AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Léon Tolstoï (1432)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


La mort d'Ivan Ilitch

Allongé sur son canapé Ivan illitch attends

La douleur pénètre insidieusement en lui

Apportant larmes et déchirements

Le mal qui le ronge peu à peu le détruit

Aimé de peu, abandonné de tous, il prie

Charognards odieux attendant sa dépouille

Espérant que la mort fasse place à la vie

Et les délivres de ce visage de gargouille.



Tout est dit dans cette nouvelle de Léon Tolstoï, dès la première page on sait que Ivan Illitch est mort. La mort n’est jamais belle, la douleur encore moins,Tolstoï avec son talent nous renvoie à ce que nous sommes, des êtres en sursis. La mort d’Ivan Illitch titre de cette nouvelle est particulièrement effrayante. La douleur est dans toutes les pages, douleur morale et physique, aucun soulagement aucun réconfort.

J’ai aimé Ivan comme j’ai aimé Pierre dans la guerre et la paix comme j’aimerais Anna Karenine parce que les personnages de Tolstoï sont comme nous, pas des supers héros.

Merci à la tribu pour cette lecture commune et à Sandrine la cheffe d’orchestre de cette lecture.
Commenter  J’apprécie          6610
La Sonate à Kreutzer



Comment ai-je pu considérer La sonate à Kreutzer comme le meilleur livre jamais écrit ? Comment ai-je, après relectures diverses, considéré seulement l’analyse d’un couple qui se déchire ?

Comment n’ai-je pas lu le message évident, et explicité longuement en conclusion par Tolstoï, en réponse aux questions qui lui ont été posées ?

A la dernière relecture, un peu comme lorsque l’on ouvre les yeux et qu’on découvre les illusions qui nous ont aveuglés, la nouvelle me semble finalement, à la fois, inacceptable et moderne.

Inacceptable, puisque Tolstoï va très loin dans son dégout absolu de l’amour charnel, y compris chez les couples mariés, y compris s’ils s’aiment.

Pas de sexe. Point.

Donc plus d’enfants, qui pourrissent la vie de toute façon, et donc anéantissement voulue de l’humanité.

Moderne, car je sais, bien des romans apocalyptiques se basent sur le concept du triomphe de la nature corrélative à la fin de l’homme exterminateur.



Tolstoï a certes été emporté par son mépris des médecins, qui interviennent toujours au mauvais moment lors des accouchements, et qui, contre émoluments, interdisent à la femme d’allaiter et de faire l’amour. Il est emporté, d’autre part, par son moralisme, sa volonté de pureté, de communiquer presque saintement avec sa moitié. Problème.



Problème sans solution, puisque le désir est là, ses sortilèges rendent fou, rien ne peut l’éteindre : il se déguise alors en « amour », imposture de toute l’histoire, car pour exister il faut de la coquetterie, des pièges féminins dit l’auteur, et, du côté de l’homme, trop de nourriture liée à la fermeture de « la soupape de sûreté » du sexe payant : le tout exacerbant les sens.

Voilà, le traquenard est en place, l’amour est inventé, la poésie, l’attendrissement, et bien évidemment le sexe permis au cours de cet amour marital.



Les contradictions de Tolstoï dans sa vie privée apparaissent au grand jour : les difficultés de son couple avec Sonia/Sophie, horrifiée à la lecture de ce récit, où deux époux s’aimantent pour le plaisir mais n’ont rien à se dire et se déchirent, ou les réconciliations n’effacent jamais les récriminations. La colère de Sophie est bien compréhensible, puisqu’elle voyait l’autobiographie se profiler ;

Elle a lu les pages qui ne la concernaient pas, sur le piège où les femmes sont forcées, comme de petites souris, ou mieux des esclaves mises sur le marché, de plaire(de se faire acheter) .

Or, Sonia/ Sophie est bien plus qu’une petite souris, elle écrit son journal parallèlement à celui de son mari, qui lui a dévoilé le sien avant de se marier avec elle ( ses excès sexuels avec des paysannes et des serves).



Et pourtant, malgré sa blessure, elle aussi est en proie à la contradiction : elle ira voir le tzar lorsque la nouvelle sera rejetée comme immorale, pour qu’elle soit éditée.

Et elle réussira, car rien ne lui résiste, à la faire accepter et paraître.

A-t-elle, comme moi, lu ce pamphlet comme une apologie soupirante des droits de la femme à choisir, à se trouver « l’égale de l’homme, à avoir le droit d’user de l’homme ou de s’abstenir de lui selon son désir, de choisir selon son désir et non d’être choisie. » ?

A-t-elle, par amour, vu le potentiel formidable de son impossible et génial mari ?



J’ai dit inacceptable et moderne, je dis finalement étrange et génial, car analyse multi facettes, jeux dangereux qu’est la volonté d ‘être toujours en phase lors d’un mariage, provocation au crime, manipulations réciproques.

Génial.

Commenter  J’apprécie          6525
La mort d'Ivan Ilitch

« Un être meurt, et c’est seulement un être de moins sur terre; moi, le monde disparaît. »

Simone de Beauvoir, Cahiers de jeunesse



Cet aphorisme pourrait presque à lui seul résumer La mort d’Ivan Ilitch. Du point de vue d’Ivan Ilitch, sa propre mort est un scandale absolu, tandis que celle des autres s’inscrit dans l’ordre naturel des choses. S’il reconnaît que le syllogisme « Caïus est un homme ; tous les hommes sont mortels ; donc Caïus est mortel » est tout à fait juste s’agissant de Caïus, il ne peut se résoudre à le trouver juste s’agissant de lui-même. Lui n’est ni Caïus, ni un homme en général, il est un être singulier et à part, avec son histoire, ses sentiments, ses bonnes et ses mauvaises actions.

Et naturellement, ce qu’Ivan Ilitch et Simone de Beauvoir pensent et expriment si douloureusement, la plupart d’entre nous le pensons également. Notre mort, c’est la fin du monde, celle des autres, ma foi… cela concerne les autres. Ainsi, l’agonie et la mort d’Ivan Ilitch, si atroces du point de vue d’Ivan Ilitch, ne sont-elles pour les autres, médecins, collègues, amis et proches, qu’un désagrément venant contrarier le déroulement ordinaire de leur existence. Tandis qu’Ivan Ilitch se met à observer anxieusement la progression de son mal, ses amis soupirent d’ennui, sa femme et sa fille, alors en pleine saison mondaine, lui reprochent son humeur maussade et regardaet ailleurs. La plupart du temps, Ivan Ilitch se mure dans un silence farouche, et les rares fois où il cherche à se confier ou à trouver du réconfort auprès de ses proches, ceux-ci se dérobent. C’est qu’on ne parle pas de ces choses, c’est parfaitement inconvenant.



Dans La recherche du temps perdu, il y a un épisode à la fois tragique et désopilant que j’affectionne particulièrement. Swann, terriblement malade et affaibli, rend une visite de courtoisie aux duc et à la duchesse de Germantes, au moment où ceux-ci s’apprêtent à sortir. La duchesse, tout en achevant ses préparatifs, lui renouvelle sa demande de les accompagner, le duc et elle, lors d’un voyage en Italie. Comme Swann lui répond que cela ne se pourra très certainement pas, elle le somme de lui en donner la raison, s’étonnant d’ailleurs, un brin offensée, qu’il puisse savoir à dix mois d’avance que cela lui sera impossible. Pressé par la duchesse, Swann finit par concéder que s’il ne pourra pas effectuer ce voyage avec eux, c’est parce qu’il sera mort depuis plusieurs mois.



