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Critiques de Antonio Muñoz Molina (234)
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Séfarade

Eh bien, voilà mon premier coup de coeur de l'année.

Séfarade est un recueil de nouvelles liées entre elles par un lien ténu, subtil. Il n'y est pas tellement question de l'expulsion des juifs d'Espagne en 1492. Beaucoup plus de leur persécution pendant la seconde guerre mondiale. Mais plus encore d'autres qui ont partagé ou qui ont été témoins d'expériences similaires.

J'ai d'abord été frappé par la proximité avec la galaxie des auteurs et des personnages qui me touchent: le Kafka des Lettres à Milena, Milena Jesenska elle-même, Margarete Buber-Neumann, Giorgio Bassani, Primo Levi, Willi Münzenberg, que l'on retrouve dans Ostende 1936 de Volker Weidermann, la guerre d'Espagne et les totalitarismes en tous genres. Ou plus simplement les trajectoires individuelles, les deuils et la culpabilité, l'exil, les désirs qu'on n'assouvira jamais, la dépossession qu'impose le monde moderne, les mauvaises nouvelles annoncées par le médecin, la déchéance des junkies, la quête de soi, impossible à mener à bien.

Tout cela est pris à hauteur d'humain, avec une attention subtile, une bienveillance parfois désolée, ou admirative, une conscience de la perte.

Évidemment c'est un peu mélancolique, voire tragique par moments, mais c'est conté avec une telle proximité que l'on ne peut que suivre et partager toutes ces destinées.
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Dans la grande nuit des temps

On a tous fait ce rêve étrange et non merveilleux de ne pas pouvoir avancer, poursuivi par de vagues menaces. Comme si les pieds étaient chaussés de plomb ou si l’on tentait d’avancer dans de l’eau profonde ou plus exactement dans de la mélasse. C’est l’impression qui saisit assez vite le lecteur de ce pavé de plus de six cents pages densément écrite. A petite dose, le style n’est pas déplaisant, mais, mais… l’étalage de détails inutiles, de tartinages qui n’en finissent pas, de paragraphes sans fin, de bavardages et autres délayages lassent. Il y a des amateurs pour ce type d’écriture qui a même reçu des récompenses, tous les goûts sont dans la nature. L’histoire et la construction entrelacée des souvenirs sur fond de la tragique guerre civile espagnole et de l’actualité étaient une belle tentative si elle n’avait pas été noyée dans la ouate verbeuse. On pourrait baptiser ce style “style mélasseˮ. Nouveau titre “grand ennui des tantˮ.
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Un promeneur solitaire dans la foule

« En tout temps, on a fait ce qu’il y avait à faire avec les matériaux qu’on avait à portée de main et, désormais, ce sont les déchets, la ferraille, les détritus que l’on trouve le plus. Vous devrez donc vous en servir pour écrire le poème, qui sera peut-être très long et nécessitera beaucoup de matière première, mais il n’y a aucun risque qu’elle s’épuise. Bien au contraire : plus le temps passe et plus cette richesse s’accumule, de grandes cordillères, des Everest de déchets qui deviennent plus hauts à chaque minute qui passe, des dépotoirs de mots, des décharges de la taille d’océans, d’ailleurs les océans eux-mêmes sont une gigantesque décharge, des courants marins d’ordures qu’on verra de l’espace comme les tempêtes et les tornades. Ce poème exigera une longue immersion, peut-être toute une vie. Celle de la personne qui l’écrira et de la personne qui le lira. Il sera probablement anonyme et accumulatif, un dépôt et un assemblage de matériaux beaucoup plus anciens, comme les poèmes homériques. Et il ne devra contenir aucun vers, aucune phrase, aucun mot qui serait une invention personnelle de son ou de ses auteurs, si tant est qu’on puisse employer ce mot dans ce cas de figure. »



Ce livre inclassable mais puissamment littéraire, nous l’avons entre les mains et le lisons. L’auteur y utilise en effet des textes issus d’injonctions publicitaires, des collages graphiques qui reflètent parfaitement la très grande folie et les innombrables contradictions de nos sociétés marchandes basées sur l’accumulation, de déchets comme de capitaux.



La forme est visiblement éclatée et pourtant substantielle. Chaque courte séquence débute par une formule publicitaire ou un titre de fait-divers. Des dessins de l’auteur, des collages, rompent régulièrement la lecture.

L’auteur vit une période de crise personnelle. C’est l’année des attentats de Nice, de la folie Pokémon-Go. Seules ses longues déambulations dans de grandes villes l’apaisent et lui fournissent de la matière pour ce livre en construction. Il documente ses errances grâce à son smartphone (sons et images) mais a toujours avec lui un cartable-sac à dos qui contient aussi des cahiers et crayons à papier (il en est maniaque).



Un étrange homme apparait régulièrement, possiblement une hallucination qui le hante. Antonio Muñoz Molina met aussi et surtout ses pas dans ceux d’illustres prédécesseurs, eux-aussi « déambulateurs chroniques », aux vies marquées par la misère et les addictions (Thomas de Quincey, Edgar Allan Poe, Baudelaire, Walter Benjamin…). C’est à mon sens ce qui unifie tous ces textes qui sinon pourraient sembler décousus.



Rarement j’ai autant éprouvé ce sentiment, pourtant recherché par beaucoup de lecteurs, que ce livre s’adressait directement à moi, en dépit du contexte totalement étranger à ma propre existence. Il culmine notamment avec une traversée haletante de Manhattan jusqu’au Bronx, sur les traces d’Edgar Allan Poe.



J’ai pris tout mon temps pour cette lecture, réticent à la quitter. Et Je vais m’intéresser de plus près à cet auteur !

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Pleine lune

Une histoire policière écrite comme une toile d'araignée, attrapante : une fillette de 9 ans est assassinée par un psychopathe à Magina (ville factice itérative chez AMM).

L'investigation sera confiée à un nouveau policier en provenance du Pays Basque où il a exercé 14 années, marquées par le terrorisme de l'ETA et des menaces directes qui ont fait perdre la raison à sa femme.



Les autres personnages tournent autour du policier : le médecin légiste, la maitresse d'école de la fillette, l'assassin.

L'axe du roman n'est pas l'action, mais les réflexions, en flux de conscience, de ces personnages, condamnés à l'échec.

La maitresse d'école est un personnage clé parce que c'est le lien qui les unit : accessoirement elle est aussi la maitresse du policier, le professeur de la victime et la cliente de l'assassin.

