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Henry Gidel (Éditeur scientifique)
EAN : 9782253048770
216 pages
Le Livre de Poche (01/02/1989)
3.62/5   134 notes
Résumé :
Pontagnac, le " dragueur " malheureux, sera finalement le dindon de la farce. C'est d'ailleurs un brave garçon, qui ne trompe jamais sa femme sans la plaindre. Et qui ne perd jamais la tête : il suit les dames dans la rue, mais s'il pénètre derrière elles dans les pâtisseries, il les attend sagement à la porte des bijouteries. Quant à Vatelin, le mari de Lucienne, il risque de payer fort cher une vieille entorse à la fidélité conjugale, laquelle entorse refait brusq... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (24) Voir plus Ajouter une critique
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Quiproquos à gogo, jeux de mots ou de sonorités, situations rocambolesques, absurdités, grivoiseries... Il faut bien avouer qu'il a pas mal de munitions dans sa cartouchière ce Georges Feydeau.
Et il faut bien avouer également que j'imagine difficilement un lecteur qui ne serait pas pris d'un seul rire (un seul sourire si l'on souhaite rester modeste) à la lecture de ce succulent Dindon.
C'est vraiment drôle, sans se prendre au sérieux, pas de haute philosophie, un théâtre qui se veut volontairement divertissant et sans grand-chose en plus, mais qui, dans ce registre, est vraiment bien fait.
D'un point de vue scénique, c'est presque comparable à une BD de Goscinny, notamment quant aux différents types de comique employés, avec une mise en position privilégiée du spectateur, en sorte de voyeur indiscret, qui en sait toujours un peu plus que chacun des personnages et qui de ce fait, avec un coup d'avance, sent tout le décalage qui existe entre ce que croit le protagoniste et ce qui est effectivement.
Imaginez une écriture qui rappellerait parfois les gauloiseries d'un Maupassant mais qui, prise d'un élan comique inaccoutumé, voudrait se mettre à faire du Molière à la Belle Époque du XIXème finissant. le Dindon est cela.
Les maris adultères du Paris huppé pullulent et sont prêts à sauter sur tout ce qui bouge en étant vaguement féminin, toutes les aventures possibles ou impossibles, tandis que les épouses, courtisées, soudoyées, s'évertuent à rester fidèles, sauf, attention ! SAUF ! si on leur apporte la preuve de l'inconséquence de leur époux, auquel cas, elles se montrent capables d'une frénésie sexuelle réparatrice digne de faire pâlir n'importe quelle érotomane accomplie.
Prudence, donc, avis aux arroseurs, de faire bien attention à ne point se faire arroser, car dans tout cela, qui sera le dindon de la farce ?
C'est ce que je me permets de ne point vous révéler.
Une pièce qui gagne (comme toutes les pièces, me direz-vous, mais ce n'est pas toujours clair) à être vue sur scène plutôt que lue quoiqu'elle constitue un fort agréable moment de lecture que je vous recommande bien volontiers.
Néanmoins, vous avez appris à connaître ma petite ritournelle, qui vous enjoint à ne considérer cet avis que pour ce qu'il est, à savoir, pas grand-chose.
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Critique du Dindon (pièce courte en un acte)
Personnages : Relax, Madame
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(Relax est assis dans le fauteuil du salon, en train de lire. Madame entre discrètement dans son dos et jette un oeil au livre)
Madame (fort) : J'en étais sûre !
Relax (tellement surpris qu'il en tombe du fauteuil) : Qu'est-ce qui te prend ? Tu m'as fait peur.
M : Oh, inutile de faire l'innocent, hein !
R (se relevant) : Mais de quoi diable parles-tu ?
M : Tu te prépares à me tromper !
R : Pardon ?