« Placée pour la première fois de sa vie entre deux devoirs aussi différents que monter dans sa voiture pour aller dîner en ville, et témoigner de la pitié à un homme qui va mourir, elle ne voyait rien dans le code des convenances qui lui indiquât la jurisprudence à suivre et ne sachant auquel donner la préférence, elle crut devoir faire semblant de ne pas croire que la seconde alternative eût à se poser, de façon à obéir à la première qui demandait en ce moment moins d’efforts, et pensa que la meilleure manière de résoudre le conflit était de le nier. »



Il y a une immense différence, néanmoins, entre Swann et Ivan Ilitch. Swann aborde la maladie et la mort avec son élégance coutumière, détachée et courtoise, Swann ne se fait aucune illusion sur les autres et sur lui-même, tandis qu’Ivan Ilitch se révolte contre le sort qui l’accable, étouffe de colère contre l’indifférence des autres, une indifférence se traduisant par le déni, une minoration constante du mal dont il souffre, un refus d’admettre que ce mal qui le ronge, c’est le lent travail de la mort. C’est cela, le déni, le mensonge dans les rets duquel il se retrouve enfermé comme dans une cage de verre, qui le fait le plus souffrir. Il se débat comme un dément, il voudrait à toute force briser la vitre et entrer en relation avec l’autre, mais il n’y parvient pas et reste seul, livré à lui-même face aux assauts de la douleur et de l’angoisse.



« Dans les derniers temps, le visage tourné vers le dossier du divan, il vivait tellement seul au milieu d’une cité populeuse, de ses nombreux amis, de sa famille, que nulle part, ni sous la terre ni au fond de la mer, on n’aurait pu trouver une solitude aussi complète. »



Je ne pense pas que cette solitude effrayante face à la mort soit un cas particulier. Je crois au contraire qu’elle est ce à quoi est confrontée l’immense majorité, si ce n’est la totalité, des mourants. Je l’ai lu dans le regard des rares mourants que j’ai été amenée à côtoyer, mélange d’intense désarroi et de rage froide. Récemment, j’ai assisté aux derniers mois d’une femme qui, sans être une intime, était une personne à laquelle j’étais très attachée. Elle me répétait à chaque fois qu’elle me voyait qu’elle se sentait terriblement seule. Et pourtant, il me serait difficile de trouver une personne plus aimée et plus entourée qu’elle ne le fut. J’ajoute que c’était quelqu’un qui n’avait pas pour habitude de se plaindre. Cependant la découverte de sa maladie et l’annonce de sa mort à plus ou moins brève échéance la rendirent, comme on peut s’y attendre, extrêmement malheureuse. Je la vis s’isoler de plus en plus dans sa cage de verre et, à l’instar d’Ivan Ilitch, osciller sans répit entre espoir déraisonnable et désespoir absolu.



Car la vie pour un mourant se ramène à cela : sa douleur. La douleur frappe d’abord Ivan Ilitch faiblement, avec une relative discrétion, puis, à mesure que les semaines et les mois s’écoulent, de plus en plus fréquemment et avec plus d’ostentation. Chaque fois qu’elle se manifeste, elle réveille en lui cette autre douleur, plus atroce encore : l’angoisse, et celle-ci vient en retour accroître la douleur physique en un cercle vicieux véritablement infernal. Puis, douleur physique et douleur morale fusionnent en quelque sorte, ne le laissant jamais en repos, occultant tout le reste, valant à Ivan Ilitch cette supplique désespérée :



« N’y a-t-il qu’elle de vraie? »

Commenter  J’apprécie          6459
Trois morts

Tentée par @afriqueah je viens de faire un petit tour chez Lev Nikolaïevitch Tolstoï.

Trois façons de mourir tiré de Contes et nouvelles ainsi titré dans les oeuvres complètes de Tolstoï en numérique.

Il s'agit d'une courte nouvelle de 19 pages. Une oeuvre de jeunesse qui traite de la mort, de la religion, de la foi et du matérialisme à travers trois exemples de mort.

Une femme fuit la mort au point de tourner le dos à ses enfants, à sa famille, au peu de vie qu'il lui reste en somme. C'est aussi une vision bien pathétique de la foi puisqu'à part les derniers sacrements, la religion ne lui a apporté aucun réconfort. J'ai pensé à la mort de son frère Nicolas atteint de tuberculose.

Un paysan qui se meurt donne ses bottes toutes neuves en échange d'une pierre sur sa tombe. C'est la foi du petit peuple, il part sans bruit comme il a vécu. On est très proche du livre « le pèlerin russe» avec cette foi toute simple sans artifice.

Finalement un arbre est abattu pour faire une croix au paysan. Une mort qui transforme, rendue utile, presque une « résurrection ». le chapitre se clos sur cette phrase :

« Les oiseaux volaient dans le fourré et gazouillaient des chants de bonheur ; les feuilles pleines de sève, se murmurant de joyeux secrets, et les branches des arbres vivants se balançaient lentement et majestueusement au-dessus de l'arbre mort, de l'arbre tombé… »

Pour les deux dernières la mort ce n'est rien (nitchévo), c'est naturel.

Tolstoï n'avait pas la foi et cherchait des raisons à la religion. Ce n'est certainement pas sa meilleure nouvelle mais on y retrouve ses thèmes récurrents. Et à chacun d'en tirer une leçon ou tout du moins quelques idées.

Commenter  J’apprécie          6413
Philipok

Philipok a un grand frère ; un grand frère qui va à l’école. Philipok aimerait tellement être assez grand pour aller à l’école lui aussi. Mais il n’est encore qu’un trop petit enfant et sa mère sourit lorsque Philipok émet le souhait d’aller en classe avec son frère. Non, il va rester bien sagement avec la grand-mère, l’école, ce sera pour plus tard…



Les journées avec la Mère-grand sont si ennuyeuses, il aimerait tellement lire les lettres comme les grands. Mais l’avantage d’être avec une vieille grand-mère, c’est que sa vigilance peut parfois fléchir, c’est qu’elle peut s’assoupir, même ! La belle aubaine…



On sait que Léon Tolstoï était un bon pédagogue et qu’il s’est particulièrement investi dans la création d’écoles auprès de ses paysans. Il a aussi écrit, et c’est moins connu, sur la didactique et la pédagogie.



Ce petit conte sans prétention souligne ce souci d’être attentif au « désir d’école » des enfants. Il y dépeint un maître qui manie habilement (pour l’époque) carotte et bâton pour motiver sans décourager ni laisser la suffisance prendre le pas sur l’effort.



Coup de chapeau également à l’illustrateur russe Gennady Spirin qui arrive à parfaitement rendre cette ambiance froide d’hiver russe, d’intérieurs sombres de salles de classe tranchant avec les sols blanchis à perte de vue par l’épais manteau neigeux.



Pour conclure, pas mon conte ni mon album préféré, mais idéal pour les enfants allant bientôt entrer au CP, du moins c’est mon avis, bien peu en somme.
Commenter  J’apprécie          640
Le Diable

Comme si Tolstoï se remémorait ses années de jeunesse colorée loin d'être triste, comme si il prenait un plaisir particulier à évoquer les danses des paysannes qui l'ont affolé, comme s'il regrettait ce temps passé, où rien n'était grave, comme si, d'ailleurs, il voulait à tout prix rendre hommage à la petite Axinia, dont il a eu un fils, et qui continue à laver le plancher comme l'héroïne du Diable le fait , au grand dam de Sonia/Sophie, jalouse à en crever .



Dans « le diable », l'arrivée à la campagne du héros lui pose problème : comment faire ? comment consommer, et qui ? En ville, tout est facile, même si Irténiev ne se croit pas débauché, il n'est quand même pas un moine. Il payait, et donc ne se sentait aucunement attaché, il fortifiait sa santé, rien de plus innocent.



Une chose est sûre, la continence non voulue lui est insupportable, alors, alors.



Facile, une paysanne mariée se présente, tout va bien, plaisir réciproque, liberté assurée, chacun sa place.

Sauf que la femme, belle comme le jour, danse, et l'ensorcelle : c'est elle qui le possède, avec ses robes brodées jaunes et son fichu rouge vif, (ou le contraire) pieds nus, elle danse.