Beaucoup de réflexions éthiques dans ce roman et sur des sujets d'actualité : la violence, le Mal, une société dure, la recherche du sensationnel à tout va de la part des médias.

L'écrivain nous fait peur car il se place à l'intérieur du cerveau de ses personnages.

La lune joue un rôle important dans le récit, selon l'idée que la pleine lune provoque une influence négative chez les gens.

Le final de l'histoire est ouvert, à chacun de faire travailler son imagination.

Un film a été tourné en 2000 par Imanol Uribe; un bon film mais qui ne creuse pas la psychologie des personnages et donne une grande importance à l'histoire sentimentale.
Lien : https://pasiondelalectura.wo..
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Carlota Fainberg

Deux personnages importants dans cette histoire. Ou plutot trois: deux hommes en chair et en os, et une femme revee, inventee, et pourtant omnipresente. Trio romantique s'il en fut, et triplet (reussi?) pour Munoz Molina.





Mais commencons par le commencement. Un espagnol americanise (de la tous les anglicismes qui enervent certains lecteurs), prof de litterature dans une minable universite US, doit se rendre a Buenos Aires y donner une conference. A l'aeroport il est happe et accapare par un autre espagnol qui a flaire son origine. Ils n'ont rien en commun. Claudio, le prof, est reserve, solitaire, presque timore. Marcelo est un homme d'affaires extraverti qui le force a ecouter ses souvenirs de Buenos Aires, la merveilleuse aventure qu'il y a vecu quatre ans avant avec une femme, le prototype de la tueuse d'hommes, Carlota Fainberg. Assez enerve au debut, excede par le sans-gene et le machisme de son interlocuteur, passif, notre prof se trouve peu a peu interesse par l'histoire. Fin de la premiere partie.





Une fois a Buenos Aires, Claudio se prend a visiter l'hotel ou s'est deroulee l'aventure de Marcelo, un hotel decrepit, au charme decadent. Il apprend que ladite Carlota a vraiment existe, habitant l'hotel qui appartenait a son mari, mais qu'elle est morte depuis une vingtaine d'annees. Il croit apercevoir son ombre, qui s'estompte des qu'il s'approche. Est-ce un fantome que Marcelo avait aime? Ou tout n'etait que pure affabulation de sa part? Comment lui, specialiste des artifices litteraires, est tombe dans les pieges d'un hableur?





En fait Munoz Molina veut nous faire partager son admiration pour l'art du conteur. Pour lui la "litterature orale" n'est pas forcement un parent pauvre, elle peut etre aussi sophistiquee que l'ecrite. Toutes deux ont pour vocation premiere de tenir l'auditeur/lecteur en haleine, condition sine qua non pour faire passer un quelconque message. Au passage il egratigne les critiques specialises, qui cryptent autant qu'ils decryptent les textes qu'ils etudient, ainsi que les abus du "politically correct", et les surencheres des "gender wars" a l'americaine. Tres rejouissant, tout ca.





Mais je ne place pas ce livre parmi les grandes oeuvres de Munoz Molina, et pas seulement parce qu'il est court. Peut-etre parce qu'il se disperse. Comme s'il contenait deux nouvelles differentes, de deux genres differents. D'un cote la rencontre des deux espagnols, ou l'ambiance de l'aeroport est tres bien rendue, ses bruits, sa musique qui te poursuit, les rumeurs de centaines de passants, et la communication entre eux, impossible mais qui aboutit a une sorte de communion disparate. de l'autre Buenos Aires, le decrepit hotel art-deco, ses longs couloirs obscurs, ses chambres rances de moisissure ou il s'est peut-etre passé quelque chose d'inquietant dans le passé, ou Munoz Molina flirte avec le fantastique. Chaque partie est interessante en soi mais le tout m'a laisse une impression d'ebauche, de piece qu'il aurait du plus limer.





Je reste avec la sensation bizarre que je n'ai eu droit qu'a l'ombre de Munoz Molina. Je retiens quand meme l'hommage a la literature orale, a l'art du conteur. Meme si sur ce theme il vaut mieux lire L'homme qui parle, de Mario Vargas Llosa. Beaucoup plus abouti.

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En l'absence de Blanca

Une femme entre chez lui, se rapproche, l’embrasse, et Mario ne reconnait pas tout à fait Blanca, un je ne sais quoi, une rapidité dans l’approche, une indiscrétion, un rien de vulgarité, alors que Blanca , depuis qu’il la connaît , réserve ses jugements et ses élans amoureux.

Voilà pourquoi il en est tombé passionnément amoureux, elle lui échappe, elle est absente, elle s’éclipse dans ses pensées, parfois sans le vouloir. Ses goûts sont résolument modernes, et mettent en évidence son appartenance sociale à la bourgeoisie grenadine, alors que lui est fils de paysan d’un village proche de Jaen..

Elle lui échappe, et pourtant c’est elle, perdue dans la drogue et l’alcool, percluse à l’issue d’un amour à sens unique avec un peintre qui la trompe avec de petits jeunes, elle qui a fait le premier pas vers lui.

Trop complexé, Mario, il ne se serait pas permis de donner à penser qu’il la désire.

Les années passent, ils vivent côte à côte, sans que leurs deux mondes se rejoignent; Mario ne peut se passer d’elle : si elle est en retard de quelques minutes, il pense qu’elle a eu un accident grave, ou que sa mère moribonde l’a appelée, ou qu’elle l’a, un malheur de plus, abandonné.

Elle, de son côté, devant ses amis experts en gastronomie, voulant redorer son blason à lui et il s’en sent flatté, prétextait qu’il ne supportait pas les sushis d’un japonais de Grenade.

Au-delà de cet amour que Antonio Muñoz Molina campe sur fond de modernité espagnole des années 80, avec l’entrée dans l’Otan, le haschisch, puis la cocaïne, la libération sexuelle, la musique électronique et la peinture plus photographique que peinte, c’est tout un monde moderne que Blanca adore, auquel elle participe simplement en voyeuse groupie, et que Mario sans oser le dire déteste.



Mario continue à penser comme ses parents, que naitre c’est accoster à une vallée de larmes, et que l’on doit gagner son pain à la sueur de son front.

