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Sylvie Cohen (Traducteur)
EAN : 9782757806203
214 pages
Points (18/10/2007)
3.53/5   29 notes
Résumé :
Katerina, simple paysanne chrétienne, retourne dans son village natal d'Ukraine soixante ans après son départ. Elle se remémore sa jeunesse, dans les années précédant la Seconde Guerre mondiale, du temps où elle servait chez des juifs. C'est là qu'elle s'ouvrit au monde, cruel et magnifique, et découvrit la chaleur d'un foyer.
Appelfeld campe un personnage qui a assisté, impuissant, à l'horreur de la Shoah.
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique

Aharon Appelfeld, mort l'année dernière, a été plus qu'un écrivain, il a été une conscience et une référence, comparable à ses compatriotes Amos Oz, David Grossman, Avraham Yehoshua, Yehuda Amichaï, Meir et Zeruya Shalev.... Tous des grands noms. En revanche, je n'ai pas accroché aux livres du Nobel israélien 1966, Shmuel Yosef Agnon (1888-1970), même pas à son "La dot des fiancées" ce que je regrette. À quand le prochain Nobel littérature pour un artiste d'Israël ? Ils en ont eu 3 pour la Paix et 6 pour la chimie, mais en littérature qu'Agnon.

Appelfeld est décédé à Petah Tikva, au nord-est de Tel Aviv, le 4 janvier 2018, soit une semaine après le décès, au même endroit d'ailleurs, de l'écrivaine Ronit Matalon, le 28 décembre 2017, à l'âge de seulement 58 ans. de cette dame, j'ai fait un billet cet été de son ouvrage "De face sur la photo" (le 25/07).

Le chemin parcouru par ce grand écrivain a heureusement été nettement plus long. En fait ce chiffre renversé, ou 85 ans depuis sa naissance, le 16 février 1932, à Jadova, près de l'actuelle Czernowitz en Ukraine, mais à sa naissance Cernāuți en Roumanie. Sa très belle "Histoire d'une vie", qui a été récompensée à fort juste titre du Prix Médicis étranger en 2004, donne un aperçu fascinant de cette existence. de lui j'ai aussi particulièrement apprécié "Tsili" de 1982 et "L'immortel Bartfuss" de 1988. Malgré une vie mouvementée, cet artiste a réussi à publier 37 ouvrages et je suis content qu'il m'en reste encore quelques-uns à lire.

La Katerina du titre n'est pas très jeune non plus. Elle fêtera prochainement ses 80 ans. Au début du récit, nous la retrouvons en train de méditer le long de la rivière Prout, un affluent du Danube qui forme sur plus de 700 kilomètres la frontière entre la Moldavie et la Roumanie. Elle pense qu'à cet endroit isolé, d'où elle est partie en 1929, c-à-d 63 ans avant, "tout est pareil, sauf les hommes qui ne sont plus". Elle avait effacé cet endroit de sa mémoire, "mais l'homme n'est pas maître de ses souvenirs".

Question parents, la pauvre Katerina n'a pas été gâtée du tout : un père volage, alcoolique et brutal et une mère violente qui la battait furieusement pour des peccadilles. À 16 ans, "la gamine" comme on l'appelait, allait faire la plonge dans un resto la nuit près de la gare. Elle serait volontiers partie, mais quelqu'un sans domicile " est comme un chien errant que tout le monde maltraite". Un an après, elle est enceinte et comme le jeune n'a pas de sous pour la marier, Katerina décide de déposer son bébé, qu'elle a prénommé Angela, comme Moïse, dans un couffin aux bons soins des soeurs du couvent de Moldovița, au nord-est de Cluj en Roumanie.

Pendant tout un temps, elle fait le ménage du couple de petits commerçants juifs, Rosa et Benjamin qui sont tous les 2 brutalement tués par des antisémites ruthéniens.
Dans les années 1920 en Bucovine, une région historique située moitié-moitié en Ukraine et Roumanie, l'antisémitisme était notoire et à la campagne, quasi généralisé. Un vieux paysan, à l'allure pourtant raisonnable, donne à Katerina le conseil de ne pas travailler pour les Juifs, qui "salissent tout. Même nos filles... Les Juifs nous corrompent l'âme". Un conseil qui résume parfaitement les vues de l'endroit et de l'époque.

Notre héroïne est d'un tout autre avis et est fière lorsqu'on la félicite pour la qualité de son Yiddish. Elle connaît une nouvelle période de bonheur en travaillant pour la pianiste juive Henni Trauer qui fait le tour des opéras et avec qui elle s'entend à merveille. Mais nouvelle tragédie : la pianiste se suicide et Katerina, de nouveau triste et seule commence à fréquenter les tavernes et à picoler.

Dans cet état, elle rencontre Sammy, un Juif aimable, mais plus âgé qu'elle et qui boit trop de vodka. Neuf mois plus tard, elle accouche d'un fils qu'elle baptise Benjamin. Cette naissance signifie aussi "la fin d'une liaison" comme aurait dit Graham Greene.