Elle est libre, cette serve, elle rit et elle se moque, désinvolte, elle fanfaronne, elle ne comprend absolument pas le problème de conscience que se monte soudain Eugène Irténiev.

Car depuis il s'est marié, avec une femme passionnément amoureuse de lui, aimante et compréhensive. Elle l'aime, le comprend, elle sent ses moindres changements d'humeur, elle apaise sa propre mère pour écarter de son mari tout sentiment douloureux.



Oui, mais il désire l'autre, ne veut pas que cela lui arrive, mais elle est plus forte que lui, sans rien faire qu'apparaître de temps en temps, et qu' échapper aux rendez vous, il est vaincu, une force étrangère le possède. Un petit juge intérieur lui souffle que ce qu'il ne peut éviter reste répréhensible et criminel.



Conclusion plutôt cul-cul la praline après un plan-cul assez bien explicite.

Et une fin tragique

Commenter  J’apprécie          6330
Trois morts

Œuvre de jeunesse de Tolstoï, écrit vingt-cinq ans avant la Mort d’Ivan Ilitch, ce récit « Trois mort », fort court, présage de la pensée angoissée que l’auteur a de la mort- lui qui a vu mourir sa mère quand il avait deux ans- avec l’ébauche d’une sorte de résurrection, d’une joie, d’une acceptation lorsqu’elle advient.

Elle advient, et ce ne sont ni les prêtres ni les médecins qui peuvent l’en empêcher, inutile de se mentir, sa survenue est inéluctable.

La mort de Madame, aigrie malgré l’amour de son mari, les attentions nombreuses dont elle fait l’objet, est presque devinée par un détail, le blanc de la raie des cheveux blonds de la malade.

Le paysan Khviodor accepte sa mort, l’on sait combien Tolstoï insiste sur les qualités humaines des paysans russes.

Il donne ses bottes à un cocher, à la condition que celui-ci paye une pierre tombale, ce qu’il ne fait pas : il coupe un arbre pour en faire une croix.



C’est la troisième mort, celle de l’arbre, qui est racontée avec force détails : il fait partie de la nature comme les deux précédents morts qui terminent dans la terre, et lui en est arraché.

« L’arbre trembla de tout son corps, s’inclina pour aussitôt se redresser, oscillant avec effroi sur sa racine. Il y eut un instant de silence, mais de nouveau l’arbre s’inclina, de nouveau un craquement se fit entendre dans son tronc et, cassant ses branches sèches, laissant tomber ses branches feuillues, il s’écroula de toute sa hauteur sur la terre humide. »



La mort dans les trois cas libère ceux qui restent :

Madame était devenue impossible, regrettant ce que son mari n’avait pas voulu qu’elle fasse : le voyage en Italie qui selon elle la guérirait, voyage fantasmé, puisqu’elle est déjà malade;

le paysan libérant l’isba où les habitants dormaient par terre, et se réjouissant d’une certains façon de le faire ; il n’a plus besoin de ses belles bottes neuves , en signe d’abandon des biens de ce monde .

enfin l’arbre, dont la mort est si longuement décrite, laisse l’espace libre pour que les autres arbres puissent se déployer « encore plus allégrement ».



Même Madame, qui s’isole pour mourir ressent tout de même ses péchés et aussi une certaine joie à l’idée de ne plus souffrir, une sorte de délivrance.

Khviodor, lui, sait qu’il fait partie de la grande nature, comme Nikita de Maitre et serviteur ( à qui la mort du maitre, n’ayant peur de rien, possédant tout, paraissait plus injuste que la sienne propre ). Sa mort comme celle des êtres proches de la nature entre dans le cycle normal des choses. Elle est pour lui comme pour ceux qui l’entourent un passage vers un autre monde sans souffrances.



Enfin l’arbre , lui aussi, dont Tolstoï ne nous livre pas les pensées, entre dans le cycle de la nature qui meurt et se régénère sans cesse.

Selon moi, et là encore je ne connais pas suffisamment Tolstoï pour l’affirmer, la mort de l’arbre donne la clef, le sens de deux précédentes morts : que vous soyez puissant ou misérable, inutile de vouloir y échapper comme Madame dans un voyage/fuite en Italie.

Mieux vaut avoir la sagesse paysanne de donner ce qui ne vous servira plus, et d’accepter la loi générale de toutes les espèces y compris végétales.

Commenter  J’apprécie          6329
La Guerre et la Paix, tome 2

Le deuxième tome de la guerre et la paix est une œuvre maîtresse qui nous fascine de bout en bout.

Tolstoï nous plonge dans cette année 1812 si fatale à Napoléon.

Par une écriture riche en descriptions et en émotions, il nous conte la bataille de Borodino, en le lisant, on y est, comme dans un film.. A l'évocation de cette bataille, me sont revenus mes souvenirs anciens de la visite du musée panorama de la bataille de Borodino. Je me suis rappelée les commentaires enthousiastes de mes amis russes lors de la visite.

Le génie de Tolstoï est à mon sens, la métaphore excellente qu'il utilise pour parler de l'armée française.

"La situation de cette armée était semblable à une bête blessée qui sent qu'elle va périr et ne sait ce qu'elle fait"

Cette bête blessée continuera son ascension jusqu'à cette prise de Moscou dont elle finit par l'abandonner sans savoir exactement pourquoi.

Tolstoï s'interroge et se questionne sur tous les aléas et les causes fortuites qu'a engendré la campagne de Napoléon en Russie et sur l'art prétendu du génie militaire.

Bien que n'ayant que très peu d'appétence pour la guerre et ses descriptions, j'ai été emportée par ce deuxième tome. Même les héros et héroïnes de l'histoire passe au second plan tant cet univers de la guerre est rendu si captivant à lire.



J'ai lu plusieurs livres de Tolstoï, j'ai découvert avec ce titre encore plus d'attrait à son œuvre.

Je sais, le roman est très long mais je vous le recommande, vous ne serez pas déçu d'entreprendre je crois ce grand voyage.























Commenter  J’apprécie          633
Anna Karénine

Le roman se situe en Russie en 1870.

Anna Karénine, épouse d'Alexeï Karénine, un personnage nanti et très en vue dans la société russe, est maman d'un garçonnet qu'elle adore.

Elle se rend à Moscou pour remettre de l'ordre dans le ménage de son frère qui a été infidèle à son épouse et elle fait la connaissance du comte Vronski.

C'est le début d'une grande passion qui se révélera dévastatrice.

Parallèlement, on suit le destin de Katherina et Constantin Levin qui aime la campagne et gère ses terres tout en respectant ses paysans. Leur couple démarrera après des premières amours contrariées mais sera basé sur l'amour et des bases solides.

Tolstoï décortique ses personnages très habilement, très en profondeur et il a réussi à me les faire tous apprécier.

Même Anna qui pourrait me rebuter après avoir trompé son mari pourtant si compréhensif est arrivée grâce à l'habileté de l'auteur à rencontrer mon empathie dans sa façon d'aimer entièrement, sans calcul et de se déchirer.

Un roman magnifique que j'ai mis du temps à lire mais pas ennuyeux du tout car Léon Tolstoï nous fait changer très souvent de décors, nous fait rencontrer de multiples personnages, nous plonge au coeur d'actions très différentes.

J'ai envie de dire que c'est un roman moderne par sa diversité.

Historiquement, il ne manque pas d'intérêt car on vit dans la noblesse russe et on sait ce qu'elle est devenue ensuite.

En même temps, Levin nous fait entrevoir les changements qui peuvent survenir parmi les masses laborieuses et le respect qu'elles méritent.

Il faut avouer que j'ai quand même un personnage favori dans la personne de Katherina : Kitty pour sa générosité, son authenticité et son dynamisme.