En conséquence le peintre, l’ex de Blanca, sorti de nulle part, qui se forge une renommée avant-gardiste, qui ne supporte pas faire le jeu du pouvoir puis affirme quand il commence à être connu : « l’avant-garde, c’est le marché ». le rend malade parce qu’il continue à attirer Blanca, au point qu’elle n’existe plus par elle-même.

Au delà d’une relation de passion unilatérale, inadéquate ( ou pas, le doute est permis) Antonio Muñoz Molina , avec un phrasé scandé, de longues analyses , un vocabulaire très particulier, nous dépeint le complexe de classe sociale, l’amour basé sur le manque, l’idée fixe de l’abandon.

Je me suis demandé si, finalement, puisque Blanca l’absente bien que vivant chez lui part un jour, son retour n’est pas prévu par Mario ; il préfère penser que ce n’est pas elle qui est revenue, mais une autre. Il a aimé qu’elle ne soit pas ancrée dans la réalité, rêvant de projets sans issue, dans un autre monde, ailleurs, sans lui , même s’il lui a sauvé la vie et qu’elle en est reconnaissante.



Ceci est mon analyse toute personnelle, de ce petit livre grandiose.



LC thématique : un prénom dans le titre .saison 2

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Carlota Fainberg

Assis sur un banc en plastique d’un blanc sale, je regarde par la baie vitrée la neige tomber sur le tarmac de l’aéroport de Pittsburg, Pennsylvanie. Rien qu’à cette vue, j’imagine une chanson, un blues triste et mélancolique, une petite guitare ou deux qui grattent derrière l’oreille. Le regard comme hypnotisé vers l’extérieur, la neige se couche presqu’à l’horizontal, le blizzard se déchaîne contre l’immense fenêtre. Il va y avoir du retard dans les départs, espérant que mon avion ne soit pas annulé, maigre consolation le bar de l’aéroport semble ne jamais baissé rideau, accueillant des gens épuisés, traînant leur spleen ou leurs solitudes à toute heure, en toutes langues.



Après trois gobelets de café lyophilisé au goût si acide qu’il écorche une grimace à mon sourire défait, je décide de prendre position, table du fond, le dos tourné à la tireuse à bière, le regard toujours plongé vers cette nuit sombre qui accueille ses flocons de neige blanche. A côté, je les entends parler, deux espagnols volubiles et enjoués. L’un, Marcelo, entrepreneur et homme d’affaire, file sur Miami, son soleil et ses filles en bikinis, belles comme des Andalouses. L’autre, Claudio, professeur de littérature, attend son avion pour Buenos Aires, sa pampa et ses filles caramélisées, souriantes comme des Argentines. L’un boit une Mahou cinco estrellas, l’autre une Quilmes. Dans leur conversation, il est question d’une femme, il est toujours question d’une femme avec les hommes. Et d’un hôtel. Un hôtel désuet mais avec du charme à Buenos. Et une femme, la plus belle femme qui soit, celle qui vous hante à jamais comme un esprit diaphane venu s’allonger près de ton corps nu d’entre les draps. Elle s’appelle Carlota, mais en fait peu importe son nom. Elle est là et se rappelle à votre mémoire à chaque jour de votre putain de vie.



Je l’imagine cette Carlota, ses seins, ses fesses, ses jambes, éloges de la douceur. Je la vois cette Carlota, son sourire, son parfum, éloges de l’envie. Comme une certaine fragrance du désir. La tempête se calme, les avions reprennent leur danse au milieu des étoiles. Je finis ma bière, il est temps que je prenne également mon envol vers d’autres cieux, toujours plus sombres. Direction Buenos Aires, un congrès sur Borges. Je descendrai à cet hôtel au charme authentique, ses poussières et son ascenseur avec liftier et je verrai cette femme, Carlota Fainberg, une beauté à mettre en exergue des mémoires de ma vie. Et demain, j’assisterai à la conférence, un programme alléchant, « From Aleph to Anus : Faces (and feces) in Borges. An attempt at Post-colonial Anal/ysis ». C’est que j’apprécie tout particulièrement la vulgarisation de ce genre d’anal/yse b/anale.
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Pleine lune

Quel choc ! Lu une première fois il y a xx années, je n'avais gardé qu'un souvenir agréable mais flou de Pleine Lune. Après cette seconde lecture, réalisée avec toute la lenteur et le respect dus à sa force de frappe et au talent de l'auteur, je suis désormais certaine de ne jamais l'oublier. Pleine lune entre dans mon panthéon personnel des romans qui auront marqué ma vie de lectrice au fer rouge, ils sont rares. D'ores et déjà, j'ai envie de le lire à nouveau, de m'imprégner de chaque phrase, de laisser les mots et les pensées de l'auteur infuser en moi, réveiller des émotions et susciter des questions.





Il y a certes le fait divers d'une indicible horreur, mais pour Antonio Munoz Molina, il n'est qu'un prétexte à mettre en scène d'inoubliables personnages, tous rongés par le doute et la culpabilité, assoiffés de justice aussi : l'inspecteur sans-nom muté d'une région où les balles ne sont pas perdues pour tout le monde, où les voitures éventrent des rues, où la mort rôde en permanence sans dire quelle forme elle prendra. Lui a résisté, mais pas sa femme, usée par les menaces téléphoniques, par la peur, par l'attente de son homme, elle se repose. Non, elle est internée. le père Orduna, déclassé par sa hiérarchie parce qu'il a choisi de retrousser les manches de sa soutane pour bosser en vrai et que pour lui, le marxisme-léninisme n'est pas un gros mot, parce que sur la table de son presbytère austère, des bulletins paroissiaux côtoient des tracts syndicaux, quel magnifique et flamboyant personnage ! Susanna, l'institutrice de la petite Fatima, première victime du tueur de la pleine lune, indépendante, bafouée par son mari... Et puis, il y a aussi le tueur... Lunatique...





Croissante, décroissante ou pleine, la lune contamine tous les personnages - hagards, somnambules, hantés, ou traumatisés – qui subissent son influence et sont emportés par le déluge torrentiel du style de l'auteur, dont les phrases d'un paragraphe ou de plusieurs pages asphyxient le lecteur, le piègent, lui coupent le souffle, le touchent aux tripes, au coeur et au cerveau dans cette virée hallucinée en Andalousie. Rien de plus à dire ! Un choc lunaire !
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Pleine lune

C'était mon premier contact avec l'immense auteur qu'est Antonio Munoz Molina avec Pleine lune. Comment ai-je pu passer si longtemps à côté ?

