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EAN : 9782374913025
212 pages
Quidam (03/03/2023)
3.83/5   6 notes
Résumé :
Augustin Loeyna écrit pour ceux qui n’ont pas le temps d’écrire ou se rend dans des lieux où d’autres n’ont pas le temps de se rendre. Aux prises avec un monde qui court à toute vitesse vers un futur indistinct, sa vie est bouleversée lorsque quelque chose le met sur la piste du sort aussi funeste qu’incroyable d’une jeune bergère du XVIIe siècle. C’est le début d’un enchaînement de circonstances qui bientôt le dépassent et le conduisent à affronter un ancien braque... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
« Quelqu'un d'un doigt léger m'a touchée à l'épaule. Je me suis retournée mais il s'était enfui ». Louise Paulin,  Quelqu'un .
« Lisière fantôme » que les ombres infinies tourmentent. Sensible, magique, magnétique, ce roman est stimulant et attise nos propres interrogations sur le fondement même de la vie. L'ambiance même, est constante et vive. Une veilleuse au plein pouvoir, allumée la nuit durant.
Ce livre est aussi cela.
« Augustin tourne et vire depuis une dizaine de minutes, à la recherche de son pull couleur mangue ».
Augustin Loeyna est troublé. Il se pose des questions, doute. Il avait pourtant bien rangé son pull. Où est-il ? Quel est ce signe qui soulève subrepticement un récit solaire, énigmatique et spéculatif ? le pull couleur mangue est le levier, la pièce presque maîtresse de ce roman, la majuscule. Celui qui va honorer l'intrigue même de « Lisière fantôme ». L'histoire est un bonbon acidulé. Ne pas le faire fondre de suite. Attendre le déroulé des pages dont chacune remporte la palme d'un ensorcellement majeur.
La douceur du ton de Jérôme Lafargue est un édredon gorgé de plumes. On est tout simplement lové dans ce livre, tant l'histoire est hermétique. La lecture en devient un grand moment de plaisir et de surprises et c'est peu dire.
Augustin travaille seul. Soit en télétravail (nous sommes dans l'ère post-Covid) soit à l'étranger pour des missions de recherches intellectuelles et géopolitiques. Il aime se rendre à la bibliothèque pour étudier ses dossiers. Perfectionniste, rigoureux, il a ses habitudes et son pragmatisme est une gageure. « Mais il aime séparer l'intime du travail. Raison pour laquelle il a jeté son dévolu sur cette ville Horcaviòt, dont la bibliothèque prestigieuse est un endroit propice à la réflexion et au plaisir intellectuel ».
Mais Augustin ne pense qu'au pull. Il vit seul avec son chat Fripoun. Il a une petite soeur, Lucie, qu'il adore. Extravertie, surfeuse, engagée dans l'humanitaire, elle est son double cornélien. Leur mère Mado est décédée et le père quasi inconnu. Il y a un secret de famille latent.
De fil en aiguille, le roman bascule dans l'ésotérisme, le creuset des mystères. Des signes lancinants rampent sur les murs de son antre. L'alchimie est une parabole étrange et signifiante. Lui, qui aime comprendre, réagir dans l'instantané, s'éveiller intellectuellement, Augustin pressent l'heure de percer ce jeu de piste. Les indices sont des ensorcellements. le chat est un symbole et croyez-moi il devine tout plus vite que son ombre.
« Qui sait, peut-être le fantôme a-t-il laissé un nouvel indice ?… À 11h24, la pelle heurte un objet métallique… Il enlève un bon paquet de laine, et découvre le trésor… Un portrait d'une femme très belle. La femme de ses rêves ».
Qui est-elle ? Serait-ce le fantôme ? Il va mener son enquête. Découvrir qu'il s'agit d'une bergère du XVIIe siècle. Apprivoiser ce fantôme et bousculer les codes de la normalité.
Le récit traverse les fascinantes révélations ancestrales. « Augustin s'est se montrer patient quand il le faut, il l'a prouvé avec le fantôme ».
Le roman plonge dans le passé. Cette bergère est une énigme. Il doit découvrir coûte que coûte pourquoi elle est réapparue ainsi, que pour lui. Rassembler l'épars de sa propre famille. La généalogie tourmentée par les effluves des sorcières et des fantômes.
Ce livre intrinsèque qui ordonne l'imprononçable est la traversée des destinées. Ce qui assigne à la vie et pourvoit au lien générationnel et à l'impénétrabilité. Entre les méandres de l'Histoire et des croyances, des mythes, il y a le lien familial et les contraires qui vont s'assembler.
D'aucuns trouveront leur lisière fantôme. Judicieux et habile, profond et crucial car il somme les degrés de nos propres choix et convictions. Publié par les majeures Éditions Quidam éditeur.
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Croyez-vous aux fantômes ? Je ne parle pas des formes blanchâtres qui hantent les châteaux écossais, plutôt de certains esprits facétieux qui s'amuseraient à planquer le pull couleur mangue que vous cherchez depuis vingt minutes sans pouvoir mettre la main dessus. A priori, vous n'y croyez pas. Augustin non plus, ou disons qu'il ne s'est jamais posé la question. Mais Augustin est un personnage créé par un auteur qui aime jouer avec les frontières, utiliser toutes les ressources de la fiction pour donner un peu plus de couleurs à la réalité. Quitte à raconter des histoires, autant y ajouter un peu de magie.

