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Diane Meur (Autre)
EAN : 9782848053615
360 pages
Sabine Wespieser (27/08/2020)
3.68/5   66 notes
Résumé :
Le calme semble immuable dans le grand-duché d’Éponne. Sis au cœur de l’Europe, il est un de ces lieux où les accords financiers négociés dans le secret des immeubles cossus décident de la marche du monde. Tout y est à sa place, et il est donc particulièrement compliqué pour un étranger récemment arrivé de s’en faire une, dans cette ville proprette plantée au bord d’un lac.

Accueillir chez lui un migrant, et rendre compte de cette expérience dans son ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (29) Voir plus Ajouter une critique
3,68

sur 66 notes
Que se passe-t-il dans le Grand-Duché d'Éponne?

Dans son nouveau roman Diane Meur confronte un réfugié à un écrivain-journaliste installé dans un Grand-duché au coeur de l'Europe. Et il va s'en passer des choses Sous le ciel des hommes !

Notre société n'est-elle pas arrivée à un point de bascule? le système sur lequel s'est bâtie la prospérité du Grand-Duché d'Éponne n'est-il pas en train de s'effondrer? Dans ce petit confetti du coeur de l'Europe le défi climatique et la question des réfugiés constituent les premiers signes d'un dérèglement que Diane Meur va scruter de près dans son nouveau roman construit autour de deux oeuvres en gestation. le livre-témoignage d'un journaliste qui, après avoir parcouru le planète, a l'idée d'accueillir un réfugié chez lui et retracer son expérience et la rédaction par un groupe d'intellectuels d'un pamphlet intitulé Remonter le courant, critique de la déraison capitaliste.
Si le premier entend sortir de sa zone de confort et «dévoiler un peu l'homme Jean-Marc Féron, célèbre pour ses livres, ses articles et ses prestations médiatiques, mais dont on ne connaissait guère la vie privée, si ce n'est qu'il multipliait les conquêtes féminines.», les seconds sont nettement plus radicaux et entendent secouer la torpeur de ce micro-état. Jouant sur les contrastes, la romancière va faire des étincelles en montrant combien les uns et les autres sont bien loin de l'image qu'ils entendent projeter. Entre Jean-Marc et Hossein, qui fait preuve de plus d'humanité? Entre Sylvie qui travaille pour l'industrie du luxe et Jérôme, son amant qui la rejoint discrètement dans un hôtel après avoir peaufiné un nouveau paragraphe de son pamphlet intellectuel désargenté, qui est le plus honnête?
Alors que l'on voit s'ébaucher les livres dans le livre, on découvre l'ambivalence des personnages qui partagent leur hypocrisie, font le grand écart entre leurs aspirations et leur petite vie qui va croiser celles des autres de manière assez surprenante, comme par exemple lors de la Fête de la Dynastie qui célèbre tout à la fois la prospérité du pays et offre à ses habitants l'occasion de sortir d'un quotidien des plus conventionnels.
C'est à la manière d'une entomologiste que diane Meur scrute notre société et ses travers. Elle ne manque pas le petit détail qui tue. À coups d'anecdotes très révélatrices, elle va réussir son travail de sape des certitudes et des systèmes. Et si elle ne propose pas de solution – mais qui peut se vanter d'offrir le régime idéal – elle oblige le lecteur à se poser des questions, à revoir sa grille de lecture. Un travail salutaire mené avec une plume délicate qui ne fait que renforcer le propos. Bref, une belle réussite!


