Maryse Condé est une grande écrivaine, personne n'en doute... mais cette "
autobiographie" m'a mis mal à l'aise.
Elle ne s'en cache pas : elle nous expose sa vie "sans fards", et en particulier le choix entre être une femme ou être mère.
La femme, je respecte son parcours, curieux, chaotique, sinueux, maladroit, trébuchant... nous sommes beaucoup à emprunter ce chemin.
Mais là où naît pour moi le malaise, c'est quand la femme se fait mère... et quelle mère !
Une mère qui entre l'âge de 19 et 26 ans donne naissance à quatre enfants de trois ou quatre pères différents.
Les pauvres gosses vont connaître le placement en institution ou chez une nourrice, être repris par leur mère, puis nomadisés de la France, à l'Afrique ... je devrais dire "aux Afriques", exilés à Londres, "abandonnés" pour moitié à Londres pendant un an, pendant que l'autre moitié poursuit... à cause d'une mère instable ... une nomadisation déstabilisante aux Afriques...
Et cette mère s'étonne sans vergogne que ses enfants urinent la nuit dans leur sommeil et soient la proie de terreurs... !!!
Extrait :
" Leïla ne me manifestait jamais pareille tendresse. Quels sentiments éprouvait-elle pour une mère qui la traînait de pays en pays, de maison en maison, qui lui avait infligé cette détestable parenthèse en Angleterre ? En bref, une mère grâce à laquelle elle avait été si tôt initiée aux terribles expériences du déracinement, de l'exil et du racisme ? Quand Adeeza fut partie, je la pris dans mes bras. J'aurais aimé la supplier d'essayer de me pardonner le mal que j'avais causé, bien malgré moi."
Dans ce court extrait, on croit percevoir chez cette mère enfin un peu de lucidité... jusqu'à ce terrible "bien malgré moi". Et là on se souvient d'une de ses amies lui disant "sans fards" : "Avec l'intelligence que tu as, tu ne fais que des conneries !"
Et des conneries la femme ne se prive pas d'en faire, s'amourachant et ayant un enfant du fils de Duvalier (le dictateur haïtien père des sinistres "tontons macoutes"), épousant un apprenti comédien guinéen... pour offrir à ses deux enfants (car elle se fait également engrosser par Mamadou Condé... c'est le nom du garçon) un père (qu'elle n'aime pas), un foyer et une stabilité... et en passant, pour elle, une "respectabilité" d'épouse (et plus l'infamie d'être une fille-mère) et... un passeport.
Car obsédée par une quête identitaire, Maryse, désormais Condé, guadeloupéenne adepte de "la négritude", admiratrice de
Césaire et de
Frantz Fanon, va côtoyer l'Afrique de la fin des années 50 et celle des années 60. de
Sékou Touré, à Houphouët-Boigny, de Sédar-Senghor à
Kwame Nkrumah, sans oublier
Patrice Lumumba et d'autres.
Ces années de révolutions pour l'indépendance et trop souvent pour la dictature, elle va les vivre "sur le terrain", dans sa chair et dans son sang... croisant des figures mythiques comme celles du Che, de
Malcom X, de
Maya Angelou, pour ne citer que les plus célèbres.
C'est passionnant je dois le dire pour le lecteur qui rencontre
L Histoire, la vraie, et en même temps déstabilisant, qui voit cette femme habitée par cette quête obstinée, sourde et aveugle au bon sens et aux intérêts fondamentaux de ses enfants.
Extrait :
-"Depuis la mort de ma mère, la Guadeloupe ne signifiait rien pour moi. Je me sentais libre d'explorer l'Ailleurs. Pour l'heure, quelque chose me retenait en Afrique. J'avais la certitude que cette terre pouvait m'offrir des richesses essentielles. Lesquelles ? Cette dernière phrase ("tu ne fais que des conneries") s'imprima dans mon esprit de manière indélébile. Aujourd'hui encore, elle brûle ma mémoire. Je la tourne et la retourne dans mon souvenir. Si je n'ai fait que des "conneries", comme m'en accusait Arlette (et bien d'autres), n'ai-je pas accumulé les décisions et les choix hasardeux, poursuivi avec obstination des rêves et des fantasmes personnels ? Aussi, n'ai-je pas fait souffrir les miens ? Mes enfants surtout, dont j'ai toujours cru avoir l'intérêt à coeur ?"
Ne voulant pas écrire une
autobiographie de complaisance,
Maryse Condé a écrit une
autobiographie "sans fards"... au risque d'apparaître comme une "épouse menteuse, infidèle, adultère", une femme psychorigide, préférant ses amants à ses enfants. Indéniablement la femme se montre sous un jour qui laisse apparaître ses failles et ses faiblesses. Quant à la mère, elle ne trouve à aucun moment grâce à mes yeux.
C'est ou ce sont les travers de ce genre d'
autobiographie. C'est peut-être aussi son intérêt ?
Un livre bien écrit, au contenu culturel riche... humainement... troublant et questionnant !