Tout est bon, captivant : les personnages, leur histoire, leurs contradictions et ce lumineux personnage de femme ! Le style étonnant et prenant de longues phrases limpides pour traduire l'intérieur des personnages et des passages plus convenus pour l'avancée de l'enquête.

Car il y a meurtre et inspecteur, mais pas de véritable enquête, juste l'obsession d'un homme à découvrir le meurtrier.

Passionnant et l'auteur n'écrit pas que des romans noirs, sansdoute une des raisons de la profondeur du roman. J'ai immédiatement commandé "un promeneur solitaire dans la foule"
Lien : https://www.lesmotsjustes.org
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Carlota Fainberg

Dans son introduction Antonio Munoz Molina dit avoir écrit un roman court. Moi je pense que c'est une nouvelle dont le sujet m'a paru plus que brouillon, un condensé de beaucoup de frasques en peu de pages.



Et puis tous ces termes américains glissés dans le récit détruit le style même si l'écriture est relativement captivante. Franchement, des termes anglais quasiment dans chaque phrase devient énervant. C'est bien beau vouloir faire « cool » mais quand même …



Vite lu vite oublié, j'ai rien trouvé de transcendant dans cette histoire ...
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Dans la grande nuit des temps

Dès le commencement l’atmosphère de ce livre est comme suspendue, aérienne, Antonio Munoz Molina a opté pour les détails en masse, la répétition des situations afin que ce huit-clos de pensée intègre notre esprit faisant d’Abel un être sans la moindre parcelle d’ombre. L’Histoire se tisse lentement, très lentement rapportant les faits d’une guerre civile mêlés à une fuite, aux mouvements d’une rencontre amoureuse qui dès les prémices nous parait déjà contrariée à l’instar d’une époque.



Pour autant, ce choix narratif m’a paru justifié, mieux, il s’apprivoise. Rien n’est survolé , chaque phrase , chaque situation , chaque raisonnement nous mène en 1936 , en plein cœur de l’Espagne meurtrie et investi notre esprit tel le mitraillage d’un avion de chasse .Chaque minute est un recueillement dans lequel le silence berce les mots , nous pousse vers une progression , page après page , la flamme commence à poindre au milieu des tensions embrasées tout comme l’étincelle d’une passion prend vie sous nos yeux.



L’auteur pointe du doigt entre autres le fascisme d’un mouvement politique existant en 1936 , mais Munoz Molina y allie la chaîne d’une dictature toute autre , la passion , qu'elle soit amoureuse ou idéologique , menant à la destruction d’autrui , à cette autorité mensongère qui en efface jusqu’à la moindre parcelle de discernement , recouvrant l’honnêteté d’un voile de lâcheté , le déni , le mensonge. Ne reste que la jouissance d’une propre politique personnelle, considérant tout ce qui en est extérieur, famille y compris comme "mineur".



La grande phrase du fascisme "« Tout par l'État, rien hors de l'État, rien contre l'État ! » pourrait être " tout pour ma passion, rien en dehors de ma passion, rien contre ma passion !"



La déchéance, la destruction, voilà ce que Munoz Molina aborde, et ce par tous les fronts et avec un talent qui n’est plus à prouver.

Des faits politiques , une tension , une guerre ,une fuite, quitter un pays, le nôtre avec les remords de ne pas se battre pour lui, la nostalgie de ce qu’il était, d’une famille, des lieux, un amour .Des pensées altérées par l’horreur , des odeurs nauséabondes, des cadavres, des visages et le tout retranscrit aux travers des lignes admirables et d’une justesse remarquable de Munoz Molina.



Un très grand livre.
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Le vent de la lune



Juillet 1969, souvenez-vous, atterrissage sur la Mer de la Tranquillité de la Lune.

Dans un petit village andalou, Magina, près de Jaen, là où seul un riche possède la télévision, l’écran s’emplit de neige précédant les images du « voyage » et le Caudillo , vieux et malade, conclut. Le possesseur de la télé , vieux et riche, acclame « Viva Franco ! » et tous se taisent, de peur qu’à travers l’écran on ne repère les opposants.

La différence entre pauvres et riches est une affaire d’odeurs : dans la maison de l’adolescent qui parle, il sent le feu de bois et le purin, auprès du puits, au jasmin et géraniums. Dans la maison de sa tante, il sent le savon, le parfum, et le pain frais quand il se love près d’elle. Dans la maison de son oncle, qui a réussi et est soudeur, ça sent la brillantine et le mazout.

Dans la maison du riche agonisant, qui auparavant sentait l’abondance de la richesse, se sont substituées l’odeur de sueur, d’urine et de mort, de patates pourries et d’animal blessé.

Chez lui, il n’y a pas l’eau courante, des carrés de papier journal sont attachés par une ficelle, près des WC, et l’eau du puits tient compte de chasse d’eau.



Et les américains vont sur la Lune. Rien ne dit qu’ils y arriveront, ni qu’ils reviendront, leur solitude dans les grands espaces inconnus résonne dans l’esprit de l’adolescent, comme pour comparer et assimiler son désarroi.

« Que sais-tu, dans une seconde tu n’auras plus le temps de comprendre que tu étais sur le point de ne plus exister ? »



Rien ne vient aider ce jeune, il n’a aucun repère, son père, cultivateur, ne sait pas manier un stylo, et l’enfant ne s’identifie ni à lui ni aux conversations circulaires de sa grand mère et de sa mère, qui reprisent et lui cousent des caleçons humiliants dans de vieux draps.

Humilié, il l’est encore plus quand il part en collège, perdu, dans un milieu de riches qui se moquent de sa pauvreté : ses camarades de classe s’arment d’un compas dans le fond de la classe, les curés lui prédisent l’enfer éternel s’il commet le péché principal, se caresser, ce qu’il fait chaque jour, travaillé par une adolescence solitaire, tenaillé entre le plaisir impératif et la culpabilité. Il a déjà compris qu’ils mentent, ces curés, que cette croisade morale inflexible ne correspond pas à la vraie vie, que Darwin a raison, alors il s’échappe en pensée, dans un monde d’après, où la gitane dont il a aperçu les seins serait avec lui dans une grotte. Il s’échappe dans les livres, Jules Verne, bien entendu, Et aussi dans ce voyage sur la Lune auquel il participe, se demandant pourquoi Armstrong et pas lui, tutoyant ses camarades imaginaires, puis utilisant à la fin du livre un nous qu’il n’emploie pas avec sa famille, ni avec ses camarades de collège.