Challenge pavés contre l'illettrisme 2017
Commenter  J’apprécie          6311
La Guerre et la Paix, tome 1

On dit pudiquement de ces livres que ce sont des monuments de la littérature. Ces livres qui sont dans toutes les bibliothèques, dont on a tous entendu parler, mais que l’on n’a pas lus et qui font un peu peur. Ils sont certes intimidants ces deux gros volumes, surtout aujourd’hui où l’épaisseur des livres à succès est plus proche de la longue nouvelle que du roman…

J’ai donc pris mon courage à deux mains, pour un livre dont je connaissais bien peu de choses : la campagne napoléonienne vue du côté russe, mes connaissances préalables s’arrêtaient là. Et je ne regrette pas de m’être enfin jetée à l’eau et d’avoir lu au long cours ce livre qui emprunte à tous les genres !



La légende veut que le titre de la traduction soit sujet à polémique, non pas seulement pour savoir s’il faut y inclure des articles ou non, mais parce que le mot russe que l’on traduit par « paix » (sur les instructions de Tolstoï lui-même semble-t-il) a un double sens en russe, signifiant autant « paix » que « peuple ». On pourrait donc aussi bien enseigner dans les écoles « La guerre et les gens ». Un titre moins accrocheur, mais qui me semble une clef de lecture intéressante.

« La guerre et les gens », c’est l’illustration de la construction duale du livre. Ce sont « les gens », les Rostov, les Bolkonsky, toute une galerie de personnages, pris dans le tourbillon des évènements historiques, les subissant, ou y prenant part, parfois cherchant même à les influencer, et c’est « la guerre », une dissertation hélas poussive et répétitive sur les méthodes de l’analyse historique. Lorsque la ligne romanesque (« les gens ») est prépondérante, comme dans la première moitié du livre, la lecture est passionnante. Elle devient plus difficile quand la dissertation historique (« la guerre ») prend le pas sur la fiction, et finit même par l’étouffer.

J’ai d’autant moins aimé cette sorte d’essai sur l’histoire (ou pour être plus exacte sur l’historiographie, qui est quelque chose qui me fascine pourtant) que le ton en est à la fois pédant et polémique. Son argumentation est remplacée par un soi-disant bon sens qui ne passe pas l’épreuve de l’analyse ou à une distorsion des faits tellement évidente que j’ai l’impression qu’on me prend vraiment pour plus bête que je ne suis… Ce genre de discours lénifiant, qui trouve ses échos chez certains de nos politiques actuels, m’a fait parfois pensé aux exécrables pseudo-justifications des Confessions de Rousseau, ce qui n’est pas bien haut dans mon estime livresque… Il ne m’aurait pas déplu que le livre soit amputé de certaines de ces longueurs, ce qui aurait réduit let livre de près d’un tiers de lecture inutile et répétitive.

Je suis peut-être un peu injuste tout de même, il y a des éléments intéressants dans les ratiocinations de Tolstoï ! Sa vision déterministe de l’histoire, concluant que les décisions individuelles n’ont aucune influence sur des évènements qui devaient inéluctablement arriver, m’a donné à réfléchir, même si je ne suis pas Tolstoï jusqu’au bout de son raisonnement qui finit par transformer l’histoire en une sorte de futur écrit à l’avance, d’autant que celui-ci est peu étayé et finit par ressembler plus à une obsession d’auteur qu’à une démonstration.

Par contre, je souscris à cette idée qui était probablement neuve à l’époque et n’est guère partagée aujourd’hui, selon laquelle l’histoire qui s’écrit est la somme imprévisible de milliers de décisions individuelles et que ce ne sont pas les rois et autres grands hommes qui écrivent l’histoire (Tolstoï fait une analogie parlante avec la fonction d’intégration en mathématique. Il l’utilise pour la durée, mais elle pourrait aussi illustrer cette intégration de choix individuels qui créent les conditions d’un évènement).



Et surtout, il y a l’autre partie, cette grande fresque romanesque qui s’étend sur près d’une décennie, des prémisses d’une invasion napoléonienne glorieuse à la déroute humiliante de la suivante (en 1805 ce sera Austerlitz, en 1812 la Berezina). Dans ce tourbillon historique, des aristocrates russes se croisent, des liens se nouent et se dénouent, de bals en champs de bataille. Et sur cette scène de théâtre, ce sont toutes les expériences, tous les espoirs et toutes les désillusions de la vie qui défilent, toute la complexité des sentiments humains et des relations sociales qui se révèlent aux yeux du lecteur, non sans rappeler parfois un projet ambitieux à la Rougon-Macquart, même s’il semble que ce soit plutôt Les Misérables, que Tolstoï a lu peu de temps avant d’entreprendre l’écriture de ce livre (un projet qui lui a pris plus de dix ans, ainsi qu’à sa femme qui a copié et recopié je crois pas moins de sept fois le manuscrit !), qui aurait inspiré sa plume (l’entremêlement d’une histoire individuelle et d’une réflexion plus générale se retrouve d’ailleurs effectivement dans de nombreux livres de Victor Hugo).



Les personnages évoluent beaucoup au cours du roman, modifiant leur comportement ou leur vision de la vie au gré de leurs expériences et de leurs erreurs, leur trajet s’apparentant à une quête de sens. Les deux personnages d’André Bolkonsky et de Pierre Bezoukhov sont au centre de cette fresque. Beaucoup ont vu dans ces hommes que lie une profonde amitié malgré leur antagonisme profond deux facettes de la personnalité de Tolstoï lui-même. D’un côté Pierre, si gentil, si généreux qu’il en devient faible et manipulable à souhait, qui se perd dans l’enthousiasme de ses idéaux mais qui a l’inconstance d’un enfant qui se lasse vite de ses jouets trop rutilants, révolution française puis franc-maçonnerie puis patriotisme puis… De l’autre, André, toujours froid et hautain, hermétique à la frivolité de la société parce que seul ses principes moraux et le sens du devoir lui semblent dignes de lui. Mais ce personnage lunaire et pessimiste et ce personnage solaire et toujours heureux ont en commun un questionnement incessant sur le sens de la Vie, sur l’idée de Dieu, sur l’apprivoisement de l’idée de la Mort, à l’image de Tolstoï lui-même, qui oscilla toute sa vie entre mysticisme et athéisme, entre sa naissance aristocratique et son ascétisme.

De ces deux facettes de Tolstoï lui-même, c’est du personnage d’André Bolkonsky que je me suis sentie la plus proche. Comprenant les futilités des conventions sociales, c’est entre les deux campagnes napoléoniennes qu’il est le plus attachant, comme un héros de Camus avant l’heure, ayant réaliser la vanité de la vie sociale et ne vivant que pour lui-même, heureux de plaisirs simples mais exigeants. Il se laissera cependant emporter dans une nouvelle campagne militaire, où le patriotisme puis le mysticisme l’éloigneront de moi mais le rapprocheront certainement du cœur de Tolstoï.

En définitive, le parcours des personnages n’impose pas une réponse qui aurait une valeur universelle aux grandes questions de l’existence, puisque, si Tolstoï a plus d’affection pour certains de ses personnages, il leur permet toutes les croyances et tous les choix, comme son le roman de « La Guerre et la Paix » s’amusait à contredire l’essai « La Guerre et la Paix » . Il est seulement réconfortant de savoir que tous, à leur façon, trouveront l’apaisement dans l’épilogue.



En conclusion, voici un livre plein de contradictions, entre fierté patriotique et individualisme, entre sens de l’Etat et sens de la famille, entre libre-arbitre et déterminisme, et tant d’autres contradictions apparentes dont nous passons chaque jour de notre vie à résoudre. C’est un livre où chacun peut se retrouver, un livre à l’image du bouillonnement bien peu rationnel de la vie. Il y est question de guerre bien sûr, de petits accommodements avec la morale, mais il contient aussi de très belles pages sur le fait de tomber amoureux ou sur la recherche de sens.

Pour moi, ce livre est la découverte d’un auteur que je n’avais encore jamais lu, un auteur complexe, parfois daté (le sexisme de ses dernières pages est horripilant de bons sentiments mal venus) mais dont la vision demeure intéressante et que j’espère continuer à découvrir dans d’autres ouvrages, où il se fera Pierre ou André, ou plus probablement un peu des deux.