Pour Katerina son petit Benjamin est son dieu. Bien qu'en vadrouille forcée, elle fait absolument tout pour son bébé, y compris lui apprendre le Yiddish. Elle rêve d'élever son fils dans un lieu tranquille et salubre, "loin de la vulgarité et de la violence".

À Pâques l'année après, arrive LE Grand Drame qui la fait atterrir en prison. Ce serait un crime que d'en dire davantage ici de ce passage terrifiant.

Aharon Appelfeld s'est montré dans ce roman une fois de plus le grand évocateur d'une époque et d'une communauté. Comme l'a noté Philip Roth : "Appelfeld est l'auteur dépaysé d'une littérature elle-même dépaysée, et il a fait de cette désorientation un sujet qui n'appartient qu'à lui."
Son portrait de Katerina est saisissant et vous prend parfois à la gorge.
C'est finalement aussi un ouvrage riche en courtes phrases mémorables, qui est bien entendu une des grandes qualités d'Aharon Appelfeld.
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Une paysanne rutene revient, a 80 ans, au village qu'elle a quitte a son adolescence. Elle avait fui la maltraitance de son pere, elle n'en pouvait plus. Errant affamee dans une petite ville, une juive lui avait propose du travail. Servir chez des juifs? Chez ces corbeaux noirs de malheur qui sautillent cocassement sur leurs maigres jambes? Chez ces etres craintifs qui paradoxalement font peur? Qu'on meprise? Qu'on hait et pour de bonnes raisons? Il faut bien manger!

A la cohabitation, ces juifs se revelent autres, pas peureux, non, mais pas violents pour autant. Moins grossiers que tout ce qu'elle a connu jusque la. A l'apprehension suit une curiosite eveillee, puis une sorte de consideration, de l'appreciation, enfin. Ses employeurs tues dans des pogroms, elle continuera, toute sa vie, a rester pres de juifs, les servant, les admirant. Elle vivra en couple avec l'un d'eux, qui lui donnera un fils. Elle apprendra leur langue, le yiddish; leurs coutumes; elle fetera leurs fetes, apprendra leurs prieres, tout en restant chretienne. C'est dire qu'elle sera elle aussi incomprise, meprisee, haie.

A 80 ans, revenue dans son village, dans la maison, desormais delabree, de ses ancetres, elle est sereine. Elle a note sur un carnet tous ses souvenirs. Et ces notes, ces memoires, elle les cherit: c'est tout ce qui reste des juifs. Parce que, la deuxieme guerre mondiale passee, elle sait qu'il n'y a plus de juifs sur terre. Plus aucun. Son carnet est leur memorial. Elle y a note toutes leurs coutumes, leurs differents styles de vie, selon qu'ils etaient croyants orthodoxes ou libres penseurs. Son carnet est tout ce qui subsiste d'eux. de ces hommes, femmes et enfants qu'elle a appris a aimer. Son carnet consigne et celebre une facon de vivre qui a disparu avec les juifs. L'existence de son carnet lui procure de la serenite. Elle pourra, elle au moins, mourir en paix.

Appelfeld est percu par certains comme un ecrivain de la shoa, de l'holocauste des juifs. Il s'en defendait et je crois qu'avec raison. Il n'ecrit pas sur la shoa ( sauf dans ses memoires, ce qui va de soi) mais sur la vie des juifs avant et apres la shoa. Ici c'est sur cette vie telle qu'elle est percue par une paysanne rutene de bonne volonte.
Le devoir de memoire selon Appelfeld ne doit pas etre centre sur Auschwitz mais sur la vie des juifs avant ce cataclysme. Nous devons nous rappeler comment vivaient ces gens, comment ils gagnaient leur pain, en quoi ils depensaient leur argent, ce qu'ils pensaient, leurs dissensions internes, leurs combats extrinseques; leur fortitude et leurs faiblesses; leur energie et leur inertie; leur vertu et leurs manquements; leurs qualites et leurs defauts. La vie. Des juifs. La vie juive. Si differente a Vienne ou dans un shtetl d'Ukraine. Mais toujours en fait profondement juive. Ce monde qui n'est plus. Rappeler ce monde, ecrire, romancer ce monde, ces vies, est le devoir de memoire d'Appelfeld. Il s'en acquitte incomparablement. En fin de livre Katerina dit (je cite de memoire): "Quel dommage qu'il ne soit pas permis aux morts de parler; ils ont des choses a raconter, j'en suis sure". En fait les morts arrivent certaines fois a parler; ils ont surement dicte a Appelfeld ce livre.

Appelfeld est un ecrivain pudique, discret. Il n'a pas son pareil pour emouvoir, sans s'appesantir sur des atrocites. Il peut faire affleurer des larmes aux yeux des plus endurcis. Sans qu'ils comprennent toujours comment, ni pourquoi. C'est un virtuose. Virtuose vient de vertu? Peut-etre. Surement. Appelfeld est un ecrivain vertueux.

