La première nouvelle - qui donne son titre au recueil - nous montre comment une mauvaise farce fait basculer deux vies dans le bonheur. Un polonais curieux et plutôt naïf va ainsi s'unir avec une jeune marocaine qui après deux injustes répudiations n'attendait plus grand chose de la vie.
Une nouvelle à la fois drôle, tendre et émouvante.
Avec le père, le fils et le vengeur masqué, on fait une petite incursion dans le monde du catch et dans le Casablanca des années 70. Ba Bouchaib, catcheur a comme nom de scène Tawa l'indien. Mais pour gagner plus, il décide de se masquer et de combattre aussi comme le vengeur masqué. Un jour l'organisateur, ignorant ce fait décida de faire s'affronter ce qu'il pensait être deux catcheurs différents...
Comme pour la première nouvelle, la comédie cache mal une grande profondeur.
Avec La toile mystérieuse, on a à faire à une nouvelle policière. Un commissaire de police, Hamdouch va résoudre une affaire criminelle en étudiant un tableau, une croûte, exposé au mur de son restaurant favori.
Géométrie de l'amour est une mini pièce de théâtre dont l'action se déroule au lycée français de Casablanca ou trois professeurs, deux femmes, Sylvie et Naima et Alain bavardent. C'est surtout un prétexte pour deviser et philosopher sur l'amour, la séduction, le romantisme et ... L'art de la rupture.
Dans Trois mensonges de Torrès une sorte de Tarascon marocain prouve qu'il est sans doute le plus grand menteur de l'univers... pour le plus grand bonheur de ses amis.
Voilà un superbe recueil de nouvelles. C'est varié, drôle et intelligent. Que demande le peuple ? Rien, le peuple savoure, le peuple est content.
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Je décidai de ne rien faire.
J’eus tort. Ou peut-être pas, cela dépend. Cette histoire peut se lire de plusieurs façons, on va le voir.
Daouia était belle, un peu grassouillette, et le mieux n’est pas forcément l’ennemi du bien.
Matchek, le fait est que nous ne parlons pas la même langue. N’est-ce pas ? Tu es polonais, je suis khouribgui. On peut bien s’entendre pour des choses simples, toi et moi, en mélangeant la darija, le français et je ne sais trop quoi ; mais la confusion s’installe dès que nous voulons traiter de choses plus compliquées.
Il faut à peine deux minutes pour devenir musulman, mais après on ne peut plus jamais faire marche arrière ?
Qu’est-ce que c’est que cette religion ? Tu entres, on te coupe le zizi, tu sors, on te coupe la tête ?
Un classique de l’escroquerie : celui qui vous a mis dedans vous propose de vous en sortir.
Et ainsi de suite. Coup après coup, le Réti de Khouribga, penché sur l’échiquier, les yeux à quelques centimètres des pièces qu’il manipule, avance, trébuche, se relève, louvoie, pousse, progresse. On verra bien la fin de tout cela. A chaque coup suffit sa peine.
Lorsqu’elle accoucha d’un petit garçon (qui portait donc les gène, « bien étonnés de se trouver ensemble », de plusieurs héros mythiques : Lech, Tchech, Rouss et Abou Zayd le Hilali), il fut prénommé Adam, j’allais dire « comme tout le monde » - je veux dire : voilà un prénom qui convient à tous, puisque c’est celui de notre ancêtre commun (…)
Daouia assistait à tous les cours et apprenait au même rythme que ses enfants. De fait, elle ne cessa jamais d’apprendre, comme tous ceux en qui l’intelligence s’unit à la curiosité.
Oui, une victime. Il est très curieux que s’opère si fréquemment l’inversion par laquelle la victime devient coupable, bouc émissaire de nos fautes non avouées, de nos craintes, de nos fantasmes.
J’ai dit plus haut que les yeux toujours écarquillés de Matchek me donnaient l’impression qu’il était plongé dans un perpétuel étonnement. Eh bien, ce sont ces yeux-là qui ont vu juste, j’en suis sûr, à la grande honte des autres, qui croient discerner et n’aperçoivent en fait que leur propre scélératesse.