PS : Je ne peux m’empêcher d’ajouter une note sur l’édition de poche folio. Je n’ai en effet jamais vu un livre avec autant de coquilles, au point qu’elles en ont gêné ma lecture ! Je ne la conseille vraiment pas et j’espère que les éditions concurrentes ne négligent pas autant la relecture de leurs épreuves !
Commenter  J’apprécie          629
Trois morts

J'ai lu ce récit de Léon Tolstoï, Trois morts, il y a quelques jours au moment où l'actualité évoquait le sujet de la fin de vie. Jean-Luc Godard venait de tirer sa révérence dans ce choix qui lui appartenait. Ce n'était que pure coïncidence. Cependant...

Il m'était alors intéressant de croiser le sujet de la fin de vie qui s'invitait dans le débat public et dans nos consciences tiraillées, avec ce texte écrit en 1858 par Léon Tolstoï, alors qu'il n'avait que trente ans. C'est ainsi et à ce moment-là que ce texte est venu me prendre par la main, me titiller, me séduire dans sa justesse et son acuité.

Ici, c'est tout le contraire, les morts en sursis, les morts en devenir, les êtres qui s'apprêtent à mourir ne le veulent surtout pas.

Cette nouvelle raconte successivement trois récits de morts. À travers ces morts, Léon Tolstoï semble reprendre des thèmes qui lui sont chers : le mensonge face à la mort, l'hypocrisie de la vie et des vivants, ainsi que leur dureté.

Léon Tolstoï avait donc trente ans. Parler ainsi de la mort à cet âge-là, celle-ci aurait-elle donc été présente avec autant d'intensité dès sa jeunesse ? En regardant de près sa biographie, on se rend compte que la mort des siens l'a éprouvé fortement et très jeune.

La mort, - on la voit ici sous trois aspects, peut susciter toutes les nuances du sujet.

Trois morts, ou plutôt la mort qui vient, qui rôde, qui va venir, qui happe, qui emporte dans sa nasse. Lorsqu'elle advient, certains qui vont mourir se révoltent, d'autres l'acceptent par fatalité. Et puis il y a la mort qui fauche sans prévenir, injuste, ignoble.

Il y a cette femme bourgeoise, acariâtre, tyrannique, aigrie, n'en finit pas de mourir au cours d'un voyage vers l'Italie. Elle agace et empoisonne son entourage. On voudrait presque qu'elle se dépêche de mourir et qu'on en finisse... Oui, je reconnais volontiers que je souhaitais ardemment qu'elle meurt le plus vite possible, non pas pour abréger ses souffrances, mais plutôt celles de ses proches. C'est là tout le talent d'un écrivain que de savoir nous projeter vers nos instincts les plus enfouis, terrés au plus profond de nous et être capable de les remonter à la surface de l'onde.

Puis il y a ce postillon qui se meurt et qui offre ses bottes toutes neuves à celui qui saura poser une pierre sur sa future tombe. Il meurt, ses bottes lui sont aussitôt arrachées ; malgré la promesse qui lui fut faite, sa tombe demeure pour un temps un simple tas de terre informe figurant un tertre...

Et puis il y a la dernière mort, le dernier récit, celui que je préfère, cette mort insensée, injuste, ignoble. Elle est presque déjà annoncée par ce détail presque innocent :

« le bruit s'éleva derechef et se répéta à intervalles égaux ; il partait du pied d'un des arbres immobiles. Une des cimes frissonna subitement, ses feuilles gonflées de sève murmurèrent quelque chose ; une fauvette, perchée sur une des branches, siffla, voleta à deux reprises et se posa sur un autre arbre, la queue éployée. »

Un oiseau qui se déplace d'un arbre vers un autre, comme s'il savait que la mort venait, c'est peut-être cette image qu'il me faut retenir... J'aurais aimé être cet oiseau, se déplaçant d'un texte à l'autre et pourquoi pas d'un livre à l'autre...

Peut-être le suis-je quand même à ma façon...

Oui, cette troisième mort est celle d'un arbre fauché par la main de l'homme dans la force de l'âge et qui ne demandait rien à personne. Cet arbre est abattu pour le seul but de fabriquer une croix à un mort. Quelle ironie absurde !

Dans ces trois récits où le propos est traité parfois de manière poétique, Léon Tolstoï observe le moindre détail, le moindre mouvement avec une acuité minérale.

Trois morts, trois récits, trois façons d'aborder peut-être la mort selon Tolstoï, dans une écriture d'orfèvre, ciselée à merveille...

Commenter  J’apprécie          6115
Anna Karénine

Puisqu'il m'est impossible d'encapsuler en quelques lignes les innombrables richesses de ce pan-roman qui aborde tant de choses, de l'intimité des couples aux impératifs de la vie sociale, de la comédie des moeurs aux fractures sous jacentes de la société russe de cette fin de siècle, des conservatismes aux forces de progrès, de cette histoire à hauteur d'homme qui pianote sur toute la palette des comportements humains, je n'en aborderai que deux , celles qui m'ont le plus marquée :



La force de l'impact du couple littéraire Levine et Anna, qui bien que n'étant pas le couple du roman et s'y croisant peu, forment à eux deux, forts l'un et l'autre de leur refus des concessions, un double personnage dont les vives aspérités et les profondeurs se répondent en miroir, douloureuses pour l'un comme pour l'autre : l'amour comme absolu vital et indiscutable pour Anna, versus le questionnement sur le sens de la vie pour Levine vers le bien. Amour et Bien, même sujet, dans lequel ils inscrivent le sens de leurs couples respectifs qui les conduisent sur des chemins divergents.



L'influence considérable de ce roman sur la littérature, que j'ai ressentie à travers de nombreux échos à d'autres oeuvres ultérieures : de même que le couple Anna – Wronski n'a cessé de me faire de penser tout au long de ma lecture à Ariane et Solal dans Belle du Seigneur, le personnage tourmenté de Lévine en quête de sens est une figure que je pense avoir croisé souvent, dans « les enfants Jéromine », ou chez Camus ou Tennessee Williams par exemple.



N'ayant pu le lire que de manière hachée, « Anna Karenine » ne m'a pas transportée autant que « Guerre et Paix ». Il n'en reste pas moins que la puissance de ce roman matrice est incommensurable.

Commenter  J’apprécie          611
D'où vient le mal

le grand écrivain russe du XIX e Siècle , Léon Tolstoi pour ne

ne pas le citer nous donne à lire un très beau et bon essai à

portée philosophique intitulé : "D ' où vient le mal ? ".

La réponse à cette grave question , l 'auteur nous la donne

sous la forme d 'une fable :" Un ermite vivant dans la forêt , en toute quiétude , est entouré de quatre animaux . Ces derniers sont convoqués pour donner chacun son avis et sa réponse à cette question .

1 / le corbeau disait : C 'est de la faim ..

2 / le pigeon disait : -Et pour moi , ce n 'est pas de la faim

que vient le mal ; tout le mal ; tout le mal vient de l 'amour:

3 / le serpent disait : - Non , le mal ne vient ni de la faim , ni de

l 'amour mais de la méchanceté .

4 / le cerf disait :-Non , ce n 'est ni de la méchanceté , ni de l 'amour , ni de la faim que vient tout le mal , mais de la

peur .

Alors l 'ermite dit ;

-Ce n 'est ni de la faim , ni de l 'amour , ni de la méchanceté , ni de la peur que viennent tous nos

malheurs : c 'est de notre propre nature que vient le mal

car c 'est elle qui engendre et la faim , et l 'amour , et

et la méchanceté , et la peur " .

Essai qui donne à réfléchir et à cogiter .

Commenter  J’apprécie          594
Anna Karénine

Rien de tel que les grandes vacances pour me plonger dans un bon gros classique.

Cette fois, j’avais décidé que Tolstoï m’accompagnerait un petit bout de chemin.