M (passant à droite de la scène, lui tournant le dos) : Je vois bien ton manège !
R : Mais… mais… tu as bu ou bien ? Je suis là tranquillement en train de lire et tu débarques come une sorcière qui croit que je lui ai volé son balais.
M (se rapprochant de R.) : Suffit ! Tu lisais oui, mais quoi ? Hein ?... Aha ! Tu n'oses pas le dire n'est-ce pas ?
R : Mais pas du tout, c'est « le Dindon » de Feydeau. Tu sais, la pièce de théâtre…
M : Oui, oui… je sais. J'ai regardé « Au théâtre ce soir » moi aussi figure-toi ! Et de quoi est-ce que ça parle, hein ?
R : Eh bien c'est du vaudeville. Une femme de notable se fait poursuivre par un homme qui n'a que l'envie de l'entreprendre plus avant. Il la suit jusque chez elle et…
M : Ah !
R : Quoi « ah ! »
M : Tu vois, ça parles d'adultère ! D'un homme qui souhaite avoir une maîtresse.
R : Eh bien oui, même plusieurs hommes dans ce cas en fait. Cela entraîne des imbroglios et…
M : de mieux en mieux ! (elle se retourne et jette un coussin à la tête de R.)
R : Mais ça va vraiment pas !
M : J'ai tout compris ! Tu es en train de t'inspirer de ce Feydeau pour faire pareil : pour me tromper ! Avoue !
R : (à part) Là je crois que Kafka s'est égaré dans la Quatrième Dimension. (à M.) Mais tu élucubres !
M : Pas du tout ! Feydeau est un expert. (elle agite ses bras en tous sens) Comment faire sa cour élégamment. Comment réserver la chambre dans le bon hôtel. Comment préparer un baratin pour le mari ou pour moi en cas de rencontre fortuite…
R : Alors d'abord, les « amants » potentiel du Dindon sont plutôt de gros maladroits et en plus ils ne sont pas aidés par le destin qui les met dans des situations inextricables.
M :Mff ! Dans ce cas tu apprends tout ce qu'il ne faut pas faire ; ça revient au même.
R : Mais tu es terrible ! Ceci dit c'est vrai qu'ils sont très forts en improvisation.
M : Quand je pense à ce que les pauvres personnages féminins sont obligés de subir.
R : Oh, mais elles savent se défendre. Il y a deux épouses qui n'hésitent pas à appliquer la loi du Talion.
M (se rapprochant) : Quoi ?
R : Eh bien oui ! Dès qu'elles ont la certitude que leurs maris les trompent, elles se donnent à leurs amants (à art) Bon, à un amant potentiel qui se trouve face aux deux en même temps et est bien embarrassé pour choisir.
(Madame s'est encore doucement rapprochée et essaie de s'emparer du livre)
R : Mais qu'est-ce que tu fais maintenant ?
M : Donne-moi ça !
R : Pourquoi ?
M : Donne ! Ça m'intéresse de savoir comment on trompe son mari. (elle lui court après).
R : Tiens donc ! Non, tu ne l'auras pas !
M : Je le veux !
R : Non, je te dis. de toute façon tu serais déçue car Feydeau ne va pas jusqu'au bout. Tout s'arrange bien pour tout le monde et personne ne souffre
M : Bon, et bien dans ce cas tu n'as pas à t'inquiéter. Donne !
R : Non ! Je ne veux pas que ces idées te donnent des idées.
M : Ah ! C'est moins rigolo quand on est le dindon soi-même hein ?
R : Oh et puis zut ! Tiens, prend-le. Tout ce que tu vas attraper, c'est une crise de rire.
M : Merci… (elle se rapproche) Bon. Je me suis peut-être emportée.
R : (à part) Peut-être ? (à M) J'ai peut-être été un peu jaloux aussi.
M : Et si on faisait semblant d'être des amants hein, histoire de mettre un peu de piment. Tu réserves une chambre d'hôtel et…
R : Bonne idée… La même que d'habitude ?
M : Oui, l'aventure d'accord, mais en hôtel trois étoiles pas moins.
R (s'éloignant vers le fond) : J'y vais. Au fait, tu savais que Feydeau et Raimu s'étaient connus ? Marrant, en lisant ça j'ai eu l'impression qu'on avait trouvé assez de terre pour combler un abîme de temps et… (il sort)
M : Bla bla bla ! Je vous jure ! Ce qu'il ne faut pas faire pour le sortir de ses bouquins à celui-là. (elle sort)

