 notes
Résumé :
Une synthèse incontournable pour tous ceux que la Grèce et l'antiquité intéressent, enfin disponible en poche.

Introduction, Jean-Pierre Vernant
L'homme et l'économie, Claude Mossé
L'homme et la guerre, Yvon Garlan
Devenir homme, Giuseppe Cambiono
Le citoyen, Luciano Canfora
Homo domesticus, James Redfield
Le rustre, Philippe Borgeaud
L'homme grec, spectateur et auditeur, Charles Segal
L'homme gr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
"L'homme grec" est un ouvrage collectif introduit et patronné par le célèbre Jean-Pierre Vernant, qui a réuni pour sa composition plusieurs excellents historiens, compétents, lettrés et bons écrivains (ou bien traduits). L'ouvrage prend à rebours les mentalités grecques, qui reléguaient tout en bas de l'échelle des valeurs les activités économiques, en commençant par là, et par un texte de Claude Mossé, "L'homme et l'économie", analysant pour la période classique l'activité agricole et commerciale de la Grèce, naturellement ouverte sur les échanges en Méditerranée. Tout change avec Alexandre, quand le monde grec accède à des échanges et à des pouvoirs de dimension mondiale. Mais l'ouvrage étant limité à la période classique, Mossé ne va pas au-delà et n'analyse pas cette mondialisation-là. Yvon Garlan, dans son essai "L'homme et la guerre", suit les traces de Claude Mossé : la guerre, comme l'économie, est un travail, une activité aussi bien économique que politique, fortement marquée par les pratiques de citoyenneté et de domination.

Deux autres articles, "Devenir homme" et "Le citoyen", de Giuseppe Cambiano et Luciano Canfora, concernent la cité en tant qu'espace public masculin : comment on y prépare les jeunes gens par l'éducation, comment on y remplit ses devoirs comme citoyen (car la citoyenneté n'est pas un ensemble de droits, mais de devoirs, à commencer par la guerre). Ces textes font comprendre la puissante dimension politique de la civilisation et de la littérature grecques classiques. Contrairement à nous, les Grecs ne prennent pas l'ordre politique comme un donné, une fatalité qu'il faut subir : ils voient dans les régimes politiques l'action des hommes, action qui peut être changée, abolie, refaite ou inaugurée (dans les colonies par exemple). Pour eux, nul dieu ne consacre ni n'impose un ordre politique qu'il serait sacrilège de contester. Enfin, deux articles analysent l'homme grec tel qu'il apparaît peu dans les sources : l'homme chez lui, dans le domaine que régit sa femme ("Homo domesticus", James Redfield) et "le rustre", par Philippe Borgeaud. Les deux sortent du monde compétitif, politique et guerrier de la cité, et sont partie prenante du mode productif de la ferme ou du foyer domestique, propres à l'économie. Enfin, trois essais finaux abordent ce qu'en termes marxistes on appellerait "superstructure" : "L'homme grec, spectateur et auditeur" de Charles Segal, l'un des plus beaux textes du recueil à mon goût, "L'homme grec et les formes de socialité" (banquets, cultes, cérémonies civiques) par le sociologue jargonnant Oswyn Murray, enfin "L'homme et les dieux", qui étudie ce qui, pour nous, est un objet difficile, un paganisme, un panthéisme dont les principes et les pratiques sont devenus totalement incompréhensibles après 1500 de monothéisme chrétien.

On aura compris que personne ne peut venir à bout d'un tel ouvrage, tant il est dense, riche et en même temps accessible au lecteur peu instruit dans le domaine de la Grèce ancienne. On profitera de ces textes lumineux pour se débarrasser d'un certain nombre de préjugés scolaires, et pour jeter un regard neuf sur cette civilisation mère qui reste si présente aujourd'hui, qu'on le veuille ou non.
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
[Charles Segal, "L'homme grec, spectateur et auditeur"]
Platon suggère dans le Philèbe que la vie est comédie ou tragédie (50b), ce qui est peut-être la première formulation dans la littérature occidentale de l'analogie du monde et de la scène, rendue célèbre par les propos désabusés de Jacques dans "Comme il vous plaira" de Shakespeare (II-7) . "Chacun de nous est un théâtre suffisamment grand pour les autres", observait Epicure (cité par Sénèque, Lettres VII-11). La version la plus grandiose est celle du "Longin", qui, dans son traité "Du Sublime", datant peut-être de la fin du I°s ap. J.-C., compare l'univers entier à une vaste représentation : l'homme y assiste en spectateur privilégié, et y reconnaît la grandeur à laquelle le destine la portée infinie de son esprit (35).

