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EAN : 9782072693977
320 pages
Gallimard (28/02/2019)
3.96/5   54 notes
Résumé :
"Une si dévorante soif de voir, de connaître, d’apprendre."
Les sœurs Brontë… Ce pluriel, depuis un siècle et demi, fascine. Quand Emily écrit Les Hauts de Hurlevent, Anne publie La Recluse de Wildfell Hall, et Charlotte Jane Eyre. La première meurt à trente ans, en 1848 ; la deuxième à vingt-neuf, un an plus tard ; la troisième à trente-neuf, en 1855. Sans oublier Branwell, le frère écrivain maudit, qui disparaît lui aussi prématurément, miné par l’alcool et... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (17) Voir plus Ajouter une critique
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Je tiens tout d'abord à mettre quelques petites choses au point. D'une part, même si le titre "Les Brontë" est bien entendu vendeur, il aurait été plus honnête de l'intituler "Charlotte Brontë", car c'est autour d'elle que s'est construite cette biographie. Je comprends bien qu'elle ait vécu un peu plus longtemps que les autres, qu'elle ait eu une biographe "officielle" très tôt, qu'on détienne plus de documents la concernant, notamment en ce qui concerne la correspondance, mais reste que le titre est peu représentatif du contenu, et par là décevant pour tous ceux qui connaissent déjà un peu, et le mythe, et l'histoire réelle de la fratrie Brontë. Peut-on considérer comme une biographie collective un livre qui parle essentiellement de Charlotte, un peu de Branwell, un peu moins d'Emily, et pratiquement pas d'Anne ? Anne est la grande oubliée ici, et c'est justement elle qu'on connaît le moins...

D'autre part, j'ai lu ici ou là que Jean-Pierre Ohl aurait effectué un travail titanesque pour écrire cette biographie. Je tiens à préciser que ce n'est pas le cas. Non pas que je veuille jeter la pierre à l'auteur, mais les biographies publiées chez Folio n'ont pas pour but de constituer des ouvrages exhaustifs - c'est d'ailleurs pour ça qu'elles adoptent un format d'environ 250 pages. Elles se veulent des synthèses biographiques, et c'est bien une synthèse que présente Jean-Pierre Ohl en s'appuyant sur les travaux de chercheurs qui, eux, ont véritablement étudié longtemps la vie des Brontë et leur oeuvre littéraire. Chercheurs qui, eux, ont bel et bien démythifié la légende. D'ailleurs, si on compare la biographie de Dickens du même auteur, toujours chez Folio, avec celle des Brontë, on se rend compte que Jean-Pierre Ohl est beaucoup moins à l'aise avec le second sujet - Dickens étant son sujet de prédilection. C'est à mon sens regrettable, car je pense que d'autres auraient été plus à même d'écrire cette biographie. Seulement, il semblerait que chez Folio on aime bien travailler avec les mêmes auteurs, quitte à ce qu'ils ne soient pas spécialistes de leur sujet : Liliane Kerjan a écrit une bio de Tennessee Williams et une autre de Truman Capote (dans les deux cas, elle maîtrise parfaitement la chose), mais aussi une bio de Lincoln et une de Washington, ce qui est plus étonnant. Virgile Tanase tient le haut du pavé avec je ne sais combien de titres sur des personnalités très diverses. Quant à Jean-Pierre Ohl, je suppose qu'après sa bio de Dickens (que je recommande), on a pensé chez Folio qu'il ferait l'affaire pour les Brontë, vu que les Brontë et Dickens ont vécu à peu près à la même époque. C'est un critère... et une hypothèse de ma part, mais qui me semble se tenir. le fait que Jean-Pierre Ohl ne maîtrise pas complètement le sujet Brontë explique d'ailleurs que, plutôt que de citer directement des documents sur les Brontë, il tire parfois ses citations d'autres ouvrages (sur la correspondance, la biographie, etc.)