Augustin vit dans un village des Landes, à l'écart de la côte touristique, au milieu de la forêt. Il écrit, non pas pour lui mais pour les autres, des rapports, des études, des dissertations sur les sujets les plus diversifiés qui l'amènent parfois à voyager assez loin. "Un refus de toute autorité, une curiosité insatiable ; un don pour la synthèse" et voilà comment le jeune homme de 26 ans a préféré exercer ses talents en indépendant depuis son refuge landais. Cette histoire de pull couleur mangue qu'il va retrouver le soir-même bien rangé dans son placard - après l'avoir cherché pendant 20 minutes le matin je le rappelle - va déboucher sur des aventures qu'il serait maladroit de ma part de vouloir vous raconter. On dira simplement que des événements du passé viennent impacter le présent, qu'une énigme impliquant une bergère du 17ème siècle s'invite dans le jardin d'Augustin, que le chat Fripoun, maître des lieux observe tout cela d'un air pénétré, qu'on ne connaît jamais suffisamment ses ancêtres ni sa famille (même les plus proches) ni ce que peuvent contenir les bibliothèques. Et qu'on gagne toujours à fréquenter les librairies.

Ce titre est particulièrement bien choisi, car dans ce roman on est constamment à la lisière, comme si un voile très fin et presque transparent séparait le réel de la fiction et ne permettait pas de les distinguer tout à fait. Cette porosité invite à se laisser aller, à croire qu'on ne maîtrise pas tout, que d'autres forces sont peut-être à l'oeuvre et parvient à jeter ainsi quelques paillettes sur un contexte qui laisse percevoir les "complications" du monde que nous connaissons, entre épidémies et conflits plus ou moins lointains. Rien de mieux en ce moment que se laisser emmener un peu ailleurs, là où les arbres chantent, où les animaux délivrent des messages, où la poésie surfe sur les langues et traverse les âges, où les hommes apprennent à se maîtriser. "La seule différence entre la fiction et la réalité c'est que la fiction se doit de rester crédible" : ce sont les mots de Mark Twain que rappelle Ariane (la jolie libraire) à Augustin. Alors, vous y croyez aux fantômes ?
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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Fantômes, enchantements et sortilèges pour déjouer les pièges immémoriaux d'un patriarcat jamais las de ses dominations. Un éblouissant conte moderne de la vie matérielle, de la famille, de l'amour et de la mémoire toujours à raviver.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/05/18/note-de-lecture-lisiere-fantome-jerome-lafargue/

Au coeur d'une ville gasconne au riche passé et à la taille actuelle toute moyenne, Augustin Loeyna exerce ce qui pourrait constituer (à mon humble avis, strictement personnel, en tout cas) un véritable métier de rêve : plongé dans les bibliothèques physiques et virtuelles de toutes sortes, dans le monde entier, depuis son repaire confortable de la salle municipale où il aime s'installer, il rédige mémoires, études et analyses pour toute une foule de commanditaires séduits par son sens de la synthèse, sa voracité documentaire et sa plume bien sentie. Des émoluments significatifs dans cette activité ainsi que le modeste héritage familial lui permettent, comme à sa soeur, professeur de surf sur un spot maritime landais renommé, à quelque distance, un certain confort matériel. Tout semble plutôt idyllique, de plus d'une manière, ici.