Disons que c’est plutôt moi qui l’ai suivi, car St-Pétersbourg et sa campagne m’y invitaient follement.

Moscou aussi, à vrai dire, mais St-Pétersbourg me parait encore plus romantique…



Ah la Russie de la fin du 19e siècle! Ses aristocrates superficiels et égocentriques, ses femmes amoureuses et jalouses, ses hommes joueurs et jaloux…de leur liberté, ses paysans roublards, ses amantes voluptueuses et méfiantes, ses commères à la langue vipérine, ses parasites fauchés et vivant aux guêtres des plus riches, ses tuberculeux, ses villes flamboyantes et vicieuses, ses opéras où les mondains se retrouvent pour s’épier, sa campagne abondante où se réfugient les riches et où triment les pauvres…



Quel contexte ! Quel chatoiement de contradictions !

Pleurs, rougeurs (bon Dieu ce que les gens peuvent rougir à tout instant ! ), embrasements, méfiance, colère, transports amoureux, séduction volatile et joueuse, désespoir infini : les personnages eux-mêmes en sont pétris et c’est ce qui fait le sel de ce roman romantique à souhait.

Anna Karénine est belle et elle le sait. Quand elle rencontre Vronsky, c’est l’amour fou qui soufflera tout sur son passage. Elle en oubliera son mari, mais elle a un petit garçon…



Autour de cette icône de la beauté et de la féminité, gravissent des personnages essentiels, tous liés par des liens familiaux ou amicaux, dont nous ferons la connaissance et dont nous suivrons les méandres de la vie sur quelques années.



Roman de la vie familiale et sociale, roman d’amour, « Anna Karénine » est aussi et surtout un roman russe, typiquement russe. L’âme slave y est sublimée et raillée à la fois. La religion, la philosophie, la politique, l’administration, le jeu, tout concourt à créer un écrin où évoluent les aristocrates, englués dans leur ennui ou voulant à tout prix participer au bien de l’humanité.



Je quitte cette « bonne » société, fière de l’avoir fréquentée pendant plusieurs jours, d’avoir côtoyé l’esprit de Tolstoï, russe et romantique.

Commenter  J’apprécie          5918
Maître et Serviteur

Toute la maestria de Tolstoï en cent pages.

Nous voici partis en traîneau, pris dans une violente tempête, la nuit tombe, le chemin est recouvert par la neige, le vent souffle en bourrasque, nous avons froid nous inquiétons mais par chance nous arrivons dans un village.

Seulement, dans cet attelage, Vassili Andréitch n'a qu'une obsession conclure une affaire le plus rapidement possible. Il ne pense qu'à ses futurs profits.Les villageois lui conseillent d'attendre mais rien à faire, les voilà repartis dans la tourmente. Soumis son domestique Nikita l'accompagne et le sert de son mieux grâce à sa connaissance de la nature.

Dans ce récit, Tolstoï nous montre à quel point, l'homme est impuissant face à la nature, Vassili Andréitch l'apprendra à ses dépens et réalisera trop tard qu'il ne maîtrise que peu de choses. C'est aussi une belle leçon de lâcher-prise car Nikita, son serviteur, sait qu'il n'a pas grand-chose à perdre et accepte l'idée de sa mort tout en plaignant son maître, qui lui, à tant à perdre.

Toute la finesse de Tolstoï dans ces deux portraits où finalement le maître finit par réaliser qu'il a une vie à charge.

Une réflexion sur l'importance de la vie, la sienne et celle des autres.
Commenter  J’apprécie          583
Anna Karénine

Une oeuvre romanesque comme il y en a peu. Entre les luttes sévères de Lévine sur le sens de sa vie et l'écartèlement d'Anna Karénine entre sa vie amoureuse et sa vie de famille, votre coeur et votre esprit scanderont "chef d'oeuvre, chef d'oeuvre!"



Ici, point de cassure théorique sur le sens de l'histoire comme on en trouve dans l'épilogue de "Guerre et Paix". Tolstoï s'emploie pleinement au récit romanesque. A chaque chapitre il nous emmène en télègue dans les rues de Moscou ou de Saint Petersbourg et s'attelle à nous faire aimer cette femme, il est vrai fort belle et intelligente, Anna Karénine, mais fautive aux yeux de la société car outrageusement amoureuse d'un autre: le Comte Vronsky.



Et, si comme Lévine, les caprices et l'oisiveté des Moscovites vous pèsent vous irez avec lui, en charrette, sur les routes de campagne surveiller le bon déroulement des travaux des champs et vous le regarderez faucher énergiquement les blés avec ses journaliers pour se libérer de ses mauvaises pensées d'amant éconduit.



Deux lignes narratives, deux destinée bien différentes. L'une vit dans le "péché" l'autre veut se marier et former un couple modèle.



Près de 140 ans nous séparent à présent de la première sortie de cette oeuvre dans un journal. Et pourtant bien des thèmes abordés sont toujours brûlants d'actualité: infidélité, divorce, garde d'enfants...



Pour étoffer les destinées de ces deux personnages-qui ne se rencontrent qu'une fois- on trouvera des personnages secondaires très importants:



Vronsky: l'amant d'Anna, beau, séduisant et important et, un peu comme le Solal d'Albert Cohen,possède une pointe de cynisme quand il se débarrasse de Kitty, pour mieux se concentrer sur sa proie: Anna Karénine.



Oblonsky- marié à Dolly- l'infidèle affiché aux yeux de tous sauf de sa femme qu'il place à l'écart à la campagne avec ses 6 ou 7 enfants.



Le froid Karénine, un politicien honnête mais qui délaisse sa femme pour sa carrière.



Comme pour "Guerre et Paix", Tolstoï, s'est fortement inspiré de sa propre vie pour développer certains personnages. Ici, on le découvre sous les traits tourmentés de Lévine. Lévine, mon personnage préféré, dont le questionnement m'a beaucoup touché.







Commenter  J’apprécie          583
Anna Karénine, Tome 2

Ca y est ! Je viens de finir le roman d'Anna Karenine. Depuis le temps que je voulais le lire, c'est pour moi une belle victoire.

Le nombre de pages, la peur de ne pas aimer à sa juste valeur ce grand roman, la pensée que l'écriture de Léon Tolstoï serait trop classique et vieillotte, trop lourde et ennuyeuse, toutes ces raisons m'ont incitée à repousser sans cesse cette lecture qui me faisait envie mais que j'appréhendais également.



*

Léon Tolstoï a un talent incroyable pour dessiner de sa jolie plume des personnages qui ont de la consistance.



Anna est une belle jeune femme raffinée qui abandonne son existence confortable d'épouse et de mère pour suivre le comte Vronsky, un officier de cavalerie.

Anna m'a plu par son caractère entier et honnête, son esprit combatif et provoquant, sa nature passionnée qui ne peut se satisfaire d'une vie rangée, ennuyeuse et vide de sens auprès d'un mari qu'elle n'aime pas.

Anna m'a touchée par ses douleurs intérieures, ses sombres pensées, ses incertitudes, sa jalousie maladive, son besoin viscéral d'être aimée, sa solitude et sa souffrance face au mépris affiché par ses amis ou connaissances.



*

Dans cette seconde partie, nous la découvrons exubérante dans ses émotions, ses sentiments et ses envies. Elle peut être d'humeur joyeuse et avenante, gaie comme un pinson, charmeuse, et puis, l'instant d'après, son regard se ferme, des idées obsédantes prennent le pas sur son esprit, tournant en boucle. Elle se montre alors inquiète, tourmentée, incertaine, jalouse, impulsive, irascible, froide, haineuse.

Léon Tolstoï saisit avec justesse ses états mentaux, ses émotions, ses sentiments tels que le désir, le bonheur, la jalousie, la haine, la honte, la peur d'être rejetée ou trahie, le besoin de vengeance ou de pardon. Ses colères irraisonnées l'emprisonnent, l'empêchent de communiquer jusqu'à la détruire.

