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Voltaire : Correspondance - La P... tome 12 sur 13
EAN : 9782070109289
1856 pages
Gallimard (20/01/1978)
4/5   4 notes
Résumé :
La correspondance de Voltaire représente magnifiquement une période critique de l'histoire; façonnée jour après jour durant plus de soixante ans, elle nom donne une image fidèle de cette époque tout entière, dans sa noblesse, sa grandeur et sa bassesse, et nom rend familiers de ses penseurs et de ses artistes, de ses rois et de ses hommes d'État, de ses percepteurs et de ses tripiers; elle reflète diversement l'eSlrit, les sentiments, les faits et geStes d'un très g... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Un délice pour l'esprit cette correspondance de Voltaire qui écrit jour et nuit à toute l'Europe cultivée. Cette correspondance vivace, pétillante, drôle, caustique, véhémente, passionnée offre l'un des plus beaux voyages que l'on puisse faire dans les problèmes, les enjeux et les défis du XVIIIème siècle, et l'on y voit défiler la plupart des acteurs principaux de cette époque.
On y retrouve aussi les terribles polémiques dans lesquelles s'engage Voltaire (à plus de 70 ans) pour défendre la cause de Calas ou du Chevalier de la Barre, et obtenir leur réhabilitation quand leurs supplices font littéralement figure d'assassinat par la "justice" de ces temps troublés.

Ce livre propose une sélection de cette correspondance, l'une des plus foisonnantes qu'il soit : l'ensemble de la correspondance de Voltaire a été publiée par la Pléiade en ...... 13 volumes ! en plus de 40 ans, sa correspondance aboutit à 13 volumes de la Pléiade, c'est fascinant ! Voltaire champion de la plume toutes catégories
A l'heure de nos mails et sms, voilà qui laisse rêveur
Ci-joint un lien pour un commentaire sur l'édition complète en 13 volumes
Lien : http://www.fondationlaposte...
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Une correspondance qui permet d'entrer dans la vie privée de l'auteur, de mieux connaître ses fréquentations, ses ennemis, ses amours. Les lettres à Joseph II, archiduc d'Autriche mais aussi duc de Bourgogne, renseignent bien sur les moeurs de l'époque. Comme Zola avec « j'accuse », il défend la mémoire de Calas (protestant) injustement supplicié puis exécuté pour le meurtre de son fils (catholique). Les lettres sont indépendantes et peuvent être feuilletées au gré de votre humeur et du topique qui vous intéresse selon un index thématique et nominal situé en fin de livre.
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
DE M. D’ALEMBERT.
Paris, ce 18 octobre.1760

Je m’attendais bien, mon cher et grand philosophe, que vous seriez content de l’Indien[1] que je vous ai adressé, et qui brûlait d’envie d’aller prendre vos ordres pour les bramines. À l’égard de mon discours, maître Aliboron, votre ami et le mien, n’en a pas pensé comme vous. Il ne l’a ni lu ni entendu, et en conséquence il vient de faire deux feuilles contre moi que je n’ai aussi ni lues ni entendues, et dans lesquelles je sais seulement que vous avez votre part. Il prétend que si votre siècle a des bontés pour vous, la postérité ne vous promet pas poires molles, et il vous met au-dessous de tous les poëtes passés, présents et à venir, depuis Homère jusqu’à Pompignan. J’ai hésité si je vous annoncerais crûment cette humiliation ; mais je veux être l’esclave des triomphateurs romains, et vous apprendre à ne pas mettre au pilori, comme vous avez fait, l’honneur de la littérature française.

Je ne sais pas si les comédiens ont cassé bras et jambes à Tancrède ; mais je sais que, pour un roué, il avait encore très-bonne grâce. Au reste, je suis bien aise de vous apprendre encore (car je veux absolument vous humilier aujourd’hui) que l’on répète à cette occasion ce qu’on a dit régulièrement à chacune de vos pièces, que vous n’avez encore rien fait d’aussi faible ; il est vrai qu’on dit cela les yeux gros, et cela doit essuyer les vôtres.