Le passage à l’âge adulte s’opère insensiblement, comme un vent léger et imperceptible. Car, bien entendu, il n’y a pas de vent sur la Lune, le vent c’est ce qui a fait qu’il a changé, sans savoir ni pourquoi ni où il va se diriger. Ce vent qui fait qu’il se reconnaît plus, comme s’il s’était perdu en chemin sans pouvoir se définir, et que l’avenir lui fait peur.

Antonio Muñoz Molina , pour cette histoire, utilise de longues phrases à la Proust, remplies de détails destinés à illustrer la pauvreté dans un village andalou, pendant l’été 1969, là où frigidaires, téléphones et téléviseurs ne sont possession que de privilégiés, au moment où , parallèlement, le petit pas pour l’homme se double « d’un grand pas pour l’humanité. »

Lu en VO, c’est plus pratique pour moi.

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Pleine lune

Un style trop marqué pour une perte d'intensité. On s'oublie. On s'ennuie. Quelques fulgurances bien sûr mais trop de temps perdu à digresser. Pas vraiment un polar. Pas vraiment un roman. Ca dot etre un essai, au sens premier du terme. Et pourtant prix fémina...
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Séfarade

"J'ai été comme ces mauvaises herbes arrachées,

Déposées en gerbes alignées sans discernement.

Depuis, j'ai été moi, oui moi, à ma perte,

Et moi, à ma perte, je ne suis ni moi ni un autre ni personne.»

(Fernando Pessoa)



«Sefarad», mot en hébreu médiéval désignant à la fois l'Espagne et le Portugal, ainsi que les juifs originaires de la péninsule ibérique, expulsés en 1492 par les rois catholiques Ferdinand et Isabel, se transforme, sous la plume de Antonio Muñoz Molina, en paradigme et métaphore par excellence au sentiment d'exil, qu'il soit extérieur ou intérieur, réel ou imaginaire, forcé ou volontaire ; synonyme non seulement de diaspora, de bannissement, mais aussi de migration, de déportation, ou encore de désir d'évasion, délivrance ou délestage du poids de son histoire personnelle, de son passé, de toutes les contraintes qu'on se serait petit à petit vu infliger à être untel, plutôt qu'un autre…

Projet littéraire sans pareil, surdimensionné et grandiose («encyclopédique» selon les mots de l'auteur lui-même), dans SÉFARADE, l'ambition de la plume de Molina pourrait nous renvoyer à la célèbre gravure de Dürer, «La Melencolia», à l'image de cet ange abandonné au milieu des outils et des artefacts dont la vanité humaine se pare afin de nourrir l'illusion d'appréhender le monde, un livre ouvert sur les genoux, une sphère représentant la quête d'absolu à ses pieds, le regard cependant tourné vers l'intérieur, songeur, comme dans l'attente de pouvoir transcender la distance infranchissable qui sépare les hommes les uns des autres, la fiction de la réalité, l'inaltérable de l'impermanent. Au bout du compte, à quoi cela servirait de vouloir se mettre à place d'un autre, se demande l'auteur? Quelle vanité à aspirer à cerner l'essence profonde d'un être, quand tout un chacun, à commencer par soi-même, n'est au fond «n'importe qui et personne »: «tu es celui qui tu inventes ou dont tu te souviens, celui qu'inventent ou dont se souviennent les autres». Et puis, quelle frivolité à vouloir créer des personnages de fiction, «alors qu'il y a tant de vies qui mériteraient d'être racontées, chacune d'elles comme un roman, un réseau de ramifications qui mènent à d'autres romans, à d'autres vies»?

C'est n'est que par un long exercice d'introspection et d'écriture (SEFARADE aura nécessité de longues années de préparation à son auteur, avant sa rédaction définitive), à l'abri du piège tendu par les tribulations de l'immédiat et par la vanité de la reconnaissance de ses pairs, suivant à lettre, tant que peut se faire, le précepte énoncé par Pascal («Tous les malheurs s'abattent sur l'homme parce qu'il ne sait pas rester seul dans sa chambre»), ce n'est qu'ainsi, par un regard porté à l'intérieur de soi et sur son propre «roman» que ces frontières pourraient être momentanément abolies, qu'on pourrait faire table rase des remparts isolant notre mémoire et l'imagination, nos souvenirs de nos affabulations, notre moi supposé réel de nos propres fictions. Les dix-sept récits qui composent SEFARADE, à la fois indépendants, ramifiés et subtilement enchevêtrés les uns dans les autres, en sont une preuve incontestable.

Antonio Muñoz Molina nos ouvre sans réserves la porte de la «chambre à soi» de l'écrivain, nous invite à découvrir sa bibliothèque et ses archives personnelles, à feuilleter les livres qu'il avait patiemment annotés pendant des années et racontant la destinée tragique de quelques-uns des plus célèbres exilés du XXème siècle (dont Primo Levi, Milena Jesenska, Willi Münzenberg, Evguénia Guinzbourg, Cesare Pavese..). L'auteur nous invite tout aussi naturellement à pénétrer dans l'intimité de son processus de création, au coeur des tentatives de transposition en matière littéraire de son propre «chagrin quotidien des mathématiques d'être» (F. Pessoa), il nous autorise même, par moment, à approcher du berceau dans lequel sont délicatement déposés ses personnages de fiction à peine émergés de son esprit démultiplié. C'est ainsi, dans une sorte d'étrange synergie créée par un mécanisme littéraire aux volants atemporels et circulaires que l'auteur lui-même, ses personnages, réels ou fictifs, et nous autres, ses lecteurs, partagerons, le temps d'un récit complètement inclassable (ni roman, ni autobiographie, ni fiction, ni essai sur l'exil…et tout cela à la fois!), un sentiment profond de communion. Réunis un instant en une sorte de Pangée originelle, continent imaginaire dont tous les hommes émargeraient, unis et indifférenciés, d'où personne ne serait plus banni ou oublié. Transportés aussi, par la pensée, dans ces compartiments de train où d'innombrables exilés, certains anonymes et oubliés par L Histoire, d'autres entrés dans la postérité, s'étaient un jour trouvés embarqués, parcourant en leur compagnie les réseaux ferrés d'un continent européen exsangue. Suivant l'histoire de personnages réels ou de fiction, croisés par l'auteur, sur d'autres réseaux, réels ou imaginaires, dans d'autres lieux, à différents moments de leur vie, en d'autres compartiments, trains, avions, villes étrangères, hôtels, maisons d'enfance, certains d'entre eux ayant cherché volontairement à s'exiler ou songeant malgré tout à la possibilité d'un retour devenu impossible, toujours différé. Témoins de rencontres entre l'auteur et ses personnages fictifs auxquels il s'applique à vouloir donner corps, comme par exemple dans le chapitre intitulé « Berghof », lorsque les doigts de Antonio Muñoz Molina tapant sur le clavier de son ordinateur, dans la pièce plongée dans la pénombre où il travaille durant une résidence littéraire à Rome, s'emmêlent à ceux d'un personnage en train de naître, un médecin dans son cabinet de consultation, assis comme lui derrière son bureau ; les plans fictionnels et biographiques glissent imperceptiblement, se superposent, puis se détachent progressivement, amenant le lecteur à comprendre enfin que le personnage avec lequel l'auteur formait bloc au départ, est un médecin en train de se demander comment annoncer à un patient fictif ce qu'un autre médecin, réel celui-ci, avait été obligé de communiquer quelques années auparavant à l'auteur lui-même : le diagnostic brutal de la maladie qui les exilerait tous les deux subitement du monde rassurant des bien-portants.