C'est le récit d'une passion qui s'éteint, d'un désamour, d'une chute prévisible. Certains passages sont particulièrement poignants, douloureux, le désespoir d'Anna laissant une impression durable de profonde tristesse.



Le conte Vronsky quant à lui, n'est pas totalement satisfait et heureux de sa nouvelle vie. Vivre passionnément avec Anna n'est pas facile. Incapable de la rassurer, il aspire à retrouver sa liberté, la délaisse.



« Il avait beau depuis lors évoquer leur première rencontre, à la gare aussi ; chercher à la revoir dans sa beauté poétique et charmante, alors que, débordant de vie et de gaieté, elle allait au-devant du bonheur et savait le donner : c'était son image irritée et animée d'un implacable besoin de vengeance, qu'il revoyait toujours, et les joies du passé en restaient empoisonnées à jamais. »



*

D'autres personnages gravitent autour de la belle Anna et apportent leur part de bonheur et de malheur.

Le lecteur les accompagne dans les différentes étapes qui ponctuent le cours de leur vie, de la naissance à la mort pour certains. On les voit évoluer dans leur couple, débattre de politique, travailler, élever leurs enfants, aller dans la bonne société et converser. Il est question d'amour, de séduction, d'amitié, de dignité, d'honneur, de colère, de douleur.

L'auteur a une écriture qui sonde, avec beauté et perspicacité, l'âme humaine, faisant ressortir la noirceur comme la fragilité, la bonté, l'humanité ou les tourments de ses personnages.



« Toutes les familles heureuses se ressemblent. Chaque famille malheureuse, au contraire, l'est à sa façon. »



J'ai aimé retrouver le joli couple formé par Levine et Kitty. Leur bonheur simple est touchant et attendrissant.

Tolstoï exprime ses propres opinions à travers le personnage particulièrement attachant de Levine. Il tente de se comprendre, de comprendre les hommes et le monde qui l'entoure en exprimant son attachement pour la terre, en analysant et réfléchissant sur l'inaction des hommes politiques, la disparité entre la vie à la ville et à la campagne, les conditions de travail difficiles des paysans dans la Russie du XIXème siècle ou les questions relatives aux croyances et à la religion.

J'ai trouvé très intéressant les passages qui décrivent la vie quotidienne des Russes, mais d'autres m'ont un peu moins intéressée, en particulier les questions de politique ou d'agriculture que j'ai trouvées parfois trop développées.



Léon Tolstoï évoque également le statut des femmes à travers de très beaux personnages féminins, le sort le moins enviable étant sans contexte celui d'Anna dont l'attitude scandalise les cercles sociaux de Saint-Pétersbourg. La société impériale russe, patriarcale, hypocrite, intolérante, prompte à oublier les défaillances des hommes, n'admet pas l'émancipation des femmes.



Mais il est remarquable de voir que même si Anna n'est pas présente sur le devant de la scène, elle reste malgré tout, toujours dans nos pensées et dans celles des autres personnages du roman. C'est réellement un personnage fascinant que j'aurais tout de même aimé plus présente dans le roman.



*

Pour conclure, on présente souvent ce roman comme une histoire d'adultère, mais je trouve cette idée très restrictive.

C'est une superbe fresque, à la fois belle et tragique, que nous dépeint Léon Tolstoï. Il est un merveilleux observateur de la nature humaine. Attentif à mettre en avant les passions et les émotions humaines, il a su insuffler de la vie à ses personnages et nous emporter dans les méandres de leurs pensées, nous faisant partager leurs réflexions intimes, dévoilant leurs motivations et apportant en définitive, avec beaucoup de subtilité, une certaine tension et du mystère autour d'Anna Karenine.



Pour ma part, je suis heureuse de l'avoir rencontrée. Je la quitte après plusieurs mois de lecture audio, avec un sentiment de vide et de tristesse. J'aurais tant aimé que son choix de vie lui apporte le bonheur.

Le personnage d'Anna restera toujours présent dans ma tête, sa vie, sa mort tragique, m'ont énormément touchée. Il existe des romans que l'on garde en mémoire et Anna Karenine fera partie de ces héroïnes tragiques qui ne peuvent être oubliées.



« Je t'aime et t'ai toujours aimée ; lorsqu'on aime ainsi une personne, on l'aime telle qu'elle est, non telle qu'on la voudrait. »
Commenter  J’apprécie          5761
Hadji Mourad

Dans le bonheur conjugal, Tolstoi décrit plusieurs fois les bardanes, teigneux ressemblant aux chardons, laissant entendre le peu de soin accordé au jardin.

Dans Hadji Mourad ( El Hadj ?) , l'écrivain tente de couper une de ces bardanes sauvages, il n'y arrive pas, car elle se défend avec énergie ; il finit par l'abandonner, à moitié morte, commentant qu'elle avait chèrement vendu sa vie, alors que l'homme , dont lui, était un destructeur irraisonné: « il semblait qu'on lui avait tranché une partie du corps, qu'on lui avait labouré les entrailles, arraché un bras, un oeil et cependant elle restait debout, ne cédant pas à l'homme qui avait détruit autour d‘elle toutes les plantes, ses soeurs. »

Cette bardane, dit-il dans la dernière phrase de son récit, lui a fait penser au héros tchéchène, fier et incorruptible, et la métaphore de la bardane prend tout son sens, lorsque Tolstoï décrit la destruction et le pillage d'un village près de Grozny (la Féroce) par l'armée russe.

Depuis sa retraite mystique à Isnaïa Poliana, Tolstoï admire, se sent même inclus dans ce peuple debout, ce monde de musulmans, qui honorent leur Dieu, qui ont renoncé comme lui aux richesses de ce monde , dont la fierté l'émeut, et dont le héros Hadji Mourad se bat héroïquement, avec orgueil, debout, méprisant ces cochons de Russes, et voulant aussi se venger d'un autre iman, Schamyl , puis est obligé par amour, pour sauver les siens,, toujours avec honneur et panache, la tête haute, de faire la paix avec les Russes.



Si Tolstoï invente le personnage haut en couleur d' Hadji Mourad, et date de 1851 l'épisode, c'est pour mieux nous faire toucher du doigt la lutte des montagnards tchéchènes, héritiers des Huns, des Mongols et des Tatares, ralliés à l'islam soufi, jamais soumis malgré les invasions successives russes, ce depuis des siècles.



De plus Schamyl , cet autre chef charismatique et vrai personnage historique se rendra (comme Hadji l'a fait, à ses dépens) en 1859, et la fin de la guerre , longue, sanglante, où les deux forces se sont affrontées verra non pas seulement le massacre de Hadji,- raconté longuement et rappelant la mort du chardon - mais les déportations, l'exil forcé , la destruction totale d'une terre annexée sous la terreur.



Passionné plaidoyer contre la guerre, ( la guerre vue par une femme : « Des bouchers ! de vrais bouchers ! La guerre ? Quelle guerre ? Des assassins, voilà tout ! » où le futile héroïsme des cosaques « ils fumaient, plaisantaient, narguant la mort qui pouvait, d'un moment à l'autre, frapper l'un d'eux » jouxte la corruption des élites militaires.

Nicolas 1· paraît presque un pantin, le ventre saillant, contemplant la servilité de ses acolytes, pétri d'ego : « Qu'adviendrait-il sans moi, non seulement de la Russie, mais aussi de toute l'Europe ? », en fait le tzar a pour projet « d'extirper l'esprit révolutionnaire »(tiens, tiens) des Tchéchènes.

Revendiquant après-coup les décisions qu'il n'a pas prises, retors, cruel, donnant l'ordre de bastonner à mort un étudiant pour prouver que la peine de mort n'existe plus en Russie, il règne sur un Empire où la courtoisie diplomatique convole avec les basses trahisons, l'alcool et le jeu, les calculs et les rivalités.