Vraiment je vous félicite de tout mon cœur de la conquête[2] que vous venez de faire à la vigne du Seigneur. Depuis le voyage de la reine de Saba, il n’y en a point de plus édifiant que celui de ce bon gentilhomme qui fait cent cinquante lieues pour être bien sûr que deux et un font trois. Il est vrai que vous étiez fait, plus que personne, pour lui persuader que trois ne font qu’un, car il a dû voir que vous en valiez bien trois autres.

Je ne doute point que vous ne conserviez précieusement le dieu[3] que M. de Maudave vous a apporté des Indes. Ces gens-là sont plus sensés que nous ; nous avons fait notre dieu d’une gaufre ; les Indiens vont, comme Bartholomée, droit au solide[4].


· · · · · · · · · · Priapum,
Maluit esse deum.

(Hor., lib. I, sat. viii, v. 2.)

C’est celui-là qu’on peut bien appeler Dieu le père.

Je passe à Boileau d’avoir parlé en vers de sa perruque, mais je ne lui passe pas de s’être donné là-dessus les violons. La poésie, quoi qu’il en dise, ne doit se permettre qu’à regret les petits détails qui ne valent pas la peine qu’ils donnent ; elle est faite pour exprimer de grandes choses, nobles et vraies. Si vous ne pensiez pas comme moi, je dirais que vous avez fait, comme M. Jourdain, de la prose[5] sans le savoir.

Oui, en vérité, vous devez une épître à Mlle Clairon, et je ne vous laisserai point en repos que vous n’ayez acquitté cette dette. Je vous permets, pour vous mettre à votre aise, d’y parler de tout ce qu’il vous plaira, même de votre perruque ; et, s’il vous en faut encore une autre, je vous abandonne celles de Pompignan, Fréron, et Trublet, que vous avez déjà si bien peignées.

M. Turgot m’écrit qu’il compte être à Genève vers la fin de ce mois ; vous en serez sûrement très-content[6]. C’est un homme d’esprit, très-instruit, et très-vertueux, en un mot, un très-honnête cacouac[7], mais qui a de bonnes raisons pour ne le pas trop paraître : car je suis payé pour savoir que la cacouaquerie ne mène pas à la fortune, et il mérite de faire la sienne.

Comment diable, quarante-neuf convives[8] à votre table, dont deux maîtres des requêtes et un conseiller de grand’chambre, sans compter le duc de Villars et compagnie !

Vous êtes donc comme le père de famille de l’Évangile[9], qui admet à son festin les clairvoyants et les aveugles, les boiteux, et ceux qui marchent droit ? Votre maison va être comme la Bourse de Londres : le jésuite et le janséniste, le catholique et le socinien, le convulsionnaire et l’encyclopédiste, vont bientôt s’y embrasser de bon cœur, et rire encore de meilleur cœur les uns des autres. Si vous pouviez encore engager Jean-Jacques Rousseau à venir à quatre pattes, de Montmorency à Genève, faire amende honorable à la comédie en se redressant sur ses deux pieds de derrière pour jouer dans quelqu’une de vos pièces, ce serait vraiment là une belle cure, et plus belle que celle de votre campagnard nouveau converti ; mais je crois que pour Jean-Jacques l’heure de la grâce n’est pas encore venue.

Il me semble, comme à vous, que votre ancien disciple est un peu remonté sur sa bête[10] ; mais je crains qu’elle ne soit encore un peu récalcitrante, et je ne le vois pas bien affermi sur ses étriers. Mais, à propos de bête, que dites-vous de la figure que nous faisons sur la nôtre ? Que dites-vous de ce fameux duc de Broglie,


Sage en projets, et vif dans les combats,
Qui va venger les malheurs de la France[11] ?


