Même si le road trip a bien évidemment sa place je dirais que c'est davantage la relation qui unit (ou désunit) Yazel et Victor qui m'a véritablement touchée. Yazel est une jeune adolescente atteinte de surdité mais qui ne l'empêche en aucun cas d'afficher un sourire espiègle et des yeux pétillants de malice. Exit les clichés de la fille handicapée mal dans sa peau. Exit les clichés de la pré-adolescente. Bienvenue dans le monde de Yazel : lumineux, rempli de mots et d'images percutantes de réalisme. Pourtant Yazel n'a pas été épargnée par la vie. Orpheline, ses parents sont morts dans un accident de la route alors qu'elle n'était encore qu'une enfant. Séparée de ses grands parents maternels qui la traitaient d'égale à égale, recueillie par une tante richissime autant d'argent que de bêtises, elle n'a qu'un seul réconfort : un journal à l'odeur de vanille, rose bonbon, qui lui permet d'écrire chaque soir à ses parents-poussières.
Victor, lui, est presque un adulte, dans cette période « entre deux » où on ne sent ni enfant ni responsable. Là aussi on oublie l'image du jeune adulte perdu dans des relations amoureuses toxiques et on s'élance dans la vie d'un jeune cambrioleur…qui n'a pas envie de cambrioler. Pas le choix, dans la famille Kouzo on est braqueur de père en fils. Et si on ne le veut pas la chevalière au doigt du père de famille n'est pas sans rappeler qu'on a pas le choix. Alors Victor s'évade en petites rébellion : faire échouer un braquage en faisant semblant de confondre ambulance et police, animer un club d'aide aux victimes de braquage, viol et autres agressions, passer son bac et lire
Victor Hugo ou
Boris Vian. Mais dans la famille Kouzo on doit aussi payer ses dettes. le voilà pétrifié, prêt à cambrioler le manoir d'une fillette au nom d'ailleurs : Yazel.
Dès le départ, Yazel m'a fait penser à ces petites filles, encore très jeunes, capables de sortir des phrases étourdissantes de réalité, sans filtre. C'est vraiment un personnage unique, attendrissant et indéniablement attachant. Elle aurait pu être détruite par le mépris et l'ignorance mais au lieu de ça elle construit de son handicap une réelle force et je ne peux qu'être admirative. A travers ce roman
Coline Pierré remet aussi en question notre propre vision de l'handicap malgré toutes les bonnes intentions que l'on peut avoir, notre jugement est toujours là et je me suis beaucoup retrouvée dans le personnage de Victor. Il hésite, s'excuse tout le temps, la prend avec des pincettes, ne sait pas quel terme utiliser. Est-ce que « handicapée » est dur à entendre ? Est-ce que oublier le handicap de la personne c'est ne pas la respecter ? Leur relation évolue en même temps que cette acceptation de l'autre dans son entièreté, pour ce qu'elle est et non pour ce qu'on s'imagine qu'elle est. C'est beau, puissant et j'ai adoré.
A travers ce road trip endiablé entre Angers et la Bulgarie, nos deux héros grandissent, s'apprivoisent, se travestissent et s'assument. C'est un récit initiatique vers l'acceptation de soi et de l'autre, un roman plein de bonnes valeurs qui m'a fait aussi prendre conscience de mon propre regard, sur moi ou sur les autres. Un roman qui nous parle aussi de famille. On a pas toujours la famille rêvée. On a pas toujours un grand frère super attachant, une tante gentille, ou un père tendre. Mais on a la famille qu'on a, et, tout au fond, chaque personne porte en elle son lot d'amertume, de douleurs ou de violence. Mais la famille s'agrandit aussi. D'amis. de grand frère, ou de petite soeur.
A cela (et c'était déjà beaucoup n'est-ce pas ?) vient se rajouter une écriture extrêmement juste. J'ai notamment beaucoup aimé les moments où Victor décrit les sons, je me suis posée de question après, comment décrire des sons…sans reproduire d'autres sons. Dire que le bruit du clavier fait « tek tek tek tek tek » n'a pas beaucoup de significations n'est ce pas ? J'ai aimé entendre les sons en les voyant, cela avait quelque chose de nouveau et de totalement inattendu, un peu magique quelque part. de temps en temps, quelques phrases m'ont fait ouvrir la bouche en « o » tellement je les trouvais belles, tendres ou violentes de vérité. Voilà. J'en ai dis beaucoup et en même temps si peu…
En résumé
Nos mains en l'air raconte une tranche de vie loufoque, souvent drôle, toujours touchante qui nous entraîne à la découverte des autres et de soi.
Coline Pierré présente le handicap de la surdité de la meilleure des manières : sans faux semblant, sans méchanceté, juste tel que cela est, et ça fait du bien. Tout comme Victor on apprend à écouter les silences et les respirations. Une lecture tendre et vivifiante sur le pouvoir de l'amitié.
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