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EAN : 9782253162995
523 pages
Le Livre de Poche (03/01/2013)
3.75/5   93 notes
Résumé :
Jusqu'où ira une femme amoureuse pour rappeler à elle son fiancé enfui ? Jusqu'où mène l'amour ? Jusqu'à quels sommets de cruauté, de perversité, de séduction ? Tel est le thème central des Mystères de Winterthurn.A la fin du xixe siècle, au manoir de Glen Mawr, situé dans la ville de Winterthurn à l'est des Etats-Unis, vit l'étrange famille Kilgarvan qui se compose de trois filles : Georgina, l'aînée, dite La Nonne bleue", et ses deux demi-soeurs qu'elle élève seul... >Voir plus
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Une belle écriture que celle de Joyce Carol Oates. Un volume composé en trois actes dont les nombreux épisodes se soudent dans une cohérence parfaite.
Nous sommes à la fin du XIXe siècle quand nous pénétrons dans le manoir de Glen Mawr et en particulier dans la chambre dite « des jeunes mariés » où les relents amoureux sont d'une tout autre nature que celle à laquelle on s'attend. Il se passe des choses terribles à Winterthurn tant dans la ville que dans les esprits. Bien sûr ! Nous consentirons à nous laisser transporter dans une autre époque où les sentiments et ressentiments sont teintés de mystères, de superstitions et de croyances.
Nous découvrirons à l'est des États-Unis, la famille Kilgarvan, directement impliquée dans la vie du pays ainsi que la famille non moins illustre des Westergaard, dont le personnage principal « Valentine » nous envoûtera où nous rebutera, c'est selon. Cela dépendra de notre bonne croyance ou de notre inclination à nous en remettre au mouvement pour adopter l'avis du plus grand nombre. Puis, les familles Whimbrel, Hatch, Peregrine, Bunting, Poindexter, mais nous ne saurions vous influencer plus avant, afin que chaque personnage prenne place dans votre univers, car, il vous faudra choisir votre camp !
Par ailleurs, nous évoluerons dans des mouvements de foules qui oscillent en même temps que des pensées qui s'attachent, déraisonnablement, à l'allure séduisante d'un accusé par exemple, dont la mise est explicitement détaillée. C'est extraordinaire !... En effet, comme la conscience se couche comme les blés sous l'effet du vent, dans un sens, puis dans l'autre, et la foule de se prononcer pour la culpabilité d'un assassin récidiviste que tout accable, puis l'instant d'après, à l'issue du réquisitoire enflammé mais complètement farfelu d'un avocat bon orateur, d'opter pour un avis contraire qui aboutit au verdict retentissant : « non coupable ! » dont tout le monde, défense et accusation y compris, s'étonne.
Car de nombreux meurtres et retournements de situation nous donneront, ‘'matière'' à réflexion, tout en nous entrainant à travers le pays, du manoir au lieu-dit, le « demi-arpent », puis au presbytère où notre recueillement, là encore, sera d'un autre ordre.... que celui de la prière.
Un cheminement qui progresse et nous captive au gré des mystères de Winterthurn.
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Roman de Joyce Carol Oates.

Il s'agit en réalité de trois histoires ayant pour protagoniste Xavier Kilgarvan, de la branche cadette et reniée de la puissante famille Kilgarvan. « le nom de la famille, si respectée autrefois, trempait dans le scandale. » (p. 75) le beau jeune homme mène l'enquête sur les crimes sordides qui glacent le sang des habitants de Winterthurn. « Comme vous devez le savoir – notre enfance à Winterthurn nous l'a appris –, il y a toujours un mystère. Surtout quand il s'agit de meurtre. » (p. 372)
Un jeune nourrisson est dévoré dans une chambre fermée à clé et sa mère est retrouvée à moitié folle à côté du berceau. Plusieurs jeunes filles sont trouvées mortes dans un lieu à la réputation sulfureuse. Un pasteur, sa mère et sa maîtresse sont massacrés à la hache.