Il me semble qu’il perd sa réputation sou à sou ; c’est se ruiner assez platement.
En attendant, nous avons perdu le Canada. Voilà le fruit de la besogne de ce grand cardinal[12] que vous appeliez si bien Margot la bouquetière, et dont j’osais dire autrefois, en lui entendant lire ses poésies, que si on coupait les ailes aux Zéphyrs et à l’Amour, on lui couperait les vivres. Nous ne nous attendions pas, vous et moi, qu’il nous prouverait un jour, par le traité de Versailles, que sa prose vaudrait encore moins que ses vers. Nous n’aurions pas cru cela, lorsqu’il lisait à l’Académie son poëme[13] contre les incrédules, pour attraper un petit bénéfice de l’archimage Yebor[14], qui l’écoutait en branlant sa vieille tête de singe, et qui semblait lui dire : « Non, non, vous n’aurez rien, quoi que vous disiez ; on ne m’attrape pas ainsi. » Que Dieu le bénisse, lui, ses vers, et sa prose ! On dit qu’il a permission d’aller se promener dans ses abbayes ; on aurait dû l’envoyer promener quatre ans plus tôt. Ill ne reste plus qu’à savoir ce que nous allons devenir, et quel parti nous allons prendre.


Quand on a tout perdu, quand on n’a plus d’espoir,
La guerre est un opprobre, et la paix un devoir[15].


Quant à nos sottises intestines, elles commencent à foisonner un peu moins dans ce moment-ci. Il n’y a rien de nouveau, que je sache, du quartier général de l’Encyclopédie et de la Palissoterie. La Philosophie est entrée en quartier d’hiver. Dieu veuille qu’on l’y laisse respirer !

Adieu, mon cher et illustre maître ; continuez à rire de tout ce qui se passe. J’en ris tout autant que vous, quoique je sois dans la poêle ; heureux qui, comme vous, a trouvé moyen de sauter dehors ! Vous ne vous plaindrez pas que cette épître est une lettre de Lacédémonien[16] : pourvu qu’elle ne vous paraisse pas une lettre de Béotien[17], je serai consolé de mon bavardage.

À propos, vraiment j’oubliais de vous dire que je suis raccommodé, vaille que vaille, avec Mme du Deffant ; elle prétend qu’elle n’a point protégé Palissot ni Fréron, et j’ai tout mis aux pieds, non du pendu, mais de Socrate. Ainsi, qu’elle ne sache jamais ce que je vous avais écrit[18] pour me plaindre d’elle : cela me ferait de nouvelles tracasseries que je veux éviter.

Le chevalier de Maudave.
De d’Argence.
C’était un Limgam ou Phallus, très-révéré dans l’Inde. C’est l’instrument qui distinguait le dieu Priape, et qui était également honoré chez les Romains comme l’emblème de la génération. — Quant aux gaufres, voyez la lettre de d’Alembert à Voltaire, du 2 octobre 1762.
Contes de La Fontaine, le Calendrier des vieillards.
Le Bourgeois gentilhomme, acte II, scène vi.
Très-content en effet. Voyez plus bas la réponse de Voltaire, sous le n° 4337.
Un philosophe.
Voyez la lettre 4290.
Luc, chap. xiv, v. 21.
Le général Daun, battu complètement par Frédéric près de Torgau, le 3 novembre suivant.
Ces vers sont du Pauvre Diable : voyez tome X.
Bernis.
Intitulé la Religion vengée, dont la première édition est de 1795.
Anagramme de Boyer.
Parodie des derniers vers du second acte de Mérope. tome IV, page 220.
Allusion à un mot de Voltaire dans l’avant-dernier alinéa de la lettre 4143.
Les plaisanteries sur l’esprit des Béotiens ont été renouvelées des Grecs relativement à celui des Champenois.
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À M. FYOT DE LA MARCHE.