C'est toutefois sans compter avec une discrète manifestation surnaturelle qui se fait jour dans sa maison de rondins, puis dans son jardin, pour le mettre d'abord sur la trace improbable d'une poétesse inconnue du XVIIe siècle gascon, et d'un féminicide plus que vraisemblable après enquête, puis sur celle de son propre passé familial, où certaines légendes couramment acceptées se révèleront peut-être moins dorées et plus complexes qu'il n'y paraissait d'abord.

Avec cette « Lisière fantôme », publiée chez Quidam en mars 2023, sixième roman d'une discrète épopée renforcée de ci de là de novellas, nouvelles et fragments aussi divers que somptueux, Jérôme Lafargue poursuit – et sublime peut-être encore un peu – son exploration personnelle d'une Aquitaine tissée de Gascogne et de Landes, de vie matérielle contemporaine et d'histoire réelle ou légendaire, un espace qui s'incarne encore – et pourtant toujours aussi différemment – dans des passés familiaux toujours moins simples et plus puissants qu'il n'y semble au premier abord.

Si le récit d'Augustin Loeyna et son voyage à travers un voile épais d'incrédulité nous entraînera lorsque nécessaire au Cambodge, au Kenya ou en Ukraine, il est bien ancré, solidement et profondément, dans un espace, entre terre et mer, et dans une ville, au bord de son fleuve, où l'on retrouve aisément la magie diffuse qui habitait déjà le fondateur « L'ami Butler » (2007) et les sous-entendus historiques qui traversaient, par exemple, le « Description d'Olonne » de Jean-Christophe Bailly. Mais cet espace profond, géographique et historique, ne donne tout son sens caché qu'une fois subtilement filtré au tamis d'une famille, de ses tenants et aboutissants, selon une alchimie bien particulière, pour partie déjà familière aux lectrices et lecteurs de « Dans les ombres sylvestres » (2009), de « L'année de l'hippocampe » (2011), de « En territoire Auriaba » (2015) ou de « le temps est à l'orage » (2019).

Jouant ici du fantomatique d'une manière évoquant sans doute davantage Catherine Dufour que Ryoko Sekiguchi (mais en en proposant néanmoins une subtile fusion thématique, instillant un humour savoureux au coeur des drames historiques et contemporains d'un patriarcat et d'un masculinisme jamais pleinement satisfaits de leur domination), Jérôme Lafargue navigue en poète entre la vie matérielle et le dilettantisme obsessionnel de ses hérauts et héroïnes, pour explorer ce qui se joue entre nature, culture et occulte, comme dans les étroits corridors des passages entre classes sociales, lorsque l'érudition et l'acharnement peuvent concerner aussi bien un universitaire amoureux de poésie gasconne qu'un ancien braqueur pas tout à fait reconverti. Dans cette « Lisière fantôme », où passé et mémoire sont entrechoqués aux enchantements, sortilèges et faux-semblants du réel et du métaphorique, il excelle plus que jamais, utilisant comme personne le motif menaçant de la rage en dedans, à définir un territoire de l'inquiétude bien particulier (comme une Becky Chambers explorant tout à fait ailleurs cette histoire quotidienne des peuples heureux censés n'en avoir pas), un territoire que ne renierait certainement pas certain Prince d'Aquitaine à la tour abolie – pour nous offrir un si lumineux soleil noir de la mélancolie.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Avec beaucoup de retard, j'attaque le deuxième volet de la saga Ferrante, la lecture d'été par excellence !

J'avais trouvé le premier un peu poussif mais j'ai basculé dès les premières pages dans l'ambiance napolitaine sans la moindre envie d'en sortir. Au coeur des années 50, l'amitié lie toujours Lila et Lénu. A l'aube de leurs 18 ans, leur relation sulfureuse oscille entre amour et haine, admiration et jalousie.

La première revient de son voyage de noce avec Stefano, la seconde poursuit ses études au lycée et la vie dans leur quartier de Naples est toujours aussi rude.

Lila se rebelle contre un mari qu'elle regrette déjà d'avoir épousé, faisant le deuil de la liberté qu'elle croyait gagner et mettant à profit son intelligence pour détruire sa propre vie.