Avec le dernier volet de sa trilogie gothique, commencé par Bellefleur, Joyce Carol Oates ne retient plus rien et s'en donne à coeur joie dans le genre. « de temps en temps, et seulement la nuit, on voyait dans la région des fantômes s'élevant de l'étang et des hautes herbes sur ses rives, pour errer dans les bois ou se diriger vers les maisons de la colline. [...] Des visages apparaissaient aux fenêtres des chambres ; on entendait des pas mystérieux dans les escaliers, des chuchotements, des murmures. Ah !... Des jeunes filles prétendaient que des mains invisibles les caressaient – expérience qui éveillait une terreur incommensurable. » (p. 345 & 346) On parle de spectres, de caves sombres, de femmes folles, de découvertes macabres dans les greniers et de secrets affreux dans les tiroirs. Bref, du vrai, du bon, du grand roman gothique. Impossible de ne pas penser aux romans de Wilkie Collins et à ses intrigues terrifiantes. Bref, voilà une vraie lecture doudou, du pur plaisir régressif, magistralement écrit comme toujours avec cette autrice !

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Mysteries of Winterthurn
Traduction : Anne Rabinovitch

ISBN : 9782234071131

Un extrait vous est présenté sur Babélio
La liste des personnages de ce roman sera bientôt disponible sur http://notabene.forumactif.com/


Divisé en trois parties débouchant toutes sur un épilogue, "Les Mystères de Winterthurn" peut se lire comme un hommage parodique au genre gothique, qui apparut à la fin du XVIIIème siècle en Grande-Bretagne et connut son heure de gloire avec des auteurs comme Horace Walpole, Ann Radcliffe et Matthew G. Lewis. On ne s'étonnera pas de voir Joyce Carol Oates, cette touche-à-tout littéraire, relever ce défi en le doublant, par habitude, d'une critique de la société américaine à la fin du XIXème siècle et au tout début du XXème.

Néanmoins, en tant que lecteur, nous avons été déçu et nous restons pour le moins sceptique quant au résultat obtenu.

C'est que la romancière nous avait habitués à tant de subtilité, tant de cruauté aussi - pour ne rien dire de la profondeur de textes aussi divers que "Délicieuses Pourritures", "Nous Etions Les Mulvaney" ou "Blonde." Dans ces "Mystères ..." , c'est la parodie qui l'emporte. Ou qui, plutôt, noie tout. L'humour est là, bien sûr, mais il n'est pas vraiment grinçant et, pour un récit voué au genre gothique, il n'a rien de cette noirceur extasiée dont on se repaît dans "Délicieuses Pourritures" ou dans "Zombi" - pour ne citer que ces deux-là. Bon, montrons-nous juste : si, cela grince, parfois, de trop rares fois mais ce n'est pas cela. Quelque chose fait défaut et cette chose, c'est la subtilité.

L'ironie est ici trop visible, on la reçoit comme une pluie de gifles qui vous étourdit avant de vous laisser hébété : pourquoi une telle volonté de s'afficher ? le lecteur sait que la romancière se complaît depuis des lustres à dénoncer les ridicules et les injustices de la société dans laquelle elle est née. En ouvrant l'un de ses livres, nouvelles ou roman, il s'y attend. Alors oui, pourquoi ? Pourquoi cette ironie si lourde qui se répand de page en page au point d'incommoder celui qui les lit ?

Le plus déstabilisant, c'est que les ombres et les demi-teintes qu'auraient réclamées le style viennent opacifier à plaisir les personnages et les mille-et-un fils de l'intrigue. Trop de personnages (il est vrai appartenant pour la plupart à la bonne société de Winterthurn, au langage châtié et retenu) papotent à demi-mot de choses finalement sans importance et ignorent carrément celles qui en ont. Beaucoup d'entre eux sont à la limite de la caricature. S'il ne s'agissait encore que de personnages secondaires ! Mais l'une des héroïnes, Georgina Kilgarvan, la "Nonne bleue", qui domine toute la première partie, est elle aussi une caricature. Parodier le genre gothique, pourquoi pas ? Mais le destin de la pauvre Georgina est une tragédie tellement cruelle que, si marquée au coin du gothique qu'elle puisse paraître, elle aurait dû la placer d'emblée à l'abri de la caricature.