En tant que synthèse biographique, je n'ai pas grand-chose à redire sur le livre. Jean-Pierre Ohl se réfère à la fois aux sources les plus connues - à savoir la biographie de Charlotte par Elizabeth Gaskell et le petit opus de Daphné du Maurier sur Branwell, incontournables même si très critiquables - qu'aux travaux plus récents. On ressort de cette lecture avec une bonne idée de ce que fut la vie des Brontë, c'est-à-dire tout sauf trépidante. L'auteur s'en tient essentiellement, la plupart du temps, au factuel. Surtout, il fait constamment la part des choses, fait le point sur les éléments contestables du mythe (notamment à propos de ce qu'a écrit Gaskell) et ne se permet pas de prendre partie pour l'une ou l'autre hypothèse récente ou moins récente (hypothèses qui ne manquent pas, du genre "Branwell a-t-il réellement été l'amant de Mrs Robinson ?", "Emily a-t-elle voulu se suicider ?", "Emily avait-elle un second roman en gestation ?", "Charlotte a-t-elle détruit des oeuvres de ses soeurs ?", ce genre de trucs) ; lorsqu'il ose avancer qu'une hypothèse est plus probable qu'une autre, c'est assorti d'un argumentaire qui semble solide. Bref, il est n'est pas affirmatif comme Claire Malroux dans sa préface aux Cahiers de poèmes d'Emily Brontë (et hop, exit le potentiel second roman d'Emily), ni fantaisiste comme Patrick Reumaux, qui n'hésite à se laisser porter par le mythe sans souci de véracité dans sa préface au recueil le monde du dessous. Mais nous aurons l'occasion de reparler de ces deux-là. Bon, il arrive tout de même que Jean-Pierre Ohl déborde un peu du cadre de sa mission, mais c'est rare.

Je serais d'une totale mauvaise foi si j'affirmais qu'on n'apprend rien ici, même si savoir que Charlotte et Anne se sont perdues lorsqu'elles sont allées rendre visite à leur éditeur à Londres ne m'intéresse pas plus que ça. Seulement, qui se mêle de la biographie d'un artiste se mêle généralement de sa monographie - il n'y a qu'à comparer encore une fois la bio de Dickens par Jean-Pierre Ohl avec celle-ci. Or, c'est là que ça se corse. Il est finalement assez peu question de littérature dans cette biographie... Alors oui, la biographie éclaire pas mal de points concernant Charlotte et la genèse de ses romans. Quelques détails, ou d'éléments plus importants, peuvent aussi éclairer la compréhension du premier roman d'Anne, voire du second. Mais quant à comprendre la genèse de ses deux romans, c'est autre chose. Pour Emily, on reste dans le flou (certes, on apprend d'où vient le nom Earnshaw et quelles demeures ont inspiré celle de Hurlevent, mais c'est quand même peu). Quant à Branwell, il est difficile d'appréhender son oeuvre littéraire, ne serait-ce que parce que, malheureusement, on ne connaît en France que très peu ses poèmes et sa prose. Et comme Jean-Pierre Ohl ne nous livre pas (du moins il me semble) d'extraits des poèmes des quatre Brontë relatifs à leurs mondes imaginaires (Angria pour Charlotte et Branwell, Gondal et Gaaldine pour Emily et Anne), ni de la prose angrienne de Charlotte et Branwell, on reste sur sa faim sur la question des jeux d'enfants et des royaumes rêvés, pleins de bruit et de fureur. Ces inventions fascinantes des Brontë - parce que méconnues et en partie perdues, il faut bien l'avouer - sont réduites à des faits qui font tomber de haut les rêveurs.

