J'ai pris ce tome de la saga Cochrane lors du festival ImaJnère à Angers en mai 2023, content de pouvoir échanger avec l'auteur, Giberto Villarroel. Après lecture de ce roman glacial sous un soleil printanier, que pensé-je de "
Lord Cochrane et les Montagnes hallucinées" ? Un titre qui annonce clairement le croisement avec
H.P. Lovecraft et son Mythe de Cthulhu.
Déjà, cet opus est bien plus riche en action que le tome précédent, "
Lord Cochrane et le trésor de Selkirk". Ce dernier était surtout un hommage au génial marin écossais en ses années sud-américaines, et... une bande annonce géante pour les tomes à venir : le Montagnes Hallucinées + les sorcières de Chiloé.
Riche en action, car les chapitres suivent le droit fil de la descente d'un groupe de héros dans l'abîme. A quelques exceptions près : certains chapitres déportent le regard, racontent selon le point de vue d'un autre personnage, souvent pour ménager une révélation, amener un twist. Il y a une certaine nervosité du récit qui est plaisante.
La plaisir a aussi été, pour moi, celui de la reconnaissance :
Gilberto Villarroel est nourri de lecture et sait s'en servir comme autant de pièces de puzzle qu'il retaille et recompose à sa fantaisie pour recréer du neuf à partir de ce qui n'a pas vieilli. Pièces de puzzle choisies avec soin pour éviter des contresens historiques trop criants : par exemple, dans les années 1820, le continent antarctique n'était pas connu, à part quelques franges et îles, comme celle de la Désolation, havre de baleiniers. Il sert de point de rendez-vous dans le roman.
Plaisir de la reconnaissance, disais-je, car les montagnes du titre, explorées par en-dessous (un tunnel allant de Terre de Feu jusqu'à l'île de la Désolation) tiennent autant du "
Voyage au centre de la Terre" de
Jules Verne que des "Montagnes hallucinées" de
Lovecraft !
Gilberto Villarroel superpose avec bonheur des épisodes semblables chez les deux, quand l'exploration devient découverte de l'Histoire des Anciens, les héros passant d'une salle à une autre d'un musée rempli de cartes, de fresques et de squelettes de dinosaures. L'épisode de la mer intérieure et du radeau rappellera à beaucoup de lecteurs la fameuse adaptation de Verne par Disney en 1959... L'épisode final, l'auteur le dit clairement en postface, nous plonge ensuite dans une autre ambiance filmique : "The Thing" de Carpenter !
Je retiens trois qualités à ce livre.
1) le personnage de l'arch-enemy de Cochrane, le pirate Corrochano, en quelque sorte son double (d'où son nom assez proche) plus maléfique, et terriblement, terriblement obstiné ! Je l'ai trouvé presque effrayant, plus grand que la fiction, prêt à bondir des pages.
2) Une atmosphère steampunk renouvelée, avec le vapeur Rising Sun, et l'usage très imprévu de la locomotive de
Stephenson. En bon amoureux de
Jules Verne et de ses machines à gros rouages, je dis : très bien ! Petit regret que l'aspect technique n'ait pas été aussi fouillé que l'aspect historique. Voir par exemple le roman de
Jean-Jacques Antier, "Les Seigneur de la mer" (les chapitres consacrés au premier vapeur transatlantique français en 1840, à sa machine, ses roues graissées, la qualité de son charbon, la pression de ses chaudières...)
3) Une fin peut-être ouverte : la présence de shoggoths dépeints comme les réplicateurs de "The Thing" laisse, pour moi, planer un doute sur l'identité réelle d'un des personnages qui s'échappent du piège des glaces... Mais je suis peut-être trop méfiant !
A noter un rythme qui devient très rapide sur la fin, balayant la destinée de tous les personnages, peut-être un peu trop nombreux pour leur rendre justice à tous dans le récit.
L'échappée de ce petit monde des mâchoires de la banquise semble assez rapide, ce qui m'a surpris, moi qui suis habitué à l'âpreté des récités polaire, au combat contre le froid (peu évoqué ici) et la survie avec des bouts de ficelle, quelques boulets de charbon et de rares vivres... Je pense aux "Rescapés de l'Endurance" de Lansing, aux récits polaires de Verne, et autres documents que j'avais lus pour mon propre livre, l'Escape Book "Piège arctique".
Au final, une bonne lecture que je recommande !