Son cousin, Xavier Kilgarvan, révèle lui aussi, surtout dans ses jeunes années, pas mal de traits caricaturaux, qui s'expliquent en partie par son statut de héros "gothique." Comme nombre de héros du genre, il n'a d'ailleurs pas de personnalité digne de ce nom. Dans le roman noir gothique en effet, seul le Méchant jouit de ce privilège essentiel qu'est une personnalité solide, qui en impose : méchant, diabolique, oh ! que oui ! mais si attirant ... C'est pour ainsi dire la règle. Règle à laquelle Oates déroge sans vergogne en faisant paradoxalement de son méchant de la seconde partie une lavette déplorable et maniérée dont on a bien de peine à croire que certains de ses disciples - enfin, l'un d'entre eux au moins - puissent l'appeler "Maître."

Et toutes ces questions laissées sans réponses ! Ces cadavres de nourrissons découverts dans le grenier de Glen Mawr sont-ils, comme le lecteur finit par le supposer (et comme quelques réflexions du cousin Xavier, dans la troisième partie, le laissent à penser), les rejetons de l'inceste répété imposé par son terrible père à la malheureuse Georgina ? Qui ou quoi se dissimule dans la fameuse "chambre des Jeunes Mariés" (dite aussi "chambre du Général"), où trône une superbe et inquiétante peinture murale en trompe-l'oeil et où le nourrisson d'Abigail Whimbrel, une cousine de Georgina, hébergée une nuit à Glen Mawr, trouve une mort aussi sanglante qu'inexpliquée ? Que signifient les mille mensonges de Perdita ? Son mari est-il bien le "corbeau" qui inonde de lettres obscènes les femmes les plus honorables de Winterthurn ?

Tel quel, "Les Mystères de Winterthurn" constitue un ouvrage curieux, résolument inégal, voire bancal - la seconde partie, avec ses meurtres en série qui trouvent une solution aussi cruelle que vraisemblable (on n'est plus dans la parodie mais dans une réalité que l'on peut croiser à n'importe quel coin de rue, y compris aujourd'hui) est sans conteste supérieure aux deux autres. Parmi les inconditionnels de Joyce Carol Oates - et nous en sommes toujours - il ne séduira que ceux qui se voilent systématiquement la face à chaque faux pas de leur auteur adoré. Car une chose est sûre, le gothique, parodié ou pas, n'est assurément pas sa tasse de thé.

... A moins que nous n'ayons rien compris et qu'elle ait voulu faire la parodie gothique d'une parodie gothique ? ... Dans ce cas, rien à dire : c'est un chef-d'oeuvre. ;o)
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Que l'on ne compte pas sur moi pour résumer l'intrigue, qui est ici particulièrement sanglante, vénéneuse, entremêlée...... Je dirai plutôt que j'ai été totalement bluffée par l'habileté avec laquelle C.Oates la conduit, entremêlant les points de vue et les parti–pris narratifs; nous amenant à deviner l'explication des "mystères", mais sans la formuler explicitement.
Très habile, en effet, cette façon de nous promener entre le point de vue du romancier en surplomb, qui sait tout sur chaque personnage, et nous annonce à l'avance certaines circonstances malheureuses ...
Ou bien, tout au contraire, d'adopter un point de vue presque naïf, qui colle au plus près aux superstitions, aux préjugés, aux erreurs de jugement, d'une communauté humaine en quelque sorte "pré-scientifique ". On est en effet à la fin du 19ème siècle, aux Etats-Unis, dans une société très corsetée, encore très imprégnée de puritanisme, et qui va se trouver confrontée au surgissement de monstrueuses vérités cachées: des relations amoureuses abusives, des infanticides, des irruptions de violence, des crimes sadiques....

Passant d'une intrigue à tonalité nettement fantastique dans la première partie à celles, plus policières, des deux autres parties, Oates fait le plus souvent progresser son récit par accumulation de ragots, commérages plus ou moins bien intentionnés, analyses erronées, témoignages contradictoires. Et ce faisant, l'air de ne pas y toucher, dénonce les préjugés de race, de sexe, de classe sociale ou de religion qui constituent la grille de lecture " naturelle" d'une société.
À mes yeux, les vrais mystères de Winterthurn ne résident donc ni dans les quelques points que le récit laisse irrésolus , ni dans l'interrogation sur la part obscure de la nature humaine. le vrai mystère c'est plutôt cette volonté d'aveuglement qui par réflexes grégaires, accumulation d'idées préconçues, empilement de sottises, pousse un groupe social à refuser de voir les vérités les plus évidentes et à s'acharner - jusqu'au lynchage - sur le faux coupable désigné par la voix populi. Ou conduit un détective à fermer les yeux sur une machination perverse, malgré le nombre de victimes innocentes qu'elle a pu entraîner.