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Rentrée littéraire 2020
« Sous le ciel des hommes », dernier titre de Diane Meur, autrice belge qui mérite d'être davantage connue pour son regard subtil et sa capacité à mettre le doigt sur ce qui coince. Sous le ciel des hommes, sans ponctuation peut se lire et s'interpréter de différentes manières. J'aime cela. Est-ce le ciel des hommes, celui qu'ils ont construit au-dessus d'eux, parement cosmétique à leurs égarements dans les différentes trajectoires de vie qu'ils choisissent, se donnent ou subissent ? Ou est-ce la triste vérité que sous le ciel qui devrait sublimer une élévation, l'Homme debout tiré vers le haut, il n'y a que des hommes finis, parfois même avant d'avoir commencés ?
Sous ce ciel commun à tous les hommes, l'humanité n'a-t-elle pas, à tous moments, le choix du meilleur ou du pire ? » C'est bien la question posée par Diane Meur. Elle n'est pas nouvelle. Elle reste d'actualité.
Dans ce livre, elle développe, en parallèle, des petites vies. Celle d'un écrivain, reporter autrefois, qui poursuit l'idée, soufflée par son éditeur, d'accueillir chez lui un migrant pour observer, disséquer et transcrire les interactions entre le paumé qui se révèlera un coeur pur et l'homme de lettres connu et reconnu qui est en panne de plume. Elle nous donnera aussi de suivre un groupe de joyeux refaiseurs de monde occupé à rédiger à plusieurs mains un pamphlet contre l'économie et la gestion de notre société. Et puis, semblant apparaître au hasard, on suivra Semira, sans papier mais pas sans coeur, son ami Ghoûn qui rêve encore à une régularisation possible. Et encore Fabio, adolescent chargé de ses deux parents dépassés dont Sylvie qui ne sait où placer ses ambitions et encore moins comment les servir…
Tout cela semble un peu brouillon et si chaque histoire se tient, est judicieusement posée sous les yeux d'un lecteur qui ne peut que s'interroger à propos de tous les dysfonctionnements du monde, l'ensemble n'est pas toujours évident à appréhender. Beaucoup de situations différentes, parallèles mais avec des incursions de l'une dans l'autre, beaucoup de personnages et beaucoup d'idées, le plus souvent pertinentes, à traiter.
Mais, peu à peu, la mayonnaise prend. La consistance est là, les questions aussi.
Plus qu'un roman, « Sous le ciel des hommes » est un essai. Essai d'un regard lucide sur le monde d'aujourd'hui, sur la perméabilité entre nos bulles de vie et sur l'importance, à tous moments, de choisir. Non pas ce qui m'arrange ici et maintenant, mais ce qui convient à l'Humanité. Et dans ces choix, tout le monde à une même place à tenir, une même posture, celle de la conscience du temps présent et du modèle de futur qu'on peut se donner tous ensemble.
Sans mièvrerie, sans fatalisme, sans moralisme dicté par un quelconque politiquement correct, ce titre de Diane Meur est un miroir de nos existences. A nous de décider si nous aurons le courage de nous y mirer.
J'ai pu découvrir ce livre en marge des Explorateurs de la rentrée 2020 de Lecteurs.com grâce à Geneviève Munier qui, l'ayant reçu en lecture, me l'a envoyé une fois sa chronique rédigée. Joyeux partage !
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L'action du livre se déroule dans l'imaginaire grand duché d'Éponne, nom derrière lequel tout le monde a identifié le grand duché du Luxembourg. de nombreux personnages composent le roman. Une des trames principale est celle qui concerne un journaliste et écrivain célèbre, Jean-Marc Féron qui poussé par son éditeur, a décidé de recevoir chez lui pendant trois mois un réfugié, pour tirer un livre de cette expérience. Il est moyennement enthousiaste, mais il a signé un contrat. L'arrivée de Houssein va permettre à l'auteur de tracer le portrait de quelques autres migrants, avec lesquels il entretient des relations. Deux autres trames principales, celle d'un groupe de personnes en train d'écrire un pamphlet anti-capitaliste, qui vise à mettre en évidence les dysfonctionnements de notre monde. Et aussi celle de la famille de Sylvie, cadre quadragénaire qui affiche une belle réussite professionnelle, même si elle ne lui suffit pas complètement, et qui a du mal à gérer les relations avec son fils. le chemin de tous les personnages se croisent d'une manière où une autre.