À Paris, ce 23 du mois de may[2].
Monsieur, tout frais moulu d’une retraite[3], tout nouvellement débarqué du noviciat, muny de cinquante sermons, je viens pour surcroît de consolations de recevoir votre lettre : je vous fais réponse en m’endormant, mais fort éveillé sur votre chapitre. Ma solitude de 8 jours m’apprend à être icy un peu solitaire ; mais que je renoncerois volontiers à cette vie monastique pour avoir le bonheur de vous voir ! Car enfin, lorsqu’on est seul, outre qu’on est souvent en danger de trouver la compagnie ennuyeuse[4], il faut du moins avoir quelqu’un à qui on puisse dire que la solitude est agréable. Si j’avois appris des nouvelles au noviciat, je vous en dirois, mais je n’avois point de commerce avec le monde : je vous diray seulement que M. Feydau[5] vous a suivy de prez, et qu’il s’est envolé comme vous ; je ne sçay si je devrois souhaitter aussi la clef des champs ; si vous avez pris votre volée le premier, tout lourd que vous êtes, c’est que vous avez de meilleures ailes que moy. N’ayant donc point de nouvelles à vous apprendre, et ne voulant point borner ma lettre à dix ou douze lignes, je vous diray ce que je vous ay desja dit si souvent, mais comme je sors de retraitte ce sera en style de dévot que je diray que j’ay pour vous une singulière dévotion, que je pousse mainte fois plusieurs pieuses affections en votre endroit. Je vois bien que ce n’est pas là mon langage, ainsi pour continuer je veux revenir à mon naturel, et répondre à votre lettre, dont j’ay fait la critique, et dont je vous envoyé icy quelques errata. La première faute à corriger, ce sont les compliments que vous me faittes ; la seconde, c’est l’indifférence que vous avez pour le souvenir que j’ay de vos ouvrages ; troisième faute, vous dites que vous êtes bien aise que je pense souvent à vous : au lieu de souvent mettez toujours ; quatrièmement, vous pensez beaucoup à moy et à quelques autres philosophes : corrigez cette façon de parler, et mettez à des philosophes. Voylà à peu prez ce que j’avois à vous dire touchant les errata de votre lettre ; vous ne pouvez pécher que par trop de bonté pour moy, car pour le stile et les pensées, ce n’est pas ce qu’on y peut reprendre ; c’est la différence qu’il y a de vous à moy ; il n’y a de mauvais dans ma lettre que la manière dont je l’écris, et je ne crains point que vous m’envoyiez un errata quand je vous diray que tout le collége a fait en vous une grande perte, qu’il n’y a personne qui ne vous estime et ne vous aime, enfin que tout le monde est dans les mesmes sentiments pour vous. Je vous prie de ne point manquer à me faire sçavoir de vos nouvelles le plus souvent que vous pourrez ; pour moy, je vous écriray tous les huit jours et tacheray de vous mander les nouvelles du collége et de Paris : mandez moy pareillement celles de Disjon et particulièrement comment se porte monsieur votre père, qu’on m’a dit qui étoit malade. Je vous prie que notre commerce de lettres ne soit point interrompu, puisque l’amitié dont vous m’honorez ne l’a jamais été. Enfin je n’ay plus rien à vous dire. On est un peu embarrassé quand on écrit à une personne d’esprit. Pardonnez moy donc, mon cher monsieur, si la stérilité où je me trouve, non de sentiments mais d’expressions, me fait mettre un peu plus tôt que je ne voudrois cette formule ordinaire que les amis et les personnes indifférentes placent indifféremment à la fin d’une lettre agréable ou ennuyante ; l’ennuyant peut fort bien me convenir, mais non pas l’indiffèrent. Et c’est avec sincérité et avec toute l’affection et tout le respect possible que je suis et seray toujours votre très-humble et très-obéissant serviteur et amy,

Arouet.
Vous voulez bien, monsieur, que j’ajoute icy quelques mots pour le père Polou, le père Thoulier[6] et notre régent, qui tous trois m’ont chargé de vous marquer combien ils vous estiment et vous honorent. Je vous fais aussi des compliments de la part de M. Perrot ; pour vos autres amis je crois qu’ils s’en acquittent eux mesmes. Adieu encor une fois, mon cher monsieur, je souhaite avec passion de vous voir, et je finis avec peine quoyque je ne vous dise rien de bon.

