L'ancien conseiller de Mitterrand, ex président de la BERD (Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement), conseiller d'État, actuel président et/ou fondateur de différentes sociétés internationales de conseil et d'investissement financier... et connu pour dégainer des livres plus vite que son ombre, s'est cette fois-ci pris d'une passion tardive mais néanmoins dévorante pour Marx, en qui il a découvert le grand théoricien de la mondialisation capitaliste et un champion du libéralisme. Marx, dernière recrue en date des chercheurs de têtes de la grande bourgeoisie. À croire que la finance mondiale est à court de théoriciens.
Qu'est-ce qu'
Attali a trouvé dans le
manifeste du parti communiste ? « ... les plus belles pages à jamais publiées à la gloire de la bourgeoisie (...) le plus bel éloge prophétique de la mondialisation à venir » (p. 142). Dans la Contribution à la critique du l'économie politique (1859) ? « ...une nouvelle ode au capitalisme » (p. 242). La dévotion marxiste de la star française de la mondialisation financière atteint son paroxysme à la page 403 : « ... que de points communs entre la théorie de la sélection naturelle... la théorie de la lutte des classes et l'autre grande théorie du XIX° siècle, celle de la thermodynamique.... toutes trois parlent d'un temps qui s'écoule irréversiblement : vers le désordre, dit Carnot ; vers la liberté, dit Marx ; vers le mieux adapté, dit Darwin. S'adapter aux désordres de la liberté : tel est ce qui réunit Carnot, Marx, Darwin, les trois géants du siècle ». S'adapter aux désordres de la liberté ! Pour un peu,
Jacques Attali convertirait Georges Bush au marxisme.
Quant à l'avenir du capitalisme, le nouveau disciple de Marx reste optimiste et se fait même lyrique (pp. 503-504) : « (...) Lorsqu'il aura ainsi épuisé la marchandisation des rapports sociaux et utilisé toutes ses ressources,
le capitalisme, s'il n'a pas détruit l'humanité, pourrait aussi s'ouvrir à un socialisme mondial. Pour le dire autrement, le marché pourrait laisser place à la fraternité... Comme il n'y a pas d'État mondial à prendre, cela ne saurait passer par l'exercice d'un pouvoir à l'échelle planétaire, mais par une transition dans l'esprit du monde - cette « évolution révolutionnaire » si chère à Marx [sic]. (...) Tout homme deviendrait citoyen du monde et le monde serait enfin fait pour l'homme. Il faudrait alors relire
Karl Marx (...) les générations à venir... reviendront alors vers l'esprit du monde et son message principal : l'homme mérite qu'on espère en lui ». On parviendrait ainsi au communisme par l'opération du saint esprit. Marx est « l'esprit du monde » (c'est ainsi qu'
Attali le désigne une dizaine de fois par chapitre), et
Attali son prophète. Ainsi soit-il.
Cela dit, dieu merci (esprit du monde oblige), les 500 pages du livre d'
Attali valent mieux que sa nouvelle religion distillée au fil des pages.
Attali se vante dans les médias de travailler sur 23 livres à la fois et, même s'il dort peu, dit-il, il a dû disposer d'une belle escouade d'assistants pour fouiller dans les archives de Marx. le résultat est là : l'ouvrage, en dépit des remarques incongrues d'
Attali qui décidément ne s'est guère assimilé l'humour ni la dialectique de Marx, est intéressant, précis et d'une grande clarté ! L'un de ses principaux mérites est d'avoir adopté un plan chronologique où les différents ouvrages de Marx sont largement cités et somme toute bien présentés, avec des citations consistantes, parfois peu connues (ne pas manquer par exemple, p. 138, les larges extraits du Discours sur le libre échange du 9 janvier 1848, dont
Attali n'a visiblement compris que la moitié !), avec un luxe de détails sur le contexte historique. Les chapitres consacrés aux années 1848 et à la première internationale, ou au flirt politique de Ferdinand Lassalle avec Bismarck sont très éclairants. À noter également des pages attachantes sur les trois filles de Marx et leurs compagnons communards.