Comment décrire la tonalité mélancolique de cette voix sublime à travers laquelle l'irréversibilité du temps et la mémoire de la souffrance liées à toutes les formes possibles d'exil sont ici magistralement conjuguées ? Sa beauté serpentine de chant judéo-espagnol. Sa sonorité familière et universelle, paradoxale aussi quand elle est à la fois hantée par l'appel intime du départ, et bercée par l'illusion bienfaisante d'un retour définitif dans un mythique chez-soi. Traduite en phrases touffues, au parfum parfois entêtant, sans être pourtant jamais alambiquées, façonnées en quelque sorte à l'aide d'un zoom spatial et temporel opérant des aller-retours perpétuels entre le temps à vivre et le temps déjà vécu, entre l'infiniment particulier et petit, et l'infiniment grand et universel, étirant par la même occasion la longueur de leurs tournures et les cercles du possible qu'elles s'appliquent à vouloir élargir.

Magnifique voix, faisant de SÉFARADE une oeuvre sensible, d'une intelligence émotionnelle remarquable, un livre émouvant et inoubliable.





PS : Estimado señor Molina,

Je vous avais écrit une première fois, ici, il y a un an environ. Un message suite à la lecture de - «Un promeneur solitaire dans la foule», votre dernier ouvrage en date à l'époque et, d'autre part, ma toute première approche de votre oeuvre – une critique sous forme de lettre où, sur un ton très agacé, je vous expliquais les raisons de mon abandon du livre au bout d'une centaine de pages. Je ne vous connaissais pas assez, señor Molina et, peut-être, avais-je aussi ouvert la mauvaise porte pour commencer à faire connaissance avec votre univers ? Dans tous les cas, notre premier rendez-vous fut complètement raté, mon jugement probablement trop sévère, trop hâtif.

Je regrette aujourd'hui la tonalité générale de cette critique acerbe, et je tiens à vous le dire sous la forme de ce post-scriptum. J'avais été rebuté à ce moment-là par ce que j'avais qualifié d'un «amas d'impressions que vous acceptez sans discrimination de transcrire, souvent sans queue ni tête, des bouts de descriptions de tout et de n'importe quoi, un immense collage d'informations de toutes sortes qui ne cesse de se disloquer sans direction précise». Vous aviez déclaré à l'époque, à propos de votre entreprise littéraire, être motivé par la tentation de «tout écrire». Et moi je vous avais ironiquement apostrophé: «Tout écrire», voyons, señor, quelle ambition, quel rêve insensé pour un écrivain! Qui veut tout, dit la sagesse populaire, risque de ne rien obtenir..!».

Estimado señor Muñoz Molina, il faudra peut-être que je relise un jour votre «Promeneur solitaire dans la foule», car, à mon grand étonnement, ce que je vous reprochais alors, votre envie de tout embrasser, l'incroyable ambition sous-jacente à votre plume, votre style résolument centrifuge, son point de fuite comme en perpétuelle évanescence, vous obligeant à rajouter sans cesse des considérations supplémentaires, des détails, des nuances, des adverbes , des adjectifs, voici donc qu'exactement les mêmes défauts reprochés si emphatiquement hier, finiraient par me subjuguer complètement à la lecture de SÉFARADE aujourd'hui !!

Que s'est-il passé entretemps ? Je ne sais pas vraiment, mais je dois vous avouer qu'en refermant votre livre cette fois-ci, je me suis entendu dire moi-même que l'une des raisons probables de mon agacement initial résiderait peut-être dans...nos ressemblances! Je crois que nous serions bien quelque part, frères dans l'âme, señor Muñoz Molina !! Nous devons carburer au fond tous les deux à la même énergie saturnienne, les quêtes d'absolu et les conquêtes perdues d'avance sont susceptibles de nous fasciner, la solitude et le renoncement nous exalter, tout autant que la saudade ou les Préludes de Chopin…

Pourquoi vous raconterais-je tout ceci? Parce qu'ici, je serais en quelque sorte pour vous, moi aussi, «n'importe qui et personne»? Réel et fictif Creisifiction… !!

Allez, une dernière citation, à ce propos et pour la route… :

«Celui qui voyage peut garder un silence qui sera mystérieux pour les inconnus qui le remarquent, ou céder sans danger à la tentation de parler et de devenir un menteur, d'enjoliver un épisode de sa vie en le racontant à quelqu'un qu'il ne verra plus jamais. Je crois qu'il n'est pas vrai, comme on le dit, qu'en voyageant on pourrait devenir un autre : ce qui se passe, c'est qu'on se trouve allégé de soi-même, de ses obligations et de son passé, tout comme on réduit tout ce qu'on possède aux quelques choses nécessaires à son bagage. »

Bien à vous!