Cela dit, les romans des trois soeurs ne sont pas beaucoup mieux lotis. Même si, je le disais, on saisit la portée autobiographique de ceux de Charlotte, et du tout premier roman d'Anne, il n'est pas tellement question de la totalité de leurs romans d'un point de vue strictement littéraire. Et c'est d'autant plus triste que, lorsque Jean-Pierre Ohl s'y intéresse enfin, en tant qu'objets littéraires et non plus seulement biographiques, son analyse est fine, juste, très bien argumentée. Ce qui lui permet de pointer le manque absolu de discernement de Charlotte - et voilà qui est aussi intéressant qu'étonnant - à propos des romans de ses soeurs. On aura au moins compris, grâce à Jean-Pierre Ohl, que la rigidité morale de Charlotte, son conservatisme, l'ont desservie en tant que critique de l'oeuvre d'Emily et d'Anne, et qu'elle les a bel et bien desservies dans une préface de leurs romans tout à fait charmante après leur mort. Mais je vous laisse découvrir ce pan de l'histoire.

Sans doute que j'attendais trop de cette biographie synthétique, fascinée que je suis par Gondal, Gaaldine, Angria, depuis que j'ai lu, il y a bien longtemps, les poèmes d'Emily traduits en français par Pierre Leyris. Sans doute que j'étais déjà trop informée sur la vie des Brontë, le mythe et sa déconstruction, pour sauter au plafond devant une bio de deux cents et quelques pages. Mais il faut bien dire que la France ne regorge pas d'études de leur oeuvre et de biographies plus consistantes, ce qui fait qu'on se rabat sur ce qu'on trouve. Jean-Pierre Ohl a effectivement rempli son contrat question biographie pure, mais je reste décidément sur ma faim après cette lecture.
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Je sors toute échevelée de ma lecture d'une biographie singulière, grandie aussi du savoir et des légendes qui entourent une famille entrée pour toujours dans les trésors de la littérature anglaise, les Brontë.

J'admire le travail de chercheur de Jean-Pierre Ohl qui a exploité un nombre impressionnant d'ouvrages, biographies, correspondances et bien sûr toute l'oeuvre littéraire de Charlotte, Emily, Anne et artistique de leur frère Branwell qui les rend si vivants encore aujourd'hui.

C'est un travail de longue haleine pour démêler le vrai du faux, séparer ce qui ressort du mythe ou de la réalité, envisager toutes les hypothèses et probabilités et ne pas s'en tenir à une seule idée qui n'est là que pour faire du « buz ».

L'oeuvre des Brontë est d'abord collective quand les 4 enfants orphelins de mère se retrouvent seuls avec leur père révérend dans le presbytère isolé de Haworth et jouent avec des soldats de bois à un monde imaginaire, avec ses héros, sa ville et son histoire, un jeu de rôle moderne.

Leur imaginaire sensible et fantasque est également nourri du romantisme lyrique de Byron et des contes gothiques du journal Blackwood's.
Adultes, ils conserveront cet édifice imaginaire pour écrire les oeuvres que l'on connaît aujourd'hui ancrées à la fois dans l'imaginaire et leur histoire personnelle comme les deux chemins que l'on peut emprunter au pied du presbytère d'Haworth, celui qui va vers les landes, le paysage violent et sauvage du plus beau roman d'amour, Wuthering Heights, l'unique roman d'Emily Brontë, la plus secrète des soeurs et celui étroit qui descend au village et mène à l'émancipation de la femme, celui de Jane Eyre pour Charlotte Brontë.

J'ai beaucoup aimé ce voyage littéraire mais aussi politique et social qui parle des victimes de la révolution industrielle et de la place des femmes dont le sort est d'être institutrice ou placée comme gouvernante. Cette expérience le plus souvent douloureuse loin de la maison familiale se retrouve dans le socle commun des oeuvres des 3 soeurs comme Agnes Grey de Anne Brontë, la plus soucieuse des conventions et auteure de la Recluse de Wildfell Hall.

Seul Branwell Brontë bénéficie d'un traitement plus enviable mais sous l'emprise d'une passion amoureuse, de l'alcool et des drogues, il va se détruire à petit feu. Il laisse peu d'écrit, quelques poésies mais il est source d'inspiration de l'amour maudit et malheureux dans les oeuvres de ses soeurs .