Si je ne vous écris que cinq jours aprez que votre lettre est arrivée, c’est que je ne l’ay receüe qu’en sortant de la retraitte.


Publiée dans Voltaire au collége.
1711.
Les jésuites donnaient de fréquentes retraites à leurs élèves. Voltaire nous apprend lui-même que celle-ci a duré huit jours. (H. B.)
Voiture et Balzac avaient déjà dit quelque chose de semblable. On sent l’imitation de l’écolier qui, tout en s’appelant un peu plus bas philosophe, n’a pas encore essayé ses propres ailes. Cette lettre d’ailleurs a, d’un bout à l’autre, un tour aisé et facile qui annonce le style de Voltaire. (H. B.)
Quel est ce monsieur Feydau ? Peut-être le futur intendant de Rouen, qui fut père de Feydeau de Brou. (H. B.)
Ou autrement l’abbé d’Olivet, qui fut quelque temps chez les jésuites. Il témoignait beaucoup d’affection à Voltaire et au jeune Fyot de La Marche. (H. B.)
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À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[1].
10 octobre.

Si vous n’êtes point un grand enfant[2], madame, vous n’êtes pas non plus une petite vieille. Je suis votre aîné, et je joue la comédie deux fois par semaine ; et le bon de l’affaire c’est que nous jouons des pièces nouvelles de ma façon, que Paris ne verra pas, à moins qu’il ne soit bien sage et bien honnête.

Comme je fais le théâtre, les pièces, et les acteurs, qu’en outre je bâtis une église et un château, et que je gouverne par moi-même tous ces tripots-là ; et que, pour m’achever de peindre, il faut finir l’Histoire de Pierre le Grand, et que j’ai dix ou douze lettres à écrire par jour, tout cela fait que vous devez me pardonner, madame, si je ne vous ennuie pas aussi souvent que je le voudrais.

J’ai pourtant un plaisir extrême à m’entretenir avec vous ; vous savez que j’aime passionnément votre esprit, votre imagination, votre façon de penser. Vous aurez la moitié de Pierre incessamment. Il y a un paquet tout prêt pour vous et pour M. le président Hénault ; mais on ne sait comment faire pour dépêcher ces paquets par la poste.

Je vous avertis que la Préface vous fera pouffer de rire, et vous serez tout étonnée de voir que la plaisanterie[3] n’est point déplacée.

J’y joins un chant de la Pucelle[4], qui pourra vous faire rire aussi. Je vous promets encore de vous chercher des fariboles philosophiques dans ma bibliothèque ; mais il faut que vous sachiez que je ne suis guère le maître d’entrer dans ma bibliothèque à présent, parce qu’elle est dans l’appartement qu’occupe M. duc de Villars, avec tout son monde. Il nous a joué, à huis clos, Gengiskan dans l’Orphelin de la Chine ; il vaut mieux que tous vos comédiens de Paris.

Je suis fort aise, madame, qu’on ait imprimé ma lettre[5] au roi de Pologne. Trois ou quatre lettres par an, dans ce goût-là, écrites aux puissances, ou soi-disant telles, ne laisseraient pas de l’aire du bien. Il faut rendre service aux hommes tant qu’on le peut, quoiqu’ils n’en vaillent guère la peine.

Mon petit parti d’ailleurs m’amuse beaucoup. J’avoue que tous mes complices n’ont pas sacrifié aux Grâces ; mais, s’ils étaient tous aimables, ils ne seraient pas si attachés à la bonne cause. Les gens de bonne compagnie ne font point de prosélytes ; ils sont tièdes[6], ils ne songent qu’à plaire ; Dieu leur demandera un jour compte de leurs talents.

