Antoine Choplin imagine à
Ceija Stojka (artiste rom autrichienne, rescapée des camps nazis dans lesquels elle a vécu de 10 à 12 ans) une amie qui s'adresse à elle, l'interpelle, à distance, presque télépathiquement, à travers une foule de badauds visitant une exposition guidée de ses oeuvres.
Elle l'interroge sur ses oeuvres, sur l'origine de cette peinture si puissante et maîtrisée alors même qu'elle n'a aucune formation et qu'elle commence à peindre autour de 60 ans. C'est l'occasion de décrire certains de ces tableaux (qui sont joints en illustration), d'en expliquer certains détails (sa signature toujours accompagnée d'une branche – dont elle s'est nourrie à Bergen-Belsen et dont elle dit qu'elle lui a sauvé la vie ; notamment mentionné dans le catalogue d'exposition «
Ceija Stojka, une artiste rom dans le siècle), de leur donner vie sous forme de souvenirs, tirés en fait en général des témoignages qu'elle a laissés, tels que « Je rêve que je vis ? Libérée de Bergen-Belsen » ou «
Nous vivons cachés », de balayer les étapes de sa vie : avec sa famille, la traque des Tsiganes dans les années 1940, les camps de la mort, la Libération, ses enfants, la musique, la peinture – pas tellement la poésie, dommage (voir un recueil publié en France en 2018 aux Editions
Bruno Doucey «
Auschwitz est mon manteau et autres chants tsiganes »).
Les thèmes ne sont pas abordés de façon chronologique mais s'enchaînent de manière fluide.
Le ton n'est pas uniformément grave mais se fait régulièrement souriant, majoritairement humble selon moi, sans lyrisme ni pathos exacerbé.
On se sent témoin privilégié d'un échange intime, comme une petite souris indiscrète, tour à tour émue, affligée, horrifiée, admirative face à ce parcours de vie hors norme.
J'ai eu la chance de voir et d'entendre ce texte joué par Juliette Savioz, seule en scène, sous la direction de
Dominique Lurcel, metteur en scène lyonnais spécialiste de sujets graves, fondateur de la compagnie dont le nom décrit bien ses objectifs « passeurs de mémoires ». Ils ont su donné corps à ce texte de façon très juste, m'a-t-il semblé, et rendre vivante et présente cette artiste continuellement convoquée. Un complément très riche à ce texte.