Ce passage, très influencé par le stoïcisme platonisant, attribue en fait à l'humanité ce qui dans la pensée grecque archaïque et classique est la prérogative des dieux : regarder de l'extérieur les luttes et les souffrances de la vie humaine. C'est aussi ce que fait le sage, serein comme un dieu, dans la philosophie épicurienne (Lucrèce, De rerum natura, II-1-13). Tant avec l'épopée qu'avec la tragédie, le public partage un peu ce point de vue privilégié - au figuré dans le premier cas puisque le narrateur, ce tiers omniscient, nous met dans dans le secret de ce que les dieux voient et savent, plus littéralement dans le second puisque nous sommes assis au-dessus de l'action et la regardons d'en-haut d'une distance quasi-olympienne, sinon avec un détachement olympien. Dans l'épopée comme dans la tragédie, le spectacle de la souffrance humaine ne fait que renforcer notre conscience des limites qui enserrent la condition mortelle. La vision philosophique, elle, se donne préalablement pour but de transcender lesdites limites.

pp. 258-259
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[Le citoyen, Luciano Canfora]
Un Grec d'Asie comme Hérodote, qui avait une remarquable connaissance du monde perse, a pourtant essayé de montrer (mais, ainsi qu'il le fait remarquer, "on ne l'a pas cru") qu'en Perse aussi, à la mort de Cambyse, (à un moment donc où Athènes est encore gouvernée par les fils de Pisistrate), on prit en considération l'hypothèse démocratique consistant à "mettre la politique en commun" ( Ὀτάνης μὲν ἐκέλευε ἐς μέσον Πέρσῃσι καταθεῖναι τὰ πρήγματα - ... es meson ... katatheinai ta prègmata ) - selon ses termes (III,80). Hérodote rappelle aussi que, lorsque Darius marchait sur la Grèce en 492, Mardonios, son parent et collaborateur dans cette entreprise, "abattait les tyrans de l'Ionie et instaurait des démocraties dans les villes" (VI, 43), tandis qu'il longeait l'Ionie en direction de l'Hellespont. Hérodote craint à ce sujet également l'incrédulité des Grecs, puisque ceux-ci "n'ont pas cru que [lors de la crise qui suivit la mort de Cambyse] Otanès avait proposé aux Perses un régime démocratique."

On ne voit pas pourquoi on ne croirait pas Hérodote. Il apporte là toute une série de précieuses notions qui permettent de rapprocher largement les Grecs des Perses : deux mondes entre lesquels la représentation idéologique que les Grecs ont donnée d'eux-mêmes a creusé un abîme, mais qui étaient, dans la pratique concrète, très voisins et entremêlés, et cela jusque dans leur expérience politique. En témoigne le naturel avec lequel des hommes politiques tels que Thémistocle, Alcibiade et Lysandre sont entrés en relation avec le monde perse ; il en fut de même, avant eux, pour les Alcméonides, bien qu'Hérodote s'efforce de mettre un pudique voile patriotique sur cette affaire (V, 71-73, VI, 115 et 121-124). On peut donc sans risque penser que le langage employé par Otanès (hypothèse démocratique), Mégabyze (hypothèse oligarchique) et Darius (hypothèse monarchique, celle qui a triomphé) dans le débat constitutionnel contrasté qui les oppose dans Hérodote était également familier aux notables perses cultivés, et en relevait pas exclusivement de l'expérience politique grecque.

pp. 149-150
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[Charles Segal, "L'homme grec, spectateur et auditeur", p. 248]
Dans les "Nuées", le génie parodique d'Aristophane réunit les deux formes de cette quête visionnaire du lointain et de l'invisible. Tandis que ses disciples, les yeux baissés, scrutent la terre, Socrate est suspendu dans une nacelle, ce qui lui permet d'affiner ses réflexions sur "ta météôra", les objets célestes (227-234). Il a aussi perdu "une grande pensée" quand un lézard a lâché sa fiente dans sa bouche alors qu'il "étudiait le cours suivi par la Lune dans ses révolutions et qu'il regardait en l'air la bouche ouverte" (171-173).