La partie qui traite de l'édition de leurs ouvrages dont l'idée fortuite vient de Charlotte est assez rocambolesque car elles sont toutes les trois obligées de publier sous des pseudonymes masculins. La fin de la biographie est réservée à Charlotte, la plus téméraire mais au tempérament très mélancolique qui survivra peu de temps à ses soeurs et à son frère morts de tuberculose.

Le joli portrait de la couverture est une peinture de Branwell dont l'ombre plane sur le poteau qui coupe la photo en deux, d'autres illustrations belles et instructives figurent également en milieu d'ouvrage.

Maintenant, j'ai une folle envie de relire tous les ouvrages des soeurs Brontë, une oeuvre transgressive d'émancipation, d'amour fou et de mal absolu qui traverse le temps.

Merci à Babelio et folio biographies pour ce beau moment de lecture.
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Nouvelle approche de la famille Brontë, cette biographie semble rétablir, de manière objective, la place, l'importance et les talents de chaque membre de cette fascinante fratrie.
Encore aujourd'hui, et ce probablement pour toujours, des points d'ombre persistent autour de ces quatre talents jadis abrités dans ce presbytère de Haworth.
S'appuyant sur les nombreuses biographies précédentes, et notamment sur celle rédigée par Elizabeth Gaskell, une amie de Charlotte, mais aussi sur l'abondante correspondance des Brontë et sur les indices laissés dans leurs oeuvres respectives, Jean-Pierre Ohl retrace passionnément ces destins brisés dans leurs élans littéraires par l'abominable tuberculose.

Je ne m'attarde pas sur les différentes étapes qui ont jalonné les trop brèves existences de ces talentueux écrivains, elles sont à découvrir ou à redécouvrir dans cet ouvrage. Mais je tiens à saluer cette nouvelle vision de la famille Brontë.
J'y ai trouvé d'intéressantes descriptions physiques des uns et des autres, piochées dans la correspondance. Les traits de caractères sont précisément décrits mais avec prudence, sans émettre d'hypothèses invérifiables. L'auteur ne nous cache pas qu'un certain mystère restera inhérent au mythe Brontë. Les passages impliquant le frère Branwell sont plus mesurés et invitent à la prudence sur certains jugements émis dans des biographies précédentes.
L'accent est également mis sur cette passion de l'écriture qui a tissé, dès leur plus jeune âge, une complicité qui s'est transformée ensuite en échanges et en aide précieuse dans leurs premiers écrits.
J'aime aussi lorsque les biographies, à l'image d'un roman, ont la force d'émouvoir le lecteur et c'est le cas ici. Comme le souligne l'auteur, comment ne pas avoir le coeur serré lorsque Charlotte se retrouve dans ce presbytère si silencieux, si morose, où elle n'y voit plus que des souvenirs et les fantômes de ses frère et soeurs disparus. Quelle profonde et douloureuse solitude elle a due éprouver !