En définitive, avec ses trois parties, son foisonnement d'intrigues et de personnages, ce gros, très gros roman est construit autour d'une ligne relativement claire: il nous raconte comment les deux cousins Xavier et Perdita parviendront à vivre leur amour, en dépit (ou à cause) du passé familial de l'une, marqué par de monstrueux non-dits, et de l'attirance de l'autre pour le morbide et pour le crime.
Ainsi Oates nous montre-t-elle à la fois un "happy end" et un double échec. Xavier est en effet un enquêteur à la Sherlock Holmes, mais qui par deux fois aura échoué à faire éclater la vérité : dans une première affaire parce qu'il n'est pas suivi par l'opinion alors qu'il a désigné sans ambiguïté le coupable; dans la deuxième parce qu'il s'est aveuglé sur l'identité du criminel.

Roman ténébreux, buissonnant, et bien sûr presque trop riche par moments... Mais quel plaisir que le rendez-vous quotidien avec un bon gros bouquin de 7 ou 800 pages, plein de "mystères", de rebondissements, de surprises. Et quel bonheur qu'un écrivain prolifique, qui de livre en livre se renouvelle sans cesse et jamais ne vous déçoit!
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"Prêt à l'attaque, tendu jusqu'au bout des ongles, il s'avança tenant haut sa chandelle pour voir toute la pièce et s'imprégner de l'atmosphère - un mélange singulier de poussière, d'humidité, de vieillesse, de splendeur mélancolique, avec une légère odeur de sang."



Cela fait plusieurs années que je voulais poursuivre la trilogie gothique de la prolifique Joyce Carol Oates. Après Bellefleur qui m'avait glacé le sang - certaines scènes restant gravées très précisément dans ma mémoire - me voilà donc avec Les mystères de Winterthurn entre les mains. Et c'est, de loin, le meilleur Oates que j'ai lu depuis longtemps. Car, il faut le dire et le redire : le gothique, cela peut être de la bonne - de la très bonne - littérature (voir les excellents : Maudits, Nous avons toujours vécu au château, le blanc va aux sorcières, L'indésirable).


Winterthurn est une petite ville américaine moyenne, au tournant du 19e et du 20e siècle, banale au possible. Enfin, à voir. Puisque les évènements mystérieux et/ou sordides s'y multiplient de manière inexplicable, autour de lieux qui paraissent maudits. "La vierge à la roseraie", "le demi-arpent du diable" et "la robe nuptiale tachée de sang" : trois récits en apparence indépendants, mais reliés par le fil rouge Xavier Kilgarvan, justicier idéaliste et exalté, qui enquête à Winterthurn à trois moments distincts de sa vie. le roman s'ouvre sur une scène des plus curieuses : l'énigmatique et inquiétante Georgina parcourt, de nuit, cinq kilomètres à pied au coeur d'une tempête de neige, pour acheter de toute urgence de la chaux vive pour traiter ses rosiers ...


"Nous sommes à Glen Mawr, pensa-t-elle, non dans une auberge inconnue, Charleton et moi nous n'avons rien à craindre ... mais nous dormirons plus profondément en sachant que la pièce est barricadée de l'intérieur." Au manoir de Glen Mawr vivent trois soeurs, l'aînée, surnommée la Nonne Bleue, une vieille fille aux moeurs étranges élevant de façon odieuse ses deux jeunes demies-soeurs, l'une raisonnable et dévouée, l'autre d'une beauté vénéneuse, à l'ombre d'un père disparu mais omniprésent. Manoir où une cousine en visite, jeune mère, devient folle après que l'on retrouve à ses côtés son nourrisson égorgé dans une chambre close de l'intérieur. Mais le "demi-arpent du diable", une lande aride théâtre macabre de cinq meurtres de jeune fille d'une sauvagerie inouïe, n'est pas en reste. Pas plus que le cauchemardesque Hotel Paradise qui clôt la série des intrigues et boucle la boucle.


