Mahmoud Darwich (1941-2008) a été l'un des plus grands poètes arabes. Chantre de l'identité et de la culture palestiniennes, il a passé une grande partie de sa vie en exil. Outre son activité littéraire, il a été membre de l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP), dont il a démissionné en 1993 pour protester contre les accords d'Oslo. Il a écrit "La trace du papillon", comme une sorte de journal qu'il a tenu en 2006-2007. Je ne crois pas que ce livre fasse partie de ses chefs d'oeuvre. On y trouve de la prose et de la poésie, un peu en vrac – et, pour dire la vérité, je n'ai pas spécialement accroché. J'ai mis quand même en citation l'un des textes qui m'a touché.
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J'imagine
J'imagine
et il n' y a pas de mal à cela
ni d'illusion;
que, d'un fil de soie, je coupe le fer,
que d'un fil de laine,
je construits les tentes du lointain
et que je leur échappe
et échappe à moi-même
car je suis...comme je suis!
Un seul mot
Murmure du mot dans l'invisible, musique du sens
qui se renouvelle dans un poème si secret que le
lecteur croit en être l'auteur !
Un mot, un seul, qui brille tel un diamant ou un
vers dans la nuit des espèces, change la prose
en poésie !
Un mot courant, dit par un insouciant à un autre
insouciant au souk ou au carrefour, rend possible
le poème !
Une phrase sans mètre ni cadence peut, s'il sait
l'accueillir, aider le poète à maîtriser la cadence et
éclairer pour lui le chemin du sens dans la buée
des mots.
La fillette / le cri
Sur la plage, une fillette. La fillette a des parents, ses parents ont une maison, la maison a une porte et deux fenêtres.
En mer, un bâtiment de guerre joue
à la chasse aux piétons sur la plage:
quatre, cinq, sept personnes
tombent sur le sable mais la fillette en réchappe de justesse.
Une main de brume,
Une main providentielle, l’a secourue. Elle crie: Papa !
Papa ! Lève-toi et rentrons. La mer n’est pas pour nos semblables !
Gisant sur son ombre dans le tourbillon de l’absence,
le père ne répond pas.
Ce mot-là
Un mot lui plut.
Il ouvrit le dictionnaire,
ne l'y trouva pas
ne lui trouva une définition brumeuse...
Mais le mot l'obséda la nuit,
musical, en harmonie
avec un moi énigmatique
Il dit : Il a besoin d'un poète
et d'une métaphore pour verdir et rougir
sur la face des nuits obscures.
Quel est-il ?
Il trouva le sens
et perdit le mot.
Le 07 octobre 2007, le poète palestinien Mahmoud Darwich (en arabe : محمود درويش) lisait son poème “Pour décrire les fleurs d'amandier” au Théâtre de l'Odéon (Odéon - Théâtre de l'Europe). Traduction de l'arabe vers le français : Elias Sanbar. Lecture de la traduction française : Didier Sandre. Peinture : Vincent Van Gogh, “Amandier en fleurs”, 1890. “Pour décrire les fleurs d'amandier” :
Pour décrire les fleurs d'amandier, l'encyclopédie
des fleurs et le dictionnaire
ne me sont d'aucune aide...
Les mots m'emporteront
vers les ficelles de la rhétorique
et la rhétorique blesse le sens
puis flatte sa blessure,
comme le mâle dictant à la femelle ses sentiments.
Comment les fleurs d'amandier
resplendiraient-elles
dans ma langue, moi l'écho ?
Transparentes comme un rire aquatique,
elles perlent de la pudeur de la rosée
sur les branches...
Légères, telle une phrase blanche mélodieuse...
Fragiles, telle une pensée fugace
ouverte sur nos doigts
et que nous consignons pour rien...
Denses, tel un vers
que les lettres ne peuvent transcrire.
Pour décrire les fleurs d'amandier,
j'ai besoin de visites
à l'inconscient qui me guident aux noms
d'un sentiment suspendu aux arbres.
Comment s'appellent-elles ?
Quel est le nom de cette chose
dans la poétique du rien ?
Pour ressentir la légèreté des mots,
j'ai besoin de traverser la pesanteur et les mots
lorsqu'ils deviennent ombre murmurante,
que je deviens eux et que, transparents blancs,
ils deviennent moi.
Ni patrie ni exil que les mots,
mais la passion du blanc
pour la description des fleurs d'amandier.
Ni neige ni coton. Qui sont-elles donc
dans leur dédain des choses et des noms ?
Si quelqu'un parvenait
à une brève description des fleurs d'amandier,
la brume se rétracterait des collines
et un peuple dirait à l'unisson :
Les voici,
les paroles de notre hymne national !
Source : France Culture
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