Sous ce titre suggestif une invitation au voyage. Voilà un court récit souvenir aux accents nettement autobiographiques écrit par J. Kessel en 1932... Un homme se raconte. Paris dix ans plus tôt, sautant à bord d'un train couchette dont le terminus est Riga ce jeune homme de fort tempérament, qui rappelle par bien des côtés l'auteur, regarde défiler vers l'Est les paysages sans joie des lendemains de la Grande Guerre, derrière la vitre de sa cabine feutrée propice à toutes les rêveries. Ce narrateur Jean Estienne est aussi un aviateur plein d'aplomb et de hardiesse tout juste démobilisé qui fait des débuts dans le journalisme. Tête brûlée il a juste l'idée de gagner à ses frais un pays qui pourrait être le sien (sa mère y étant née tout comme celle de J. K.) : la Russie. Pays dont il connaît la langue et qui l'aimante par son actualité. S'imaginant par-dessus le marché qu'un reportage "prodigieux" au milieu des convulsions révolutionnaires récentes va lui ouvrir les portes de la gloire au retour.
Derrière l'autoportrait très réussi de jeunesse le personnage de Jean Estienne se révèle vite des plus attachant. Sa nature impatiente et l'impétuosité de ses élans ne masquent ni sa sensibilité extrême ni sa fragilité, encore moins la précarité du but qu'il s'est fixé et des moyens qu'il se donne ensuite pour (ne pas) l'atteindre... Bien avant son arrivée dans les brumes de la Baltique et sa rencontre avec quelques activistes socialistes révolutionnaires russes opposants, réfugiés à Riga, une place pour le doute s'immisce dans le récit et lui confère sa dimension hasardeuse et insolite. Dans le brimbalement du compartiment et la traversée des frontières lituanienne et lettone, pays qui viennent d'accéder à l'indépendance, l'obtention d'un visa autant que les intentions réelles du narrateur pour pénétrer dans cette Russie désirée vers laquelle tendent ses affects, à la fois éternelle et à présent soviétique, apparaissent bigrement problématiques.
Wagon-lit conserve un pouvoir d'attraction romanesque fort. Le trajet tout d'abord, via Berlin et Kovno, jusqu'à Riga et le "climat" d'une lecture prise dans les rumeurs de l'Histoire y sont évidemment pour quelque chose : étapes ponctuées de fouilles et de contrôles aux frontières nouvellement dessinées ou encanaillements divers, quand il faut que la chair exulte, dans des établissements bien moins distingués que les grands hôtels européens ornant la littérature bon genre. Le narrateur entre "foi et inconscience" incarne à la perfection un stade de la jeunesse où la mobilité des désirs contradictoires contrevient totalement à la gravité générale ambiante. L'énergie qui le pousse en Russie est celle-là même qui l'en éloigne. Il est prêt à "rompre les amarres" en restant à Riga avec une bande de tziganes quand surgit un soir Nina, la jeune apprentie révolutionnaire à qui il s'est lié, pour l'extirper de son bouge... Une belle entreprise ferroviaire, téméraire et inaboutie, un chassé croisé Est/Ouest dont l'issue fantasmée ne pouvait s'écrire qu'avec les mots d'une rêverie partagée et dans la poésie d'un Wagon-lit...
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C'est une nouvelle sans pretention qui flirte avec l'autobiographie. Cela nous fait revivre le temps ou les voyages etaient compliqués et réservés aux plus aventureux d'entre nous. J'en garderai pas un souvenir intarissable mais j'ai passé un agréable moment.
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Il me semblait que sur la campagne plus nue et plus sévère à chaque tour de roue, passait un vent sauvage, un vent qui soufflait de l'Orient profond, des steppes russes. C'était un sol de transition, une large et rude entrée vers des peuples, vers des climats farouches. Une émotion chaude et virile m'oppressa quand les cendres d'un triste soir commencèrent à couvrir cette terre de rigueur et de pauvreté.
