Dans L'Inachevable, nous retrouvons ces mots d'
Yves Bonnefoy :
« Consciente de l'immédiat, soucieuse du plein engagement de la pensée dans la finitude, l'intuition qui est à l'origine de la poésie pourrait, certes, suivre cette voie jusqu'au coeur de l'expérience mystique, qui a ce même souci et le porte aussi loin que possible. Mais quand, pour ce faire, la mystique quitte les mots, elle, la poésie, se retourne vers eux, tout au contraire, et sacrifie son objet profond, ou du moins son espoir d'y vraiment atteindre, afin de préserver le rapport à l'autre, le lieu social. »
Et j'ai l'impression d'avoir l'esprit mal placé lorsque cette parole, gonflée de bons sentiments plus que de sincérité, me semble représenter une tentative vouée à l'échec : on ne force pas la communication avec l'autre en lui déversant de la poésie au visage. Comment prétendre à une communion universelle par les mots en déployant un élitisme de la poésie qui porte avec lui tout le mépris et le dédain dont est capable la violence symbolique ? Je suis peut-être seulement un peu rapace et envieuse, dégoûtée d'être restée sur le carreau alors qu'on m'appâtait avec des promesses de rencontres exaltées dans l'instant, de moments qui frôlent l'absolu grâce à la communion consciente de l'acte et du mot.
Yves Bonnefoy répudie la mystique qui se perd dans le silence et revendique la poésie, envisagée comme le mode de communication par excellence. Et pourtant, les essais regroupés dans ce livre ne parlent pas des hommes en général mais d'une catégorie d'hommes en particulier, ceux qui existent seulement dans leur rapport avec la création artistique. Les autres n'existent pas. C'est glaçant.
Je veux bien qu'
Yves Bonnefoy soit un bon poète et théoricien de la poésie. Il écrit de très belles choses à ce sujet et s'interroge sur les mystères de la création artistique. « Pourquoi des lignes sont-elles belles ? Pourquoi la vue d'une pierre apaise-t-elle le coeur ? A peine si le concept parvient à formuler ces questions qui sont les plus importantes. Il n'y a jamais répondu ». Malgré tout, il me semble faire fausse route et presque chaque page traduit l'anxiété d'un poète qui a conscience, sans vouloir se l'avouer, que le défrichage de la poésie en vue d'en révéler un grain de blé qui nourrisse réellement son homme est vain. Mais voilà, maintenant qu'il a construit sa vie autour de la poésie, et puisqu'il l'aime inconditionnellement, il n'ose pas le reconnaître et hurle au concret à chaque fois qu'il désigne la plus inexistante de ses dernières abstractions philosophiques.
« Telle est la pierre. Je ne puis me pencher sur elle sans la reconnaître insondable, et cet abîme de plénitude, cette nuit que recouvre une lumière éternelle, c'est pour moi le réel exemplairement. »
René Daumal lui répond : « une de ses dernières trouvailles, ce fut de décrire « le contenu vécu » de ses opérations mentales ; un de ces jours, je l'en préviens, il s'apercevra que ce n'est pas le contenu mais le contenant qui vit, qui fabrique le contenu comme dans un moule ». Et moi je m'en vais, déçue de cette rencontre qui n'a pas eu lieu. Et pour une fois, je ne m'en veux même pas.