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L'hiver à Lisbonne

Une belle écriture qui distille une ambiance de piano bar, de jazz nostalgique et pénétrant. Elle nous parle d'un amour fulgurant et perdu, d'une femme aimée et attendue pendant trois ans, d'un pianiste mélancolique, Biralbo, qui un matin s'est réveillé en réalisant avec soulagement qu'il n'avait plus besoin, pour vivre, de bonheur ni d'amour. Ça boit et ça fume, ça dit bien «cet étrange enivrement» que procure le mélange de l'alcool, de la musique, de l'amour passionnel. Tout ça c'est bien beau, mais ça a un effet un peu funeste sur la dynamique romanesque, et j'ai parfois eu l'impression de m'enliser doucement dans les sables mouvants des nuits de jazz, de confidences et de Bourbon, dans les chambres d'hôtels de deuxième catégorie, avec leurs brûlures de cigarettes et leurs graffitis, traces d'hôtes solitaires à qui ils «n'offrent aucun alibi pour tromper autrui où se leurrer soi-même».

Et pourtant j'ai trouvé un charme certain à cette écriture qui nous fait déambuler dans un univers romanesque qu'Antonio Muñoz Molina dit avoir créé dans un «état de somnambulisme lucide». Je serais presque tentée de relever ma note: j'aime le souvenir que me laisse cet Hiver à Lisbonne.
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Beltenebros

Si je devais illustrer mon avis, j'ajouterais l'affiche d'une adaptation cinématographique trouvée sur la toile ( bien que je ne connaisse pas le film ) car je trouve qu'elle nous met dans l'ambiance du livre.

Lors de ma lecture, j'imaginais justement un film noir des années 50 , Humphrey Bogart, Rita Hayworth ... car il y a une femme fatale forcément !

J'ai beaucoup aimé ce roman , tout à fait d'accord avec l'expression " thriller au lyrisme flamboyant" indiqué sur la 4ème de couverture

J'aime la plume de Molina, son lyrisme, son mystère. On est dans un sombre roman d'espionnage, on se promène dans les bas fond de Madrid.

Le personnage principal se voit contraint de se rendre à Madrid pour éliminer un traitre... Vingt ans en arrière, une mission similaire l'avait déjà mené sur les lieux... Comme dans plusieurs de ses romans on alterne entre passé et présent jusqu'à ce que ce passé rejoigne le présent.



Je ne suis pas une grande adepte des romans d'espionnage ou policier mais celui-là de part son écriture, son lyrisme, son ambiance et sa tragédie est une petite merveille.



Je vous invite à lire mon avis et à visionner l'affiche du film sur le club des rats de bibliothèque ;-)


Lien : https://clubdesrats.1fr1.net..
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Un promeneur solitaire dans la foule

Un promeneur solitaire dans la foule est un journal ou l'auteur délivre les images qu'il voit au quotidien dans ses déambulations dans Madrid, Paris ou New York.



Aucune histoire, aucune intrigue, c'est vide. Juste une succession d'impression, de sensation, pas assez pour donner du corps a ce livre. Je n'ai terminé de journal que parce que j'avais apprécié l'auteur dans L'hiver à Lisbonne
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Dans la grande nuit des temps

Lu en v.o. "La noche de los tiempos".



Un pave. Lourd a soulever. Mais une fois en main tu n'en sens plus le poids. C'est lui qui t'emporte et te fait partir pour une enivrante odyssee litteraire.



C'est une histoire d'amour. Enveloppee dans un roman historique. Une critique de la memoire collective de tout un peuple. Je dirais meme un traite de morale. Et malgre ses longueurs un page-turner dont on veut tourner les pages lentement pour mieux s'impregner de la psychologie des personnages, des changements insidieux qui faconneront leurs destins. Pour paraphraser un auteur celebre, les destins d'un amour en temps de cholera, en des temps alteres, malades d'une maladie collective.



C'est ecrit a la troisieme personne, par un narrateur omniscient, qui de loin en loin livre ses propres pensees. Il raconte l'histoire de l'amour d'un espagnol, Ignacio Abel, et d'une americaine, Judith Byela. Un amour cache, interdit. Parce qu'elle est jeune et libre mais lui est marie et pere de famille. Une histoire qui occupe relativement peu de pages. Beaucoup plus sont consacrees au souvenir de cette histoire. Aux pensees, aux divagations d'Ignacio quand cet amour prend la tangente. Il passe et repasse en tete les moments qu'il a passe avec elle, les missives qu'ils s'ecrivaient, et son attitude envers sa femme, envers ses enfants, quand il etait en famille, quand il ne les fuyait pas. Et Munoz Molina nous promene entre present et passe, dans les intentions d'Ignacio, ses elucubrations, ses reves, ses illusions, ses actions. Quand il se rememore son enfance pauvre, fils d'un macon et d'une concierge, et les etudes d'architecture qu'il a reussi a mener. Son mariage dans une famille bourgeoise, avec une femme plus agee que lui. Mariage d'amour ou de raison? Il ne sait pas. Il ne sait plus. Il n'a jamais su.



Le narrateur suit Ignacio pendant une courte periode, moins d'un an. le temps que tout chamboule. Sa vie familiale, bourgeoise, est balayee par sa rencontre avec cette jeune americaine, si libre, si differente des espagnoles qui l'entourent. Et son travail, la construction d'un nouveau campus universitaire, est carrement detruit. Parce que ce sont des temps de destruction, de destructions physiques inspirees par des reves de constructions politiques. Ce sont les mois d'anarchie d'avant la guerre civile, ponctues par une frenesie de violence, par les virees de tirailleurs de tous les camps qui assassinent sans discernement. Puis les mois qui suivent l'insurrection franquiste, quand les rues de Madrid sont “assurees” par les polices autoproclamees de differents partis. Un chaos que les elus et les fonctionnaires de la republique ne savent ni peuvent gerer. Une rage qui devient aveuglement, folie destructive, deraison. le narrateur, et derriere lui Munoz Molina, n'epargne aucun camp. La cruaute extreme des rebelles a son pendant dans celle des anarchistes et des communistes qui destabilise le gouvernement legitime. Un gouvernement transi, mine de l'interieur, qui tarde a s'organiser, qui envoie au front se faire tuer des recrues non entraines et mal armes.