Challenge Théâtre 2017-2018
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C'est la première fois que je suis carrément déçue par un Feydeau. Même si on imagine bien que c'est toujours moins drôle de lire les pièces de Feydeau que de les voir mises en scène, on ne s'attend tout de même pas à s'ennuyer, d'autant que le dindon est un des grands succès de l'auteur. Or, l'ennui a bel et bien accompagné la totalité de ma lecture. J'ai ramé pour aller jusqu'au bout. Passer de L'hôtel du libre échange au Dindon, bonjour la douche écossaise !

Je préfère ne pas m'étendre dessus : j'ai trouvé ça poussif, pas très drôle, et - très bizarrement - mal fichu. Les personnages ne sont pas plus intéressants que la structure de la pièce ou les dialogues, sans parler des situations bien trop convenues, qui s'articulent mal. Alors, comme c'est Feydeau, c'est pas complètement raté, mais il me semble qu'on peut attendre beaucoup plus de lui. Je préfère oublier ça très vite. Peut-être tenterai-je un jour de regarder une mise en scène en DVD, mais bon... Je n'y crois guère.


Challenge Théâtre 2018-2019
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Ah ! le vaudeville ! Quiconque me connaît mal préjugera que je le considère un genre mineur parce que je suis laborieux et snob, distancié et grincheux, et que mon tempérament ne saurait s'accorder avec du divertissement… et, certes, ce sera inférer toute autre chose que ce que je suis, car je ne nie évidemment pas qu'il y a dans toute étude une forme de divertissement, bien qu'alors il faille tirer de ce mot un sens particulier et moderne « d'intérêt » et « d'attrait » loin des considérations pascaliennes et classiques qui en général me préoccupent à son endroit, et donc que le divertissement investit le sérieux. Mais surtout, je prétends, moi, qu'il existe des amusements qui se passent de cette forme d'abandon bovin, de cette variété d'oubli, de cette oblitération passagère ou définitive du jugement que définit le philosophe (il y inclut, il est vrai et moi pas, le travail comme fuite), et que ce sont eux qu'il faut rechercher en premier.
D'ailleurs, il existe un humour composé, élaboré, soigné : l'animal de la pensée, cette bête vile qui ne songe que par les raccourcis qui lui sont accessibles, présuppose que l'humour dont je parle est nécessairement spirituel et « intellichiant », une sorte de beau langage chargé de références incompréhensibles et plus ou moins privées, pareil aux « oeuvres » qu'on expose dans la plupart des galeries d'art moderne et qui ne suscitent, à vrai dire, aucun sentiment du beau, ni aucun sentiment spontané en général – ce sont des phénomènes à comprendre, paraît-il, avant que de les admirer. Pour ces gens – ce sont des cas désespérés de l'idée toute faite et de la catégorisation simpliste –, le seul humour auquel j'accorderais de la valeur résiderait dans quelque suprême subtilité exprimée mondainement au énième degré, une espèce d'entre-soi alambiqué et exclusif, ce qui s'apparenterait pour tout autre à de la douleur et de l'ennui. Soit, cette introduction est sans doute un peu longue pour des lecteurs déjà habitués à mes critiques et qui me connaissent donc un peu mieux que par ce type de préventions stéréotypées, mais je ne puis m'empêcher de m'adresser à tout le monde comme si j'avais environ à me présenter à chaque fois à un nouveau lecteur, et j'aime aussi, je ne m'en cache pas, à faire de ces remarques satiriques qui blessent tant l'orgueil gonflé d'air nauséabond de mes contemporains – ou plutôt de cet air aseptisé plus qu'insipide, industriellement chimique et uniforme, qu'on inhale aussitôt qu'on déballe de son carton par exemple un meuble Ikéa (et j'ignore d'où on appelle cela « un meuble », mais enfin, c'est probablement pour gagner du temps et faute d'autre mot).
