La gratuité est-elle un idéal qualitatif à rechercher à tout prix ? La gratuité d'un bien de consommation nous réjouit tandis que celle d'une insulte ou d'une sanction nous afflige. Qu'en est-il des fins d'un roman ? L'insoutenable gratuité d'un roman comme aurait pu l'écrire
Milan Kundera… Il arrive à mon mari et à mes amis de me charrier gentiment sur le fait que je ne lise à peu près que des « vieux trucs ».
Qu'en est-il de la nouveauté après la gratuité ? Est-ce encore un autre mythe mélioratif ? le nouveau s'oppose à l'ancien. Il est clair que quand on parle d'ordinateur, de démarreur automobile, de paire de chaussettes usagées, de sac d'aspirateur plein, on voit sans peine l'intérêt de la nouveauté. Mais en terme d'art ? et de roman en particulier, qu'en est-il ? Ô, insoutenable légèreté de la nouveauté, ne me regarde pas comme ça, j'essaie juste de te mettre au banc d'essai…
Partons d'un postulat simple : nous ne disposons que d'une vie. À un rythme moyen de lecture de 20 pages à l'heure, à supposer que l'on puisse allouer sans défaillir 2 heures par jour en moyenne à la littérature, on arrive au bout d'une année à un total de 14600 pages lues. Si l'on suppute que la taille moyenne d'un roman format poche tourne autour de 200 pages, on arrive à la conclusion qu'il nous est théoriquement possible de lire 73 livres par an. Certains lecteurs sont au-delà mais je crois savoir que la majorité se situe en deçà.
Sachant qu'à chaque rentrée littéraire, c'est de l'ordre de 600 nouveaux romans qui paraissent, on voit de suite que la lutte pour se maintenir au fait de la nouveauté est un combat perdu d'avance. D'ailleurs, sur les 600 (environ) romans parus il y a 10 ans, mettons, combien font encore aujourd'hui l'objet d'une petite vague d'intérêt (et donc de lecture) ? Je serais curieuse de savoir ne serait-ce que le nombre de ceux qui sont encore édités…
Bref, la course au nouveau a depuis longtemps cessé de m'intéresser et ce n'est certainement pas celui-là qui va me faire changer d'avis. Les classiques sont des nouveautés qui ont passé victorieusement l'épreuve du temps et, en terme d'intérêt littéraire, même si ce n'est pas une vérité absolue, au moins est-ce un indicateur assez fiable.
Donc, faisant entorse à ma ligne de conduite ordinaire, je me suis laissée berner à lire une nouveauté. Ce livre m'a été offert car, connaissant mon passé d'éthologiste et attirés par une quatrième de couverture affriolante, mes amis ont cru que ce roman pourrait être dans mes cordes. (La fameuse théorie des cordes…)
Abandonnant séance tenante d'authentiques chefs-d'oeuvre anciens pour me lancer à corps perdu dans cette nouveauté, j'en ressors, non pas affligée, mais pas loin tout de même. On y découvre en effet un florilège de toutes les erreurs à ne pas commettre en tant qu'auteur si l'on souhaite que son livre ait une chance de franchir la redoutable épreuve du temps.
D'abord et avant tout, premier écueil à éviter, la gratuité : Pourquoi l'auteur a-t-il écrit ce livre ? Peut-être est-il là le vrai mystère croatoan, car même en l'ayant lu attentivement de bout en bout, à l'heure qu'il est, je n'en ai pas la moindre idée. Selon moi, ça n'a, pour ainsi dire, ni queue ni tête, or, ce me semble, l'objectif de l'auteur n'était pas de faire dans l'absurde à la manière d'un
Ionesco.
Ensuite, impératif numéro 2 : créer des personnages vis-à-vis desquels on éprouve quelque chose. Ici, en ce qui me concerne, c'est l'indifférence totale. Ils crèvent ? Je m'en fiche. Ils survivent ? M'en fiche aussi. Empathogramme plat de bout en bout : Carmela, Nico, Mandel, Laredo, Enrique, Fatima, Logan et consorts ne m'ont rien fait ressentir mais ce qui s'appelle rien. C'étaient des marionnettes en papier grossièrement découpées.
Grave problème numéro 3 : l'écriture scolaire. Bon, en soit, qu'il n'y ait absolument aucun style, si la mécanique fonctionne bien, cela passe très bien. Ici, il n'y a aucun style, ça déjà c'est réglé, mais surtout, on lit avec un coup d'avance toutes les ficelles que va employer l'auteur pour entretenir maladroitement un suspense poussif. Bien consciencieusement un petit cliffhanger à la fin de chaque chapitre, dès que quelque chose doit devenir menaçant, mouche, souris, gamin ou autre, on l'évoque comme en passant et bing, deux pages plus loin, ça devient un monstre, ça ne rate jamais. Quel ennui…
Erreur rédhibitoire numéro 4 : créer des personnages, nous en imposer la filiation et l'univers, pour finalement les abandonner en cours de route sans qu'on en comprenne la raison. C'est le cas par exemple de toute l'histoire du super flic Laredo. Or, c'est volumineux en terme de pages qui lui sont consacrées et pour finalement quoi ? Que dalle, nada, peau de balle. Merci pour nous Monsieur Somoza mais notre temps est précieux.
Résumons-nous : des personnages inintéressants, une intrigue construite en kit qui ne débouche sur rien, des personnages importants ou supposés tels qu'on ne suit plus à partir d'un moment. Qu'est-ce qui peut encore sauver le soldat Somoza ? le pouvoir de persuasion de son histoire ?
Là, chapeau bas José Carlos, dans le genre bidon branlant absolu on pouvait difficilement faire mieux. Allez, juste pour rire, je n'en prends qu'un exemple. Deux des personnages (je ne vous dis pas lesquels pour ne pas être injustement taxée de gâcher une histoire qui s'en charge bien toute seule) sont à un moment dans la campagne et se font submerger par, devinez quoi ? Une tornade ? Non. Un tsunami ? Presque, vous brûlez… Mais non décidément. Il s'agit bien d'un genre de vague en effet, une vague de terre, haute d'au moins 4 mètres et résultant du… (c'est à peine si j'ose l'écrire tellement c'est grotesque !) … du mouvement incontrôlable des vers de terre et autre micro faune du sol ! Bon là, pas d'erreur possible, question crédibilité, vous comprenez que vous êtes en de bonnes mains avec Monsieur Somoza.
En somme, l'auteur surfe sur toutes les tendances actuelles et si possible racoleuses : des zombis, du gore, du détraqué mental et/ou sexuel, des grandes épidémies et/ou du terrorisme à l'échelle globale, du complot des puissants, de la science-fiction et de l'intrigue policière. Bref, tout y est sauf l'essentiel : ce qui fait d'un roman un bon roman.
Alors si vraiment vous n'avez rien d'autre à lire et que vous êtes incarcérés à la prison de la santé ou coincés dans les transports en commun, pourquoi pas, mais franchement, rien qu'en fermant les yeux, vous verrez dans votre imaginaire mille choses plus belles et plus intéressantes. Bien entendu, ce n'est qu'un croatoan Krakatoan croate-infâme mystérieux avis, c'est-à-dire pas grand-chose puisqu'on va tous crever, comme c'est écrit dans le livre.
P. S. : Et comme vous n'avez qu'une seule vie, ne la gaspillez pas trop à lire ce machin-là car il y a tout plein de livres bien parmi les moins nouveaux voire même les franchement anciens.