Il va de soi que Tolstoï a pu écrire ce témoignage, son dernier écrit, parce que Nicolas 1· était mourant, et pour dénoncer des faits historiques qui nous sont précieux il a dû les dissimuler derrière un hommage intime et romantique envers cet orgueilleux combattant, Hadji.

La censure a frappé lors de sa parution en 1896, nous pouvons de nos jours lire l'édition complète de ce roman, un peu long sur la fin, témoignage de la séculaire guerre menée par l'Empire Russe.





Commenter  J’apprécie          5728
Le bonheur conjugal (Katia)



Ecrit juste après Trois morts, et avant son mariage avec Sonia/Sophie, « le bonheur conjugal » semble être le journal de la toute jeune Macha, qui, après la mort de ses parents, seule et déprimée, voit un ami de son père s’approcher pour aider les affaires du domaine.

Elle ne sent aucune attirance pour cet homme plus vieux et un peu bedonnant, puis se laisse prendre au jeu de vouloir lui plaire, non pas en jouant de ses charmes, mais en se rendant parfaite, en jouant de la musique pour lui (Tolstoï jouait chaque jour du piano) et surtout en se persuadant qu’il l’aime, même s’il ne veut pas l’avouer.

Etrangement, elle se sent non seulement diminuée par sa jeunesse, mais presque coupable, puisqu’elle veut lui appartenir et ne faire qu’un avec lui…. jusqu’au jour du mariage, où son monde finit : le plus jamais s’impose à elle, et pire encore ;

« Dans mon âme il y avait le bonheur, le bonheur envolé à tout jamais, le bonheur qui n’est pas revenu. » dit-elle à la veille de ses noces.



Les mois passent, entre rires, regards et sonates au piano, ils sont heureux « lui seul existait pour moi sur terre et je le considérais comme l’être le plus admirable, le plus infaillible du monde. »



Le bonheur conjugal se base sur les regards : parfois elle le regarde dans les yeux, ou lui la regarde en pleine face, symbole de la pureté de leur intention de tout se dire, parfois, lorsqu’elle veut aller au bal, elle le regarde d’un air suppliant.

Car, rapidement, cette fusion parfaite, cet accord de deux âmes achoppe dans l’ennui, elle veut du changement et voudrait bien bousculer la tranquillité d’homme mûr de son mari Serge.

Le bal ! là où son idée fixe de plaire à son futur mari, puis mari, de ne faire qu’un l’un avec l’autre lui échappe! le bal où elle devient le centre autour de qui tous les regards tournent, car elle est belle, les autres hommes la regardent et le mari détourne les yeux.

Le ver est dans le fruit, elle accepte, dit-elle, de renoncer aux plaisirs mondains, de se sacrifier, dit-elle et lui, Serge, est offensé par ce mot, elle surprend son regard attentif, sévère et comme chargé de reproche fixé sur elle. .

« A dater de ce jour un abîme s’était ouvert entre nous. »



Comment le bonheur peut-il se dévoyer si rapidement, alors que les deux partenaires veulent construire ?

Comment Tolstoï voit-il le mariage, lui qui va bientôt demander la main de Sonia/Sophie ?

Comment un couple peut-il se déconstruire sans une seule dispute, sans affrontements, sans intérêts contraires ?

Comment ce qui aurait pu continuer avec échange de regards et de complicité, comment la même superbe lune au-dessus de leur toit n’a pas changé, elle, et que Macha sent épouvantée la distance et la froideur de leurs rapports, comme si le regard de Serge était comme dérobé par un nuage ?

Comment l’ancienne plénitude de vie s’est éloignée pour eux deux et pour elle qui y croyait ?

Pire encore, elle lui demande en le regardant dans les yeux s’il regrette le passé, et non, il ne regrette rien, l’amour a changé, d’accord, mais il est toujours là pour lui.



C’est un vieillard.

Tolstoi a été comme Macha, insatiable, changeant, désirant ce qu’il n’a pas. Il voulait se marier, mais ce « bonheur conjugal » donne déjà un son lugubre inquiétant.

Il n’aime pas cette nouvelle « honteuse abomination » dit-il à son éditeur, qui, lui, a de suite compris l’écriture singulière de Tolstoï, prémice de la « Sonate à Kreutzer. »

Commenter  J’apprécie          5625
Hadji Mourad

Nous sommes à la fin de 1851, au Caucase, là où la guerre fait rage entre Russes et Tchétchènes. Un homme a juré de venger par le sang les affronts infligés à sa famille : sa bravoure et sa valeur militaire sont légendaires, sa fierté et sa noblesse d'âmes admirées de tous.

À travers ce texte court mais dense par sa dimension d'épopée chevaleresque, Léon Tolstoï va faire de Hadji Mourad, cet intrépide et intelligent guerrier avar, le héros d'une ultime grande oeuvre.

N'étant pas forcément passionné par les faits de guerre, j'ai cependant apprécié le sens du récit développé ici par le grand maître russe, l'écriture acérée, le sens du détail, la lucidité pour dépeindre ce héros courageux, fier et malheureux dans son destin, avec pour toile de fond, un décor géopolitique qui semble à jamais immuable.

Ce récit, que Tolstoï n'a cessé de récrire pour le tendre à la perfection, n'a rien perdu de son actualité : il permet de déchiffrer la cruelle Histoire contemporaine sur un territoire vaste où les enjeux de conquête continuent d'attiser les querelles ancestrales et servir le narratif russe dans toute son horreur hégémonique.

À la faveur des lignes de front qui bougent, des alliances contre nature, Hadji Mourad en vient à se retrouver l'adversaire du Cheikh Schamyl, imam du clan des Avares et principal opposant au Tsar Nicolas.

Pourtant, Hadji Mourad, mu par une haine farouche contre le traitre Schamyl qui tient en otage la famille d'Hadji Mourat, choisit de se rallier aux Russes pour parvenir à ses fins. Mais victime des manoeuvres politiques des hauts fonctionnaires russes et du tsar Nicolas, Hadji Mourad comprend peu à peu qu'il ne peut compter que sur lui-même et sur ses fidèles murides pour sauver les siens, détenus par Schamyl.

Les scènes entre Hadji Mourad et ses fidèles compagnons sont des moments de fraternité qui offrent de belles respirations à ce texte belliqueux.

C'est le coeur rebelle d'un homme à la grandeur d'âme qui sera trahi, sacrifié par le pacte non respecté aux motifs que les enjeux de pouvoir prévalent avant toute chose à la parole donnée.

Les horreurs commises par l'armée tsariste font froid dans le dos, dans des descriptions saisissantes de cruauté, qui laissent penser qu'hier comme aujourd'hui, la terreur a toujours été utilisée par le régime russe dans cette région pour affirmer son pouvoir.

Ce texte dit la fierté des peuples minoritaires qui se sont levés devant les invasions séculaires de l'Empire russe, les massacres, les déportations massives, les exils forcés, la destruction totale des terres annexées sous la terreur et dans le sang.

Ce texte est un magnifique plaidoyer contre les guerres, toutes les guerres. Ici, le tyran est le Tsar Nicolas, comme si chaque génération avait le sien, étrange Hydre de Lerne, dont les têtes coupées n'en finissent jamais de repousser.

J'ai ressenti une très grande tristesse en lisant ce récit. Est-ce à cause des instants intimes où Hadji Mourad croit encore possible de retrouver les siens parmi ses montagnes natales ? Ou bien est-ce à cause de la dimension universelle de l'Histoire qui continue de faucher les vies fragiles, inutilement, dans cette guerre absurde de civilisations ?

Commenter  J’apprécie          5314




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Léon Tolstoï Voir plus

Quiz Voir plus

Anna Karénine

Qui est l'auteur de ce livre ? (C'est facile, c'est écrit dans le thème ;))

Nikolai Gogol
Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevski
Léon Tolstoï
Alexandre Pouchkine

20 questions
152 lecteurs ont répondu
Thème : Anna Karénine de Léon TolstoïCréer un quiz sur cet auteur

{* *}