J'ai été un peu rétive au roman et à ses présupposés au départ. Les demandeurs d'asile tous gentils, intelligents, pleins d'humanité opposés aux riches nantis égoïstes qui ne maîtrisent rien de leur vie et qui sont au fond très malheureux, car incapables de profiter réellement de l'existence, cela frisait le cliché un peu facile. Sans oublier les longs passages du pamphlet anti-capitaliste, qui pouvaient devenir vite indigestes. Et les explications du comportement dans les conditionnements de l'enfance qui expliquent tout, et qu'il suffit d'énoncer pour les déconstruire. Si le monde pouvait être si simple, cela se saurait depuis longtemps.

Mais, il y a un moment où j'ai embarqué malgré tout dans ce roman, je ne saurais pas réellement expliquer pourquoi et comment. Je crois qu'il faut plus prendre les personnages pour des types devant illustrer des fonctionnements que des personnes, l'aspect psychologique et réaliste n'est pas essentiel dans le récit. L'auteure pousse les choses au bout de leur logique pour démonter les mécanismes en jeu dans toute leur absurdité. Et au final, Diane Meur dit des choses justes, intelligentes, cruelles sans doute, effrayantes, mais tout espoir n'a pas disparu. Rien n'est jamais perdu, rien n'est définitif, c'est à chacun de prendre les choses en main pour changer ce qui ne va pas. Et sa plume est comme toujours belle ce qui aide beaucoup à entraîner l'adhésion.

C'est un peu un constat sur notre société, sur ses dysfonctionnements. Beaucoup d'idées ne sont pas originales, certaines relèvent du bon sens, d'autres sont un peu plus poussées. Cela peut donner lieu à des débats, accords ou désaccords. Mais nous sommes clairement dans un moment de basculement, de débat sur le devenir de notre société, et ce livre participe de cela. Plutôt intelligemment et avec sensibilité.
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Le roman s'ouvre sur la description d'un lieu, le grand duché d'Éponne. Un pays imaginaire avec ses montagnes, son lac, sa place financière, ses traditions monarchiques. Un pays occidental, européen, pas très différent de ceux que l'on habite mais il garde un mystère qui garantit l'universalité du scénario.
Puis nous entrons chez Jean-Marc Féron, journaliste, ancien reporter de guerre, écrivain à succès. Georges, son éditeur lui propose plusieurs dossiers de demandeurs d'asile. Effectivement, ce dernier a convaincu son auteur d'écrire un best-seller sur une expérience de cohabitation avec un migrant. Un projet opportuniste qui devrait relancer sa carrière. Quelques jours plus tard, Hossein s'installera chez Jean-Marc, sans se douter de la raison de cette opportunité.
Quelques rues plus loin, un autre projet d'écriture voit le jour. Un cercle littéraire composé de Jérôme, un thésard, Sonia, une traductrice rewriter, Isabelle, une actrice et mère célibataire, Dieter et Stanko travaille sur un pamphlet de critique sociale intitulé Remonter le courant, critique de la déraison capitaliste.
Avec en ligne de fond ces deux projets d'écriture, Diane Meur construit une trame narrative autour de ces personnages et quelques autres qui leur sont reliés.
Une fois le décor posé, l'auteur tisse un roman social en zoomant de manière plus en plus serrée sur chacun de ses personnages.
Pas vraiment convaincu par le projet de son éditeur, Jean-Marc Féron subit une panne d'écriture. Syndrome post-traumatique ou cohabitation difficile avec Hossein, un homme bienveillant et excellent cuisinier. L'immigré avec ses tragédies et son épaisseur humaine déstabilise l'écrivain et fait resurgir en lui un traumatisme de l'enfance. Appelée par l'éditeur, Sonia vient à la rescousse pour aider Jean-Marc à écrire. Finalement elle sera davantage une aide psychologique dans une relation réciproquement profitable .
Hossein nous conduit vers Ghoûn, un jeune migrant auquel il donne sa place en foyer. La demande d'asile de Ghoûn a été rejetée et pour son recours, il doit maintenant prouver ses progrès au bureau de l'immigration et des réfugiés. Il se fait exploiter en distribuant des imprimés publicitaires et s'instruit à la médiathèque où il rencontre Semira.
Semira est femme de ménage, notamment chez Sylvie, la maîtresse de Jérôme. Sylvie, mariée et mère de famille, est développeuse de projets dans le secteur de la mode. Superficielle et insatisfaite, elle vit mal son infidélité, sa difficulté à faire progresser son fils et l'évincement de son chef à un poste supérieur.
N'oublions pas Eugène Waizer, un ancien professeur, isolé et déstabilisé depuis la mort de son épouse.
Guidé par les écrits du pamphlet, le roman illustre la dévalorisation du travail, la pression du capitalisme qui privilégie le profit à l'humain. Dans ce monde où le travail utile est dénaturé au profit de métiers nuisibles. Où les machines prennent l'ascendant jusqu'à nous déposséder de la liberté de choisir un partenaire ou un restaurant. Où tout est ramené dans la sphère marchande, même ce que l'on aurait auparavant prêté ou donné. Un monde promis au désastre écologique, à l'autodestruction.
Les personnages sont ainsi emportés par un système pervers qui transforme « ses victimes en autant de semi-bourreaux dressés à ne plus voir l'autre, ou à le voir en ennemi. »

