C'est à une Babelionaute que je dois d'avoir poussé ma curiosité jusqu'à
Tankred Dorst. Cela m'a permis de découvrir un auteur contemporain que j'ignorais et de trouver dans Fernando Krapp M'A Écrit Cette Lettre beaucoup de liens avec d'autres pièces ou oeuvres littéraires très fameuses.
Pour ma part, j'y ai perçu des liens forts avec au moins quatre oeuvres majeures : avec
Pygmalion de
George Bernard Shaw, avec
Othello de
William Shakespeare, avec
Barbe Bleue de
Charles Perrault et avec
Gatsby le Magnifique de
Francis Scott Fitzgerald.
Mais on pourrait aussi très certainement y percevoir des traits communs avec des pièces d'
Anton Tchekhov comme
Platonov et
Ivanov ou des
nouvelles de
Raymond Carver. Je vous avoue encore que le personnage de Julia m'a énormément rappelé à certains moments la
Mademoiselle Else d'
Arthur Schnitzler. J'imagine, enfin, que beaucoup d'autres liens m'auront échappé et ce sera à vous d'aller les trouver, car, à n'en pas douter, ils existent.
Si je vous cite autant d'auteurs et d'oeuvres, c'est qu'à la lecture de cette pièce, j'avais toujours le sentiment d'avoir déjà lu un truc comme ça quelque part, déjà ressenti ce genre d'ambiance ailleurs et puis je basculais dans un autre souvenir, puis un autre et toujours comme ça jusqu'à la fin. Ce n'est pas si fréquent.
C'est à la fois rassurant et dérangeant. Rassurant parce que , consciemment ou inconsciemment, notre cerveau aime bien se retrouver en terrain connu (et non en terre inconnue !). Dérangeant parce que lorsque l'on branche le pilote automatique, on n'aime pas se rendre compte que l'on change imperceptiblement de cap et qu'on nous entraîne vers une destination insoupçonnée.
Eh bien c'est un peu cet effet, qu'à produit sur moi cette pièce de
Tankred Dorst : on part de choses bien établies, d'endroits où l'on a pied pour aller vers des sols inexplorés. Sont-ils mous ? sont-ils friables ? sont-ils brûlants ? Ça c'est à voir sur place, il faut prendre le risque d'oser poser le pied pour se rendre compte.
Ce n'était pas inintéressant. Je n'étais pas très à l'aise, mais ça ne m'a pas déplu ; un peu comme certaines expériences culinaires où l'on sent bien qu'on a quitté notre sol natal et qu'on arrive dans d'autres systèmes de valeurs gustatives.
Bref, ici, nous avons affaire à une belle jeune fille à marier, Julia. C'est une espèce de rebelle qui se targue d'avoir son indépendance, aussi bien dans les actes que dans
les pensées. Son père est sans le sou et même moins que ça, car apparemment, il a même creusé du côté du négatif.
Fernado Krapp, quant à lui est plein aux as. On ne sait pas trop d'où il débarque ni d'où lui vient sa fortune, mais il arrive dans la région avec la ferme intention de s'y installer. Comme il a entendu parler de la réputation de beauté de Julia, ni une ni deux, il la demande en mariage, sans même envisager la possibilité qu'elle puisse lui dire non. Il faut dire, bien évidemment, qu'il a trouvé un petit arrangement avec le papa…
Mélange d'attirance et de répulsion, Julia ne parvient néanmoins pas à résister et finit donc, fatalement, avec la bague au doigt. Ça la surprend elle-même. Il n'y a pas que cela d'ailleurs : tout ce que touche et approche Fernando Krapp a de quoi surprendre. Cependant, des bruits courent désormais sur les origines troubles de son immense fortune. On sait qu'il a déjà été marié à une femme incroyablement riche et que la malheureuse est morte…
Qu'est-ce qui est vrai ? qu'est-ce qui est faux dans ces racontars ? Mais peu importe cela. Fernando n'est jamais là. Il témoigne une confiance aveugle à sa femme qui, pour sa part, fréquente un comte ruiné, apprenti poète. Ont-ils une liaison l'un avec l'autre ? Qu'est-ce qui est vrai ? qu'est-ce qui est faux dans tout ça ? Il y a de quoi en perdre un peu la tête…
Au demeurant, l'auteur donne pour sous-titre à sa pièce : « Essai sur la vérité. » Qu'est-ce qui est de l'ordre de nos représentations ? Qu'est-ce qui est authentiquement véridique ? Qu'est-ce, même, que la vérité ? Qu'est-ce qu'une illusion ? Beaucoup de questions semées à tout vent, telle la semeuse, et que nous devons tâcher de picorer comme des poules goulues, sans être bien certaines de les digérer tout à fait.
Une expérience à tenter, en somme. Mais ce n'est que mon avis de tenthrède à tête raide, c'est-à-dire, très peu de chose.