Autour d'Ignacio foisonnent une multitude de personnages. La famille de sa femme, catholiques bien-pensants qui ont aide a la reussite de l'architecte tout en execrant ses idees de gauche. Un contremaitre de chantier devoue qui l'assiste et le protege. Des ouvriers chomeurs qui detruisent une oeuvre, esperant qu'on les embauchera pour la reconstruire. Des phalangistes qui s'embusquent pour tirer dans la foule. Un richissime americain essayant de pecher des affaires dans ces eaux glauques. Un juif allemand refugie qui finira assassine par des milices communistes. Et des personnages historiques. Cela se passant a Madrid, ce seront des personnages du camp republicain. Et rares sont ceux qui sortent agrandis sous la plume de Munoz Molina. Azana, le president quand la conflagration eclate, est aureole d'une tristesse fataliste. Par contraste, Negrin, ce scientifique qui devint le dernier president, est presente comme une force de la nature, bon vivant, le seul qui sache organiser quelque chose, le seul qui ne se laisse pas porter par des illusions, tout en restant actif et optimiste. Et comme Ignacio, professeur d'architecture, se meut dans des cercles academiques et culturels, il y a beaucoup d'ecrivains, de poetes. Garcia Lorca est imbu de lui-meme, condescendant envers ceux a qui il vole des idees, sinon des passages (envers Moreno Villa par exemple, un poete moins connu qui publia avant lui un recueil de poemes sur New-York), et peureux. La peur lui fait quitter Madrid des les premiers jours de l'insurrection pour se refugier dans son Sud. Sa peur lui coutera la vie. Juan Ramon Jimenez, le nobelise, diagnostique les evenements: “Une fete tragique et folle”. Rafael Alberti fait le clown devant des delegations etrangeres. Et Bergamin, ce fils de ministre sous la royaute, est depeint comme un enrage, un maigrichon qui s'affuble de bottes et vestes de cuir et affiche partout son pistolet a la ceinture, un intellectuel qui cautionne la violence et les meurtres: “la revolution est une chirurgie necessaire…”.



Tous ces politiques et ces intellectuels finiront par s'exiler, comme Ignacio Abel. Il acceptera in extremis l'offre d'une obscure universite americaine et, avec l'aide de Negrin, partira vers les Etats Unis. Il abandonnera sa famille, sans savoir ce qu'elle devient. Il fuit sa famille et son pays, se bercant de l'espoir, de l'illusion qu'il retrouvera Judith, que son tardif amour n'est pas lui aussi perdu. N'est-ce donc qu'une fuite ou est-ce aussi la perseverance d'accomplir son meilleur destin? L'amour avaliserait-il toutes les actions? Il nest pas sur lui-meme des fondements, des mobiles de sa fuite. Il a des pensees desenchantees: “on peut fuir le malheur et la peur aussi loin que possible, mais ou se cachera-t-on du remords?”.



Dans la grande nuit des temps est une tragedie. La tragedie d'un homme en des temps propices aux tragedies. A travers le parcours de cet homme, Munoz Molina ecrit la tragedie d'un pays, d'un peuple. Nombreux l'ont fait avant lui. Je crois quant a moi que c'est un de ceux qui l'ont fait le mieux. Sans atermoiements mais sans parti-pris. Comme il se doit pour une tragedie. Vers la fin du livre un republicain dira: “nous avons commis de telles barbaries que nous ne meritons pas de gagner”. J'ai eu l'impression que Munoz Molina pense que dans cette tragedie aucun des camps n'a “merite” de gagner. En mots pretes a Ignacio Abel, cet anti-heros: “La raison et la justice ne s'imposent pas en tuant”.

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Un promeneur solitaire dans la foule

En préambule, Antonio Munoz Molina cite James Joyce qui affirme qu'on « ne devrait jamais planifier un livre à l'avance, mais le laisser se former de lui-même au fil de l'écriture … »



Si le lecteur n'est pas prêt à être emmené dans une exploration « déambulatoire », qu'il passe son chemin. Peut-être faut-il aussi ne pas lire ce texte d'une traite, mais adopter à son tour une forme d'errance à travers les paysages, collages, citations d'auteurs, publicités, voix enregistrées dans la rue, et autres captations du quotidien le plus trivial comme le plus érudit.



Antonio Munez Molina est en effet « tout ouïe ». Il dit « écouter avec les yeux ». Il écrit au crayon dans un carnet, il découpe des publicités, il enregistre sur son téléphone portable la vie telle qu'elle est. Les bruits, le « bruissement des feuilles d'un figuier ».

Il est aussi accompagné dans ses errances par d'autres promeneurs célèbres, tels que Walter Benjamin, Baudelaire, De Quincey, Pessoa.

Il parcourt Londres, Paris, Madrid, Lisbonne, New York.

Le résultat est un livre rare, d'une richesse inouïe, qui saute du coq à l'âne, merveilleusement écrit.

Un véritable traité de « déambulologie ».

Une sorte de « poème du siècle ».

Démesuré.



L'auteur est à la fois « l'archéologue impatient de ce qui est en train de survenir », le « collectionneur scrupuleux des prospectus », l'« archiviste qui veut sauver quelque chose de la grande cataracte permanente ».



Mais bien plus, ce « Promeneur solitaire dans la foule » est une réflexion humble sur le pouvoir et l'utilité de la littérature.



« Tout ce à quoi tu peux aspirer, c'est tenir compagnie à un inconnu. »



C'est si JUSTE !











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Séfarade

Dans cet opus à la technique narrative audacieuse, Antonio Muñoz Molina donne voix à la figure du proscrit. Clandestin dans son pays, rejeté par décret d'une société, paria sans appel de son ancienne famille politique, écarté à jamais de la pleine santé ou exclu socialement de la communauté, l'auteur illustre la propension d'Homo sapiens à forger des sociétés dans l'exclusion d'autrui.



Ce livre, que l'auteur qualifie lui-même de "sorte d'encyclopédie de l'exil", qui semble de prime abord être un recueil de nouvelles, est en fait un texte cohérent et structuré avec des personnages faisant retour, passant du premier au second plan. Il est remarquable par son basculement incessant de point de vue narratif.



Le premier tiers du récit est absolument jubilatoire par l'évocation d'écrivains de premier plan et de personnages historiques à la renommée plus confidentielle. On peut déplorer la petite centaine de pages suivante où l'intérêt flanche par comparaison avec le début prometteur, avant que le lecteur soit de nouveau happé par l'habileté de l'écrivain. Au final on se trouve devant un très bon livre, remarquable disons-le, mais qui aurait pu être génial s'il ne péchait donc pas par son côté inégal. Cela le place néanmoins, de l'expérience embryonnaire de votre serviteur, parmi ce qu'il a lu de mieux en littérature espagnole contemporaine.
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