L'imagination sarcastique d'Aristophane saisit ici une caractéristique essentielle des philosophes présocratiques qui ont inspiré le "Socrate" des "Nuées" : leur intérêt passionné pour la clarté visuelle du monde phénoménal. Pour les "physiciens" ioniens des VI° et V°s av. J.-C., d'Anaximandre à Anaxagore et à Démocrite, l'univers lui-même devient un spectacle, une vision ordonnée que l'on comprend par l'usage systématique de la raison. Ce processus et ses résultats, les présocratiques les désignent du mot "théorein", dont la racine est "théa", la vision. "Théôria" implique la même identification du savoir à la vue que le verbe courant pour "je sais" : "oida" (de la racine vid-, voir). Ces penseurs emploient le mot "théôria" qu'il soit question d'observer les cieux, de "contempler les effets et l'essence du nombre" (Philolaos), de "voir" la qualité des vies humaines" (Démocrite), ou de "voir l'ordonnancement [taxis] de l'univers entier" (Anaxagore).

En concevant l'univers comme un tout visuellement intelligible (ce qu'implique la dernière formule), les présocratiques abandonnent ou interprètent métaphoriquement les mythes (...) Afin d'exposer la clarté synoptique de sa vision de l'univers, Anaximandre, par exemple, dessine son image du monde sur une tablette (pinax), ou même fabrique une sphère, probablement pour obtenir un modèle en trois dimensions, exactement comme le géographe Hécatée de Milet trace une carte (...) Cette démarche, décisive pour le développement de la science occidentale, ne remplace pas seulement le muthos par le logos, mais aussi l'imagerie anthropomorphique par une "théorie" plus abstraite.
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[Luciano Canfora, Le citoyen]
Le mot même qu'il utilise [Périclès selon Thucydide], dèmokratia, n'est pas un terme caractéristique du langage démocratique, qui emploie plus communément, comme nous le savons, "dèmos", dans ses significations diverses (rappelons-nous une formule typique des démocrates, luein ton dèmon, abattre, ou tenter d'abattre, la démocratie). "Dèmokratia", à l'origine, est au contraire un terme violent et polémique ("la prédominance du dèmos"), formé par les ennemis de l'organisation démocratique : ce n'est pas un terme qui évoque la cohabitation. Il exprime la prédominance d'une partie de la population : on ne peut désigner cette dernière qu'en termes de classe, de sorte qu'Aristote, pour plus de clarté, formule le paradoxal exemplum fictum selon lequel, dans une communauté de 1300 citoyens, la suprématie de 300 indigents (si tant est qu'il y en ait autant) sur tous les autres individus constitue, néanmoins, une "démocratie". Considérée sous cet angle, la démocratie finit par assumer les traits propres à la tyrannie : le "dèmos" revendique en premier lieu un privilège propre au tyran, celui d'être au-dessus des lois, "poiein ho ti bouletai" (faire ce qu'il veut).

p. 168
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[James Redfield, Homo domesticus, p. 205]
La sphère publique est masculine, faite de mots et d'idées, caractérisée par une compétition ouverte pour les honneurs - c'est-à-dire la reconnaissance de ses pairs. Le corps y est typiquement dévoilé ; cette "nudité héroïque" (que l'art devait étendre, au-delà des exercices athlétiques, aux jeunes mâles en général) présente la personne comme une créature minimale, une simple unité sociale qui se pose. C'est dans la compétition que ces personnes /réalisent/ des différences ; leur communauté est donc fondée sur leur /similitude/ initiale. (A Sparte, on appelait les citoyens "Homoioi", les Semblables). Les femmes étaient exclues en vertu du principe au nom duquel Socrate les inclut, celui qui veut que la similitude (dans les domaines qui comptent, quels qu'ils puissent être) soit le fondement de l'Etat. Concrètement, dans la plupart des Etats grecs, cette similitude prenait la forme d'une participation commune à un entraînement et à une organisation militaires, dont le noyau était un corps d'hoplites à la formation et à l'équipement identiques, efficace non en tant que hiérarchie organisée mais en tant que masse uniforme.

Dans la sphère privée, en revanche, la différence était primordiale ; la féminité y acquérait une valeur spécifique parce que, dans le mariage, les hommes et les femmes entraient en relation à travers leur différence. La maison était un lieu non de compétition mais de coopération, non d'idées mais d'objets, non d'honneurs mais de biens, d'ornements, de meubles. Le corps, ici, est typiquement paré ; c'est le lieu primordial tant de la production que de la consommation, celui où le citoyen reprend contact avec son moi naturel et avec la terre. le fantasme de Socrate (République V 452 sq), c'est précisément de trancher ce lien avec la terre, de nier toute personnalité au corps et au moi naturel.
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