Éléna de son côté cherche l'équilibre entre la fascination et l'emprise qu'exerce Lila et l'envie de prendre en main son propre destin, passant par la poursuite de ses études. Elle se trouve moins belle, moins intelligente, moins séduisante, moins confiante que sa prodigieuse amie mais à force de travail, elle franchit tous les obstacles et s'extrait de cet environnement toxique.

Passions, conflits, règlement de compte, violence, trahisons ou luttes de pouvoir, ce deuxième volet de la saga romanesque n'offre pas le moindre temps mort et emporte le lecteur dans un tourbillon d'émotions.

Le récit est bien construit, les sentiments ambivalents des jeunes filles sont décrits avec justesse, rien n'est jamais tranché avec Éléna Ferrante.

Le déterminisme social, le patriarcat, les bas quartier d'une ville gangrenée par la Camorra, Éléna Ferrante décrit en toile de fond, l'Italie du sud dans les années 50-60, passionnante immersion.

Le style est simple et efficace, le rythme enlevé … impossible de lâcher ce livre et difficile de résister pour ne pas se ruer sur le troisième volet. Tout ou presque a déjà été dit sur cette saga et je ne peux que confirmer que c'est terriblement addictif.
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Accueillir l'étrange et l'étranger, écouter fantôme et prémonitions, se fondre dans la magie de son biotope, dans celle aussi de l'amour et de l'amitié, retracer la voix, et les conflits, de ses ancêtres. Jérôme Lafargue retrouve ses souriants confins d'une stricte rationalité, ses récits sous forme de faux polars, le lien inquiet et joyeux avec l'environnement, le monde et les gens alentour. Lisière fantôme entraîne le lecteur à la poursuite du fantôme d'une poétesse après l'intuitive découverte d'un de ses manuscrits miraculeusement préservé, la découverte surtout des origines de la violence, de la sensibilité particulière du héros — et de son chat — qui affronte un monde dont il restaure, fragile, la possibilité de joie.
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critiques presse (1)
LeMonde
13 juin 2023
Le tranquille Augustin, qui dévoile progressivement un irrépressible penchant colérique, devient, au même titre que l’intrigue et l’écriture de Jérôme Lafargue, une sorte d’allégorie de l’histoire : la violence peut certes se diluer avec le temps, mais ne disparaît pas pour autant.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Augustin tourne et vire depuis une dizaine de minutes, à la recherche de son pull couleur mangue. Impossible de mettre la main dessus. Il pensait le trouver en vrac sur un tas d’autres habits jetés sur la chaise de sa chambre. Mais non. Il n’est pas rangé dans l’armoire, n’est pas dans la corbeille à linge sale. Où peut-il l’avoir mis ? Il refait un tour complet, regarde sous son lit, dans le placard de la salle de bains, épuise les lieux improbables où il aurait pu se dissimuler.
– Fait chier !
Il lui faut des vêtements confortables et chauds. Ce pull était parfait et voilà qu’il se dérobe à lui. Incompréhensible. Il est inratable pourtant. L’heure avance, il ne veut pas prendre le risque de manquer l’ouverture de la bibliothèque, et être ainsi privé de sa place fétiche, dans la partie ouest, endroit où il dispose à la fois de tous les branchements nécessaires et d’une vue apaisante sur le parc. La table de travail y est petite. S’il s’étale suffisamment, cela décourage quiconque de venir s’installer avec lui. Il préfère la solitude quand il travaille.
Il s’assoit quelques secondes sur un tabouret, pour chasser mentalement les broussailles enflammées qui cinglent vers sa poitrine. Elles déboulent, poussées par un vent mauvais. S’il se laisse déborder, c’est foutu. Quelques exercices de respiration, yeux fermés, et le malaise s’atténue. Hors de question de subir les conséquences d’un nouveau déferlement de violence. Comme cette fois où, suite à un examen raté, il avait dévasté sa chambre dans la résidence universitaire où il logeait. Après coup, il s’était demandé où il avait trouvé la force de balancer le lourd canapé-lit, qui s’tait retrouvé à l’aplomb de l’un des murs à l’autre bout de la pièce. Ou cette autre, lorsqu’il avait déclenché une bagarre générale dans un bar, laissé à l’état de champ de ruines. On en parlait encore, alors même qu’un institut de beauté s’était substitué au troquet depuis longtemps.
