Le roman s'ouvre sur la description d'un lieu, le grand duché d'Éponne. Un pays imaginaire avec ses montagnes, son lac, sa place financière, ses traditions monarchiques. Un pays occidental, européen, pas très différent de ceux que l'on habite mais il garde un mystère qui garantit l'universalité du scénario.
Puis nous entrons chez Jean-Marc Féron, journaliste, ancien reporter de guerre, écrivain à succès. Georges, son éditeur lui propose plusieurs dossiers de demandeurs d'asile. Effectivement, ce dernier a convaincu son auteur d'écrire un best-seller sur une expérience de cohabitation avec un migrant. Un projet opportuniste qui devrait relancer sa carrière. Quelques jours plus tard, Hossein s'installera chez
Jean-Marc, sans se douter de la raison de cette opportunité.
Quelques rues plus loin, un autre projet d'écriture voit le jour. Un cercle littéraire composé de Jérôme, un thésard, Sonia, une traductrice rewriter, Isabelle, une actrice et mère célibataire, Dieter et Stanko travaille sur un pamphlet de critique sociale intitulé Remonter le courant, critique de la déraison capitaliste.
Avec en ligne de fond ces deux projets d'écriture,
Diane Meur construit une trame narrative autour de ces personnages et quelques autres qui leur sont reliés.
Une fois le décor posé, l'auteur tisse un roman social en zoomant de manière plus en plus serrée sur chacun de ses personnages.
Pas vraiment convaincu par le projet de son éditeur, Jean-Marc Féron subit une panne d'écriture. Syndrome post-traumatique ou cohabitation difficile avec Hossein, un homme bienveillant et excellent cuisinier. L'immigré avec ses tragédies et son épaisseur humaine déstabilise l'écrivain et fait resurgir en lui un traumatisme de l'enfance. Appelée par l'éditeur, Sonia vient à la rescousse pour aider
Jean-Marc à écrire. Finalement elle sera davantage une aide psychologique dans une relation réciproquement profitable .
Hossein nous conduit vers Ghoûn, un jeune migrant auquel il donne sa place en foyer. La demande d'asile de Ghoûn a été rejetée et pour son recours, il doit maintenant prouver ses progrès au bureau de l'immigration et des réfugiés. Il se fait exploiter en distribuant des imprimés publicitaires et s'instruit à la médiathèque où il rencontre Semira.
Semira est femme de ménage, notamment chez Sylvie, la maîtresse de Jérôme. Sylvie, mariée et mère de famille, est développeuse de projets dans le secteur de la mode. Superficielle et insatisfaite, elle vit mal son infidélité, sa difficulté à faire progresser son fils et l'évincement de son chef à un poste supérieur.
N'oublions pas Eugène Waizer, un ancien professeur, isolé et déstabilisé depuis la mort de son épouse.
Guidé par les écrits du pamphlet, le roman illustre la dévalorisation du travail, la pression du capitalisme qui privilégie le profit à l'humain. Dans ce monde où le travail utile est dénaturé au profit de métiers nuisibles. Où les machines prennent l'ascendant jusqu'à nous déposséder de la liberté de choisir un partenaire ou un restaurant. Où tout est ramené dans la sphère marchande, même ce que l'on aurait auparavant prêté ou donné. Un monde promis au désastre écologique, à l'autodestruction.
Les personnages sont ainsi emportés par un système pervers qui transforme « ses victimes en autant de semi-bourreaux dressés à ne plus voir l'autre, ou à le voir en ennemi. »
Diane Meur tisse un récit romanesque avec une réflexion profonde et intelligente de notre société. Une excellente lecture que je vous recommande.