Avec une narration follement originale alternant récit et chronique, avec une construction narrative maîtrisée à la virgule près, et un usage affolant de l'italique, sans compter un sens diabolique des détails ! - Joyce Carol Oates distrait autant qu'elle parvient à brosser une satire sociale délicieusement perverse de l'Amérique des petites villes, avec son étroitesse d'esprit, ses mesquineries, ses préjugés de classe et de race,son sens corseté des convenances, son respect et sa confiance bien mal placés. le tout sans glauque inutile, et avec une finesse assez incroyable. En bref un roman obsédant, qui déménage, difficile à lâcher ; qui peut sembler juxtaposer trois histoires distinctes, mais qui prend sens à la fin, autour de deux personnages : l'énigmatique Perdita et son cousin, sans compter des personnages inoubliables, comme le très ambigu Valentine.


Envoûtant en diable ! (Mais comment peut-elle écrire autant et aussi bien ?). SI vous avez aimé, vous retrouverez des qualités comparables, mais à une époque contemporaine s'appropriant les codes du roman de campus dans Les Revenants de Laura Kasischke, l'un de mes romans préférés.


"Ce n'est que la Mort, murmura-t-il ... la Mort, non la Vie ... Comment la Mort pourrait-elle te blesser, mon garçon ?"
Lien : http://le-mange-livres.blogs..
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Citations et extraits (38) Voir plus Ajouter une citation
Valentine avait soigneusement prévu ses effets : choisissant, pour ses débuts au tribunal, un costume relativement conventionnel (mais coûteux) ; passant des laines et des gabardines aux soies, aux satins, aux velours, aux brocarts et aux fourrures ; des hauts cols, des manchettes amidonnées et des plastrons aux chemises ouvertes de style indien ou marocain ; renonçant à la chaste dignité des rayures et de l’écossais pour des cachemires voluptueux, des tissus japonais peints à la main, des dentelles vénitiennes ajourées, du chintz fleuri... ! Oubliant les teintes sombres pour le pourpre, le vert tilleul, le cramoisi, le bleu lavande, l’argent. Il avait préparé une cape doublée de brocart doré, évoquant une toge romaine ; un manteau de loutre aubergine ; son pardessus de « deuil » de style cosaque, avec son splendide col de zibeline. Calculant ses effets avec une habileté diabolique...
Les dames se pressaient pour voir quelle fleur le jeune homme avait choisie pour sa boutonnière, ce jour-là... ! (p.278)
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Ah ! Les yeux noirs, perçants, étranges de la femme ne l'avaient-ils pas fixé d'une manière troublante...!
De plus, la scène avait un côté émouvant, romantique même ; à la fois poignante et mélancolique, obsédante. Melle Georgina n'était-elle pas un personnage énigmatique dans son costume de deuil, la tête et les épaules recouvertes d'une fine dentelle de neige fondante ? N'était-ce pas, de la part d'une dame de son rang, un acte de désespoir inconscient, inexplicable, d'avoir parcouru cinq kilomètres à pied sur une route de campagne, avant le lever du soleil - s'exposant à toutes sortes de ragots et de calomnies ?
Cela, le matin du 3 mai, quelques heures avant la découverte, au manoir, de la mort du bébé - le cousin de Mlle Georgina.
Phineas resta sur le seuil plusieurs minutes après le départ des visiteurs, le regard perdu dans le lointain ; la neige commença de fondre sans bruit. Il y avait chez la fille aînée d'Erasmus Kilgarvan quelque chose de pitoyable, de tragique, même. N'avait-elle pas été terriblement humiliée - blessée - par une affaire de cœur, des années auparavant ?
n
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Impatiente à force d'attendre. De désirer. Si seule. Affamée. Depuis tant d'années. Impatiente d'aimer. D'être mère. Notre heure approche...
Il était près de minuit ce 2 mai, 6 heures à peine avant que Phinéas Cutter fût brutalement tiré de son sommeil, quand Mme Abigaïl Whimbrel (une cousine de Mlle Georgina du côté de sa mère, issue de la branche des Battenberg de Contracœur) se réveilla en sursaut pour le troisième fois ; une sensation étrange la parcourut - un mélange de volupté et d'excitation, une langueur infinie -, elle crut qu'une présence étrangère s'était glissée dans la chambre.
« Qui est là ?... Je vais appeler un domestique !... »
D'une main tremblante, Mme Wimbrel alluma la lampe à pétrole sur la table de chevet, mais elle ne vit que les ombres géantes projetées par la flamme et son reflet très pâle dans le miroir cuivré. Elle avait un caractère paisible et se laissait rarement aller à l'émotion - sauf aux périodes où la nature des femmes contrarie fatalement leur équilibre, pourtant elle voulut s'assurer que son fils dormait ; il avait été agité plus tôt dans la soirée et à sa demande la nurse l'avait couché dans un berceau d'osier près de son lit.
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Un événement très étrange se produisit alors que le révérend De Forrest prononçait une dernière prière pour le repos de l'âme du défunt en présence d'un petit groupe de parents.
Tout-à-coup l'atmosphère changea : le soleil hivernal perça l'écran de nuages qui l'avait caché toute la matinée et illumina les stèles de marbre et de granit, sans épargner le cercueil d'ébène étincelant. Un instant, il sembla que les pierres même prenaient vie ! Alors, à la stupéfaction de tous, s'éleva un cri mystérieux- léger, musical, poignant, avec les accents de la colère. On eut dit le cri d'un oiseau.
De nombreuses personnes levèrent les yeux, affolées. Mais aucune des filles du disparu ne pleurait. Mlle Georgina, très raide à côté de son oncle Simon Esdras, le visage dissimulé par une voilette de mousseline noire, ne laissait paraître aucun signe de détresse. Le bruit diminua, puis s'amplifia de nouveau, gémissement aigu , mélopée d'une douleur indicible, insupportable à entendre.
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[...] ... La Chaux Vive