La disparition de ce pull, c’est quand même fort. Il ne comprend pas du tout où il peut être. Avant de quitter son domicile, il vérifie de nouveau dans l’armoire où tous les vêtements propres sont pliés. Il n’a pas grand-chose. Dans la colonne des pulls, un chandail gris et épais aux manches distendues qu’il ne met qu’à l’intérieur, un pull bordeaux à col rond, un autre noir. Et c’est tout. Celui qu’il porte par défaut est bleu marine.
Lorsqu’il ouvre la porte d’entrée, son chat s’engouffre dans la maison.
– Fripoun ! C’est toi le coupable, j’en suis sûr ! Où tu l’as planqué ?
Le félin ne prend même pas la peine de se retourner. Il s’étire dans le vestibule et disparaît.
Augustin verrouille le loquet et file récupérer son vélo dans l’appentis. Le trajet jusqu’à la bibliothèque ne lui prend qu’un petit quart d’heure. Il traverse des quartiers résidentiels plutôt arborés. Aucun cependant comparable au sien. Une aubaine qu’il ait pu trouver ce chalet en rondins niché au milieu d’arbres magnifiques. Séquoias, chênes, liquidambars, érables, pins, châtaigniers. C’est un vieux lotissement, sans clôtures. Cinq grandes cabanes à peu près identiques cohabitent sur un gros hectare de terrain, plus ou moins masquées les unes des autres par les grands arbres et de multiples massifs d’arbustes et de plantes. Pas de pelouse à entretenir, le sol étant uniformément recouvert d’aiguilles de pins et de feuilles. Un employé du syndic taille de temps à autre au rotofil les herbes hautes qui se frayent malgré tout un chemin. Augustin s’occupe de l’arrosage. Il a planté au printemps du jasmin, de la glycine, des clématites et du chèvrefeuille pour qu’ils grimpent le long des rambardes de la terrasse en bois qui encercle la maison.
Il pédale fort pour effacer les minutes perdues, escamote sans réfléchir le raidillon qui conduit à la vieille ville, sans perdre de temps à faire des détours par les ruelles escarpées, gare sa bicyclette dans le parc à vélos et enquille l’escalier d’accès quatre à quatre. Une dizaine de personnes patientent déjà. Sans vergogne, il se faufile parmi elles pour se placer devant tout le monde. Aucune réaction. Qui serait disposé de toute façon à batailler pour si peu avec ce jeune adulte solidement bâti au regard torrentueux ?
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Il neige encore lorsqu’Augustin se lève. Les flocons sont comme des danseuses de ballet dépêchées sur scène avec des cordes fragiles. Il se prépare un petit déjeuner consistant. Pelleter par un temps pareil ne s’annonce pas de tout repos. Jus d’orange et de citron, bol de céréales avec du yaourt à la vanille, tartines de pain et de confiture, œufs brouillés au fromage, café. De quoi tenir plusieurs heures. Il enfile une tenue de bricolage, soit des habits dégueulasses et troués, par-dessus lesquels il met sa vieille parka. Avant de sortir, il vérifie l’état du dictionnaire. Il l’a refermé la veille au soir. Qui sait, peut-être le fantôme a-t-il laissé un nouvel indice ? Mais non, le lourd volume n’a pas bougé.
Dans l’appentis, Augustin se munit de gants de travail, d’une binette, d’une pelle carrée et d’une autre ronde, et se dirige vers le chêne. Il pointe la boussole de son smartphone plein ouest et compte douze pas. Ce qui le fait arriver à l’angle avant droit du chalet, à un mètre à peine de la terrasse. Pour un peu, la cachette aurait été sous la maison. Augustin espère que les travaux de fondation n’auront pas été trop larges. Il se dit aussi qu’il a lui-même creusé tout proche lors de ses plantations printanières.
Sur un périmètre d’un mètre carré, il dégage la couche de neige, qui atteint vingt bons centimètres, puis enlève le manteau de feuilles mortes et d’aiguilles de pin. La terre est dure, il doit s’y reprendre à plusieurs reprises pour la casser. Au bout d’une heure, il n’a creusé qu’à une dizaine de centimètres de profondeur sur l’ensemble de la surface. À ce rythme, il n’aura pas terminé avant la mi-journée. Il songe qu’il ne sait même pas ce qu’il cherche. Et s’il s’agissait d’une tombe ? D’ossements ?