Non, je considère au contraire que l'art du rire, et particulièrement du rire contextualisé qui vaut mieux que de courtes séquences parce qu'il est plus difficile, est extrêmement délicat, au point que si je me suis livré à l'écriture d'à peu près tous les genres, le comique est le seul auquel je ne me suis adonné qu'après beaucoup d'hésitations – et, à vrai dire, sans garantie de succès, jusqu'à ce qu'une courte représentation théâtrale reportée pour le moment à je-ne-sais-quand vienne infirmer ou confirmer mes « dispositions ». C'est qu'il intervient dans le genre comique quantité de facteurs qui sont d'une appréhension compliquée, notamment ceux-ci : la variété des formes comiques ainsi que le problème du rythme.
Inévitablement, ce qu'on juge drôle ne peut pas convenir à tout le monde, et par exemple une oeuvre comique qui ne serait émaillée que de traits d'humour noir risquerait de ne pas plaire notamment à nombre de femmes qui, pour ne concevoir un propos que sous l'angle des marques les plus ostensibles du rire ou du sérieux, c'est-à-dire de ces femmes qui ne se font de la morale qu'une figuration binaire où la moquerie ne doit en rien attenter à ce qui leur paraît honorable, n'ont avec la dérision qu'un rapport de méfiance qui, au fond, se rapporte intrinsèquement à ce qu'elles pressentent de leur insuffisance à appréhender des genres intermédiaires ou mélangés. J'ai constaté que les hommes ont moins de difficulté à rire de bon gré par exemple d'enfants qu'on prétend hacher menu, de chats qu'on égorge, ou de soldats qu'on envoie sacrifier pour la beauté du geste, en quoi le théâtre de Jarry laisse souvent les femmes froides et mal à l'aise d'incompréhension (elles le jugent sans intérêt, et moi aussi ! mais moi pour des raisons tout autres), et par exemple le père Noël et une ordure ne suscite pas chez elles les mêmes réactions de réjouissance due à l'injustice abjecte de la pièce ; ceci est dû, je crois, à une façon d'assumer la cruauté plus traditionnellement virile, à l'opposé de celles qui estiment par l'idée de maternité qu'elles portent toujours en leur fondement que le monde doit se prolonger encore longtemps pour accueillir avec faveur l'enfant, il leur faut une bienheureuse permanence, une rassurante stabilité, une sécurité sans prix, tandis que maints hommes comme moi se fichent que l'univers puisse s'effondrer demain et en rient, descendance ou pas. Tout est grave ou léger pour bien des femmes, rien au milieu, c'est ce qui fit du romantisme le genre féminin par excellence avec ses intrigues passionnées autant que superficielles, aux antipodes de Rabelais, de Montaigne, de Nietzsche ou même du théâtre de l'absurde et dont la « vertu » consiste principalement en la tonalité ambiguë. (Cette observation se vérifie à la réaction de l'interlocuteur à qui l'on fait la devinette suivante, typique de cette forme humoristique : « Quelle est la différence entre une camionnette pleine de boules de bowling et une autre pleine de bébés morts ? » L'effet se mesure toujours à la réponse suivante, et je ne me rappelle pas avoir jamais vu une femme s'en amuser : « C'est que la première camionnette, on ne peut pas la décharger avec une fourche.) C'est aussi sans doute ce qui a fondé ce malentendu autour de la tragédie, malentendu qu'un docteur femelle comme Aristote a associé aux sentiments de « terreur » et de « pitié », ce qui est sans doute loin de sa réalisation effective chez un vaillant Grec de l'Antiquité : il y a fallu enfin la vertu mâle d'un philologue comme Nietzsche pour y rattacher l'idée de « plaisir de la destruction » qui correspond mieux, certainement, aux moeurs aventureux et misogynes de ceux au nom desquels on a prétendu parler. J'abandonne ici ma parenthèse sur l'humour noir, qui comporte naturellement quantité d'exceptions dont on me fera reproche comme de coutume, feignant d'oublier perpétuellement, mais uniquement quand ça nous arrange, qu'un homme ne s'exprime toujours qu'en général et qu'il abandonne volontiers les moindres aberrations d'un système par ailleurs irréfutable pour la vétille et la chicane de ceux qui, incapables d'inventer des théories par eux-mêmes, se contentent de faire carrière en examinant minutieusement celles des autres avec les manières pincées de petits dissecteurs pointilleux et sans envergure.
