«
La duchesse et le roturier » est le troisième volet des «
Chroniques du Plateau Mont-Royal». L'histoire se déroule dans un quartier pauvre de Montréal en 1946-47 et on y retrouve les protagonistes des deux premiers tomes, qui sont aussi les personnages de nombreuses pièces de théâtre de
Michel Tremblay :
• Victoire qui vit avec ses trois enfants adultes et leurs familles dans un appartement de quelques pièces. En attente de la mort, l'aïeule a récemment développé une complicité avec son petit-fils Marcel, un enfant apparemment retardé, mais qui effraie son entourage par son monde imaginaire.
• Albertine, fille de Victoire, veuve de guerre, aigrie par une vie qui ne lui apporte que frustrations, mère de deux enfants qu'elle ne comprend pas : Thérèse, une adolescente un peu trop délurée qui risque d'être entraînée sur une mauvaise pente et Marcel qu'il faudra faire enfermer s'il persiste à discuter avec son chat invisible.
• Gabriel et sa « Grosse femme » qui s'évade par la lecture de sa vie trop étroite, parents de deux adolescents, Richard et Philippe, ainsi que d'un gamin de quatre qui peine à trouver sa place parmi les grands.
• Édouard, vendeur de chaussures de quarante ans, à l'homosexualité difficile à vivre dans ces années de conformisme social dominé par la religion catholique. Édouard fréquente le milieu du spectacle burlesque et fait connaissance de ses vedettes. Ces personnages (La Poune, Juliette Pétrie, Denis Drouin, etc.) sont bien connus du public québécois, car ils apparaîtront à la télévision jusque dans les années 90.
Si les descriptions du milieu social sont élaborées, ce sont surtout les personnages de Tremblay qui font la richesse du roman. Ses héros du quotidien y vivent leurs émotions, leurs espoirs et leurs culpabilités, dans un univers de relations familiales où on se « crie par la tête » pour éviter d'exprimer des sentiments. Chacun vit à sa manière les hésitations entre la conformité et le désir de liberté.
L'incursion dans le rêve ou l'imaginaire, qui offrent une fenêtre sur l'ailleurs et permettent de supporter le quotidien, complète la variété des styles exploités par Tremblay, mais pourrait rebuter un lecteur très cartésien.