Vous avez bien raison, madame, d’aimer l’Histoire[7] de mon ami Hume ; il est, comme vous savez, le cousin de l’auteur de l’Écossaise. Vous voyez comme il rend, dans cette histoire, le fanatisme odieux.

Ne croyez pas que l’Histoire de Pierre le Grand puisse vous amuser autant que celle des Stuarts ; on ne peut guère lire Pierre qu’une carte géographique à la main ; on se trouve d’ailleurs dans un monde inconnu. Une Parisienne ne peut s’intéresser à des combats sur les Palus-Méotides, et se soucie fort peu de savoir des nouvelles de la grande Permie et des Samoyèdes. Ce livre n’est point un amusement, c’est une étude.

M. le président Hénault ne veut point que je donne Pierre chiquette à chiquette ; je ne le voudrais pas non plus, mais j’y suis forcé. On a un peu de peine avec les Russes, et vous savez que je ne sacrifie la vérité à personne.

Adieu, madame ; si vous aviez des yeux, je vous dirais : Venez philosopher avec nous, parce que vos yeux seraient égayés pendant neuf mois par le plus agréable aspect qui soit sur la terre ; mais ce qui fait le charme de la vie est perdu pour vous, et je vous assure que cela me fait toujours saigner le cœur.

J’ai chez moi un homme d’un mérite rare, homme de grande condition, ancien officier retiré dans ses terres[8] ; il les a quittées pour venir, à cent cinquante lieues de chez lui, philosopher dans une retraite. Je ne l’avais jamais vu, je ne savais pas même qu’il existât ; il a voulu venir, il est venu ; il fait de grands progrès, et il m’enchante. Mais, par malheur, il me vient des intendants[9] : ces gens-là ne sont pas tous philosophes. Mon Dieu ! madame, que je hais ce que vous savez[10] !

Je vais être en relation avec un brame des Indes, par le moyen d’un officier[11] qui va commander sur la côte de Coromandel, et qui m’est venu voir en passant. J’ai déjà grande envie de trouver mon brame plus raisonnable que tous vos butors de la Sorbonne.

Adieu encore une fois, madame ; je vous aime beaucoup plus que vous ne pensez.

Réponse à la lettre de la marquise, du 20 septembre précédent.
Voyez tome XL, pape 532.
Voltaire veut sans doute parler de la plaisanterie sur Francus et le maréchal de Villars, dans la Préface de Pierre le Grand ; voyez tome XVI, page 382.
Voyez la lettre 4290.
Voyez n° 4230.
Voltaire songeait au président Hénault en écrivant ceci.
Celle de la maison de Stuart.
D’Argence de Dirac, dont il est question plus haut.
Joly de Fleury de La valette, intendant de Bourgogne.
L’infâme superstition. (Cl.)
Le chevalier de Maudave.
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E MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[1].
1er novembre 1760.

Oui, monsieur, j’ai reçu votre beau présent ; c’est M. Le Normand qui me l’a envoyé. Je donnai le même jour au président son exemplaire. Vous avez dû recevoir, il y a déjà longtemps, son remerciement. D’Alembert n’a eu votre livre que ces jours-ci. Ne croyez point, je vous prie, que j’ai tort si vous n’avez pas eu de mes nouvelles ; mon premier soin fut de lire votre Préface et deux ou trois chapitres. Je vous écrivis sur-le-champ, de ma propre main, une lettre de huit pages, et j’employai à cet ouvrage une de mes insomnies. Au réveil de mon secrétaire, je le lui donnai à lire : il n’en put presque rien déchiffrer. Je ne me souvenais plus de ce que j’avais écrit. Je fus si dépitée que je résolus d’attendre, pour vous écrire, que j’eusse entièrement fini votre livre. Ce qui est plaisant, c’est qu’hier, en finissant la dernière page, j’ai reçu votre dernière lettre. C’est immense, monsieur, ce que j’ai à vous dire ; d’abord je vous déclare que vous n’avez ni jugement ni goût si vous n’êtes pas content de votre Histoire : la préface est charmante ; vous traitez messieurs les faiseurs de recherches comme ils le méritent ; il y a tant de manières d’être ennuyeux qu’en vérité cela crie vengeance de se mettre à la torture pour en chercher de nouvelles. Je ne pense pas absolument comme vous sur les portraits et anecdotes, mais à l’explication il se trouverait peut-être que nous pensons de même. Les portraits imaginés, et les anecdotes fausses ou falsifiées, font de l’histoire d’indignes romans.

