Le personnage de Strepsiade rappelle celui du Bourgeois gentilhomme de
Molière. S'émerveillant outre-mesure de connaissances futiles mais ne comprenant vraiment rien au-delà de ce qui se rapporte à l'argent et à lui, il est facilement la dupe des enseignements de l'école sophiste. En bon avare, il est prêt à se déshabiller, à perdre son honneur et même à se pendre pour ne pas perdre d'argent ! Il ne connaît que le pouvoir de l'argent : pour ne pas payer à quelqu'un ce qu'il lui doit, il cherche des stratagèmes pour lesquels il est prêt… à dépenser tout son argent ! La seconde partie fait davantage penser à la farce de Maître Mimin étudiant, dans laquelle une certaine éducation (le latin en place de la
rhétorique sophiste), que voulaient les parents pour élever leur enfant à la fierté ou à la richesse, a pour effet de déformer leur enfant, de l'éloigner de leurs valeurs et même de les retourner contre eux.
Aristophane fait de l'enseignement des sophistes (représentés ici par Socrate), une caricature symbolisée par l'usage abusif du raisonnement injuste : c'est-à-dire un discours volontairement paradoxal qui piétine tout acquis, toute valeur et toute tradition, uniquement dans le but de faire triompher ses intérêts.
Chez
Platon, on trouve une critique claire de la sophistique et de la vénalité de ses maîtres, dans la bouche même de Socrate. Ainsi, la charge d'
Aristophane peut paraître déplacée et injuste, reflet d'une animosité toute personnelle, en comparaison de la figure quasi christique que
Platon a imposée dans l'histoire. Cela dit, même dans les dialogues de
Platon, Socrate use clairement de techniques propres à la
rhétorique sophiste, paradoxes relavant parfois davantage de l'adresse verbale que de la logique, pour pousser ses interlocuteurs à la contradiction, aboutissant parfois à des positions critiquables (en tout cas souvent inachevées donc pas tellement plus satisfaisantes que celles initiales) ou contraires aux moeurs de son temps (ce pourquoi il a été accusé). Il tend ainsi parfois à substituer aux divinités Grecques et aux valeurs qui leur sont attribuées les siennes propres (le daimon, la vérité, les idées…). En tout cas, il bouscule l'édifice de la culture grecque sans y substituer une morale claire (c'est la perversion de la jeunesse qui lui fut reprochée à son procès). de plus, il propose bien son enseignement à certains riches et fils de familles riches (qu'il n'hésite pas à tourner en dérision au cours du débat) : ne retirait-il pas d'eux certains avantages en nature - invitations, faveurs amicales... - comme ici où Strepsiade ne paye pas en argent mais se dépouille progressivement de ses vêtements ?
La critique adressée aux Sophistes n'est-elle pas extensible à la philosophie toute entière ? La philosophie sous toutes ses formes, de
Platon à
Aristote,
Descartes,
Nietzsche, Deleuze… n'est-elle pas avant tout un art de triompher dans le discours ? D'imposer son discours et donc ses vues ? le prétexte de la vérité recherchée au-delà de la morale, au-delà de la vie sociale ordinaire, n'est-elle pas souvent un moyen pour les puissants, pour une élite, de s'affranchir de la morale, de mépriser les lois ordinaires, de se situer au dessus de la mêlée, de se distinguer du commun (comme le dirait Bourdieu) et de finalement faire triompher ses intérêts ? Les vérités découvertes depuis des siècles par les philosophes servent-elles vraiment à l'amélioration de la condition humaine ou ont-elles simplement contribué à relativiser et détruire une morale certes critiquable mais pour la remplacer par une bien pire ?…
Platon ne semble pas avoir tenu rigueur de l'attaque et figure
Aristophane dans le Banquet (quelques cinq ans après sa mort), plaçant dans sa bouche un mythe
poétique tout à fait agréable qui n'est pas explicitement contré par le maître Socrate (Peut-on seulement contrer le discours
poétique et mythique par le raisonnement logique ?). Cependant, dans La République,
Platon chassera les poètes et comédiens (les dramaturges étaient également appelés poètes tout comme les aèdes) de sa cité idéale, principalement parce qu'ils diffusent le faux par leur jeu et par leur poésie...
La critique d'
Aristophane s'adresse autant à ce riche athénien qui par avarice va jusqu'à prôner des actions contraires à toute morale (chantage, menaces...), qu'à une certaine éducation qui sous couvert de remise en question, de recherche absolue de vérité, déresponsabilise et détourne des priorités (rembourser ses dettes, respecter son père…), favorise finalement l'astuce, le beau discours, la flatterie… On est déjà dans cette fameuse éducation à la morale des affaires économiques que dénonce Raoul Vaneighem comme une antimorale (cf. Avertissement aux lycéens). Strepsiade, lui l'homme économique par essence, est expert dans l'art de ne pas respecter les règles basiques de l'échange économique (payer ce qu'on a acheté) et empêche donc le bon fonctionnement de la société marchande qu'il revendique (ou plutôt qu'il est content de pouvoir gruger). Et ce sont ces pratiques qu'encourage ou que permet la sophistique – qui vend ses services comme les conseillers en placement vendent les leurs – sans égard pour la morale. On en vient à être fier d'être un filou débrouillard, on en arrive au final à la loi du plus fort. le parallèle serait facile avec les nombreux riches entrepreneurs qui défendent le libéralisme le plus sauvage pour mieux pouvoir profiter de leur pouvoir de corruption.
Les nuées ne seraient-elles pas pour
Aristophane, ces nouvelles divinités protectrices des charlatans et des enfumeurs ?