Le
voyage au pays de la quatrième dimension date de plus d'un siècle. Il a fait l'objet d'une nouvelle édition de
Flatland Editeur, en référence à l'ouvrage éponyme d'
Edwin A. Abbott qui imaginait la manière dont seraient racontées les aventures de personnages vivant dans un monde à deux dimensions. Avec Gaston de Pawlowski, nous sommes cette fois invités à voyager non dans le temps mais dans la quatrième dimension, qui rend vaine toute notion d'espace-temps. Les aventures qui surviennent dans ce cadre sont essentiellement conceptuelles. Détachées les unes des autres, car elles surviennent toutes avant de mourir d'incompatibilité avec la vie de la troisième dimension qui persiste, elles peuvent se lire indépendamment à partir du chapitre du Léviathan. Les chapitres précédents constituent en effet une forme de justification de la manière dont l'introduction de l'idée de la quatrième dimension donnera forme aux spéculations délicieuses qui suivront. Ainsi, pour la première fois peut-être de ma vie, j'ai réussi à suivre entièrement l'intrigue d'un roman de science-fiction.
La quatrième dimension, selon
Gaston de Pawlowski, ne saurait être considérée « comme une quatrième mesure ajoutée aux trois autres, mais plutôt comme une façon platonicienne d'entendre l'univers, sans qu'il soit besoin pour cela de se brouiller avec
Aristote, comme une méthode d'évasion permettant de comprendre les choses sous leur aspect éternel et immuable et de se libérer du mouvement en quantité pour ne plus atteindre que la seule qualité des faits ». Elle devient ainsi le prétexte servant à décrire la tendance des collectivités humaines à se fondre dans l'indifférenciation totalitaire, au lieu que l'homme cherche individuellement à tendre vers cette idée d'une transcendance qui lui parviendrait comme reflet de la quatrième dimension. Que ferait l'homme s'il parvenait à instrumentaliser dans le monde de la troisième dimension les caractéristiques propres à la quatrième dimension ?
Gaston de Pawlowski s'en amuse. L'homme, évidemment, ne saurait jamais faire un usage rationnel des moyens exceptionnels qui lui seraient accordés à cette occasion. Il en ferait des usages comiques – car Pawlowski ne semble pas foncièrement pessimiste mais plutôt adepte de la modération : ni idéaliste forcené du progrès, ni idéaliste en sens inverse de l'effondrement humain, il serait plus proche de
Lacan disant que l'homme n'a jamais rien réussi, pas même à se détruire. Croyant accéder quelques fois à l'immortalité des dieux, à l'ubiquité ou à la pleine jouissance sensorielle, l'homme finit par se rétamer et à réintégrer sa condition originelle avec un peu plus de modestie qu'à l'origine. Les aventures de la quatrième dimension sont donc salutaires pour tout idéaliste matérialiste, ou pour tout matérialiste idéaliste, pour tout homme en somme ignorant que le corps et l'esprit, ou la chair et l'imaginaire, vont de pair, et qui croirait sérieusement que l'intelligence artificielle ou les instruments du transhumanisme pourraient prochainement offrir à l'humanité de sérieuses perspectives de progrès. Oui, ces aventures sont jubilatoires au plus haut point.
L'édition du texte proposée par le
Flatland Editeur est plus complète que la version libre d'accès qu'il est possible de trouver sur Internet. Elle s'accompagne d'une préface substantielle de l'auteur et de textes d'écrivains qui en furent proches et qui s'inspirèrent du Voyage dans la quatrième dimension pour imaginer d'autres aventures comico-spirituelles. le texte est accompagné des illustrations de Léonard Sarluis (et de la critique impitoyable émise à son égard par
Gus Bofa, dans les appendices).
Voici un livre de science-fiction comme je les aime, présentant la science comme pure fiction, rappelant la fiction comme condition et épreuve de notre réalité et visionnaire quant aux aspects de notre quotidien que nous sommes trop impatients, ou trop nostalgiques, pour voir tels qu'ils existent dans leur plus simple forme.