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Aharon Appelfeld avec Katerina nous plonge dans les ténèbres et l' obscurantisme.
Par son évocation de cette campagne ruthene où la vie des paysans est dure, les enfants n'ont pas de valeur. Katerina est l'une de ces paysannes qui souffre d'absence d'amour, battue par sa mère, rejeté part son père. Elle part à la conquête du monde en devenant servante chez des juifs.
Aharon Appelfeld nous décrit très bien ces deux populations qui se côtoient sans se lier.
Les juifs sont tout d'abord des gens dont il faut se méfier, puis un crescendo se crée. Les fréquenter corrompt l'âme, le point de non retour est atteint quand une paysanne pourra dire:
"Il n'y a aucune raison de déguiser notre haine"
Puis viendra ce temps lugubre de l'humanité où l'on se réjouira de les voir emmener dans des trains vers les camps de la mort
"Ils brûlent enfin, les meurtriers de Notre-Seigneur
L'odeur des crématoires est plus douce à nos narines que le parfum le plus suave"
Chanteront les prisonnières de la prison où est enfermée notre Katerina.
Sa vie aussi à dérapé, elle a tué un homme et l'a dépecé en morceaux.
Katerina est cependant le personnage lumineux du roman, les juifs lui ont toujours fait du bien, elle ne comprend pas la haine des Rutheniens. Elle a travaillé comme servante chez des juifs, elle en a appris les coutumes, leurs fêtes et cela l'a toujours porté et console ses vieux jours en pensant à ses chers disparus.

Bouleversant petit roman, Appelfeld ne juge pas, il décrit et constate toute cette haine. Ses mots sont forts et nous plonge dans le fonds noir de l'humanité.

Un bel hommage qu'il rend à notre mémoire collective et incite à réfléchir sans cesse à la compréhension des actes des hommes si douloureux et abominables soient ils.




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Katerina une paysanne ruthène revient dans son village soixante après l'avoir quitté dans l'entre deux guerres et après avoir passé quarante ans en prison. Elle se remémore sa vie : domestique dans différentes familles juives d'Europe centrale, elle est marquée par leur mode de vie, leur culture. Grâce à elles, elle s'ouvre au monde. Quand elle revient, la Shoah a eu lieu, tous les Juifs sont morts, la culture juive d'Europe centrale a disparu. Elle en est elle, Katerina, non juive, la mémoire, la seule dépositaire.
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l'anti-héros devenue héroïne de par ses prises de décision, qui regarde passer la vie et veut aussi y participer
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
" Tant que la fenêtre est ouverte et que je reste éveillée, je ne crains pas la solitude. Dommage que les morts n'aient pas droit à la parole. Je suis certaine qu'ils auraient beaucoup à dire. "

(page 215).
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Au petit matin, j'écarte les lourdes tentures qui masquent les années pour les examiner à loisir, en silence, face à face, comme disent les Écritures.
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Je m'appelle Katerina et je vais sur mes quatre-vingt ans. Après Pâques, je suis retournée vivre dans la ferme familiale, une petite bâtisse à moitié en ruine - seule subsiste la cabane où j'habite, dont l'unique fenêtre, largement ouverte, donne sur le monde.
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D'âcres odeurs s'élevaient dans l'air. J'ignorais que c'était celle de la mort. Tout le monde était au courant de l'agonie des juifs mais je refusais d'y croire.
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Videos de Aharon Appelfeld (13) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Aharon Appelfeld
Dans Qui-vive, la narratrice, Mathilde, semble perdre pied dans un monde toujours plus violent et indéchiffrable. Perdant le sommeil, puis le sens du toucher, elle s'arrime à des bribes de lumière des feuillets retrouvés à la mort de son grand-père, une vidéo de Leonard Cohen à Jérusalem, les réflexions douces-amères de sa fille adolescente et décide subitement de partir en Israël pour tenter de rencontrer ce qui la hante. de Tel-Aviv à Capharnaüm puis à Jérusalem, ses rencontres avec des inconnus ne font qu'approfondir le mystère. Trajectoire d'une femme qui cherche à retrouver la foi, ce roman initiatique interroge avec délicatesse le sens d'une vie au sein d'un monde plongé dans le chaos.
À l'occasion de ce grand entretien, l'autrice reviendra sur son oeuvre d'écrivaine où l'enfance et la guerre tiennent une place particulière, ainsi que sur son travail de traductrice.
Valérie Zenatti est l'autrice d'une oeuvre adulte et jeunesse prolifique. Elle reçoit en 2015 le prix du Livre Inter pour son quatrième roman, Jacob, Jacob (L'Olivier, 2014), et le prix France Télévisions pour son essai Dans le faisceau des vivants (L'Olivier, 2019). Son premier roman adulte, En retard pour la guerre (L'Olivier, 2006) est adapté au cinéma par Alain Tasma et réédité en 2021. Elle est également la traductrice en France d'Aharon Appelfeld, décédé en 2018, dont elle a traduit plus d'une dizaine de livres.
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