Vos descriptions de l’empire de Russie, les établissements, les réformes, les voyages du czar, tout cela m’a paru admirable. Ce qui regarde la guerre ne m’a pas fait autant de plaisir ; mais c’est que vous aviez tout dit sur cet article dans la Vie de Charles XII. Je l’ai reçu en même temps que le czar. Je ne souffre pas qu’on dise qu’il y ait la moindre contradiction.

Je vois, monsieur, que vous êtes fort au fait de ce que je fais ; je voudrais que vous le fussiez aussi bien de tout ce que je pense ; vous ne trouveriez rien à redire, et vous conviendriez que je ne suis point injuste dans les jugements que je porte, ni déraisonnable dans ma conduite. J’ai mis beaucoup d’impartialité dans la guerre des philosophes ; je ne saurais adorer leur Encyclopédie, qui peut être est adorable, mais dont quelques articles que j’ai lus m’ont ennuyée à la mort. Je ne saurais admettre pour législateurs des gens qui n’ont que de l’esprit, peu de talent et point de goût ; qui, quoique très-honnètes gens, écrivent les choses les plus malsonnantes sur la morale ; dont tous les raisonnements sont des sophismes, des paradoxes. On voit clairement qu’ils n’ont d’autre but que de courir après une célébrité où ils ne parviendront jamais ; ils ne jouiront pas même de la gloriole des Fontenelle et Lamotte, qui sont oubliés depuis leur mort ; mais eux, ils le seront de leur vivant ; j’en excepte, à toutes sortes d’égards, M. d’Alembert, quoiqu’il ait été mon délateur auprés de vous ; mais c’est un égarement que je lui pardonne, et dont la cause mérite quelque indulgence : c’est le plus honnête homme du monde, qui a le cœur bon, un excellent esprit, beaucoup de justesse, du goût sur bien des choses ; mais il y a de certains articles qui sont devenus pour lui affaires de parti, et sur lesquels je ne lui trouve pas le sens comumn, par exemple l’echafaud de Mlle Clairon, sur lequel je n’ai pas attendu vos ordres pour me transporler de colère. J’ai dit mot pour mot les mêmes choses que vous me dites, et d’Alembert sera bien surpris quand je lui donnerai à lire votre lettre ; ce sera un grand triomphe. Mais, monsieur, apprenez qu’il n’y a plus rien à faire ; tout est perdu dans ce pays-ci, tout est en anarchie ; chacun se croit le premier dans son genre, et chacun croit posséder tous les genres, et moi je dirai ce qu’un refrain de chanson disait d’un premier ministre de Perse, à son retour d’un exil : « Lui à l’écart, tous les hommes étaient égaux. » Vous avez actuellement avec vous un homme de ma connaissance, M. Turgot ; c’est un homme d’esprit, mais qui n’est pas absolument de votre genre.

Comment s’appelle cet homme qui a fait cent cinquante lieues pour vous venir trouver[2], et qui est depuis six mois avec vous ? Je l’en estime et l’en aime tant que je serais presque tentée de lui en faire faire des compliments.

N’oubliez pas que vous me promettez des insolences. Au nom de… tout ce que vous n’aimez pas, ayez soin de mon amusement, et soyez bien persuadé que, hors vous, tout me parait languissant, fade et ennuyeux. Je crains bien que cette lettre n’ait tous ces défauts.

Correspondance complète, édition de Lescure, 1865.
D’Argence de Dirac.
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À M. FYOT DE LA MARCHE[2].