Ils sont souriants, aimables, intelligents… et surtout très beaux, de cette beauté étrange du métis qui allie les yeux clairs à la peau mate, ou les yeux de Carmen à une peau d’un blanc laiteux.
Parfois, quand je me trouve en société et que la conversation porte sur l’insolite du monde, les coups du sort, les bizarreries de l’existence, je repense à l’étrange histoire du mariage du Polonais. Elle contient sans doute une morale, peut-être même plusieurs, comme les contes de notre enfance.
Pour qui croit en Dieu ou en la Providence, comment ne pas voir, dans cette comique affaire qui connut un dénouement heureux, l’exécution parfaite d’un plan quasi divin ? Pour l’historiciste convaincu, qui consentirait tout de même à réduire l’univers aux dimensions de Khouribga, comment ne pas y voir une ruse de l’Histoire ?
Résumons.
Voilà un homme, Matchek, sans importance collective, tout juste un individu, que des circonstances exceptionnelles dérangent de sa Pologne natale, où il aurait dû vivre le reste de son âge, pour l’installer sur un plateau aride, dans un Maroc qu’il ne connaît pas et où sa propre communauté le rejette, parce qu’il ne se conforme pas à la norme – une norme édictée par qui, par quoi ? sinon par les idées reçues, la crainte de l’autre ou un sentiment injustifié de supériorité sur des gens dont on ne sait rien.
Voici une femme, Daouia, ballottée par le sort, victime raisonnable au regard d’enfant perdue, deux fois mariée à des salauds (il n’y a d’adéquat que ce mot), et que des préjugés imbéciles condamnent à une vie de réprouvée dans une ville où aucun espoir n’est permis.
L’intervention d’un traître de comédie, Moussa, qui n’est que l’instrument aveugle du démiurge, fait que les destins de ces deux exilés s’accolent – et il en sort, en fin de compte, oserai-je user d’une formulation aussi mièvre, du « bonheur pour tous », et deux enfants superbes.
Oui, du bonheur pour tous. Tant pis pour les cynique ! Le mariage du Polonais, que j’ai fini maintenant de raconter, c’est le genre d’histoire qui commence de la façon la plus farfelue et se termine de la façon la plus émouvante, de sorte qu’on pourrait en dire, avec le poète : Que de fois j’ai souri de l’entendre, et plus souvent pleuré !
• Le père, le fils et le Vengeur masqué
Les Romains avaient le pain et le cirque, nous avions la bissara et le catch. Cela suffisait à notre bonheur, dans les années soixante-dix. On n’était pas encore entrés dans la société de consommation, la recherche effrénée du « toujours plus ! », le matérialisme éhonté, la…
- Tu as remarqué que l’âge de l’innocence, c’est toujours avant ? On n’y est jamais, dans cet âge-là. Le présent, c’est toujours une espèce de désenchantement général/
- C’est le règne des cyniques, des blasés…
- Finalement, on n’a pas une très haute opinion de nous-mêmes.
Dans les deux cas, il perd une facette de son identité. Or nous ne sommes entiers que lorsque nous acceptions toutes les facettes de notre Moi.
Y en a un tous les mois, des matchs du siècle !
- Ce qui se formule à ce moment-là dans son cerveau, la très dangereuse question qui surgit en lui, c’est : Jusques z-à quand devons-nous supporter la tyrannie de nos pères ?
- Question blasphématoire !
- Certes ; mais que de tous les animaux, seul l’homme se pose. Le gorille ne se la pose pas. Dès qu’il peut casser la gu… à son géniteur, il le fait le gorille.
• La toile mystérieuse
On eût dit qu’il surveillait les allées et venues des passants – sans doute une déformation professionnelle, mais alors nous souffrons tous de cette pathologie.
Le commissaire détestait les rêves. Quand il se souvenait de l’un d’eux, au réveil, il en était furieux. Il se sentait rabaissé, humilié. Il avait l’impression de ne plus s’appartenir, d’avoir perdu toute maîtrise de soi au cours de ces aventures nocturnes où tout semble possible – et qui servent à quoi, grands dieux ?
• Géométrie de l’amour
… ce qui me contrarie, c’est que nous ne sommes jamais d’accord sur rien. Or il me semble qu’une discussion bien menée devrait conduire à … une sorte de consensus.