Diane Meur tisse un récit romanesque avec une réflexion profonde et intelligente de notre société. Une excellente lecture que je vous recommande.
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Premier chapitre fade; il situe le lieu: un grand-duché imaginaire. Au deuxième, on tombe sur une conversation entre un journaliste-reporter à succès et son éditeur qui le titille: il faut concrétiser rapidement le projet qui consiste en une cohabitation de trois mois entre l'écrivain et un réfugié et donnera lieu à un livre sur cette expérience.Après discussion, c'est Hossein qui est choisi: garagiste, 28 ans, il a eu des problèmes avec le régime en place et a fui: trois ans sur les routes.
Le chapitre trois (et là, je commence à m'inquiéter de ce puzzle) nous décrit un atelier d'écriture où on rédige un pamphlet de critique sociale à plusieurs mains.Jérôme a écrit le texte; Cédric le lit; après discussions et modération par Sonia (rewriter") l'essai doit s'appeler:" Critique de la déraison capitaliste"(pardon Kant)

Après cette réunion, Jérôme se dépêche de rejoindre sa maîtresse Sylvie, mariée et mère de famille.

Hossein rejoint Ghoûn, demandeur d'asile et lui annonce qu'il a trouvé un hébergeur et qu'il va pouvoir prendre sa place au foyer.

La fête de la dynastie bat son plein; Bob, pdg d'une grande entreprise y participe tandis que Sémira, une des serveuses quitte la fête que propose ses copains pour rentrer chez sa logeuse. Sémira est femme de ménage chez Sylvie et son mari Bernard, et leur fils Fabio (lequel a des difficultés scolaires: ses parents l'aident mais Sémira intervenant par hasard, est préférée par l'ado).
En deux semaines l'auteur et Hossein s'entendent bien, ce dernier respecte le travail de l'écrivain lequel éprouve des malaises dont on ne trouve pas la cause mais qui bloque son écriture.
On retrouve Sylvie en famille où elle affirme que l'apparente amabilité de Bob est un test pour une éventuelle promotion où la concurrence est rude; le fait d'avoir une famille n'est pas positif.
Après un passage sur le groupe d'écriture, l'autrice nous fait retrouver Ghoûn: il a trouvé un travail mal payé et dur physiquement de distribution de prospectus tandis que Hossein fait des livraisons à vélo.
En parcourant les rues, Ghoûn voit une plaque évoquant la mort d'un poète en exil, il se rend en bibliothèque pour en savoir plus mais comme il ne connait pas les règles et présente mal avec sa parka déchirée, il n'est pas accueilli.
L'éditeur propose un rewriter à l'auteur en panne: ce sera Sonia. Les relations sont difficiles, l'évocation de l'enfance est une catastrophe. Peu à peu Jean Marc et Sonia s'aideront l'un l'autre.
Sémira est immigrée, elle fuit la guerre, rejetée par militaires et policiers vers le grand duché; sans papiers, elle se contente de petits boulots comme les ménages, ses cours auprès de Fabio sont une exception. Sémira a fait la connaissance de Ghoûn: ils sont amoureux mais ne peuvent se laisser aller à leurs sentiments.
Après un long entretien avec Jean-Marc Féron Sonia se sent mieux et accepte d'écrire un chapitre du pamphlet: sur les caractéristiques d'un système pervers et son fonctionnement (elle s'inspire de l'histoire de l'écrivain).
Quand Sylvie apprend que Sémira donne des cours à son fils sans lui demander son avis, elle la dénonce au service de l'immigration.
Cette bourgeoise prétentieuse me déplaît profondément.