Étude documentée et pertinente, tout en gardant sa part de sensibilité, cette biographie est un bel hommage à l'exceptionnelle et fascinante oeuvre des Brontë.
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Encore une biographie de la fratrie Brontë…
Il faut croire que ne m'en lasse pas et que la biographie de Laura El Makki ne m'a pas suffi.
Mais, est-ce de ma faute au fond? La famille Brontë ne fascine pas que moi, et ce depuis près d'un siècle et demi… Et il y a de quoi!
Dans la famille, je demande... les filles!
Trois jeunes femmes, trois soeurs ayant écrit des romans considérés aujourd'hui comme des classiques, non des chefs d'oeuvre, de la littérature européenne. Des romans majeurs, puissants et assez différents les uns des autres aux destinées toutes aussi différentes. Ainsi, si "Jane Eyre" fut longtemps considéré comme LE chef d'oeuvre, d'aucuns encensent aujourd'hui bien davantage "Les Hauts de Hurlevent" qui serait meilleur que le récit de la vie de la gouvernante promue Madame Rochester. Ainsi, si Anne Brontë, l'éternelle "petite soeur" fut longtemps considéré comme la "cousine pauvre" de la fratrie dont les romans seraient immanquablement moins bons que ceux de ses ainées, justice lui est faite aujourd'hui puisqu'on redécouvre ses romans (grâce en soit rendue à la vogue de la littérature victorienne qu'on redécouvre ces temps ci!) auxquels on offre enfin l'appareil critique qu'ils méritent.
Dans la famille, je demande le frère à présent.
Branwell. Branwell Brontë. L'artiste maudit. le naufragé. L'espoir déchu. le noceur de tous les excès. Celui qui frappa l'imagination de Daphné du Maurier et qu'incarna Pascal Greggory au cinéma. Celui à qui on a tout prêté et qui a cristallisé pas mal de fantasmes aussi.
Je demande le père enfin. L'austère révérend, peut-être pas si victorien...
Il y a bien de quoi être fasciné, surtout si l'on ajoute un cadre aux personnages: le presbytère de Hayworth, les landes du Yorkshire, l'isolement, les morts prématurées, la tuberculose...
La légende est en place, bien en place et il en aura fallu des travaux et des recherches pour la dépasser enfin.

En me plongeant dans la biographie -brillante- de Jean-Pierre Ohl, je pensais avec beaucoup d'orgueil que je n'apprendrai pas grand chose de neuf ayant déjà dévoré les romans, la biographie consacrée par Elizabeth Gaskell à Charlotte, l'ouvrage de Laura El Makki, les essais, les documentaires... Or, pour mon plus grand plaisir, j'ai non seulement dévoré cet ouvrage comme un roman mais j'ai l'impression d'avoir appris des choses, d'avoir affiné ma connaissances de la fratrie, de leur univers et de leurs textes surtout.
"Les Brontë" n'est pas seulement très bien écrite, c'est également une biographie prenante et passionnante, très fine, très clairvoyante voire percutante.

Le travail de Jean-Pierre Ohl m'a semblé à la fois plus impartial et plus abouti que celui de Laura El-Makki qui, à force de vouloir réhabiliter Anne finissait par brosser un portrait très amère de Charlotte à qui elle semblait prêter des pensées peu louables sans étayer son propos par autre chose qu'un ressenti très personnel. Là, l'auteur ne fait preuve ni d'angélisme ni de vitupération mais reste au plus proche des sources, des certitudes. Pour autant, il ne tait rien de la probable désunion de la fratrie, des conflits possibles mais reste extrêmement pointu et prudent.
Il y a une foule de choses que j'ai appréciée dans ce livre et je ne le citerais pas toutes, afin de ne pas trop en dévoiler mais j'évoquerai tout de même le fait que Jean-Pierre Ohl revient sur les zones d'ombres qui entourent les Brontë et qu'il prend le temps d'examiner chaque hypothèse, chaque possible chemin afin (d'essayer) de percer le mystère: quid de la liaison de Branwell avec Mrs. Robinson? Fantasme ou réalité? Qu'est devenu le manuscrit du second roman d'Emily? A-t-il seulement existé? Dans quelle mesure Branwell fut-il le modèle de Heathcliff? Passionnant.
Et puis, j'ai aimé aussi que l'auteur déboulonne cette légende séduisante et si bien ancrée de jeunes filles parvenant à écrire le monde et les passions humaines sans le connaître, sans ne rompre jamais leur isolement, à la seule force de leur génie et de leur sensibilité. C'est fort romantique, c'est une belle image d'Epinal mais aussi mensongère qu'infondée. Si elles étaient de la lande, les Brontë avaient malgré tout et grâce à leurs nombreuses lectures une conscience aigue du monde qui les entouraient. Ainsi, le biographe mentionne à plusieurs reprises les révoltes des filatures, les divergences d'opinions parfois violentes qui divisaient whigs et tories et auxquelles la fratrie était sinon sensible au moins informée.