Peut-être, mais ça ne tient qu’à nous ! Il n’y a qu’à faire un effort. Ça devrait être ça, une discussion : chacun présente des arguments rationnels et tout le monde se rallie à l’argument le plus… ben, le plus rationnel, justement. Le plus convaincant.
Une expression, ma chère Naima, ça veut toujours dire quelque chose. Donc, la peau ! Ze skin ! Ajoute-z-y une pincée de phéromones qui se baladent dans l’air… C’est tout. C’est ça, l’amour ! Rien d’autre ! Tout le reste, c’est… c’est culturel : les promenades au clair de lune, l’embarquement pour Cythère, la musique, tout le tra-la-la romantique, qui – je vous le fais remarquer – est d’invention récente : ça n’existait pas chez les Grecs, ni chez les Romains.
Ben voyons, dès qu’on sort de ton pré carré, c’est : « Connais pas »…
Et bien ton Raymond Lulle a écrit : « L’amant et l’aimé sont des réalités différentes, et pourtant ils s’accordent sans aucune opposition, sans aucune différence d’essence. » C’est beau, non ?
Au mythe de Narcisse, par exemple. Il se penche sur l’eau claire, croit voir un bel éphèbe (mais c’est lui-même !), tombe amoureux de son image : on croit être amoureux de l’autre, on est surtout amoureux de soi-même. Ou amoureux de l’amour. Dans tous les cas, on nage en pleine illusion. Illusion, vous dis-je ! La seule réalité, la seule chose tangible, c’est la peau, c’est l’épiderme ! Tout le reste, c’est des foutaises !
Quand une femme vous dit : « Parlez-moi d’amour », elle veut tout entendre, sauf une démonstration. (Il sourit.) L’art de la rupture, c’est de faire en sorte que ce soit l’autre qui en prenne l’initiative. Ainsi son amour-propre est sauf et cela vous évite des représailles. Qui sait jusqu’où aurait pu aller Naima si c’était moi qui avais rompu ? L’enfer n’a pas fureur pire que celle d’une femme dédaignée…
• Trois mensonges de Torrès
- Ta grotte ?
- C’est fou ce que l’homme est possessif. On croit que la nature nous appartient.
Hommes de peu de foi ! Vous ne croyez à rien, votre monde est terne, il y a pourtant des merveilles autour de vous et votre agnosticisme obtus vous empêche de les voir. Vous prétendez votre chat normal, comme s’il était normal d’avoir un petit tigre sur ses genoux ; vous causez tranquillement avec votre mainate, comme s’il était normal qu’un volatile se doublât d’un pipelet ; mais mes sangliers hypocondriaques n’existent pas ?
Après son départ (il avait rendez-vous avec l'archevêque de Casablanca), nous restâmes silencieux, méditant ce qui venait de se passer.
Tout de même, c'était extraordinaire.
De deux choses l'une, ou bien Driss Basri (ministre de l'intérieur marocain, exécuteur des basses oeuvres du régime) avait réellement mis en place un univers parallèle où le temps et l'espace étaient devenus des catégories a priori de la police. Oui bien Torrès était le plus fieffé menteur de l'univers. Dans un cas comme dans l'autre, nous étions fiers d'être les compatriotes d'hommes de cet acabit.
Bien sûr, s'ils avaient employé leur génie à résoudre quelques problèmes majeurs de notre pays, comme la pénurie chronique d'eau potable, les épidémies de choléra ou la scolarisation des petites filles, au lieu de l'investir dans la police ou l'élucubration, c'eût été encore mieux. Mais on ne peut pas demander la lune. Avoir eu autrefois l'immense Basri, avoir aujourd'hui de minuscules Torrès (car il y en avait dans tous les recoins), voilà qui suffit à nous rendre heureux.
Insatiable arpenteur de la planète, assoiffé de connaissances, dévoreur impénitent de toutes formes de textes, Fouad Laroui manifeste dans chacun de ses livres son émerveillement face à la beauté de la vie. Dans ce recueil de chroniques cursives, lapidaires et lumineuses, il vante l'intelligence intarissable des êtres humains et pourfend, dans un même mouvement, leur insondable stupidité. Un régal !