Je me suis étendue sur l'histoire pour partager mon étonnement: il n'y a aucune transition, les diverses situations des personnages se succèdent et finalement je ne perçois pas l'objectif. Des éléments apparaissent comme le démaquillage ou les phasmes dont l'intérêt m'échappe.
Le pamphlet m'a intéressée, son écriture aurait pu faire l'essentiel du livre.



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critiques presse (3)
Telerama
04 novembre 2022
Maniant l’humour et la réflexion avec causticité, Diane Meur décide, dans ce roman époustouflant, de démonter les apparences, de renverser les certitudes et de permettre à ses personnages de s’émanciper.
Lire la critique sur le site : Telerama
Actualitte
15 janvier 2021
Jamais désespérant, Sous le ciel des hommes se referme sur une promesse qui sera peut-être tenue : choisir et ne plus subir.
Lire la critique sur le site : Actualitte
LeMonde
16 septembre 2020
Diane Meur enchevêtre les récits d’une vingtaine de personnages. Avec érudition et fantaisie.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
Même un modèle économique aussi solidement établi, aussi triomphant que le capitalisme avancé dans sa version totalitaire passera, lui aussi, pour laisser place à autre chose…Une autre fin possible lui venait en tête. Il ne s’agit donc pas de nous « adapter » au monde de demain : il s’agit de le faire.
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Encore une qui était tombée sous le charme, C’était la même chose partout: avec son sourire lumineux, sa bonne humeur, son empressement à rendre service, Hossein avait un talent naturel pour se faire apprécier. Et c’était un «bon client», comme on disait dans les milieux du journalisme. Quelqu’un qui ne paie pas forcement de mine, n’a pas forcément grand-chose à raconter si !’on écoute bien, mais qui casse la baraque dès qu’il passe à l’antenne, allez savoir pourquoi.
En somme, elle avait raison: Jean-Marc avait vraiment eu de la chance, avec ce gars choisi presque au hasard. p. 75
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INCIPIT
La ville dormait – non pas de son sommeil nocturne, mais de la trompeuse somnolence de ses dimanches après-midi. Un dimanche de novembre à Landvil vers les trois ou quatre heures, laisser derrière soi les rues du Vieux Quartier pour s’aventurer sur les pentes des diverses collines, de leurs banlieues effilochées sans comment ni pourquoi : une expérience du vide, ou de l’infini ? Le ciel est bas, sans l’être. Dans ces pays de montagnes où même le fond des vallées est déjà en altitude, la couche des nuages, c’est vrai, paraît à portée de main. Mais chacun y connaît aussi les coups de théâtre qui, en moins d’une demi-heure, peuvent déchirer ce voile accroché aux sommets, chacun le sait donc aussi relatif qu’éphémère.
D’ailleurs ce n’est pas du ciel chargé que tombe cette somnolence. C’est de la ville qu’elle monte. De ses réverbères, dont la lueur fond en halo dans le léger brouillard ; de ses tramways qui, dans les courbes, émettent un grincement poussif comme pour proclamer : Attention, aujourd’hui nous sommes rares. Trafic dominical.