A l'aube d'une matinée particulièrement froide pour un mois de mai - d'énormes flocons de neige mouillée voltigeaient comme des fleurs - la fille aînée du juge défunt, Melle Georgina Kilgarvan, apparut, suivie de Pride, son domestique noir, et alla tirer la sonnette d'un marchand nommé Phineas Cutter (de Cutter Brothers Mills, route de la vallée de la Tempérance), auquel elle présenta une requête fort singulière. Pauvre Phineas ! ... Brutalement tiré de son sommeil, sourd de l'oreille droite, il se demanda si cette forme drapée de noir était la fille du juge ou un fantôme surgi de ses cauchemars : se pouvait-il que Melle Georgina, du manoir de Glen Mawr, habillée de ses lourds vêtements de deuil, discrètement voilée comme à l'accoutumée, fût venue à pied pour lui acheter ... cinquante livres de chaux vive !

Plaçant la main en cornet derrière son oreille, il demanda en bégayant à la dame de répéter ses paroles.

Tandis que le petit serviteur se tenait à l'écart, le visage fermé, ne paraissant pas entendre sa maîtresse, Georgina Kilgarvan, la voix basse, le débit rapide, sans aucun signe de trouble apparent, s'excusa de déranger le commerçant de si bon matin ; elle ignorait l'heure exacte, car les pendules de Glen Mawr étaient toutes déréglées - quelqu'un avait dû y toucher depuis la mort de son père - un détail contrariant mais sans importance, elle ne s'y attarderait pas. Voilà, elle avait un besoin urgent d'un matériau - de la potasse, de la chaux, de la chaux vive ? elle ne savait plus - un produit blanchâtre très puissant servant à désinfecter, à purifier, qui accélérait la décomposition des substances organiques, éliminait le mal ... la pourriture ... la contagion ... le nom lui revenait à présent, c'était de la chaux vive. Elle en voulait immédiatement cinquante livres pour sa roseraie, son domestique les porterait à la maison ; elle jardinait, modestement, et avait la ferme intention de se mettre au travail le matin même. ... [...]
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Après seize ans de négociations, le réalisateur Stig Björkman a convaincu Joyce Carol Oates, 85 ans, de lui ouvrir les portes de son univers. Portrait sensible de l’immense romancière, inlassable exploratrice de la psyché noire de l'Amérique.
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