Ainsi – et quelle que soit par ailleurs la façon, favorable ou non, dont on reçoit ici mon propos sur le rapport entre femmes et humour noir –, une oeuvre comique, pour bien réussir, ne saurait trop varier les formes d'humour, les types de comique et tous les procédés du rire du plus simple au plus spirituel, de façon à associer et satisfaire les publics les plus divers (encore qu'à l'exclusion, si on voulait, d'une certaine audience amatrice de vulgarités ou au contraire férue de subtilités élitistes) : c'est ce qui fait déjà défaut dans nombre d'oeuvres où l'amusement n'est réalisé que par la répétition d'un effet plus ou moins identique. le dramaturge doit avoir constamment à l'esprit l'éventail des moyens à sa disposition, et c'est ne rien dire encore du rythme avec lequel il doit les employer : car enfin, on sait, par exemple dans presque tous les films comiques qu'on a regardés, qu'il réside à tel moment un passage long qu'on est tenté de passer, et notamment un endroit où les rires s'estompent pour rejoindre le dénouement d'une intrigue, moment où, en somme, les transitions vers une fin paraissent obliger le réalisateur à une « utilité » dénuée presque d'humour. C'est ce blanc, cette paralysie, cette suspension du comique, où de surcroît l'on devine souvent l'impossibilité d'un événement ou la maladresse incroyable d'un enchaînement, qu'un habile faiseur de scénario doit savoir éviter, de façon que le rire ne soit pas tout le prétexte d'une histoire dont la pauvreté sensible atténuerait le plaisir du spectateur, mais bel et bien de telle sorte qu'une intrigue prodigieusement solide supporte astucieusement l'ensemble des effets ; en somme : le credo d'un créateur de comédie devrait consister en : un rire varié et régulier, une intrigue efficace et vraisemblable ; rythme et rigueur. Et je fais fi d'une question subsidiaire sur le rythme mais qui m'intéresse beaucoup : est-ce que la trop grande multiplicité du rire n'est pas aussi un inconvénient, je veux dire : est-ce que des pauses comiques ne permettent pas de reconstituer les forces de l'action-rire, pour autant que l'on constate, comme je le suppose, que l'excès de drôlerie galvaude le rire et lasse la poitrine, en somme qu'il blase et exaspère ? Énigme dont je ne détiens pas la réponse, car il existe aussi au contraire, il est vrai, un entraînement de rire où l'on tire partie d'une hilarité initiale pour l'entretenir au moyen de plaisanteries secondairement drôles et qui, seules, ne feraient que faire sourire. La comédie, décidément, est une science complexe et profonde : pour bien s'y prendre, il y faut un sérieux qu'un simple diverti ne s'imagine pas.
Or, Feydeau se situe au coeur d'une époque de perfection littéraire dont j'ai déjà parlé, et nul n'égale sa capacité à triompher dans les contraintes d'un pareil credo : rythme et rigueur. le Dindon raconte comme un séducteur invétéré, Pontagnac, poursuit jusque chez elle Lucienne qui se trouve par hasard la femme d'un ami, Vatelin. Lucienne est fidèle, ce dont Pontagnac désespère ainsi qu'un autre prétendant nommé Rédillon, mais elle avoue que c'est à condition que son mari le soit aussi, raison pourquoi Pontagnac va tâcher de lui révéler Vatelin adultère. Ce résumé assez simple multiplie néanmoins avec un génie consommé les traits d'humour les plus variés, et sans temps mort, sans explications ennuyeuses, sans lassitudes ou essoufflements, dans un foisonnement admirable et inégalé, une virtuosité d'imaginations. Même la psychologie des personnages est appliquée, en dépit bien sûr d'une plus grande légèreté pittoresque naturelle à la