Chaque rue semble une impasse. Chaque immeuble semble le dernier de la rue. À la vue du petit escalier suspendu qui relie le trottoir à une porte d’entrée, au-dessus d’un demi-sous-sol plongé dans l’ombre, on ne pense plus à une demeure habitée par des hommes. On pense à un débarcadère, on se croit un instant dans un tableau d’Escher où, croyant monter toujours, on serait finalement arrivé au plus bas, aux rives du lac d’Éponne. Mais pas du tout. Derrière l’immeuble et ses buissons se profile une autre bâtisse, et encore une autre, à y mieux regarder. Signe flagrant de vie, il flotte dans l’air une odeur d’oignons frits, de soupe mise à cuire. Les gens mangent-ils si tôt ici, ou poussent-ils si loin le sens de l’anticipation ?
Si l’on descend effectivement vers le lac, la sensation d’infini revient en force. Ce n’est pas qu’il soit si grand : il faudrait un brouillard bien plus dense pour cacher les lumières d’Éponne sur la rive d’en face, le toit pointu du château grand-ducal, les tours ultramodernes du centre financier. On devine même, à un rougeoiement au-dessus de l’horizon, les grands lotissements et zones résidentielles qui, limitrophes de Landvil, n’en sont séparés que par la rivière, autrefois nette démarcation, aujourd’hui enjambée par plusieurs viaducs.
Mais ces lumières artificielles et ces silhouettes de bâtiments tiennent peu de place, au fond, dans le paysage. Ce que l’on voit surtout, un dimanche après-midi de novembre, depuis l’un des pontons où clapotent des vagues, c’est l’étendue gris moiré des eaux et son pendant céleste, d’une teinte presque identique. Les couleurs ont comme disparu du monde, et ce ne sont pas les rares mouettes qui y changent grand-chose. Tout cela pourrait être un film en noir et blanc visionné après des décennies par des spectateurs que l’époque intéresse. Le temps n’a plus de repères sûrs, plus de bornes. Et l’espace non plus. Car cette masse continentale qu’on sent présente tout alentour sur des centaines de kilomètres, derrière collines, plaines et montagnes (des savants de l’Académie grand-ducale ont un jour avancé que le village d’Ordèt, à une heure de voiture d’ici, était en Europe le point le plus éloigné de toute mer, un calcul vigoureusement contesté par la Société internationale de géographie, ce qui n’a pas empêché Ordèt d’afficher sur des pancartes à l’entrée de ses trois rues : « Ordèt, capitale du chou farci et cœur géométrique de l’Europe »), cette masse, on ne peut que l’imaginer grise elle aussi, uniforme, et infranchissable par son uniformité même.
Quelques pas en direction de l’embarcadère ne dissipent pas cette impression. Deux ou trois passagers, très en avance, au vu des horaires placardés sous l’auvent, attendent le prochain bateau desservant les arrêts
Landvil Vieux Quartier
Landvil Plaisance
Pont de la Marène
Éponne place de la Paix
Éponne Château
Les Sablons
Zone d’activité du Bornu.
L’unique lampe ne parvient pas à réveiller les rouges et les bleus de ce panneau indicateur, ni les timides fantaisies chromiques des bonnets, des écharpes. Quand le bateau, gris clair sur gris moiré, finit par s’approcher dans un lent pot-pot-pot qui semble en amortir l’accostage autant que ses bouées latérales, l’employé sauté à terre pour tirer la passerelle jette : « Vers le Bornu ? » d’un ton las et sceptique, sous lequel on entend : « Montez si ça vous chante. Mais vous savez, là ou ici, c’est un peu la même chose. »