L'électricité s'alluma dans notre compartiment. Les fantômes du dehors disparurent. Il n'y eut plus de réel que les reflets de la lumière sur les bois polis, le rythme du train et ce sentiment de sécurité douce et profonde que donne seule une cabine close, moelleuse, roulant dans la nuit au milieu d'un pays inconnu.
Chapitre IV, p. 35 - 36.
Trop d'éléments auxquels j'étais plus qu'un autre sensible avaient concouru à porter mes nerfs à la limite de la résistance: mon dessein aventureux, l'attrait de la Russie secrète et tragique, les charmes du wagon-lit, les séductions du dépaysement, de l'arrachement, de l'évasion, les frontières successives et pesamment gardées, le cliquetis d'armes qui avait accompagné la cadence du train, la fascination qu'exerçaient sur moi Cyrille Ivanovitch et ses amis.
Il fallait de toute nécessité que l'espèce d'orage chaleureux amassé en moi par ces courants magnétiques éclatât avec rapidité. On ne peut pas supporter longtemps une charge pareille, même si elle est composée d'une substance généreuse. Je suis sûr que si l'on m'avait donné les moyens, dans les premiers jours qui suivirent mon arrivée en Lettonie, de passer la frontière, j'aurais mené mon enquête comme je me suis quelque fois battu en avion, c'est à dire pas trop mal. J'aurais trouvé là une issue naturelle pour les démons exigeants qui me possédaient.
Au lieu de cela, j'avais rencontré les tziganes du Frankfurt.
Or, ils fournissaient sur place pour quelqu'un d'aussi peu défendu que moi contre leur action et sur un plan sensuel, orgiaque, animal, une aventure presque égale en plénitude, en risque, en poésie, à celle que j'avais eu le projet d'aller chercher en Russie.
L'alcool, quand il est honnête, me donnait toujours une impression de détente, d'exorcisme physique. J'avais sans doute trop de force à dépenser que je n'employais pas et qui faisait explosion dans l'ivresse. Après quoi je dormais comme un morceau de fonte et dévorais comme un ogre. Mes réserves réparées, j'étais prêt à recommencer une nuit blanche. Et même je ne pouvais guère y échapper puisque j'entrais dans le crépuscule avec une vivacité toute matinale. Ainsi commençait une série de débauches qui ne pouvait être rompue que par une obligation de travail ou par une catastrophe.
Je connaissais le mécanisme. Il avait joué avec assez de rigueur durant mes permissions. Il ne m'avait jamais inquiété, car il arrivait automatiquement à fin de course avec le terme du congé. Alors le vol, l'escadrille, la discipline me reprenaient.
Combien de fois, dans mon enfance pauvre, ai-je rêvé sur les quais des gares devant les rames uniquement composées de wagons-lit et qui contenaient pour moi toute l'essence, toute la magie du voyage terrestre. Sur leurs flancs les pancartes portraits les noms des grandes capitales, des grandes villes inconnues.
Le train roulait le long du quai.
Wagons de tout calibre, de tout âge, wagons éclopés de la guerre civile, ils défilaient tristement, humblement, quand, tout à coup, parmi eux, jaillit une voiture qui par constate, semblait vernie, laquée, royale.
Et sur ses flancs , une pancarte :
PARIS-RIGA.
Nous recevons Dominique Bona, académicienne à qui on doit de nombreuses biographies, pour "Les Partisans : Kessel et Druon, une histoire de famille", publié chez Gallimard. Dominique Bona nous livre un récit du lien fusionnel, quasi filial entre les deux résistants pendant plus d'une soixantaine d'années. Les deux hommes, auteurs et académiciens ont écrit ensemble les paroles de l'hymne de la résistance : le chant des partisans.
Le livre s'ouvre sur le périple des deux hommes et de Germaine Sablon pour rejoindre le Portugal. Une scène quasi épique lors de laquelle les acolytes traversent la chaine montagneuse pour rejoindre l'Espagne, une épopée qui permet de montrer le mouvement. Un mouvement qui sera à l'image de leur vie.
Retrouvez l'intégralité de l'interview ci-dessous : https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/
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