Cet ouvrage riche et éclairant force mon admiration par la rigueur de son travail et de ses recherches ainsi que par la fluidité de son écriture.
"Les Brontë" est une mine d'or pour qui voudrait comprendre la genèse des romans des soeurs les plus célèbres de la littérature, pour qui souhaiterait saisir et appréhender le contexte tant socio-historique qu'intime qui a présidé à la création de "Jane Eyre", "Les Hauts de Hurlevent" et de "La Recluse de Wildfell Hall" et des autres, pour qui -enfin- désirerait découvrir la vie et le tempérament de ces autrices exceptionnelles dans toute leur complexité et aux productions si singulières.





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J'ai décidé de lire Les Brontë par Jean-Pierre Ohl car je voulais participer d'une part au Printemps des Artistes organisé par la Bouche à Oreilles, et d'autre part, comme j'avais cette biographie dans ma bibliothèque depuis quelques mois, je me suis permis enfin de la lire. de plus, si vous ne le savez pas, je suis une grande admiratrice de la plume des Brontë. J'ai découvert tout d'abord Les Hauts de Hurlevent il y a une vingtaine d'années d'Emily, puis, j'ai lu Jane Eyre de Charlotte pour enfin découvrir le talent d'Anne avec La Dame du manoir de Wildfell Hall. Comme les soeurs Brontë continuent de faire couler de l'encre, j'ai eu le goût d'en apprendre davantage sur ces trois grandes dames de la littérature dont le talent était immense.

La biographie et ce que j'en pense

Comme je n'avais pas lu la biographie d'Elizabeth Gaskell sur Charlotte ni celle consacrée à Branwell par Daphnée du Maurier, je suis entrée dans Les Brontë en ne connaissant presque rien de leur vie si ce n'est qu'elles étaient mortes très jeunes (Emily meurt à trente ans, Anne à vingt-neuf et Charlotte à trente-neuf). Jean-Pierre Ohl, qui a déjà publié une biographie sur Dickens, présente une synthèse des ouvrages sur les écrivaines avec Les Brontë. Il puise également dans la correspondance de Charlotte avec ses deux grandes amies : Ellen Nussey et Mary Taylor pour dresser le portrait de cette famille mythique. Donc, c'est une biographie je dirais pour ceux et celles qui ne possèdent pas beaucoup de connaissances sur la famille du pasteur Patrick Brontë, car une biographie sur cette dernière composée de plusieurs enfants (Maria, Elizabeth, Branwell, Charlotte, Emily, Anne) dont les destins apparaissent tragiques rédigée en 250 pages, c'est peu. C'est pour cela que je parle d'une biographie synthèse.

La vie de Charlotte est assez bien détaillée car la biographie est rédigée principalement autour d'elle. Ainsi, j'ai appris que Charlotte avait refusé quatre demandes en mariage. Mais encore, cette dernière a travaillé très fort pour réussir à faire publier ses livres et ceux de ses soeurs.

J'aurais aimé en apprendre plus sur Emily dont les mots dans Les Hauts de Hurlevent sont magnifiques. Je n'ai qu'à penser à cette citation tirée de ce livre :

«Mon amour pour Linton est comme le feuillage dans les bois : le temps le transformera, je le sais bien, comme l'hiver transforme les arbres. Mon amour pour Heathcliff ressemble aux rochers immuables qui sont en dessous : source de peu de joie apparente, mais nécessité. Nelly, je suis Heathcliff ! Il est toujours, toujours dans mon esprit ; non comme un plaisir, pas plus que je ne suis toujours un plaisir pour moi-même, mais comme mon propre être. Ainsi, ne parlez plus de notre séparation ; elle est impossible […].»
Emily, mon écrivaine sauvage me semble bien mystérieuse même après la lecture de cette biographie. Je me demande encore comment des femmes si seules qui n'ont pas connu l'amour ont pu créer des personnages féminins et masculins si passionnés. Aux trois soeurs Brontë, j'associe le mot solitude. On dirait qu'elles ont vécu par procuration leurs émotions grâce à leur plume.