comédie : c'est intelligent, redoutable, écrasant de supériorité à tout dramaturge apprenti ; cela effare de génie. On y trouve une expression exacte, qu'une vigilance redoublée doit veiller au tempo des phrasés, et c'est merveilleusement troublant, à un regard exercé et méticuleux, de précision, de finesse, de sapience des effets, comme un rouage, une machine réglée, une horloge infaillible à l'examen d'un spécialiste. On atteint là, je trouve, au suprême faîte d'un art, au haut période d'un style, au point même que toutes les analyses savantes, sur une comédie, se prêtent parfaitement à la déconstruction, scène après scène et méthodologiquement, des procédés du rire, niveaux de langage, nombre d'entrées, récurrences, etc – c'est incontestablement mieux bâti que Molière, humour et intrigue, sans l'empesage critique en prétexte (c'est qu'en réalité, je n'ai jamais véritablement trouvé que Molière critiquait ou raillait bravement quoi que ce soit, exactement comme La Fontaine : on y sent un ton constant de plaisanterie mondaine qui, à dessein, empêche que quiconque se sente attaqué, et le plus concerné ne peut se retenir de penser qu'on lui parle avec tant de complicité amicale que l'auteur s'adresse sans nul doute à un autre. Appelons ça stratégie-contre-la-censure, si l'on veut, il y a surtout selon moi de la lâcheté à pareils faux-fuyants). Ici : grâce, envol, frénésie, à-propos – on aime ces êtres amusants dont on se voudrait les compagnons –, le tout coloré comme au fer rouge de passions humaines et de sexualité un peu plus que suggérée idéalement, on voit des lits, on bande avec ces hommes qui convoitent et qu'on souhaite triomphants, on a soif de déshabillages, les rires donnent chaud, on exige des baisers brûlants, les mouvements de course plaident la folie, le danger omniprésent suinte en transpiration d'audaces que renforce la proximité de tout ce public amassé près de soi, on a même des femmes qui réclament des corps mâles, une sécrétion tumultueuse perce et fleure derrière ces façades de bourgeoisie que l'on envie d'esprit tant leurs répliques sont fulgurantes et perspicaces ! C'est beau et enivrant comme un feu d'artifice d'été, les rôles sont infatigables pour des comédiens qu'un jeu juste fera obligatoirement disparaître. Ah ! ce Feydeau ! le talent d'un Feydeau : lire seulement les didascalies pour entendre comme tout s'appuie non sur la trouvaille ou la chance, mais sur une chorégraphie étudiée et millimétrée : un travail sans fin, épuisant, grandiose, touchant au classique, à l'exemplaire !
Dès lors je ris sans besoin d'être diverti mollement, sans cet abandon mièvre, sans cesser d'examiner ce que je lis, et je ris plus fort encore que tout autre parce que, moi, à maints degrés : je ris à la fois de l'astuce réjouissante, de l'intelligence rare de ce voluptueux créateur, et aussi de l'excuse prêtée par lui à la situation fictive ! J'entends et le compagnon d'écriture et les personnages empêtrés – je ris doublement, et vous riez simple, vous ! qu'on prétende encore, après ça, que je ne sais pas rire ! Ah ! Mais il faut tant de « métier » pour s'apercevoir de cette finesse extatique que l'enthousiasme, chez la plupart, redescend à l'appellation de vaudeville, et que déjà on se résout à ne plus se rendre au théâtre pour admirer une oeuvre mais uniquement pour « passer un bon moment » en compagnie agréable. C'est qu'un seul contexte blesse même des hommes d'exception, et la « morale », qui sème des poussières sur toutes les habitudes qui dissimulent des ors, devient alors incapable à révéler la valeureuse grandeur des génies.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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Le dindon, aussi simple comme le dindon, ça se lit en dindon, ça se rit en l'image de dindon, ça court ça tourne ça retourne ça contourne comme du dindon...à force de rire, on se croirait vraiment dindon...