Donc la ville gisait, comme un gros chat au creux d’un pouf, adonnée à des voluptés casanières, presque sans un mouvement. On aurait pourtant tort de s’y fier. Mouvement et changement paraissent suspendus dans le grand-duché d’Éponne, encore plus un jour comme celui-ci, un dimanche de novembre où l’humidité de montagnes invisibles vient se rabattre sur les basses terres, s’y enliser en brume. Tout ici s’emploie à bannir l’idée de changement, de mouvement : les fortunes stables, les clochers à bulbe restés intacts depuis le Moyen Âge, les guerres et invasions régulièrement évitées, et une continuité dynastique presque record. Avoir toujours été en marge de l’Histoire, tel est le mythe national le plus cher au cœur des Éponnois. Mais, en fait de marge, on se trouve au contraire sur une plaque tournante où se jouent, de cette Histoire, bien des réorientations. Ils l’ignorent peut-être, ceux qui travaillent dans les usines textiles de l’Est asiatique, au fond des mines de l’Afrique, sur les chantiers de défrichage amazonien, mais l’heure sonnant au beffroi de la mairie de Landvil, grâce à un mécanisme classé parmi les plus anciens du monde, sonne également pour eux. Cinq messieurs dégustant l’eau-de-vie d’abricot locale dans un des restaurants discrets et chers de la place de la Paix, c’est un renversement d’alliance, c’est une fusion-acquisition, c’est la flambée d’une guérilla séparatiste à l’autre bout de la terre, flambée à laquelle personne, mais alors personne ne s’attendait.
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Chaque rue semble une impasse. Chaque immeuble semble le dernier de la rue. A la vue du petit escalier suspendu qui relie le trottoir à une porte d'entrée, au -dessus d'un demi-sous-sol plongé dans l'ombre, on ne pense plus à une demeure habitée par des hommes. On pense à un débarcadère, on se croit un instant dans un tableau d'Escher où, croyant monter toujours, on serait finalement arrivé au plus bas, aux rives du lac d'Eponne.
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Dernière quinzaine de décembre en grand-duché d’Éponne : tout plonge peu à peu dans une stase morose. Un froid humide s’installe, la longueur des nuits devient sensible à l’être le plus accaparé par son travail ou par sa vie, c’est l’entrée pour de bon dans le tunnel de l’hiver, lequel ne compte aucune issue de secours, aucun puits de lumière. Qu’elles paraissent loin, la Fête de la dynastie et ses frasques orgiastiques !
Les Éponnois partagent avec les Américains ce rythme syncopé où les plus grandes festivités de l’année ont lieu avant la fin d’année elle-même, faisant de Noël et de la Saint-Sylvestre une affaire incertaine, qu’on ne sait jamais trop de quelle façon prendre. Tels un premier et un second bis offerts par un virtuose alors qu’une partie du public, fatiguée, a déjà rejoint les vestiaires, voire les parkings souterrains.
Certains tentent vaillamment de contrer cette torpeur. Des directrices d’école se démènent pour muer leur établissement en palais des couleurs, en arche de Noé de la joie, d’où fusent, sur les sombres flots alentour, des chœurs d’enfants gavés de pain d’épice et de pâte d’amande. Des galeristes mettent en vitrine leurs œuvres les plus dérangeantes, les plus controversées, conscients que les passants leur sauront gré de les avoir réveillés, fût-ce en les scandalisant. Et dans les entreprises, les administrations, c’est l’heure des pots de Noël anticipés, où chacun se rend les pieds lourds et fait pourtant en sorte de sourire, car il le faut : il faut célébrer une clôture d’exercice dans la confiance et l’enjouement, il serait mal vu de laisser paraître qu’on en a marre, tout simplement, et qu’on aspire à ces quelques jours de congé autant que le sage antique aspirait à la mort.
Ce n’est pas très gai, non. Tout renaîtra lentement de ses cendres, la douceur des aurores et les mouvements de la sève dans les troncs dénudés, mais on l’oublierait presque, alors que les premières neiges ne sont même pas encore tombées. On attend. On regarnit la théière d’eau bouillante, on enfourne un rôti, on se fait couler un bain, on recherche tout ce qui est chaud ou du moins tiède. Et avec un pragmatisme résigné, on profite de cette marée d’ennui pour écouler en douce les tâches les plus ennuyeuses de l’année, comme des riverains indélicats profitent de la présence d’une benne de chantier pour se débarrasser de leurs plâtras et de leurs meubles décatis.
p. 191-192
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Vidéo de Diane Meur
Diane Meur vous présente son ouvrage "Sous le ciel des hommes" aux éditions Sabine Wespieser. Rentrée littéraire automne 2020.
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