Par ailleurs, le lecteur reste aussi sur sa faim par rapport à Anne dont le livre La Dame du manoir de Wildfell Hall a été une lecture marquante et je me rappelle que j'avais trouvé l'écrivaine très audacieuse pour une fille de pasteur, car le personnage principal, Helen, quitte un mari violent, alcoolique, infidèle avec son fils et réussit à vivre libre à l'ère victorienne. Après la lecture de la biographie, on ne peut que faire des liens avec son frère Branwell, dont la vie de débauche a été maintes fois abordée.

Mais bon. Si vous êtes comme moi et que vous ne connaissez presque rien de la vie de cette famille, alors, cette petite biographie pourra certainement être une bonne introduction. le biographe n'hésite pas à critiquer celle d'Elizabeth Gaskell sur Charlotte en mentionnant au lecteur que Gaskell a grandement contribué à créer une ambiance autour du mythe Brontë :

«Elizabeth Gaskell ne tarde guère à placer cette arrivée à Haworth sous le signe de la malédiction. Elle avait préparé le terrain en décrivant longuement l'arrivée au village, l'air « lourd et assombri par la fumée provenant des demeures et des usines », puis, « au fur et à mesure que la route monte la végétation [qui s'appauvrit] ne prospère plus et se contente d'exister » sous la forme de « pâles avoines verdâtres et faméliques », et enfin la maison qui jouxte un cimetière « terriblement encombré de pierres tombales ». La biographe se concentre sur les détails lugubres du décor, sur sa pente abrupte et comme infranchissable, sans accorder une épithète à la vie du village – cinq mille habitants tout de même à l'époque, « treize petites filatures […], un médecin, un marchand de vin, cinq bouchers, deux confiseurs, onze épiciers et trois ébénistes » -, le décrivant non comme ce qu'il était, un gros bourg en périphérie de la ville industrielle de Keighley, mais comme une sorte d'antichambre de l'enfer, située à l'extrême limite du monde civilisé, alors que Bradford, plus de cent mille habitants à l'époque, se trouve à peine à quinze kilomètres. Quant au dessin au crayon qu'elle réalise de l'église et du presbytère, avec les tombes au premier plan, il semble tout droit sorti d'un roman de Walpole ou de Mathurin !
C'est un paysage mental que dessine en fait Gaskell – une description stylisée, gothique,, romantique, mettant l'accent sur l'éloignement et la solitude du presbytère, qui va devenir « l'incontournable scène d'ouverture pour les biographies des Brontë ». À l'évidence, elle cherche à créer une atmosphère – n'oublions pas sa principale activité : écrire des romans… (p. 20-21)»