Des histoires d'adultère à gauche, de déséquilibre des couples à droite, les plans malicieux d'un dindon d'un coté, la vengeance des femmes trompées de l'autre, plusieurs situations s'enchevêtrent de minute en minute, les personnages s'entrecroisent bizarrement... comme si les choses menaient une course acharnée avec la montre...

Dans tout cet imbroglio, l'auteur fait brandir le triomphe de la fidélité, de l'honnêteté, de la loyauté et de l'amour à travers le couple Vatelin-Lucienne. Un couple qui a résisté à tous les mauvais vents, et bien sûr c'est toujours sur un plateau du rire que cela nous est sevi...

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Citations et extraits (36) Voir plus Ajouter une citation
RÉDILLON : Une femme qui trompe son mari n'a pas l'habitude de lui envoyer des cartes d'invitation. (...) Si elle le fait, c'est qu'elle a une raison ! celle d'exaspérer la jalousie de son mari. (...) Ne voyez-vous pas là la comédie d'une femme outragée qui se venge ! (...)
VATELIN : Oui !
RÉDILLON : Enfin, j'en sais quelque chose, puisque c'est à moi qu'elle est venue proposer le rôle... que j'ai refusé (À part) et pour cause !...
VATELIN : Ah ! mon ami ! mon ami !
RÉDILLON : Et vous avez donné dans le panneau... Ah ! vous n'êtes guère tacticien !
VATELIN : Je suis avoué.
RÉDILLON : Voilà !
VATELIN : Ah ! que je suis content !... (Sanglotant) que je suis con... on... tent ! Ah ! là ! là !... Ah ! là ! là !
RÉDILLON : La joie fait peur !
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LUCIENNE : Vous regarderiez comme une indélicatesse d'écorner moindrement la fortune de votre femme, et quand il s'agit de cet autre bien qui lui appartient, qui lui est dû, qui fait partie du fonds social, la fidélité conjugale, ah ! vous en faites bon marché ! " Qui est-ce qui veut en détourner un morceau, allons là, la première venue ? Avancez ! il en restera toujours assez ! " Et vous gaspillez ! vous gaspillez ! Qu'est-ce que ça vous fait ! C'est votre femme qui paye ! Et vous trouvez ça honnête ? (...) Vous n'avez pas le droit de disposer d'un capital que vous avez aliéné.
PONTAGNAC : Mais permettez, le capital, je n'y touche pas ! le voilà ! il est intact ! Vous me permettrez bien de toucher un peu aux rentes. Notez que, par contrat, j'ai la gestion des biens ! Eh bien ! pourvu que j'aie la plus grande partie en fonds d’État, vous ne pouvez pas trouver mauvais que je fasse quelques placements en valeurs étrangères.
LUCIENNE : Quand on est marié, on ne doit faire que des placements de père de famille !
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LUCIENNE: Allez, vous êtes tous les mêmes, vous autres célibataires.
VATELIN: Célibataire, lui! mais il est marié.
LUCIENNE: Non!
VATELIN: Si!
LUCIENNE: Marié! vous êtes marié!...
PONTAGNAC (embarrassé): Oui... un peu!..
LUCIENNE: Mais c'est affreux!
VATELIN: Vous trouvez?
LUCIENNE: Mais c'est épouvantable!... Comment se fait-il...
PONTAGNAC: Oh! bien! vous savez ce que c'est!... un beau jour, on se rencontre chez le Maire... on ne sait comment, par la force des choses... Il vous fait des questions... on répond "oui" comme ça, parce qu'il y a du monde, puis quand tout le monde est parti, on s'aperçoit qu'on est marié. C'est pour la vie.
(Acte I, scène 2)
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LUCIENNE, entrant comme une bombe et refermant la porte sur elle, mais pas assez vite pour empêcher une canne, passée par un individu qu’on ne voit pas, de se glisser entre le battant et le chambranle de la porte. - Ah ! mon Dieu ! Allez-vous en, monsieur !... Allez-vous en !...

PONTAGNAC, essayant de pousser la porte que chaque fois Lucienne repousse sur lui. - Madame !... Madame !... je vous en prie !...

LUCIENNE. - Mais jamais de la vie, monsieur !... Qu’est-ce que c’est que ces manières ! (Appelant tout en luttant contre la porte.) Jean, Jean ! Augustine !... Ah ! mon Dieu, et personne !...

PONTAGNAC. - Madame ! Madame !

LUCIENNE. - Non ! Non !

PONTAGNAC, qui a fini par entrer. - Je vous en supplie, madame, écoutez-moi !