À Paris, ce 8 may.[3]

Monsieur, ma lettre va augmenter le nombre de celles que vous recevez de ce pays cy, chacun s’y dispute et l’honneur d’avoir perdu le plus en vous perdant et l’avantage d’être le premier à vous écrire ; je ne me suis rendu que sur le dernier article, et je n’ay peu vous écrire qu’aujourdhuy parce que je reviens actuellement de la campagne. Je ne vous diray point combien votre éloignement m’afflige ; si une petite absence d’un jour ou deux vous a peu faire dire

Bien tristement j’ay passé ma journée,


je puis à présent vous dire avec plus de raison

Bien tristement je passe mon année....


Je finirois en vers, mais le chagrin n’est point un Apollon pour moy, et j’aime autant dire la vérité en prose. Je vous asseure sans fiction que je m’aperçois bien que vous n’êtes plus icy : toutes les fois que je regarde par la fenestre, je voi votre chambre vuide ; je ne vous entends plus rire en classe ; je vous trouve de manque partout, et il ne reste plus que le plaisir de vous écrire, et de m’entretenir de vous avec le père Polou[4] et vos autres amis. On m’a flatté de l’espérance de vous revoir au mois d’aoust, je croy que vous aurez la bonté de me le faire sçavoir ; je ferois volontiers un voyage en Bourgogne[5] pour vous dire de bouche tout ce que je vous écris ; votre départ m’avoit si fort désorienté que je n’eus ny l’esprit ni la force de vous parler, lorsque vous me vîntes dire adieu ; et le soir que je soutins ma thèse, je répondis aussi mal aux argumentans qu’à l’honnesteté que vous me fistes : comme dans peu je soutiendray encor, j’aurois grand besoin de vous voir pour me remettre un peu. Ma lettre à ce que je vois est assez à bastons rompus, et pour continuer sur le mesme ton je vous diray que M. l’abbé Poirier[6], qui vient de me faire une répétition, est venu frapper deux fois à votre porte, ne se souvenant plus que vous n’étiez point icy, et s’est apparemment impatienté que vous ne luy ouvrissiez point ; il m’a chargé de vous faire force compliments, et pareillement le rév. père Polou.

Au reste cette lettre cy n’est que la préface des autres, et je prétends vous écrire toutes les semaines sur un ton un peu plus guay que celui-cy. En attendant, je suis et seray toujours avec un profond respect et toute l’amitié possible votre très-humble et très-obéissant serviteur,

Arouet.
Publiée par M. H. Beaune dans Voltaire au collége. Paris, Amyot, 1867.
Né à Dijon le 12 août 1694, fils d’un président à mortier du parlement de Bourgogne, Claude-Philippe Fyot, marquis de La Marche, comte de Bosjan, baron de Montpont, avait été condisciple du jeune Arouet au collége de Louis-le-Grand.
1711.
Le P. Polou ou plutôt Paullou, jésuite, professa la rhétorique au collége Louis-le-Grand jusqu’en 1711, époque à laquelle ses supérieurs l’envoyèrent à Rennes pour y tenir la même classe. C’était un homme érudit et fort versé dans la connaissance des langues orientales. On a de lui un opuscule intitulé Réponse du P. Paullou, recteur du collége de Caen, à M***, sur un article des Nouvelles ecclésiastiques du 11 mai 1737. In-4°, 15 pages ; voyez la bibliographie des PP. de Baecker. (H. B.)
À Dijon ou au château de la Marche en Bresse, arrondissement de Châlon-sur-Saône, qui appartenait au président Fyot de La Marche. (H. B.)
Nous n’avons pu découvrir dans les mémoires du temps le moindre renseignement sur cet abbé Poirier, répétiteur de Voltaire. Un sieur Henri Poirier a publié en 1703 un petit volume in-12 sous le nom de Projet pour l’histoire du père Maignan et la doctrine de ce philosophe. Est-ce le même ? (H. B.)
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Frédégonde
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