https://madamelit.ca/2021/05/09/madame-lit-les-bronte-par-jean-pierre-ohl/
Lien : https://madamelit.ca/2021/05..
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Elizabeth Gaskell ne tarde guère à placer cette arrivée à Haworth sous le signe de la malédiction. Elle avait préparé le terrain en décrivant longuement l'arrivée au village, l'air "lourd et assombri par la fumée provenant des demeures et des usines", puis, "au fur et à mesure que la route monte la végétation [qui s'appauvrit] ne prospère plus et se contente d'exister" sous la forme de "pâles avoines verdâtres et faméliques", et enfin la maison qui jouxte un cimetière "terriblement encombré de pierres tombales". La biographe se concentre sur les détails lugubres du décor, sur sa pente abrupte et comme infranchissable, sans accorder une épithète à la vie du village - cinq mille habitants tout de même à l'époque, "treize petites filatures [...], un médecin, un marchand de vin, cinq bouchers, deux confiseurs, onze épiciers et trois ébénistes" -, le décrivant non comme ce qu'il était, un gros bourg en périphérie de la ville industrielle de Keighley, mais comme une sorte d'antichambre de l'enfer, située à l'extrême limite du monde civilisé, alors que Bradford, plus de cent mille habitants à l'époque, se trouve à peine à quinze kilomètres. Quant au dessin au crayon qu'elle réalise de l'église et du presbytère, avec les tombes au premier plan, il semble tout droit sorti d'un roman de Walpole ou de Mathurin !
C'est un paysage mental que dessine en fait Gaskell - une description stylisée, gothique,, romantique, mettant l'accent sur l'éloignement et la solitude du presbytère, qui va devenir "l'incontournable scène d'ouverture pour les biographies des Brontë". À l'évidence, elle cherche à créer une atmosphère - n'oublions pas sa principale activité : écrire des romans...
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Les collectionneurs de potins, les amateurs de romance en seront pour leurs frais, et ceux qui prônent, pour l'étude des textes de fiction, un recours systématique à la biographie de l'auteur, devront se résoudre à l'évidence : Wuthering Heights, considéré par Georges Bataille comme "la plus belle, la plus profondément violente des histoires d'amour" a été écrit par une jeune femme...qui n'a jamais été amoureuse (...) Jamais amoureuse d'un être de chair et de sang, doit-on préciser, car la création littéraire, portée à ce degré d'incandescence, n'est-elle pas aussi réelle que la vie ? Et, à travers les personnages de Heathcliff et Catherine, ces "ego expérimentaux" comme les appellerait Kundera, Emily n'a-t-elle pas fait l'expérience de la passion ?
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Les Brontë : c'est bien ce pluriel qui depuis un siècle et demi fascine. Quelle probabilité y avait-il pour que quatre talents aussi originaux poussent ainsi à l'ombre d'un cimetière, tels des « pommes de terre en train de germer dans une cave », grandissent à la marge d'une Angleterre encore provinciale, dans un lieu hybride où la prose de la révolution industrielle voisinait avec la poésie de la lande sauvage, et finalement soient emportés par le fléau du siècle, cette consomption que l'on n'appelait pas encore tuberculose, laissant derrière eux un sentiment d'inachevé et de tragédie qui a contribué à leur légende ? Et comment Haworth, cet endroit perdu du Yorkshire où « pas le moindre évènement » ne venait « scander le cours [du temps] » et où tous pouvaient si facilement se sentir « enterrés vifs », a-t-il pu abriter une aventure intellectuelle d'une aussi grande ampleur, à la portée universelle, et dont on chercherait en vain un équivalent dans l'histoire de la littérature ?
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Déjà, du vivant de ses sœurs, la vie au presbytère lui pesait très souvent. Maintenant, elle vit entourée de souvenirs. La nuit, tout particulièrement, quand le vent souffle, elle croit entendre les voix d'Anne et d'Emily, fantômes sans doute invoqués par son " désir intense de se trouver à nouveau face à face avec [leurs] âmes". À quelqu'un qui lui reprochera un jour l'invraisemblance de la scène où Jane Eyre entend la voix de Rochester, pourtant éloigné de plusieurs dizaines de kilomètres, Charlotte répondra : " Mais la chose est vraie, c'est vraiment arrivé."
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« Si c'est là la Vérité », clame-t-elle dans une lettre à Taylor, si Dieu n'existe pas et que le néant nous attend, « il n'est ni homme ni femme qui puisse la contempler sans maudire le jour de sa venue au monde. » (...) « Le plus curieux, note-t-elle, est encore que l'on nous exhorte à contempler avec allégresse ce néant inexorable, à célébrer ce malheur indicible comme l'avènement d'une riante liberté. » Charlotte
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Vidéo de Jean-Pierre Ohl
KATARINA MAZETTI .Rencontre avec Katarina Mazetti le jeudi 17 mars 2011 à la Librairie GeorgesAnimée par Jean-Pierre Ohl
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