LUCIENNE. - C’est une infamie !... Je vous défends, monsieur !... Sortez !...

PONTAGNAC. - Ne craignez rien, madame, je ne vous veux aucun mal ! Si mes intentions ne sont pas pures, je vous jure qu’elles ne sont pas hostiles... bien au contraire.

Il va à elle.

LUCIENNE, reculant. - Ah çà ! monsieur, vous êtes fou !

PONTAGNAC, la poursuivant. - Oui, madame, vous l’avez dit, fou de vous ! Je sais que ma conduite est audacieuse, contraire aux usages, mais je m’en moque !... Je ne sais qu’une chose, c’est que je vous aime et que tous les moyens me sont bons pour arriver jusqu’à vous.

LUCIENNE, s’arrêtant. - Monsieur, je ne puis en écouter davantage !... Sortez !...

PONTAGNAC. - Ah ! Tout, madame, tout plutôt que cela ! Je vous aime, je vous dis ! (Nouvelle poursuite.) Il m’a suffi de vous voir et ç’a été le coup de foudre ! Depuis huit jours je m’attache à vos pas ! Vous l’avez remarqué.

LUCIENNE, s’arrêtant devant la table. - Mais non, monsieur.

PONTAGNAC. - Si, madame, vous l’avez remarqué ! Une femme remarque toujours quand on la suit.

LUCIENNE. - Ah ! quelle fatuité !

PONTAGNAC. - Ce n’est pas de la fatuité, c’est de l’observation.

LUCIENNE. - Mais enfin, monsieur, je ne vous connais pas.

PONTAGNAC. - Mais moi non plus, madame, et je le regrette tellement que je veux faire cesser cet état de choses... Ah ! Madame...

LUCIENNE. - Monsieur !

PONTAGNAC. - Ah ! Marguerite !

LUCIENNE, s’oubliant. - Lucienne, d’abord !

PONTAGNAC. - Merci ! Ah ! Lucienne !

LUCIENNE. - Hein ! Mais, monsieur, je vous défends !... Qui vous a permis ?...

PONTAGNAC. - Ne venez-vous pas de me dire comment je devais vous appeler !

LUCIENNE. - Enfin, monsieur, pour qui me prenez-vous ? Je suis une honnête femme !

PONTAGNAC. - Ah ! tant mieux ! J’adore les honnêtes femmes !...

LUCIENNE. - Prenez garde, monsieur ! Je voulais éviter un esclandre, mais puisque vous ne voulez pas partir, je vais appeler mon mari.

PONTAGNAC. - Tiens ! vous avez un mari ?

LUCIENNE. - Parfaitement, monsieur !

PONTAGNAC. - C’est bien ! Laissons cet imbécile de côté !

LUCIENNE. - Imbécile ! mon mari !

PONTAGNAC. - Les maris des femmes qui nous plaisent sont toujours des imbéciles.

LUCIENNE, remontant. - Eh bien ! vous allez voir comment cet imbécile va vous traiter ! Vous ne voulez pas sortir ?...

PONTAGNAC. - Moins que jamais !

LUCIENNE, appelant à droite. - C’est très bien !... Crépin !...

PONTAGNAC. - Oh ! vilain nom !...

LUCIENNE. - Crépin !...
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PINCHARD: Alors, comme ça, t'as des clous, toi!
VICTOR: Oui, monsieur le Major. Oh! c'est pas grand-chose!
PINCHARD: C'est bien, je connais ça! Médecin-major dans la cavalerie, j'en vois plus souvent qu'à mon tour!... Fais voir!
VICTOR: Oui, monsieur! j'ai attrapé ça!...
PINCHARD: Je ne te demande pas de boniments! Déculotte-toi.
VICTOR: Monsieur le Major?
PINCHARD: Tu ne comprends pas le français? Je te dis: déculotte-toi!
VICTOR (interloqué): Mais monsieur le Major...
PINCHARD: Quoi! C'est ma femme qui te gêne? Fais pas attention, elle est sourde!
VICTOR: Ah! bon!
(Acte II, scène 5)
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