À 11 h 24, la pelle heurte un objet métallique. Il est en sueur, a ôté sa parka depuis belle lurette, et pense faire de même avec son vieux sweat. Quoi qu’il puisse trouver, il se munit d’un transplantoir pour ne pas risquer de l’abîmer avec la pelle. Le trou fait une quarantaine de centimètres de profondeur. Il s’y accroupit et commence à enlever la terre sur le pourtour de l’objet. C’est une boîte métallique, qu’il finit par extirper avec maintes précautions. Elle est carrée, d’environ vingt centimètres de côté, mais plutôt profonde, d’une quinzaine de centimètres au bas mot.
Augustin s’assoit sur le rebord de l’excavation, sans penser à quoi que ce soit pendant de longues minutes. Il tient la boîte dans ses mains. Elle a rouillé, mais semble très banale, sans inscriptions ou dessins quelconques. Il la pose et reprend la fouille, au cas où d’autres surprises l’attendraient. Il abandonne une demi-heure après, convaincu que seule cette boîte devait être révélée. Laissant les outils en plan, il rentre, non sans avoir enlevé au préalable ses chaussures crottées. Il se sent absent à lui-même. Il boit un grand verre d’eau, se lave les mains. La boîte est sur la table de la cuisine. Elle ne demande qu’à être ouverte.
Alors il l’ouvre.
Il doit d’abord desceller le couvercle à l’aide d’un canif, ce qui lui prend de longues minutes. De la terre et de la rouille l’ont collé à la boîte. Mais il parvient à ses fins. Dès qu’il se débarrasse du couvercle, une odeur incroyable s’échappe. Comme un parfum de jasmin, de miel et de lavande, nimbé d’une humidité un peu écœurante. Ce qu’il regarde à l’intérieur le laisse interloqué. Une espèce de mousse blanchâtre, parsemée de taches noires, comme des chiures de mouche. À la texture, il déduit que c’est sans doute de la laine de mouton qui a été utilisée pour protéger le contenu. Habile. Dessus, deux brins de lavande séchés, qui s’effritent dès qu’il s’en saisit. Il enlève un bon paquet de laine, et découvre le trésor. Un portrait de douze centimètres sur dix, peint sur un papier épais qui n’a pas du tout été abîmé. Un portrait d’une femme très belle.
La femme de son rêve.
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Assez tôt dans sa vie, Augustin a découvert sur lui-même trois choses fondamentales : un refus absolu de toute autorité ; une curiosité insatiable ; un don pour la synthèse. De là, il a créé son propre emploi. Il écrit ce que les autres n’ont pas le temps, le désir ou la compétence d’écrire. Cela a commencé de façon artisanale, alors qu’il était encore doctorant en histoire contemporaine. Il avait accepté de rendre service, contre rémunération, à des étudiants de licence ou de master. Tous les moyens étaient bons pour récolter un peu d’argent. Il n’avait pas d’allocation de recherche, et plutôt que d’accepter des vacations payées une misère et avec retard, il préférait accumuler des petits boulots plus lucratifs pour financer ses études. Serveur, manœuvre, manutentionnaire, caissier, rien ne le rebutait. Mais ce fut ce job de scribe qui changea sa vie.
Au fil du temps, sa rapidité et son savoir-faire lui assurèrent une solide réputation. L’incroyable richesse de ce qu’il découvrait, la diversité de ces nouvelles connaissances prirent peu à peu le pas sur son propre sujet de thèse, qui ne le passionnait plus autant qu’avant. L’appauvrissement des conditions de travail à l’université et la faiblesse du nombre de postes offerts achevèrent de le convaincre que son avenir dans l’enseignement supérieur s’était perché sur un affleurement rocheux inatteignable. Il n’avait aucune envie de se retrouver à la trentaine avec un diplôme prestigieux mais inutilisable. Il créa sa micro-entreprise, qu’il nomma avec une certaine pédanterie Encyclios Vagabundus. Et avec le recul, c’était bien ce qu’il était devenu, une encyclopédie vagabonde, au service de tous.
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